Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport à la tourterelle

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 535-540).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT À LA TOURTERELLE

I.LE PIGEON À LONGUE QUEUE.

La tourterelle, comme le pigeon et le ramier, a subi des variétés dans les différents climats, et se trouve de même dans les deux continents. Celle qui a été indiquée par M. Brisson[1] sous le nom de tourterelle du Canada[NdÉ 1] et que nous avons fait représenter[NdÉ 2], est un peu plus grande et a la queue plus longue que notre tourterelle d’Europe ; mais ces différences ne sont pas assez considérables pour qu’on en doive faire une espèce distincte et séparée. Il me paraît qu’on peut y rapporter l’oiseau donné par M. Edwards sous le nom de pigeon à longue queue (pl. xv), et que M. Brisson a appelé tourterelle d’Amérique[2][NdÉ 3] ; ces oiseaux se ressemblent beaucoup, et comme ils ne diffèrent que par leur longue queue de notre tourterelle, nous ne les regardons que comme des variétés produites par l’influence du climat.

II.LA TOURTERELLE DU SÉNÉGAL.

La tourterelle du Sénégal[NdÉ 4] et la tourterelle à collier du Sénégal[NdÉ 5], toutes deux indiquées par M. Brisson[3], et dont la seconde n’est qu’une variété de la première, comme la tourterelle à collier d’Europe n’est qu’une variété de l’espèce commune, ne nous paraissent pas être d’une espèce réellement différente de celle de nos tourterelles, étant à peu près de la même grandeur et n’en différant guère que par les couleurs, ce qui doit être attribué à l’influence du climat.

Nous présumons même que la tourterelle à gorge tachetée[NdÉ 6] du Sénégal[4], étant de la même grandeur et du même climat que les précédentes, n’en est encore qu’une variété.

III.LE TOUROCCO.

Mais il y a, dans cette même contrée du Sénégal, un oiseau[NdÉ 7] qui n’a été indiqué par aucun des naturalistes qui nous ont précédé, que nous avons fait représenter[NdÉ 8] sous la dénomination de tourterelle à large queue du Sénégal, nous ayant été donné sous ce nom par M. Adanson ; néanmoins, comme cette espèce nouvelle nous paraît réellement différente de celle de la tourterelle d’Europe, nous avons cru devoir lui donner le nom propre de tourocco, parce que cet oiseau, ayant le bec et plusieurs autres caractères de la tourterelle, porte sa queue comme le hocco.

IV.LA TOURTELETTE.

Un autre oiseau, qui a rapport à la tourterelle, est celui qui a été indiqué par M. Brisson[5] et que nous avons fait représenter sous la dénomination de tourterelle à cravate noire du cap de Bonne-Espérance[NdÉ 9] : nous croyons devoir lui donner un nom propre, parce qu’il nous paraît être d’une espèce particulière et différente de celle de la tourterelle ; nous l’appelons donc tourtelette, parce qu’il est beaucoup plus petit que notre tourterelle ; il en diffère aussi en ce qu’il a la queue bien plus longue, quoique moins large que celle du tourocco ; il n’y a que les deux plumes du milieu de la queue qui soient très longues ; c’est le mâle de cette espèce qui est représenté dans nos planches enluminées[NdÉ 10] ; il diffère de la femelle en ce qu’il porte une espèce de cravate d’un noir brillant sous le cou et sur la gorge, au lieu que la femelle n’a que du gris mêlé de brun sur ces mêmes parties. Cet oiseau se trouve au Sénégal comme au cap de Bonne-Espérance et, probablement, dans toutes les contrées méridionales de l’Afrique.

V.LE TURVERT.

