Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/19

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XIX
Comment saint François convertit à la foi le soudan de Babylone.


Saint François, poussé par le zèle de la foi du Christ et par le désir du martyre, passa outre-mer avec douze compagnons très-saints, pour aller tout droit au soudan de Babylone. Or ils arrivèrent dans une province des Sarrasins, où les passages étaient gardés par des hommes si cruels, que tous ceux qui passaient étaient mis à mort. Or, comme il plut à Dieu, ils ne furent pas tués, mais pris et battus et, les ayant liés, on les conduisit ainsi devant le soudan. Et quand saint François se trouva en sa présence, instruit par l’Esprit-Saint, il prêcha si divinement la foi du Christ, que même pour la prouver il voulait entrer dans le feu. A raison de quoi le soudan se prit à ressentir une grande dévotion pour lui, soit à cause de sa constance dans la foi, soit à cause du mépris qu’il lui voyait faire du monde (car, bien que très-pauvre, le saint ne voulut recevoir de lui aucun présent), soit enfin à cause de l’ardeur qu’il lui voyait pour le martyre, Dès lors le soudan l’écouta volontiers, et le pria de revenir souvent, lui octroyant, à lui et à ses compagnons, la liberté de prêcher où ils voudraient et il leur donna un signe de sa protection, grâce auquel personne ne put les offenser…

A la fin saint François, voyant qu’il ne pouvait plus faire de fruit dans ces contrées, se décida par révélation divine à retourner chez les fidèles avec ses compagnons. Les ayant donc réunis tous ensemble, il se rendit auprès du soudan, et prit congé de lui. Alors le soudan lui dit : « Frère François, je me convertirais volontiers à la foi du Christ ; mais je crains de le faire à cette heure, parce que si ce peuple le savait, il nous tuerait toi et moi, avec tous ceux qui t’accompagnent. Et, attendu que tu peux faire encore beaucoup de bien, et que j’ai à dépêcher certaines affaires d’une grande importance, je ne veux pas maintenant causer ma mort et la tienne. » Mais enseigne-moi comment je pourrai me sauver, et je suis prêt à faire ce que tu m’imposeras. » Saint François lui dit alors : « Seigneur, je te quitte à cette heure ; mais, quand je serai retourné dans mon pays, quand je serai mort et monté au ciel par la grâce de Dieu, alors, s’il lui plaît, je t’enverrai deux de mes frères, desquels tu recevras le saint baptême du Christ, et tu seras sauvé, ainsi que me l’a révélé Jésus-Christ, mon Seigneur. Pour toi, d’ici là, dégage-toi de tout empêchement, afin que la grâce de Dieu venant, elle te trouve disposé à la foi et à la dévotion. » Le soudan promit de le faire, et il le fit. L’entretien achevé, saint François s’en retourna, suivi de la vénérable troupe de ses saints compagnons. Et après quelques années saint François mourut selon la chair, et rendit son âme à Dieu.

Or le soudan, étant tombé malade, attendit la promesse de saint François, et fit placer des gardes dans certain passage, avec ce commandement, que si deux frères, en habit de saint François, venaient a se montrer, ils lui fussent amenés de suite. En ce même temps saint François apparut à deux frères, et leur ordonna que sans retard ils allassent vers le soudan, et prissent soin de son salut, ainsi qu’il l’avait promis. Et ces frères partirent à l’instant, et ayant passé la mer, ils furent menés au soudan par les gardes. Le soudan eut une très-grande joie de les voir, et dit : « Maintenant je sais vraiment que Dieu m’a envoyé ses serviteurs pour mon salut, selon la promesse que me fit saint François par la révélation divine. » Ayant donc reçu des frères la connaissance de la foi du Christ et le saint baptême, régénéré en Jésus-Christ, il mourut de cette maladie, et son âme fut sauvée de la sorte par les mérites et les prières de saint François.