Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le hobereau

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 146-147).

LE HOBEREAU

Le hobereau[NdÉ 1] est bien plus petit que le faucon, et en diffère aussi par les habitudes naturelles : le faucon est plus fier, plus vif et plus courageux ; il attaque des oiseaux beaucoup plus gros que lui. Le hobereau est plus lâche de son naturel, car, à moins qu’il ne soit dressé, il ne prend que les alouettes et les cailles ; mais il sait compenser le défaut de courage et d’ardeur par son industrie : dès qu’il aperçoit un chasseur et son chien, il les suit d’assez près ou plane au-dessus de leur tête, et tâche de saisir les petits oiseaux qui s’élèvent devant eux ; si le chien fait lever une alouette, une caille, et que le chasseur la manque, il ne la manque pas : il a l’air de ne pas craindre le bruit et de ne pas connaître l’effet des armes à feu, car il s’approche de très près du chasseur, qui le tue souvent lorsqu’il ravit sa proie ; il fréquente les plaines voisines des bois, et surtout celles où les alouettes abondent ; il en détruit un très grand nombre, et elles connaissent si bien ce mortel ennemi, qu’elles ne l’aperçoivent jamais sans le plus grand effroi, et qu’elles se précipitent du haut des airs pour se cacher sous l’herbe ou dans des buissons : c’est la seule manière dont elles puissent échapper ; car quoique l’alouette s’élève beaucoup, le hobereau vole encore plus haut qu’elle, et on peut le dresser au leurre comme le faucon et les autres oiseaux du plus haut vol ; il demeure et niche dans les forêts, où il se perche sur les arbres les plus élevés. Dans quelques-unes de nos provinces, on donne le nom de hobereau[1] aux petits seigneurs qui tyrannisent leurs paysans, et plus particulièrement au gentilhomme à lièvre, qui va chasser chez ses voisins sans en être prié, et qui chasse moins pour son plaisir que pour son profit.

On peut observer que dans cette espèce le plumage de l’oiseau est plus noir dans la première année qu’il ne l’est dans les années suivantes ; il y a aussi dans notre climat une variété de cet oiseau qui nous a paru assez singulière pour mériter d’être indiquée[NdÉ 2] ; les différences consistent en ce que la gorge, le dessous du cou, la poitrine, une partie du ventre et les grandes plumes des ailes sont cendrées et sans taches, tandis que dans le hobereau commun la gorge et le dessous du cou sont blancs, la poitrine et le dessus du ventre blancs aussi, avec des taches longitudinales brunes, et que les grandes plumes des ailes sont presque noirâtres : il y a de même d’assez grandes différences dans les couleurs de la queue, qui, dans le hobereau commun, est blanchâtre par-dessous, traversée de brun, et qui dans l’autre est absolument brune. Mais ces différences n’empêchent pas que ces deux oiseaux ne puissent être regardés comme de la même espèce, car ils ont la même grandeur, le même port, et se trouvent de même en France ; et d’ailleurs ils se ressemblent par un caractère spécifique très particulier, c’est qu’ils ont tout deux le bas du ventre et les cuisses garnis de plumes d’un roux vif, et qui tranche beaucoup sur les autres couleurs de cet oiseau ; il n’est pas même impossible que cette variété, dont toutes les différences se réduisent à des nuances de couleurs, ne proviennent de l’âge ou des différents temps de la mue de cet oiseau ; et c’est encore une raison de plus pour ne le pas séparer de l’espèce commune. Au reste, le hobereau se porte sur le poing, découvert et sans chaperon, comme l’émerillon, l’épervier et l’autour ; et l’on en faisait autrefois un grand usage pour la chasse des perdrix et des cailles.


Notes de Buffon
  1. Ce nom de hobereau, appliqué aux gentilshommes de campagne, peut venir aussi de ce qu’autrefois tous ceux qui n’étaient point assez riches pour entretenir une fauconnerie se contentaient d’élever des hobereaux pour la chasse.
Notes de l’éditeur
  1. Le hobereau commun est l’Hypotriorchis Subbuteo des ornithologistes modernes (Falco Subbuteo de Linné) [Note de Wikisource : actuellement Falco subbuteo Linnæus]. Les hobereaux ou faucons des arbres se distinguent des faucons par une taille moindre, des formes plus allongées, des ailes en faucille.
  2. C’est le Falco vespertinus Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Falco vespertinus Linnæus, vulgairement faucon kobez].