Nous donnons le nom de turvert[NdÉ 11] à un oiseau vert qui a du rapport avec la tourterelle, mais qui nous paraît être d’une espèce distincte et séparée de toutes les autres. Nous comprenons sous cette espèce du turvert les trois oiseaux représentés[NdÉ 12] : le premier de ces oiseaux a été indiqué par M. Brisson[6] sous la dénomination de tourterelle verte d’Amboine, et dans nos planches enluminées sous celle de tourterelle à gorge pourprée d’Amboine, parce que cette couleur de la gorge est le caractère le plus frappant de cet oiseau[7] ; le second, sous le nom de tourterelle de Batavia, n’a été indiqué par aucun naturaliste ; nous ne le regardons pas comme formant une espèce différente du turvert : on peut présumer qu’étant du même climat et peu différent par la grandeur, la forme et les couleurs, ce n’est qu’une variété peut-être de sexe ou d’âge ; le troisième, sous la dénomination de tourterelle de Java, parce qu’on nous a dit qu’il venait de cette île, ainsi que le précédent, ne nous paraît encore être qu’une simple variété du turvert, mais plus caractérisée que la première par la différence de la couleur sous les parties inférieures du corps.

VI.LA COLOMBE OU PIGEON.

Ce ne sont pas là les seules espèces ou variétés du genre des tourterelles, car, sans sortir de l’ancien continent, on trouve la tourterelle de Portugal[8], qui est brune avec des taches noires et blanches de chaque côté et vers le milieu du cou ; la tourterelle rayée de la Chine[9][NdÉ 13], qui est un bel oiseau dont la tête et le cou sont rayés de jaune, de rouge et de blanc ; la tourterelle rayée des Indes[10][NdÉ 14], qui n’est pas rayée longitudinalement sur le cou comme la précédente, mais transversalement sur le corps et les ailes ; la tourterelle d’Amboine[11], aussi rayée transversalement de lignes noires sur le cou et la poitrine, avec la queue très longue ; mais, comme nous n’avons vu aucun de ces quatre oiseaux en nature, et que les auteurs qui les ont décrits les nomment colombes ou pigeons, nous ne devons pas décider si tous appartiennent plus à la tourterelle qu’au pigeon.

VII.LA TOURTE.

Dans le nouveau continent, on trouve d’abord la tourterelle de Canada, qui, comme je l’ai dit, est de la même espèce que notre tourterelle d’Europe.

Un autre oiseau, qu’avec les voyageurs nous appellerons tourte[NdÉ 15], est celui qui a été donné par Catesby[12] sous le nom de tourterelle de la Caroline. Il nous paraît être le même : la seule différence qu’il y ait entre ces deux oiseaux est une tache couleur d’or, mêlée de vert et de cramoisi, qui, dans l’oiseau de Catesby, se trouve au-dessous des yeux, sur les côtés du cou, et qui ne se voit pas dans le nôtre, ce qui nous fait croire que le premier est le mâle, et le second la femelle. On peut, avec quelque fondement, rapporter à cette espèce le picacuroba du Brésil, indique par Marcgrave[13].

Je présume aussi que la tourterelle de la Jamaïque, indiquée par Albin[14], et ensuite par M. Brisson[15], étant du même climat que la précédente, et n’en différant pas assez pour faire une espèce à part, doit être regardée comme une variété dans l’espèce de la tourte, et c’est par cette raison que nous ne lui avons pas donné de nom propre et particulier[NdÉ 16].

Au reste, nous observerons que cet oiseau a beaucoup de rapport avec celui donné par M. Edwards, et que le sien pourrait bien être la femelle du nôtre[16]. La seule chose qui s’oppose à cette présomption fondée sur les ressemblances, c’est la différence des climats. On a dit à M. Edwards que son oiseau venait des Indes orientales, et le nôtre se trouve en Amérique : ne se pourrait-il pas qu’il y eût erreur sur le climat dans M. Edwards ? Ces oiseaux se ressemblent trop entre eux, et ne sont pas assez différents de la tourte, pour qu’on puisse se persuader qu’ils sont de climats si éloignés ; car nous sommes assurés que celui dont nous donnons la représentation a été envoyé de la Jamaïque au Cabinet du Roi.

