Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport au gerfaut et aux faucons

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 142-146).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AU GERFAUT ET AUX FAUCONS

I. — Le faucon d’Islande, que nous avons dit être une variété dans l’espèce de notre faucon commun, et qui n’en diffère en effet qu’en ce qu’il est un peu plus grand et plus fort.

II. — Le faucon noir, qui se prend au passage à Malte, en France, en Allemagne, dont nous avons parlé, et que MM. Frisch[1] et Edwards[2] ont indiqué et décrit, qui nous paraît être d’une espèce étrangère et différente de celle de notre faucon commun[NdÉ 1] ; j’observerai que la description qu’en donne M. Edwards est exacte, mais que M. Frisch n’est pas fondé à prononcer que ce faucon doit être sans doute le plus fort des oiseaux de proie de sa grandeur, parce que près de l’extrémité du bec supérieur il y a une espèce de dent triangulaire ou de pointe tranchante, et que les jambes sont garnies de plus grands doigts et ongles qu’aux autres faucons ; car en comparant les doigts et les ongles de ce faucon noir, que nous avons en nature, avec ceux de notre faucon, nous n’avons pas trouvé qu’il y eût de différence ni pour la grandeur ni pour la force de ces parties ; et, en comparant de même le bec de ce faucon noir avec le bec de nos faucons, nous avons trouvé que dans la plupart de ceux-ci il y avait une pareille dent triangulaire vers l’extrémité de la mandibule supérieure ; en sorte qu’il ne diffère point à ces deux égards du faucon commun, comme M. Frisch semble l’insinuer ; au reste, le faucon tacheté dont M. Edwards donne la description et la figure[3], et qu’il dit être du même climat que le faucon noir, c’est-à-dire des terres de la baie d’Hudson, ne nous paraît être en effet que le faucon-sors ou jeune de cette même espèce, et par conséquent ce n’est qu’une variété produite dans les couleurs par la différence de l’âge, et non pas une variété réelle ou variété de race dans cette espèce. On nous a assuré que la plupart de ces faucons noirs arrivent du côté du midi ; cependant nous en avons vu un qui avait été pris sur les côtes de l’Amérique septentrionale, près du banc de Terre-Neuve ; et comme M. Edwards dit qu’il se trouve aussi dans les terres voisines de la baie d’Hudson, on peut croire que l’espèce est fort répandue, et qu’elle fréquente également les climats chauds, tempérés ou froids.

Nous observerons que cet oiseau, que nous avons eu en nature, avait les pieds d’un bleu bien décidé, et que ceux que l’on trouve représentés dans les planches enluminées de MM. Edwards et Frisch avaient les pieds jaunes ; cependant il n’est pas douteux que ce ne soient les mêmes oiseaux : nous avons déjà reconnu, en examinant les balbuzards, qu’il y en avait à pieds bleus et d’autres à pieds jaunes ; ce caractère est donc beaucoup moins fixe qu’on ne l’imaginait ; il en est de la couleur des pieds à peu près comme de celle du plumage, elle varie souvent avec l’âge ou par d’autres circonstances.

III. — L’oiseau qu’on peut appeler le faucon rouge des Indes orientales, très bien décrit par Aldrovande[4], et à peu près dans les termes suivants : La femelle, qui est d’un tiers plus grosse que le mâle, a le dessus de la tête large et presque plat : la couleur de la tête, du cou, de tout le dos et du dessus des ailes est d’un cendré tirant sur le brun ; le bec est très gros, quoique le crochet en soit assez petit ; la base du bec est jaune, et le reste jusqu’au crochet est de couleur cendrée ; la pupille des yeux est très noire, l’iris brune, la poitrine entière, la partie supérieure du dessus des ailes, le ventre, le croupion et les cuisses sont d’un orangé presque rouge : il y a cependant au-dessus de la poitrine, sous le menton, une tache longue de couleur cendrée, et quelques petites taches de cette même couleur sur la poitrine : la queue est rayée de bandes en demi-cercle, alternativement brunes et cendrées ; les jambes et les pieds sont jaunes, et les ongles noirs. Dans le mâle toutes les parties rouges sont plus rouges, et toutes les parties cendrées sont plus brunes ; le bec est plus bleu et les pieds sont plus jaunes. Ces faucons, ajoute Aldrovande, avaient été envoyés des Indes orientales au grand-duc Ferdinand, qui les fit dessiner vivants. Nous devons observer ici que Tardif[5], Albert[6] et Crescent[7] ont parlé du faucon rouge comme d’une espèce ou d’une variété qu’on connaissait en Europe, et qui se trouve dans les pays de plaines et de marécages ; mais ce faucon rouge n’est pas assez bien décrit pour qu’on puisse dire si c’est le même que le faucon rouge des Indes, qui pourrait bien voyager et venir en Europe comme le faucon passager.

