Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui paraissent avoir rapport avec le paon et avec le faisan

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 438-441).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI PARAISSENT AVOIR RAPPORT AVEC LE PAON ET AVEC LE FAISAN

(Je range sous ce titre indécis quelques oiseaux étrangers, trop peu connus pour qu’on puisse leur assigner une place plus fixe.)

I.LE CHINQUIS.

Dans l’incertitude où je suis si cet oiseau est un véritable paon ou non, je lui donne, ou plutôt je lui conserve le nom de chinquis[NdÉ 1], formé de son nom chinois chin-tchien-khi : c’est la dixième espèce du genre des faisans de M. Brisson[1] ; il se trouve au Thibet, d’où cet auteur a pris occasion de le nommer paon du Thibet : sa grosseur est celle de la peintade ; il a l’iris des yeux jaune, le bec cendré, les pieds gris, le fond du plumage cendré, varié de lignes noires et de points blancs ; mais ce qui en fait l’ornement principal et distinctif, ce sont de belles et grandes taches rondes d’un bleu éclatant, changeant en violet et en or, répandues une à une sur les plumes du dos et les couvertures des ailes, deux à deux sur les pennes des ailes, et quatre à quatre sur les longues couvertures de la queue, dont les deux du milieu sont les plus longues de toutes, les latérales allant toujours en se raccourcissant de chaque côté.

On ne sait, ou plutôt on ne dit rien de son histoire, pas même s’il fait la roue en relevant en éventail ses belles plumes chargées de miroirs.

Il ne faut pas confondre le chinquis avec le kinki, ou poule dorée de la Chine, dont il est parlé dans les relations de Navarette, Trigault, du Halde, et qui, autant qu’on en peut juger par des descriptions imparfaites, n’est autre chose que notre tricolor huppé[2].

II.LE SPICIFÈRE.

J’appelle ainsi le huitième faisan de M. Brisson[3], qu’Aldrovande a nommé paon du Japon, tout en avouant qu’il ne ressemblait à notre paon que par les pieds et la queue[4].

Je lui ai donné le nom de spicifère à cause de l’aigrette en forme d’épi qui s’élève sur sa tête[NdÉ 2] : cette aigrette est haute de quatre pouces, et paraît émaillée de vert et de bleu ; le bec est de couleur cendrée, plus long et plus menu que celui du paon ; l’iris est jaune, et le tour des yeux rouge comme dans le faisan : les plumes de la queue sont en plus petit nombre, le fond en est plus rembruni et les miroirs plus grands, mais brillant des mêmes couleurs que dans notre paon d’Europe ; la distribution des couleurs forme sur la poitrine, le dos et la partie des ailes la plus proche du dos, des espèces d’écailles qui ont différents reflets en différents endroits, bleus sur la partie des ailes la plus proche du dos, bleus et verts sur le dos, bleus, verts et dorés sur la poitrine ; les autres pennes de l’aile sont vertes dans le milieu de leur longueur, ensuite jaunâtres, et finissent par être noires à leur extrémité : le sommet de la tête et le haut du cou ont des taches bleues mêlées de blanc sur un fond verdâtre.

Telle est à peu près la description qu’Aldrovande a faite du mâle, d’après une figure peinte que l’empereur du Japon avait envoyée au pape ; il ne dit point s’il étale sa queue comme notre paon ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne l’étale point dans la figure d’Aldrovande, et qu’il y est même représenté sans éperons aux pieds, quoique Aldrovande n’ait pas oublié d’en faire paraître dans la figure du paon ordinaire, qu’il a placée vis-à-vis pour servir d’objet de comparaison.

Selon cet auteur, la femelle est plus petite que le mâle ; elle a les mêmes couleurs que lui sur la tête, le cou, la poitrine, le dos et les ailes ; mais elle en diffère en ce qu’elle a le dessus du corps noir, et en ce que les couvertures du croupion, qui sont beaucoup plus courtes que les pennes de la queue, sont ornées de quatre ou cinq miroirs assez larges relativement à la grandeur des plumes : le vert est la couleur dominante de la queue, les pennes en sont bordées de bleu, et les tiges de ces pennes sont blanches.

