Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Correspondance/Lettre IX

Œuvres de Descartes, Texte établi par Charles Adam et Paul TanneryLéopold CerfTome I : Correspondance, avril 1622 - février 1638 (p. 18-21).
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IX.
Descartes a ***.
[Septembre 1629 ?]

L = Variantes manuscrites de l’exemplaire de l’Institut données ici non comme l’original de Descartes, mais comme exemple des rajeunissements de style qu’on aurait imposés au texte à la fin du xviie siècle. La date et le destinataire de ce fragment sont inconnus. L’exemplaire de l’Institut ne donne en marge que des conjectures tirées du texte : « A un des amys de Paris de Mr D., peut-être à Mr Mydorge : elle est écrite le 20 octobre 1639. V. en les raisons dans le nouveau cahier. » Mais Mydorge est exclu, parce que Descartes n’avait pas à lui recommander particulièrement Ferrier, et parce que, d’autre part, il ressort clairement de la lettre XIX ci-après (Clerselier, t. II, p. 520) que, le 4 mars 1630, Descartes n’avait pas encore écrit à Mydorge et que ce dernier ignorait toujours son adresse en Hollande, &. J’estime que la lettre, publiée par Clerselier sur une minute qui ne portait pas d’en-tête (il aura ajouté « Monsieur »), est la première que Descartes ait écrite de Hollande à Mersenne. Celui-ci, ayant eu l’adresse de Descartes par Ferrier, lui aura posé, semble-t-il, une question tout à fait analogue à celle qu’il avait faite à Beeckman un peu auparavant (Voir ci-après lettre X) ; il aura appuyé Ferrier pour lui faire obtenir un logement au Louvre (Voir lettre XI). Le Minime ne semble pas, au reste, avoir conservé cette première lettre de Descartes ; mais peut-être en a-t-il gardé une suite, que Descartes au contraire n’avait pas écrite en minute. La collection Lahire comprenait en effet, sous le n° 1, un fragment non daté antérieur à la lettre XIV ci-après (du 13 novembre 1629), et l’on ne voit pas ce que ce fragment perdu pouvait renfermer, si ce n’est une demande de renseignements sur les parhélies observés à Rome (Voir lettre X). La présente lettre, dans cette hypothèse, serait au plus tard partie d’Amsterdam le 25 septembre 1629, mais elle peut être antérieure d’une ou plusieurs semaines. On ignore d’ailleurs si, à la fin de septembre, Descartes avait déjà quitté Franeker ; Baillet indique, mais sans preuves précises, le mois d’octobre comme celui où il s’établit à Amsterdam — (P. T.).

On peut, tout au contraire, admettre que la lettre n’a été écrite qu’en 1638 ou 1639, et qu’elle est adressée à Constantin Huygens, dont l’intérêt pour les questions de musique est bien connu (Correspondance et œuvre musicale de Constantin Huygens, par W. J. A. Jonckbloet et J. P. N. Land, Leyde, 1882), et qui eut à s’occuper de Ferrier, lorsque cet artisan alla en Hollande, ainsi que cela est bien établi par les lettres de la Correspondance de Christiaan Huygens (no 960, Thevenot à Chr. Huygens, de janvier 1662, t. IV, p. 18 ; no 32 et 33, Rivet à Const. Huygens, 27 février et 3 avril 1647, t. I, p. 66 et 68). Il le recommanda notamment aux magistrats de Leyde (Lettre de Descartes à Constantin Huygens, de juillet 1640, Clers., t. III, p. 592, où le « Tourneur » dont il est parlé serait précisément Ferrier) — (C. A.).