IV. — L’oiseau[NdÉ 2] indiqué par Willughby[8] sous la dénomination de falco indicus cirrhatus, qui est plus gros que le faucon, et presque égal à l’autour ; qui a sur la tête une houppe dont l’extrémité se divise en deux parties qui pendent sur le cou. Cet oiseau est noir sur toutes les parties supérieures de la tête et du corps ; mais sur la poitrine et le ventre son plumage est traversé de lignes noires et blanches alternativement ; les plumes de la queue sont aussi rayées de lignes alternativement noires et cendrées ; les pieds sont couverts de plumes jusqu’à l’origine des doigts ; l’iris des yeux, la peau qui couvre la base du bec, et les pieds, sont jaunes ; le bec est d’un bleu noirâtre, et les ongles sont d’un beau noir.

Au reste, il paraît, par le témoignage des voyageurs, que le genre des faucons est l’un des plus universellement répandus ; nous avons dit qu’on en trouve partout en Europe, du nord au midi, qu’on en prend en quantité dans les îles de la Méditerranée, qu’ils sont communs sur la côte de Barbarie. M. Shaw[9], dont j’ai trouvé les relations presque toujours fidèles, dit qu’au royaume de Tunis il y a des faucons et des éperviers en assez grande abondance, et que la chasse à l’oiseau est un des plus grands plaisirs des Arabes et des gens un peu au-dessus du commun : on les trouve encore plus fréquemment au Mogol[10] et en Perse[11], où l’on prétend que l’art de la fauconnerie est plus cultivé que partout ailleurs[12] ; on en trouve jusqu’au Japon, où Kæmpfer[13] dit qu’on les tient plutôt par faste que pour l’utilité de la chasse, et ces faucons du Japon viennent des parties septentrionales de cette île. Kolbe[14] fait aussi mention des faucons du cap de Bonne-Espérance, et Bosman de ceux de Guinée[15] ; en sorte qu’il n’y a, pour ainsi dire, aucune terre, aucun climat dans l’ancien continent où l’on ne trouve l’espèce du faucon ; et comme ces oiseaux supportent très bien le froid, et qu’ils volent facilement et très rapidement, on ne doit pas être surpris de les retrouver dans le nouveau continent ; il y en a dans le Groenland[16], dans les parties montagneuses de l’Amérique septentrionale et méridionale[17], et jusque dans les îles de le mer du Sud[18].

V. — L’oiseau appelé tanas par les nègres du Sénégal, et qui nous a été donné par M. Adanson sous le nom de faucon pêcheur, ressemble presque en tout à notre faucon par les couleurs du plumage[NdÉ 3] ; il est néanmoins un peu plus petit ; il a sur la tête de longues plumes éminentes qui se rabattent en arrière et qui forment une espèce de huppe par laquelle on pourra toujours distinguer cet oiseau des autres du même genre ; il a aussi le bec jaune, moins courbé et plus gros que le faucon ; il en diffère encore en ce que les deux mandibules ont des dentelures très sensibles ; et son naturel est aussi différent, car il pêche plutôt qu’il ne chasse ; je crois que c’est à cette espèce qu’on doit rapporter l’oiseau duquel Dampierre[19] fait mention sous ce même nom de faucon pêcheur : « Il ressemble, dit-il, à nos plus petits faucons pour la couleur et la figure : il a le bec et les ergots faits tout de même ; il se perche sur les troncs des arbres et sur les branches sèches qui donnent sur l’eau dans les criques, les rivières ou au bord de la mer ; et dès que ces oiseaux voient quelques petits poissons auprès d’eux, ils volent à fleur d’eau, les enfilent avec leurs griffes, et s’élèvent aussitôt en l’air sans toucher l’eau de leurs ailes. » Il ajoute « qu’ils n’avaient pas le poisson tout entier, comme font les autres oiseaux qui en vivent, mais qu’ils le déchirent avec leur bec, et le mangent par morceaux. »


