Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Avertissement de Buffon

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 613-614).

AVERTISSEMENT


J’en étais au seizième volume de mon ouvrage sur l’histoire naturelle, lorsqu’une maladie grave et longue a interrompu pendant près de deux ans le cours de mes travaux. Cette abréviation de ma vie, déjà fort avancée, en produit une dans mes ouvrages. J’aurais pu donner, dans les deux ans que j’ai perdus, deux ou trois autres volumes de l’histoire des oiseaux, sans renoncer pour cela au projet de l’histoire des minéraux, dont je m’occupe depuis plusieurs années. Mais me trouvant aujourd’hui dans la nécessité d’opter entre ces deux objets, j’ai préféré le dernier comme m’étant plus familier, quoique plus difficile, et comme étant plus analogue à mon goût par les belles découvertes et les grandes vues dont il est susceptible. Et, pour ne pas priver le public de ce qu’il est en droit d’attendre au sujet des oiseaux, j’ai engagé l’un de mes meilleurs amis, M. Gueneau de Montbeillard, que je regarde comme l’homme du monde dont la façon de voir, de juger et d’écrire a plus de rapport avec la mienne, je l’ai engagé, dis-je, à se charger de la plus grande partie des oiseaux ; je lui ai remis tous mes papiers à ce sujet : nomenclature, extraits, observations, correspondances ; je ne me suis réservé que quelques matières générales et un petit nombre d’articles particuliers déjà faits en entier ou fort avancés. Il a fait de ces matériaux informes un prompt et bon usage, qui justifie bien le témoignage que je viens de rendre à ses talents ; car, ayant voulu se faire juger du public sans se faire connaître, il a imprimé, sous mon nom, tous les chapitres de sa composition, depuis l’autruche jusqu’à la caille, sans que le public ait paru s’apercevoir du changement de main ; et, parmi les morceaux de sa façon, il en est, tel que celui du paon, qui ont été vivement applaudis et par le public et par les juges les plus sévères. Il ne m’appartient donc en propre dans le second volume de l’histoire des oiseaux que les articles du pigeon, du ramier et des tourterelles ; tout le reste, à quelques pages près de l’histoire du coq, a été écrit et composé par M. de Montbeillard. Après cette déclaration, qui est aussi juste qu’elle était nécessaire, je dois encore avertir que pour la suite de l’histoire des oiseaux, et peut-être de celle des végétaux, sur laquelle j’ai aussi quelques avances, nous mettrons, M. de Montbeillard et moi, chacun notre nom aux articles qui seront de notre composition. On va loin sans doute avec de semblables aides ; mais le champ de la nature est si vaste qu’il semble s’agrandir à mesure qu’on le parcourt ; et la vie d’un, deux et trois hommes est si courte, qu’en la comparant avec cette immense étendue on sentira qu’il n’était pas possible d’y faire de plus grands progrès en aussi peu de temps.

Un nouveau secours qui vient de m’arriver, et que je m’empresse d’annoncer au public, c’est la communication, aussi franche que généreuse, des lumières et des observations d’un illustre voyageur, M. le chevalier James Bruce de Kinnaird, qui, revenant de Nubie et du fond de l’Abyssinie, s’est arrêté chez moi plusieurs jours et m’a fait part des connaissances qu’il a acquises dans ce voyage, aussi pénible que périlleux. J’ai été vraiment émerveillé en parcourant l’immense collection de dessins qu’il a faits et coloriés lui-même : les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les édifices, les monuments, les habillements, les armes, etc., des différents peuples, tous les objets, en un mot, dignes de nos connaissances ont été décrits et parfaitement représentés ; rien ne paraît avoir échappé à sa curiosité, et ses talents ont tout saisi. Il nous reste à désirer de jouir pleinement de cet ouvrage précieux. Le gouvernement d’Angleterre en ordonnera sans doute la publication : cette respectable nation, qui précède toutes les autres en fait de découvertes, ne peut qu’ajouter à sa gloire en communiquant promptement à l’univers celles de cet excellent voyageur, qui ne s’est pas contenté de bien décrire la nature, mais a fait encore des observations très importantes sur la culture de différentes espèces de grains, sur la navigation de la mer Rouge, sur le cours du Nil, depuis son embouchure jusqu’à ses sources, qu’il a découvertes le premier, et sur plusieurs autres points de géographie et de moyens de communication qui peuvent devenir très utiles au commerce et à l’agriculture : grands arts peu connus, mal cultivés chez nous, et desquels néanmoins dépend et dépendra toujours la supériorité d’un peuple sur les autres.