Monſieur,

Ie vous ay tant d’obligation du ſouuenir qu’il vous plaiſt auoir de moy, & de l’affection que vous me témoignez, que i’ay regret de ne la pouuoir aſſez meriter. Excuſez & mon peu d’eſprit, & les diuertiſſemens 5 qui me portent à d’autres penſées, ſi ie ne puis ſatisfaire à voſtre queſtion, ſçauoir, pourquoy il eſt plus permis de paſſer de la dixième mineure à la ſexte majeure, que des tierces à l’odaue. Sur quoy ie vous diray neantmoins, qu’il me ſemble que ce qui rend le paſſage 10 d’vne conſonance à l’autre agreable, n’eſt pas ſeulement que les relations ſoient auſſi conſonantes, car cela ne ſe peut ; meſme quand il ſe pourroit, il ne ſeroit pas agreable, d’autant que cela oſteroit toute la diuerſité de la Muſique. Et d’ailleurs touchant les mauuaiſes 15 relations, il ne faut preſque conſiderer que la fauſſe quinte & le triton ; car les ſeptiéme & neuuiéme ſe rencontrent preſque touſiours, lors qu’vne partie va par degrez conjoints. Mais ce qui empeſche qu’on ne peut aller de la tierce à l’octaue, eſt à cauſe que l’octaue eſt vne des conſonances parfaites, lesquelles ſont attenduës de l’oreille, lors qu’elle entend les imparfaites ; 5 mais lors qu’elle entend les tierces, elle attend la conſonance qui leur eſt la plus proche, à ſçauoir, la quinte ou l’vniſon ; de ſorte que ſi l’octaue ſuruient au lieu, cela la trompe, & ne la ſatisfait pas. Mais il eſt bien permis de paſſer des tierces à vne autre imparſaite ; car 10 encore que l’oreille n’y trouue pas ce qu’elle attend, pour y arreſter ſon attention, elle y trouue cependant quelqu’autre varieté qui la recrée, ce qu’elle ne trouueroit pas en vne conſonance parfaite, comme eſt l’octaue. 15

| I’ay appris de Monſieur Ferrier combien vous m’auiez obligé en ſa perſonne ; et encore qu’il y ait beaucoup plus de choses en luy, qui vous peuuent conuier à procurer ſon auancement, que ie n’en reconnois en moy pour meriter l’honneur de vos bonnes 20 graces, ie n’eus pas laiſſé de reconnoiſtre que c’eſt moy qui vous ſuis redeuable des faueurs qu’il a receuës, non ſeulement à cauſe que ie l’aime aſſez pour prendre part au bien qui luy arriue, mais auſſi pour ce que mon inclination me porte ſi fort à vous honorer 25 & ſeruir, que ie ne crains pas de deuoir à voſtre courtoiſie, ce que i’auois voüé à vos meérites. Et de plus, ie ſuis bien-aiſe de me flater, en me perſuadant que i’ay l’honneur d’eſtre en voſtre ſouuenir, & que vous dai- gnez faire quelque choſe en ma conſideration ; ce qui me fait auoir meilleure opinion de moy, & me donne tant de vanité, que i’oſe entreprendre de vous recommander plus particulierement le meſme ſieur Ferrier, 5 en vous aſſurant qu’outre qu’il eſt très honneſte homme, & extremement reconnoiſſant, ie ne ſçache perſonne au monde, qui ſoit ſi capable, que luy de ce à quoy il s’employe. Il y a vne partie dans les Mathematiques, que ie nomme la ſcience des miracles, pour 10 ce qu’elle enſeigne à ſe ſeruir ſi à propos de l’air et de la lumiere, qu’on peut faire voir par ſon moyen toutes les meſmes illuſions, qu’on dit que les Magiciens font paroiſtre par l’aide des Demons. Cette ſcience n’a iamais encore eſté pratiquée, que ie ſçache, 15 & ie ne connois perſonne que luy qui en ſoit capable ; mais ie tiens qu’il y pourroit faire de telles choſes, qu’encore que ie mépriſe fort de ſemblables niaiſeries, ie ne vous cèleray pas toutesfois, que ſi ie l’auois pu tirer de Paris, ie l’aurois tenu icy exprés pour l’y 20 faire trauailler, & employer auec luy les heures que ie perdrois dans le jeu, ou dans les conuerſations inutiles.

16 les 7. et 9. C.

8 uniſſon L. — 17 encore] quoy L. — 18 choses] bonnes qualitez L. — 21 n’eus] n’ay L.

9 pour] par L. — 22 L ajoute : Cette lettre finit icy, et le reste n’en est pas. La suite est en effet postérieure aux Principia Philosophiæ (1644).