Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport aux coqs de bruyère, aux gelinottes, aux attagas, etc.

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 395-399).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AUX COQS DE BRUYÈRE, AUX GELINOTTES, AUX ATTAGAS, ETC.

I.LA GELINOTTE DE CANADA.

Il me paraît que M. Brisson a fait un double emploi en donnant la gelinotte de Canada[NdÉ 1] qu’il a vue, pour une espèce différente de la gelinotte de la baie d’Hudson, qu’à la vérité il n’avait pas vue ; mais il suffisait de comparer la gelinotte de Canada en nature avec les planches enluminées d’Edwards de la gelinotte de la baie d’Hudson, pour reconnaître que c’était le même oiseau. Voilà donc une espèce nominale de moins, et l’on doit attribuer à la gelinotte de Canada tout ce que MM. Ellis et Edwards disent de la gelinotte de la baie d’Hudson.

Elle abonde toute l’année dans les terres voisines de la baie d’Hudson ; elle y habite par préférence les plaines et les lieux bas, au lieu que, sous un autre ciel, la même espèce, dit M. Ellis, ne se trouve que dans des terres fort élevées, et même au sommet des montagnes : en Canada elle porte le nom de perdrix.

Le mâle est plus petit que la gelinotte ordinaire ; il a les sourcils rouges, les narines couvertes de petites plumes noires, les ailes courtes, les pieds velus jusqu’au bas du tarse, les doigts et les ongles gris, le bec noir ; en général il est d’une couleur fort rembrunie, et qui n’est égayée que par quelques taches blanches autour des yeux, sur les flancs et en quelques autres endroits.

La femelle est plus petite que le mâle, et elle a les coulenrs de son plumage moins sombres et plus variées ; elle lui ressemble dans tout le reste.

L’un et l’autre mangent des pignons de pin, des baies de genévrier, etc. On les trouve dans le nord de l’Amérique en très grande quantité, et on en fait des provisions aux approches de l’hiver ; la gelée les saisit et les conserve, et, à mesure qu’on en veut manger, on les fait dégeler dans l’eau froide.

II.LE COQ DE BRUYÈRE À FRAISE OU LA GROSSE GELINOTTE DE CANADA.

Je soupçonne encore ici un double emploi, et je suis bien tenté de croire que cette grosse gelinotte de Canada[NdÉ 2] que M. Brisson donne comme une espèce nouvelle et différente de sa gelinotte huppée de Pensylvanie, est néanmoins la même, c’est-à-dire la même aussi que celle du coq de bruyère à fraise de M. Edwards : il est vrai qu’en comparant cet oiseau en nature, ou même notre planche enluminée, avec celle de M. Edwards, no 248, il paraîtra au premier coup d’œil des différences très considérables entre ces deux oiseaux ; mais si l’on fait attention aux ressemblances, et en même temps aux différentes vues des dessinateurs, dont l’un, M. Edwards, a voulu représenter les plumes au-dessus des ailes et de la tête, relevées comme si l’oiseau était non seulement vivant, mais en action d’amour, et dont l’autre, M. Martinet, n’a dessiné cet oiseau que mort et sans plumes érigées ou redressées, la disconvenance des dessins se réduira à peu de chose, ou plutôt s’évanouira tout à fait par une présomption bien fondée, c’est que notre oiseau est la femelle de celui d’Edwards : d’ailleurs, cet habile naturaliste dit positivement qu’il ne fait que supposer la huppe à son oiseau, parce que, ayant les plumes du sommet de la tête plus longues que les autres, il présume qu’il peut les redresser à sa volonté, comme celles qui sont au-dessus de ses ailes. Et du reste, la grandeur, la figure, les mœurs et le climat étant ici les mêmes, je pense être fondé à présumer que la grosse gelinotte de Canada, la gelinotte huppée de Pensylvanie de M. Brisson, et le coq de bruyère à fraise de M. Edwards, ne font qu’une seule et même espèce, à laquelle on doit encore rapporter le coq de bois d’Amérique, décrit et représenté par Catesby[1].

Elle est un peu plus grosse que la gelinotte ordinaire, et lui ressemble par ses ailes courtes, et en ce que les plumes qui couvrent ses pieds ne descendent pas jusqu’aux doigts ; mais elle n’a ni sourcils rouges, ni cercles de cette couleur autour des yeux : ce qui la caractérise, ce sont deux touffes de plumes plus longues que les autres et recourbées en bas, qu’elle a au haut de la poitrine, une de chaque côté ; les plumes de ces touffes sont d’un beau noir, ayant sur leurs bords des reflets brillants qui jouent entre la couleur d’or et le vert ; l’oiseau peut relever, quand il veut, ces espèces de fausses ailes, qui, lorsqu’elles sont pliées, tombent de part et d’autre sur la partie supérieure des ailes véritables ; le bec, les doigts et les ongles sont d’un brun rougeâtre.