VIII.LE COCOTZIN.

L’oiseau d’Amérique, indiqué par Fernandez[17] sous le nom de cocotzin[NdÉ 17], que nous lui conservons parce qu’il est d’une espèce différente de toutes les autres ; et, comme il est aussi plus petit qu’aucune des tourterelles, plusieurs naturalistes l’ont désigné par ce caractère en l’appelant petite tourterelle[18], d’autres l’ont appelé ortolan[19], parce que, n’étant guère plus gros que cet oiseau, il est de même très bon à manger. On l’a représenté sous les dénominations de petite tourterelle de Saint-Domingue, fig. 1, et petite tourterelle de la Martinique, fig. 2[NdÉ 18]. Mais, après les avoir examinés et comparés en nature, nous présumons que tous deux ne font que la même espèce d’oiseau, dont celui représenté fig. 2 est le mâle, et celui fig. 1 la femelle. Il paraît aussi qu’on doit y rapporter le picuipinima de Pison et de Marcgrave[20], et la petite tourterelle d’Acapulco, dont parle Gemelli Careri[21]. Ainsi cet oiseau se trouve dans toutes les parties méridionales du nouveau continent.


Notes de Buffon
  1. Ornithol., t. Ier, p. 118.
  2. Brisson, t. Ier, p. 101.
  3. La tourterelle du Sénégal, pl. x, fig. 1 ; — la tourterelle à collier du Sénégal, pl. xi, fig. 1, Ornithol., t. Ier, p. 122 et 124.
  4. La tourterelle à gorge tachetée du Sénégal. Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 125, pl. viii, fig. 3.
  5. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 120, avec une figure, pl. ix, fig. 2.
  6. Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 152, avec une figure, pl. xv, fig. 2.
  7. C’est vraisemblablement à cette espèce qu’il faut rapporter les passages suivants : « Il y a dans l’île de Java un nombre infini de tourterelles de couleurs différentes, de vertes avec des taches noires et blanches, de jaunes et blanches, de blanches et noires, et une espèce dont la couleur est cendrée : leur grosseur est aussi différente que leurs couleurs sont variées ; les unes sont de la grosseur d’un pigeon, et les autres sont plus petites qu’une grive. » Le Gentil, Voyage autour du monde, t. III, p. 74. — « Il y a aux Philippines une sorte de tourterelle qui a les plumes grises sur le dos et blanches sur l’estomac, au milieu duquel on voit une tache rouge comme une plaie fraîche dont le sang sortirait. » Gemelli Careri, t. V, p. 266.
  8. Colombe de Portugal. Albin, t. II, p. 32, avec une figure, pl. xlviii. — Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 98.
  9. Colombe de la Chine. Albin, t. III, p. 19, avec une figure, pl. xlvi. — Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 107.
  10. Pigeon barré. Edwards, Hist. of Birds, t. Ier, pl. xvi. — Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 109.
  11. « Columba rufa ; caudâ longissimâ ; pennis collum et pectus tegentibus nigricante transversim striatis ; remigibus fuscis, rectricibus fuscorufescentibus… turtur amboinensis. » La tourterelle d’Amboine. Ornithol., p. 127, avec une figure, pl. ix, fig. 3.
  12. Hist. nat. de la Caroline, t. Ier, p. 24, avec une figure coloriée.
  13. « Picacuroba Brasiliensibus. » Hist. nat. Bras., p. 204.
  14. Albin, t. II, p. 32, avec une figure, pl. xlix.
  15. Ornithol., t. Ier, p. 135, avec une figure, pl. xiii, fig. 1.
  16. Edwards, Nat. hist. of Birds, t. Ier, pl. xiv.
  17. Cocotzin. Hist. nat. nov. Hisp., p. 24, cap. xliv. — Cocotti. Idem, ibidem, p. 23, cap. xlii. — Cocotzin aliud genus. Idem, ibidem, p. 24, cap. xliv. Ces trois oiseaux ne nous paraissent être que de légères variétés dans la même espèce.