Cet oiseau paraît avoir beaucoup de rapport avec celui dont parle Kæmpfer, dans son Histoire du Japon, sous le nom de faisan[5] : ce que j’en ai dit suffit pour faire voir qu’il a plusieurs traits de conformité et plusieurs traits de dissemblance, soit avec le paon, soit avec le faisan, et que, par conséquent, il ne devait point avoir d’autre place que celle que je lui donne ici.

III.L’ÉPERONNIER.

Cet oiseau n’est guère connu que par la figure et la description que M. Edwards a publiées du mâle et de la femelle[6] et qu’il avait faites sur le vivant[NdÉ 3].

Au premier coup d’œil, le mâle paraît avoir quelque rapport avec le faisan et le paon ; comme eux il a la queue longue, il l’a semée de miroirs comme le paon, et quelques naturalistes, s’en tenant à ce premier coup d’œil, l’ont admis dans le genre du faisan[7] ; mais quoique, d’après ces rapports superficiels, M. Edwards ait cru pouvoir lui donner ou lui conserver le nom de faisan-paon, néanmoins, en y regardant de plus près, il a bien jugé qu’il ne pouvait appartenir au genre du faisan : 1o parce que les longues plumes de sa queue sont arrondies et non pointues par le bout ; 2o parce qu’elles sont droites dans toute leur longueur, et non recourbées en bas ; 3o parce qu’elles ne font pas la gouttière renversée par le renversement de leurs barbes, comme dans le faisan ; 4o enfin, parce qu’en marchant il ne recourbe point sa queue en haut comme cet oiseau.

Mais il appartient encore bien moins à l’espèce du paon, dont il diffère non seulement par le port de la queue, par la configuration et le nombre des pennes dont elle est composée, mais encore par les proportions de sa forme extérieure, par la grosseur de la tête et du cou, et en ce qu’il ne redresse et n’épanouit point sa queue comme le paon[8], qu’il n’a, au lieu d’aigrette, qu’une espèce de huppe plate, formée par les plumes du sommet de la tête qui se relèvent, et dont la pointe revient un peu en avant ; enfin, le mâle diffère du coq paon et du coq faisan par un double éperon qu’il a à chaque pied, caractère presque unique d’après lequel je lui ai donné le nom d’éperonnier.

Ces différences extérieures, qui certainement en supposent beaucoup d’autres plus cachées, paraîtront assez considérables à tout homme de sens, et qui ne sera préoccupé d’aucune méthode, pour exclure l’éperonnier du nombre des paons et des faisans, encore qu’il ait comme eux les doigts séparés, les pieds nus, les jambes revêtues de plumes jusqu’au talon, le bec en cône courbé, la queue longue et la tête sans crête ni membrane : à la vérité, je sais tel méthodiste qui ne pourrait, sans inconséquence, ne pas le reconnaître pour un paon ou pour un faisan, puisqu’il a tous les attributs par lesquels ce genre est caractérisé dans sa méthode ; mais aussi un naturaliste sans méthode et sans préjugé ne pourra le reconnaître pour le paon de la nature ; et que s’ensuivra-t-il de là, sinon que l’ordre de la nature est bien loin de la méthode du naturaliste ?

En vain me dira-t-on que, puisque l’oiseau dont il s’agit ici a les principaux caractères du genre du faisan, les petites variétés par lesquelles il en diffère ne doivent point empêcher qu’on ne le rapporte à ce genre ; car je demanderai toujours qui donc ose se croire en droit de déterminer ces caractères principaux ; de décider, par exemple, que l’attribut négatif de n’avoir ni crête ni membrane soit plus essentiel que celui d’avoir la tête de telle ou telle forme, de telle ou telle grosseur, et de prononcer que tous les oiseaux qui se ressemblent par des caractères choisis arbitrairement doivent aussi se ressembler dans leurs véritables propriétés ?

Au reste, en refusant à l’éperonnier le nom de paon de la Chine, je ne fais que me conformer au témoignage des voyageurs, qui assurent que, dans ce vaste pays, on ne voit de paons que ceux qu’on y apporte des autres contrées[9].