Cet oiseau, selon M. Edwards, est fort commun dans le Maryland et la Pensylvanie, où on lui donne le nom de faisan : cependant il a, par son naturel et ses habitudes, beaucoup plus d’affinité avec le tétras ou coq de bruyère ; il tient le milieu pour la grosseur entre le faisan et la perdrix ; ses pieds sont garnis de plumes, et ses doigts dentelés sur les bords comme ceux des tétras ; son bec est semblable à celui du coq ordinaire ; l’ouverture des narines est recouverte par de petites plumes qui naissent de la base du bec et se dirigent en avant ; tout le dessus du corps, compris la tête, la queue et les ailes, est émaillé de différentes couleurs brunes, plus ou moins claires, d’orangé et de noir ; la gorge est d’un orangé brillant, quoique un peu foncé ; l’estomac, le ventre et les cuisses ont des taches noires en forme de croissant, distribuées avec régularité sur un fond blanc ; il a sur la tête et autour, du cou de longues plumes, dont il peut, en les redressant à son gré, se former une huppe et une sorte de fraise, ce qu’il fait principalement lorsqu’il est en amour ; il relève en même temps les plumes de sa queue en faisant la roue, gonflant son jabot, traînant les ailes et accompagnant son action d’un bruit sourd et d’un bourdonnement semblable à celui du coq d’Inde ; et il a de plus, pour rappeler ses femelles, un battement d’ailes très singulier et assez fort pour se faire entendre à un demi-mille de distance par un temps calme ; il se plaît à cet exercice au printemps et en automne, qui sont le temps de sa chaleur, et il le répète tous les jours à des heures réglées, savoir, à neuf heures du matin et sur les quatre hures du soir, mais toujours étant posé sur un tronc sec : lorsqu’il commence, il met d’abord un intervalle d’environ deux secondes entre chaque battement, puis accélérant la vitesse par degrés, les coups se succèdent à la fin avec tant de rapidité qu’ils ne font plus qu’un bruit continu, semblable à celui d’un tambour, d’autres disent d’un tonnerre éloigné ; ce bruit dure environ une minute, et recommence par les mêmes gradations après sept ou huit minutes de repos ; tout ce bruit n’est qu’une invitation d’amour que le mâle adresse à ses femelles, que celles-ci entendent de loin, et qui devient l’annonce d’une génération nouvelle, mais qui ne devient aussi que trop souvent un signal de destruction ; car les chasseurs, avertis par ce bruit qui n’est point pour eux, s’approchent de l’oiseau sans en être aperçus et saisissent le moment de cette espèce de convulsion pour le tirer à coup sûr. Je dis sans en être aperçus, car, dès que cet oiseau voit un homme il s’arrête aussitôt, fût-il dans la plus grande violence de son mouvement, et il s’envole à trois ou quatre cents pas : ce sont bien là les habitudes de nos tétras d’Europe et leurs mœurs, quoiqu’un peu outrées.

La nourriture ordinaire de ceux de Pensylvanie sont les grains, les fruits, les raisins, et surtout les baies de lierre, ce qui est remarquable parce que ces baies sont un poison pour plusieurs animaux.

Ils ne couvent que deux fois l’année, apparemment au printemps et en automne, qui sont les deux saisons où le mâle bat des ailes ; ils font leurs nids à terre avec des feuilles, ou à côté d’un tronc sec couché par terre, ou au pied d’un arbre debout, ce qui dénote un oiseau pesant ; ils pondent de douze à seize œufs, et les couvent environ trois semaines ; la mère a fort à cœur la conservation de ses petits ; elle s’expose à tout pour les défendre, et cherche à attirer sur elle-même les dangers qui les menacent ; ses petits, de leur côté, savent se cacher très finement dans les feuilles ; mais tout cela n’empêche pas que les oiseaux de proie n’en détruisent beaucoup : la couvée forme une compagnie qui ne se divise qu’au printemps de l’année suivante.

Ces oiseaux sont fort sauvages, et rien ne peut les apprivoiser ; si on en fait couver par des poules ordinaires, ils s’échapperont et s’enfuiront dans les bois presque aussitôt qu’ils seront éclos.

Leur chair est blanche et très bonne à manger : serait-ce par cette raison que les oiseaux de proie leur donnent la chasse avec tant d’acharnement ? Nous avons déjà eu ce soupçon à l’occasion des tétras d’Europe ; s’il était confirmé par un nombre suffisant d’observations, il s’ensuivrait non seulement que la voracité n’exclut pas toujours un appétit de préférence, mais que l’oiseau de proie est à peu près de même goût que l’homme, et ce serait une analogie de plus entre les deux espèces.

III.LA GELINOTTE À LONGUE QUEUE.

L’oiseau d’Amérique, qu’on peut appeler gelinotte à longue queue[NdÉ 3], dessiné et décrit par M. Edwards sous le nom de heath cock ou grouse, coq de bruyère de la baie d’Hudson, et qui me paraît être plus voisin des gelinottes que des coqs de bruyère, ou des faisans dont on lui a aussi donné le nom. Cette gelinotte à longue queue, représentée dans la planche cxvii de M. Edwards, est une femelle ; elle a la grosseur, la couleur et la longue queue du faisan ; le plumage du mâle est plus rembruni, plus lustré, et il a des reflets à l’endroit du cou ; ce mâle se tient aussi très droit, et il a la démarche fière : différences qui se retrouvent constamment entre le mâle et la femelle dans toutes les espèces qui appartiennent à ce genre d’oiseau. M. Edwards n’a pas osé donner des sourcils rouges à cette femelle, parce qu’il n’a vu que l’oiseau empaillé, sur lequel ce caractère n’était point assez apparent ; les pieds étaient pattus, les doigts dentelés sur les bords ; le doigt postérieur fort court.

À la baie d’Hudson, on donne à ces gelinottes le nom de faisan ; en effet ils font, par leur longue queue, la nuance entre les gelinottes et les faisans ; les deux pennes du milieu de cette queue excèdent d’environ deux pouces les deux suivantes de part et d’autre, et ainsi de suite : ces oiseaux se trouvent aussi en Virginie, dans les bois et lieux inhabités.


Notes de Buffon
  1. Catesby, Appendix, fig. 1.
Notes de l’éditeur
  1. Tetrao canadensis L. [Note de Wikisource : actuellement Falcipennis canadensis Linnæus, vulgairement tétras du Canada].
  2. Tetrao umbellus et togatus Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Bonasa umbellus Linnæus, vulgairement gélinotte huppée].
  3. Tetrao phasianellus Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Tympanuchus phasianellus Linnæus, vulgairement tétras à queue fine].