  18. « Turtur minimus, alis maculosis. » Ray, Syn. Avi., p. 184, no 25. — « Turtur minimus, guttatus. » Sloane, Jamaïc., p. 305. — « Columba subfusca minima, etc. » Browne, Nat. hist. of Jamaïc. ; p. 469. — Petite tourterelle tachetée. Catesby, t. Ier, p. 26, avec une figure coloriée de la femelle, pl. xxvi.
  19. Ortolan de la Martinique. Du Tertre, Hist. des Antilles, t. II, p. 254. — Les oiseaux à qui nos insulaires donnent le nom d’ortolan ne sont que des tourterelles beaucoup plus petites que celles d’Europe… Leur plumage est d’un gris cendré, le dessous de la gorge tire un peu sur le roux ; elles vont toujours par couples, et on en trouve beaucoup dans les bois. Ces oiseaux aiment à voir le monde, se promenant dans les chemins sans s’effaroucher, et quand on les prend jeunes, ils deviennent très privés ; ce sont des pelotons d’une graisse qui a un goût excellent. Nouveau voyage aux îles de l’Amérique, t. II, p. 237.
  20. « Picuipinima. » Pison, Hist. nat., p. 86. — « Picuipinima Brasiliensibus. » Marcgrave, Hist. nat. Brasil., p. 204.
  21. Aux environs d’Acapulco on voit des tourterelles plus petites que les nôtres avec la pointe des ailes coloriée, qui volent jusque dans les maisons. Gemelli Careri, t. VI, p. 9.
Notes de l’éditeur
  1. Columba migratoria L. (Columba canadensis Lath.) [Note de Wikisource : actuellement Ectopistes migratorius Linnæus, vulgairement tourte voyageuse ; cette espèce est aujourd’hui éteinte].
  2. No 176 des planches enluminées de Buffon.
  3. Columba marginata L. [Note de Wikisource : actuellement Zenaida macroura Linnæus, vulgairement tourterelle triste].
  4. Columba afra L. [Note de Wikisource : actuellement Turtur afer Linnæus, vulgairement tourterelle améthystine].
  5. Cette Tourterelle appartient probablement à la même espèce que la précédente.
  6. Columba senegalensis L. [Note de Wikisource : actuellement Spilopelia senegalensis Linnæus, vulgairement tourterelle maillée].
  7. Columba macroura L.. [Note de Wikisource : L’identification proposée est erronée ; à ce jour, aucune identification satisfaisante n’a été proposée.]
  8. No 329 des planches enluminées de Buffon.
  9. Columba capensis L. [Note de Wikisource : actuellement Oena capensis Linnæus, vulgairement tourterelle masquée].
  10. No 140 des planches enluminées de Buffon.
  11. Columba viridis L. (Columba melanocephala Gmel., Columba javanica Lath.) [Note de Wikisource : actuellement Ptilinopus melanosplius Salvadori, vulgairement ptilope turgris].
  12. Nos 142, 214 et 177 des planches enluminées de Buffon.
  13. Columba sinica L. [Note de Wikisource : l’existence de cette espèce, dont la description repose sur les seules indications d’Albin, est douteuse].
  14. Columba striata L. [Note de Wikisource : actuellement Geopelia striata Linnæus, vulgairement géopélie zébrée].
  15. Columba carolinensis L. [Note de Wikisource : actuellement Zenaida macroura Linnæus, vulgairement tourterelle triste ; il s’agit donc en effet de la même espèce que la seconde espèce appelée par Buffon tourterelle du Canada, cf. ci-dessus].
  16. Columba cyanocephala L. [Note de Wikisource : actuellement Starnoenas cyanocephala Linnæus, vulgairement colombe à tête bleue].
  17. Columba passerina L. [Note de Wikisource : actuellement Colombina passerina Linnæus, vulgairement colombe à queue noire].
  18. No 243 des planches enluminées de Buffon.