Notes de Buffon
  1. Frisch, t. Ier pl. lxxxiii.
  2. Edwards, t. Ier, p. 4, pl. iv.
  3. Edwards, t. Ier, p. 3, pl. iii.
  4. « Falco rubeus indicus. » Aldrov., Avi., p. 494, fig. p. 495 et 496.
  5. Rouge faucon est souvent trouvé ès lieux pleins et en marais ; il est hardi, mais difficile à gouverner. Fauconnerie de Tardif, première partie, ch. iii.
  6. Albert, verso 23, cap. xii.
  7. Petr. Crescentius, lib. x, cap. iv.
  8. Willughby, Ornithol., p. 48.
  9. Voyage de M. Shaw, t. Ier, p. 389.
  10. On se sert du faucon, au Mogol, pour la chasse du daim et des gazelles. Voyage de Jean Ovington, t. Ier, p. 277.
  11. Les Persans entendent tout à fait bien à enseigner les oiseaux de chasse, et ordinairement ils dressent les faucons à voler sur toutes sortes d’oiseaux, et pour cela ils prennent des grues et d’autres oiseaux qu’ils laissent aller, après leur avoir bouché les yeux ; aussitôt ils font voler le faucon, qui les prend fort aisément Il y a des faucons pour la chasse de a gazelle, qu’ils instruisent de la manière qui suit : ils ont des gazelles contrefaites (empaillées), sur le nez desquelles ils donnent toujours à manger à ces faucons, et jamais ailleurs : après qu’ils les ont ainsi élevés ils les mènent à la campagne ; et lorsqu’ils ont découvert une gazelle ils lâchent deux de ces oiseaux, dont l’un va fondre sur le nez de la gazelle, et lui donne en arrière des coups de pieds : la gazelle s’arrête et se secoue pour s’en délivrer ; l’oiseau bat des ailes pour se retenir, ce qui empêche encore la gazelle de bien courir, et même de voir devant elle ; enfin, lorsqu’avec bien de la peine elle s’en est défaite, l’autre faucon qui est en l’air prend la place de celui qui est à bas, lequel se relève pour succéder à son compagnon quand il sera tombé ; et de cette sorte ils retardent tellement la course de la gazelle que les chiens ont le temps de l’attraper. Il y a d’autant plus de plaisir à ces chasses que le pays est plat et découvert, y ayant fort peu de bois. Relation de Thévenot, t. II, p. 200 ; Voyage de Jean Ovington, t. Ier, p. 279. — La manière dont les Persans dressent les faucons à la chasse des bêtes fauves est d’en écorcher une et d’en remplir la peau de paille, et d’attacher toujours la viande dont on repaît les faucons sur la tête de cette peau bourrée, que l’on fait mouvoir sur quatre roues par une machine, tant que l’oiseau mange, afin de l’y accoutumer… Si la bête est grande, on lâche plusieurs oiseaux après elle qui la tourmentent l’un après l’autre… Ils se servent aussi de ces oiseaux pour les rivières et les marais, dans lesquels ils vont, comme les chiens, chercher le gibier… Comme tous les gens d’épée sont chasseurs, ils portent d’ordinaire à l’arçon de la selle une petite timbale de huit à neuf pouces de diamètre, qui leur sert à rappeler l’oiseau en frappant dessus. Voyage de Chardin, t. II, p. 32 et 33. — La Perse ne manque pas d’oiseaux de proie ; il s’y trouve quantité de faucons, d’éperviers et de lannerets, et autres semblables oiseaux de chasse, dont la vénerie du roi est très bien pourvue, et on y en compte plus de huit cents : les uns sont pour le sanglier, l’âne sauvage et la gazelle ; les autres pour voler les grues, les hérons, les oies et les perdrix. Une grande partie de ces oiseaux de chasse s’apporte de Russie ; mais les plus grands et les plus beaux viennent des montagnes qui s’étendent vers le midi depuis Schiraz jusqu’au golfe Persique. Voyage de Dampierre, t. II, p. 23 et suiv.
  12. Les Persans, qui sont fort patients, prennent aussi plaisir à dresser un corbeau de la même manière qu’ils dressent un épervier. Voyage de Dampierre, t. II, p. 25.
  13. Kæmpfer, Hist. du Japon, t. Ier, p. 115.
  14. Kolbe, Description du cap de Bonne-Espérance, t. III, p. 146.
  15. Sur cette côte de Guinée, on voit encore un autre oiseau de proie qui ressemble fort à un faucon, et qui, quoiqu’un peu plus gros qu’un pigeon, est si hardi et si fort qu’il se jette sur les plus grosses poules et les emporte. Voyage de Guillaume Bosman, lettre 15e, p. 268.
  16. On trouve dans le Groenland des faucons blancs et gris en très grand nombre, et plus qu’en autre lieu du monde. On portait anciennement de ces oiseaux pour grande rareté aux rois de Danemark à cause de leur bonté merveilleuse, et les rois de Danemark en faisaient des présents aux rois et princes leurs voisins ou amis, parce que la chasse de l’oiseau n’est du tout point en usage dans le Danemark, non plus qu’aux autres endroits du Septentrion. Recueil des voyages du Nord, t. Ier, p. 99.
  17. On a envoyé plusieurs et diverses sortes de faucons de la Neuve-Espagne et du Pérou aux seigneurs d’Espagne, d’autant qu’on en fait grande estime. Il y a même des hérons et des aigles de diverses sortes, et il n’y a point de doute que ces espèces d’oiseaux, et autres semblables, n’y aient passé bien plus tôt que les lions et les tigres. Hist. naturelle des Indes occidentales, par Acosta, p. 193. — Nota. L’oiseau que les Mexicains appelaient hotli, indiqué par Fernandès, paraît être le même que le faucon noir dont nous avons parlé.
  18. Hist. des navigations aux terres australes, t. III, p. 197.
  19. Nouveau Voyage autour du monde, par Guillaume Dampierre, t. III, p. 318.
Notes de l’éditeur
  1. Le faucon noir n’est que l’état jeune du faucon commun, remarquable par sa couleur qui est beaucoup plus foncée que celle de l’adulte.
  2. C’est le Falco cirrhatus Lath. [Note de Wikisource : actuellement Nisaetus cirrhatus Gmelin, vulgairement aigle huppé].
  3. C’est le Falco piscator de Gmelin. [Note de Wikisource : Il s’agit très probablement du Crinifer piscator Boddaert, vulgairement touraco gris, qui n’est cependant pas un oiseau de proie.]