Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/7/14

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XIV


Comment la vigne du prêtre de Rieti, dans la maison duquel pria saint François, fut dépouillée et ravagée à cause du grand nombre de gens qui venaient trouver le saint. Comment ensuite elle produisit miraculeusement plus de vin que jamais, ainsi que saint François l’avait promis, et comment Dieu révéla à saint François qu’au sortir de ce monde il aurait le Paradis.


Un jour, saint François ayant les yeux très-gravement malades, le cardinal Ugolin, protecteur de l’Ordre, à cause de la grande tendresse qu’il ressentait pour le saint, lui écrivit de venir le trouver à Rieti il y avait là d’excellents médecins pour les yeux.

Lorsque saint François eut reçu la lettre du cardinal, il s’en alla d’abord à Saint-Damien, où était sainte Claire, très-dévote épouse du Christ, pour lui donner quelques consolations, et ensuite se rendre près du cardinal. Or, saint François étant là, son mal d’yeux empira tellement la nuit suivante, qu’il ne voyait plus la lumière ; et comme il ne pouvait partir, sainte Claire lui fit faire une petite cellule de roseaux, pour qu’il pût mieux reposer. Mais saint François, à cause de la douleur de son mal et de la multitude de souris qui l’incommodaient extrêmement, ne pouvait reposer en aucune manière, ni jour ni nuit ; et, souffrant de plus en plus de cette peine et de cette tribulation, il se prit à penser que c’était un fléau de Dieu pour ses péchés, et se mit à rendre grâce à Dieu de cœur et de bouche, s’écriant à haute voix : « Mon Seigneur, je suis digne de cela et de bien pire encore. Seigneur Jésus-Christ, bon pasteur, qui, pour nous autres pécheurs, avez mis votre miséricorde en diverses peines et angoisses corporelles, accordez grâce et vertu à votre pauvre brebis, afin que nulle infirmité, angoisse ou douleur, ne me sépare de vous.» Et pendant cette oraison il vint une voix du ciel, qui dit

« François, réponds-moi ; si toute la terre était

d’or, et si toutes les mers et les fontaines et les fleuves étaient de baume, et si toutes les montagnes et les collines et les rochers étaient de pierres précieuses, et que tu connusses un autre trésor aussi préférable à toutes ces choses que l’or l’est à la terre, le baume à l’eau, et les pierres précieuses aux montagnes et aux rochers, et que ta maladie te méritât ce trésor, ne devrais-tu pas t’en tenir bien content et bien joyeux ? » Saint François répondit :« Seigneur, je suis indigne d’un aussi précieux trésor. » Et la voix de Dieu lui dit : « Réjouis-toi, François, parce que c’est le trésor de la vie éternelle que je te réserve ; et dès à présent je t’en investis, et l’infirmité qui t’afflige est le gage de ce trésor bienheureux. » Alors saint François, avec une grande joie de cette glorieuse promesse, appela son compagnon, et dit : « Allons chez le cardinal. » Et consolant d’abord sainte Claire avec de saintes paroles, et lui faisant humblement ses adieux, il prit le chemin de Rieti. Mais, quand il fut près d’arriver, la multitude qui venait au-devant de lui était si grande, qu’il ne voulut pas entrer dans la ville, et s’en fut à une église qui était à peu près à deux milles dans le voisinage. Les habitants, sachant qu’il était là, accoururent tout alentour pour le voir, tellement que la vigne de cette église en fut dévastée et le raisin cueilli ; de quoi le prêtre du lieu s’affligea jusqu’au fond du cœur, et il se repentit d’avoir reçu saint François dans son église. Mais, la pensée du prêtre étant révélée de Dieu à saint François, il le fit appeler et lui dit : « Mon très-cher père, combien de charges de vin te rend cette vigne par an, quand elle te rend le plus ? Il répondit : « Douze charges. » Saint François dit : « Je te prie, père, de, supporter avec patience que je demeure quelques jours ici, parce que j’y trouve beaucoup de repos, et de laisser chacun prendre du raisin de cette vigne, pour l’amour de Dieu et de moi, pauvre pécheur et je te promets, de la part de mon Seigneur Jésus-Christ, qu’elle te rendra chaque année vingt charges. » Or, la raison pour laquelle saint François s’arrêta dans ce lieu, ce fut le grand fruit qu’il faisait dans les âmes. Parmi cette multitude qu’on y voyait venir, beaucoup s’en retournaient enivrés du divin amour, et abandonnaient le monde.

Le prêtre, se confiant dans la promesse de saint François, laissa librement entrer dans la vigne ceux qui venaient. Merveilleuse chose ! la vigne fut toute ravagée et dépouillée, de telle sorte qu’à peine y restait-il quelques grappes de raisins. Vint le temps de la vendange : le prêtre recueillit ces grappes, les mit dans la cuve et les foula et, selon la promesse de saint François, il recueillit vingt charges de très-bon vin. Ce miracle donna à entendre manifestement que si, par le mérite de saint François, la vigne dépouillée de raisins avait abondé en vin, de même le peuple chrétien, stérile en vertus par le péché, mais corrigé par les mérites et la doctrine de saint François, abondait souvent en fruits salutaires de pénitence.