SUR LA DISPARITION
DE LA RADIOACTIVITÉ INDUITE PAR LE RADIUM
SUR LES CORPS SOLIDES.

En commun avec J. DANNE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXVIII, p. 683,
séance du 14 mars 1904.


Dans un travail antérieur[1], nous avons étudié la loi suivant laquelle diminue en fonction du temps le rayonnement de Becquerel d’un corps solide qui a été exposé pendant un certain temps à l’émanation du radium. La figure reproduite ici (fig. 1) donne le résultat des expériences. Le logarithme de l’intensité du rayonnement est porté en ordonnée ; le temps porté en abscisse est compté à partir du moment où la lame est soustraite à l’action de l’émanation. Les temps pendant lesquels les corps solides sont restés sous l’action de l’émanation sont inscrits sur chaque courbe. La courbe (1) est la courbe limite que l’on obtient lorsque le corps a été soumis pendant très longtemps à l’action de l’émanation. Nous avons trouvé que dans ce cas l’intensité du rayonnement pendant que la lame se désactive est donnée en fonction du temps t par la différence de deux exponentielles. On a

(1)
avec
k = 4.2, xxx b = 0,000538 = , xxx c = 0,000413 = .

On peut interpréter théoriquement ces résultats en adoptant la manière devoir de M. Rutherford et en imaginant que l’émanation agit sur les parois solides de façon à créer une substance radioactive

fig. 1.
fig. 1.



qui disparaît spontanément suivant une loi exponentielle simple de coefficient b. En disparaissant, la substance donne naissance à une nouvelle substance radioactive qui disparaît elle-même suivant une loi exponentielle simple de coefficient c. Si l’on admet que les deux substances et émettent des rayons de Becquerel, on trouve que le rayonnement total doit être de la forme (1). La valeur du coefficient k dépend du rapport des pouvoirs émissifs des substances et en rayons de Becquerel.

Dans le cas particulier où l’on suppose que la substance rayonne seule, on trouve que l’on doit avoir

.


L’expérience ayant donné 4,2 pour ce coefficient k, il y a là une coïncidence remarquable, et l’on voit que tout se passe comme si la substance ne rayonnait pas, mais se transformait en une substance qui seule émet des rayons de Becquerel.

Il convient de remarquer que, lorsque l’on a

,


la formule (1) est symétrique par rapport à b et c. On peut donc intervertir les valeurs de b et de c sans changer la formule. On peut donc faire l’hypothèse I avec b = 0,000538 et c = 0,000413 ou l’hypothèse II avec b = 0,000413 et c = 0,000538 ; la loi de désactivation sera également bien représentée dans les deux cas.

Dans la première hypothèse (b > c), la substance inactive disparaît plus rapidement que la substance  ; quelques heures après le début de la désactivation, la substance subsiste seule à la surface du corps. Dans la deuxième hypothèse (b < c), la substance se détruit plus lentement que  ; mais, comme elle entretient , les deux substances disparaissent en même temps pendant la désactivation et le mélange subsiste jusqu’à ce que toute activité ait disparu. Pour décider entre les deux hypothèses il faut étudier d’autres phénomènes, tels que ceux de la distillation de l’activité par échauffement des corps activés. Les expériences que nous publierons prochainement sont en accord avec la première hypothèse. La substance inactive est celle qui disparaît le plus vite.

On peut étendre la théorie précédente en cherchant quelle est la loi de désactivation d’une paroi solide qui a été soumise pendant un temps déterminé θ à l’action de l’émanation du radium. On trouve que l’on doit avoir

(2)

La formule (2) ne rend pas compte de la première baisse de l’intensité du rayonnement qui se produit pendant les premières minutes de la désactivation, après activation de courte durée. En revanche, à partir de 20 minutes après le début de la désactivation et jusqu’à la fin, le rayonnement trouvé par l’expérience est parfaitement représenté par cette formule[2]. En particulier on retrouve en place sur l’échelle des temps le maximum de l’intensité du rayonnement qui se produit pendant la désactivation.

Pour retrouver toutes les particularités des courbes de désactivation il est nécessaire d’avoir recours à trois substances distinctes. On peut supposer, par exemple, que l’émanation crée une première substance qui disparaît rapidement suivant une loi exponentielle simple de coefficient a en se transformant dans la substance qui se transforme à son tour en . On explique convenablement les résultats en supposant que et émettent des rayons de Becquerel et que n’en émet pas. L’intensité du rayonnement est alors donnée, pendant la désactivation, par la formule

,

θ représentant la durée d’action de l’émanation, avec λ = 0,57, a = 0,0045, b = 0,000538, c = 0,000413. Le temps nécessaire pour que la quantité de chaque substance ait diminué de moitié est de 2,6 minutes environ pour la substance , de 21 minutes pour la substance et de 28 minutes pour la substance . Ces temps sont caractéristiques pour ces trois substances.





  1. Comptes rendus, 9 février 1903.
  2. La quantité d’émanation qui a servi à activer les corps n’était malheureusement pas la même dans les diverses expériences ; il en résulte que l’on peut seulement retrouver la forme des courbes et non leur position exacte sur l’échelle des ordonnées. De nouvelles expériences seraient utiles.