Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Les pies-grièches

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 154-155).

LES PIES-GRIÈCHES


Ces oiseaux[NdÉ 1], quoique petits, quoique délicats de corps et de membres, doivent néanmoins par leur courage, par leur large bec fort et crochu, et par leur appétit pour la chair, être mis au rang des oiseaux de proie, même des plus fiers et des plus sanguinaires ; on est toujours étonné de voir l’intrépidité avec laquelle une petite pie-grièche combat contre les pies, les corneilles, les cresserelles, tous oiseaux beaucoup plus grands et plus forts qu’elle ; non seulement elle combat pour se défendre, mais souvent elle attaque, et toujours avec avantage, surtout lorsque le couple se réunit pour éloigner de leurs petits les oiseaux de rapine ; elles n’attendent pas qu’ils approchent : il suffit qu’ils passent à leur portée pour qu’elles aillent au-devant ; elles les attaquent à grands cris, leur font des blessures cruelles, et les chassent avec tant de fureur qu’ils fuient souvent sans oser revenir : et, dans ce combat inégal contre d’aussi grands ennemis, il est rare de les voir succomber sous la force, ou se laisser emporter ; il arrive seulement qu’elles tombent quelquefois avec l’oiseau contre lequel elles se sont accrochées avec tant d’acharnement, que le combat ne finit que par la chute et la mort de tous deux : aussi les oiseaux de proie les plus braves les respectent ; les milans, les buses, les corbeaux, paraissent les craindre et les fuir plutôt que les chercher ; rien dans la nature ne peint mieux la puissance et les droits du courage que de voir ce petit oiseau, qui n’est guère plus gros qu’une alouette, voler de pair avec les éperviers, les faucons et tous les autres tyrans de l’air, sans les redouter, et chasser dans leur domaine, sans craindre d’en être puni ; car, quoique les pies-grièches se nourrissent communément d’insectes, elles aiment la chair de préférence ; elles poursuivent au vol tous les petits oiseaux : on en a vu prendre des perdreaux et de jeunes levrauts ; les grives, les merles et les autres oiseaux pris au lacet ou au piège deviennent leur proie la plus ordinaire, elles les saisissent avec les ongles, leur crèvent la tête avec le bec, leur serrent et déchiquètent le cou, et, après les avoir étrangglés ou tués, elles les plument pour les manger, les dépecer à leur aise et en emporter dans leur nid les débris en lambeaux.

Le genre de ces oiseaux est composé d’un assez grand nombre d’espèces ; mais nous pouvons réduire à trois principales ceux de notre climat : la première est celle de la pie-grièche grise, la seconde celle de la pie-grièche rousse, et la troisième celle de la pie-grièche appelée vulgairement l’écorcheur. Chacune de ces trois espèces mérite une description particulière et contient quelques variétés que nous allons indiquer.


Notes de l’éditeur
  1. Les pies-grièches appartiennent à un ordre différent de celui qui comprend tous les oiseaux dont il a été précédemment question. Ce sont des Passereaux du groupe des Dentirostres, de la famille des Laniadés. Elles constituent le genre Lanius L. Ce sont des oiseaux chanteurs, grands et forts, à bec recourbé en crochet et dentelé, entouré de soies raides, à pieds grands et armés de griffes tranchantes, à queue longue, étagée.