L’éperonnier a l’iris des yeux jaune, ainsi que l’espace entre la base du bec et l’œil, le bec supérieur rouge, l’inférieur brun foncé et les pieds d’un brun sale : son plumage est d’une beauté admirable ; la queue est, comme je l’ai dit, semée de miroirs ou de taches brillantes de forme ovale, et d’une belle couleur de pourpre avec des reflets bleus, vert et or ; ces miroirs font d’autant plus d’effet qu’ils sont terminés et détachés du fond par un double cercle, l’un noir et l’autre orangé obscur ; chaque penne de la queue a deux de ces miroirs accolés l’un à l’autre, la tige entre deux, et malgré cela, comme cette queue a infiniment moins de plumes que celle du paon, elle est beaucoup moins chargée de miroirs ; mais, en récompense, l’éperonnier en a une très grande quantité sur le dos et sur les ailes, où le paon n’en a point du tout ; ces miroirs des ailes sont ronds, et comme le fond du plumage est brun, on croirait voir une belle peau de marte zibeline enrichie de saphirs, d’opales, d’émeraudes et de topazes.

Les plus grandes pennes de l’aile n’ont point de miroirs ; toutes les autres en ont chacune un, et quel qu’en soit l’éclat, leurs couleurs, soit dans les ailes, soit dans la queue, ne pénètrent point jusqu’à l’autre surface de la penne, dont le dessous est d’un sombre uniforme.

Le mâle surpasse en grosseur le faisan ordinaire ; la femelle est d’un tiers plus petite que le mâle, et paraît plus leste et plus éveillée ; elle a, comme lui, l’iris jaune, mais point de rouge dans le bec, et la queue beaucoup plus petite : quoique ses couleurs approchent plus de celles du mâle que dans l’espèce des paons et des faisans, cependant elles sont plus mates, plus éteintes, et n’ont point ce lustre, ce jeu, ces ondulations de lumière qui font un si bel effet dans les miroirs du mâle[10].

Cet oiseau était vivant à Londres l’année dernière, d’où M. le chevalier Codrington en a envoyé des dessins coloriés à M. Daubenton le jeune.


Notes de Buffon
  1. Voyez Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 294.
  2. Voyez M. l’abbé Prevost, Hist. générale des Voyages, t. VI, p. 487.
  3. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 289.
  4. Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 35.
  5. « Il y a au Japon une espèce de faisans qui se distinguent par la diversité de leurs couleurs, par l’éclat de leurs plumes et par la beauté de leur queue, qui égale en longueur la moitié de la hauteur d’un homme, et qui par ce mélange et par une variété charmante des plus belles couleurs, particulièrement de l’or et de l’azur, ne cède en rien à celle du paon. » Kæmpfer, Histoire du Japon, t. Ier, p. 112.
  6. Edwards, Hist. nat. of Birds, planches lxvii et lxix.
  7. Klein, Ordo Avium, p. 114. — Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 291, genre vii, espèce ix.
  8. M. Edwards ne dit point que cet oiseau fasse la roue ; et de cela seul je me crois en droit de conclure qu’il ne la fait point : un fait aussi considérable n’aurait pu échapper à M. Edwards ; et, s’il l’eût observé, il ne l’aurait point omis.
  9. Navarette, Description de la Chine, p. 40 et 42.
  10. Voyez Edwards, planches lxvii et lxix.
Notes de l’éditeur
  1. C’est probablement le Pavo bicalcaratus Gm. [Note de Wikisource : actuellement Polyplectron bicalcaratum Linnæus, vulgairement l’éperonnier chinquis].
  2. C’est le Pavo muticus L. [Note de Wikisource : actuellement Pavo muticus Linnæus, vulgairement le paon spicifère].
  3. D’après Cuvier, l’Éperonnier et le Chinquis de Buffon répondent à une même espèce qui est soit le Pavo bicalcaratus, soit le Pavo thibetanus de Gmelin. [Note de Wikisource : c’est en effet l’actuel Polypectron bicalcaratum Linnæus, vulgairement éperonnier chinquis.]