Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport au corbeau

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 558-560).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AU CORBEAU

LE CORBEAU DES INDES DE BONTIUS.

Cet oiseau se trouve aux îles Moluques et principalement dans celle de Banda : nous ne le connaissons que par une description incomplète et par une figure très mauvaise, en sorte qu’on ne peut déterminer que par conjecture celui de nos oiseaux d’Europe auquel il doit être rapporté. Bontius, le premier et je crois le seul qui l’ait vu, l’a regardé comme un corbeau[1], en quoi il a été suivi par Ray, Willughby[2] et quelques autres ; mais M. Brisson en a fait un calao[3][NdÉ 1]. J’avoue que je suis de l’avis des premiers, et voici mes raisons en peu de mots.

Cet oiseau a, suivant Bontius, le bec et la démarche de notre corbeau, et en conséquence il lui en a donné le nom, malgré son cou un peu long et la petite protubérance que la figure fait paraître sur le bec, preuve certaine qu’il ne connaissait aucun autre oiseau avec lequel celui-ci eût plus de rapports, et néanmoins il connaissait le calao des Indes. Bontius ajoute, à la vérité, qu’il se nourrit de noix muscades, et M. Willughby a regardé cela comme un trait marqué de dissemblance avec nos corbeaux ; cependant nous avons vu que ceux-ci mangent les noix du pays et qu’ils ne sont pas aussi carnassiers qu’on le croit communément. Or, cette différence, étant ainsi réduite à sa juste valeur, laisse, au sentiment de l’unique observateur qui a vu et nommé l’oiseau, toute son autorité.

D’un autre côté, ni la description de Bontius ni la figure ne présentent le moindre vestige de cette dentelure du bec dont M. Brisson a fait un des caractères de la famille des calaos ; et la petite protubérance, qui paraît sur le bec dans la figure, ne semble point avoir de rapport avec celles du bec du calao. Enfin le calao n’a ni ces tempes mouchetées, ni ces plumes du cou noirâtres dont il est parlé dans la description de Bontius ; et il a lui-même un bec si singulier[4], qu’on ne peut, ce me semble, supposer qu’un observateur l’ait vu et n’en ait rien dit, et surtout qu’il l’ait pris pour un bec de corbeau ordinaire.

La chair du corbeau des Indes de Bontius a un fumet aromatique très agréable qu’elle doit aux muscades dont l’oiseau fait sa principale nourriture ; et il y a toute apparence que, si notre corbeau se nourrissait de même, il perdrait sa mauvaise odeur.

Il faudrait avoir vu le corbeau du désert (graab el zahara), dont parle le docteur Shaw[5], pour le rapporter sûrement à l’espèce de notre pays, dont il se rapproche le plus. Tout ce qu’en dit ce docteur, c’est qu’il est un peu plus gros que notre corbeau et qu’il a le bec et les pieds rouges. Cette rougeur des pieds et du bec est ce qui a déterminé M. Shaw à le regarder comme un grand coracias : à la vérité, l’espèce du coracias n’est point étrangère à l’Afrique, comme nous l’avons vu plus haut ; mais un coracias plus grand qu’un corbeau ! Quatre lignes de description bien faite dissiperaient toute cette incertitude, et c’est pour obtenir ces quatre lignes de quelque voyageur instruit que je fais ici mention d’un oiseau dont j’ai si peu à dire.

Je trouve encore dans Kæmpfer deux oiseaux auxquels il donne le nom de corbeaux, sans indiquer aucun caractère qui puisse justifier cette dénomination. L’un est, selon lui, d’une grosseur médiocre, mais extrêmement fier : on l’avait apporté de la Chine au Japon pour en faire présent à l’empereur. L’autre, qui fut aussi offert à l’empereur du Japon, était un oiseau de Corée, fort rare, appelé coreigaras, c’est-à-dire corbeau de Corée. Kæmpfer ajoute qu’on ne trouve point au Japon les corbeaux qui sont communs en Europe, non plus que les perroquets et quelques autres oiseaux des Indes[6].

Ce serait ici le lieu de placer l’oiseau d’Arménie, que M. de Tournefort a appelé roi des corbeaux[7], si cet oiseau était en effet un corbeau, ou seulement s’il approchait de cette famille. Mais il ne faut que jeter les yeux sur le dessin en miniature qui le représente pour juger qu’il a beaucoup plus de rapport avec les paons et les faisans par sa belle aigrette, par la richesse de son plumage, par la brièveté de ses ailes, par la forme de son bec, quoiqu’il soit un peu plus allongé, et quoiqu’on remarque d’autres différences dans la forme de la queue et des pieds. Il est nommé avec raison, sur ce dessin, avis persica pavoni congener ; et c’est aussi parmi les oiseaux étrangers analogues aux faisans et aux paons que j’en aurais parlé, si ce même dessin fût venu plus tôt à ma connaissance[8].


Notes de Buffon
  1. Voyez Hist. nat. et med. Indiæ orient.
  2. Ornithologie, p. 86.
  3. Ornithologie, t. IV, p. 566.
  4. Voyez-en la figure, pl. xlv de l’Ornithologie de M. Brisson, t. IV.
  5. M. Shaw lui donne encore les noms suivants : Crow of the desert, redlegged crow, Pyrrhocorax. Voyez Travels of Barbary, p. 251.
  6. Voyez Histoire du Japon, t. Ier, p. 113.
  7. Voyez son Voyage au Levant, t. II, p. 353.
  8. Il est à la Bibliothèque du Roi dans le cabinet des estampes, et fait partie de cette belle suite de miniatures en grand, qui représentent d’après nature les objets les plus intéressants de l’histoire naturelle.
Notes de l’éditeur
  1. Le Corbeau des Indes de Bontius est réellement un Calao (Buceros hydrocorax) [Note de Wikisource : ce serait donc actuellement Buceros hydrocorax Linnæus, vulgairement calao à casque plat ; toutefois, l’identification est douteuse].