Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/31

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XXXI

Comment frère Pacifique, étant en oraison, vit l’âme de son frère aller au ciel.

Dans la province de la Marche, après la mort de saint François, deux frères vivaient sous la Règle l’un se nommait frère Humble, et l’autre frère Pacifique, et tous deux furent des hommes d’une très-grande sainteté et d’une grande perfection. L’un, frère Humble, résidait au couvent de Soffiano, où il mourut ; et l’autre demeurait dans un autre couvent très-loin de là.

Il plut à Dieu que frère Pacifique, étant un jour en oraison dans un lieu solitaire, fut ravi en extase, et vit l’âme de frère Humble, son frère, qui se détachait du corps, et qui allait droit au ciel sans retard et sans empêchement. Il advint qu’après beaucoup d’années ce frère Pacifique fut envoyé dans le couvent de Soffiano, où son frère était mort. En ce temps, les frères, à la demande des seigneurs de Bruforte, passèrent de ce couvent à un autre. Et, entre autres choses, ils transportèrent les reliques des saints frères qui étaient morts dans ce lieu. Quand on en vint à la sépulture du frère Humble, son frère Pacifique prit les ossements, les lavà d’un vin précieux, puis les enveloppa dans une nappe blanche, et avec un grand respect et une grande dévotion il les baisait et pleurait. Les autres frères s’en étonnèrent, et ils ne trouvaient pas que ce fût d’un bon exemple car, pour un homme de si grande sainteté, frère Pacifique leur paraissait pleurer son frère d’un amour trop sensuel et trop terrestre, montrant plus de dévotion à ses restes qu’à ceux des autres frères qui n’avaient pas été de moindre sainteté que frère Humble, et dont les reliques étaient dignes d’autant de vénération. Et frère Pacifique, connaissant la mauvaise pensée des frères, voulut humblement les satisfaire, et leur dit « Mes très-chers frères, ne vous étonnez pas si j’ai fait pour les os de mon frère ce que je n’ai pas fait pour les autres. Béni soit Dieu ! car ce n’est pas, comme vous croyez, l’amour charnel qui m’a entraîné ; mais j’ai fait ainsi, parce que au moment où mon frère quitta cette vie, j’étais en prière dans un lieu désert et loin de lui, et je vis son âme monter droit au ciel ; je suis donc certain que ses os sont saints, et qu’ils seront un jour en paradis. Si Dieu m’avait donné la même certitude des autres frères, j’aurais rendu le même respect leurs ossements. » Et les frères, voyant par ce récit combien les prières de frère Pacifique étaient saintes et dévotes, furent très édifiés de lui, et louèrent Dieu.