Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Les perdrix

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 454-456).

LES PERDRIX


Les espèces les plus généralement connues sont souvent celles dont l’histoire est le plus difficile à débrouiller, parce que ce sont celles auxquelles chacun rapporte naturellement les espèces inconnues qui se présentent la première fois, pour peu qu’on y aperçoive quelques traits de conformité, et sans faire beaucoup d’attention aux traits de dissemblance souvent plus nombreux ; en sorte que de ce bizarre assemblage d’êtres qui se rapprochent par quelques rapports superficiels, mais qui se repoussent par des différences plus considérables, il ne peut résulter qu’un chaos de contradictions d’autant plus révoltantes que l’on citera plus de faits particuliers de l’histoire de chacun, la plupart de ces faits étant contraires entre eux, et d’une absurde incompatibilité lorsqu’on veut les appliquer à une seule espèce, ou même à un seul genre : nous avons vu plus d’un exemple de cet inconvénient dans les articles que nous avons traités ci-dessus, et il y a grande apparence que celui qui va nous fournir l’article de la perdrix ne sera pas le dernier.

Je prends pour base de ce que j’ai à dire des perdrix, et pour première espèce de ce genre, celle de notre perdrix grise, comme étant la plus connue, et par conséquent la plus propre à servir d’objet de comparaison pour bien juger de tous les autres oiseaux dont on a voulu faire des perdrix ; j’y reconnais une variété et trois races constantes.

Je regarde comme races constantes : 1o la perdrix grise ordinaire, et comme variété de cette race celle que M. Brisson appelle perdrix grise blanche[1] ; 2o la perdrix de Damas, non celle de Belon[2], qui est une gelinotte, mais celle d’Aldrovande[3], qui est plus petite que notre perdrix grise, et qui me paraît être la même que la petite perdrix de passage qui est bien connue de nos chasseurs ; 3o la perdrix de montagne, qui semble faire la nuance entre les perdrix grises et les rouges.

J’admets pour seconde espèce celle de la perdrix rouge, dans laquelle je reconnais deux races constantes répandues en France, une variété et deux races étrangères.

Les deux races constantes de perdrix rouges du pays sont : 1o la perdrix rouge proprement dite ;

2o La bartavelle.

Et les deux races ou espèces étrangères sont : 1o la perdrix rouge de Barbarie d’Edwards.

2o La perdrix de roche qu’on trouve sur les bords de la Gambra.

Et comme le plumage de la perdrix rouge est sujet à prendre du blanc de même que celui de la perdrix grise, il en résulte dans cette espèce une variété parfaitement analogue à celle que j’ai reconnue dans l’espèce grise ordinaire.

J’exclus de ce genre plusieurs espèces qui ont été rapportées mal à propos :

1o Le francolin, que nous avons cru devoir séparer de la perdrix, parce qu’il en diffère non seulement par la forme totale, mais encore par quelques caractères particuliers, tels que les éperons, etc.

2o L’oiseau appelé par M. Brisson perdrix du Sénégal, et dont il a fait sa huitième perdrix[4] : cet oiseau nous paraît avoir plus de rapport avec les francolins qu’avec les perdrix, et comme c’est une espèce particulière qui a deux ergots à chaque jambe, nous lui donnerons le nom de bis-ergot.

3o La perdrix rouge d’Afrique.

4o La troisième espèce étrangère donnée par M. Brisson sous le nom de grosse perdrix du Brésil[5], qu’il croit être le macucagua de Marcgrave[6], puisqu’il en copie la description, et qu’il confond mal à propos avec l’agami de Cayenne, lequel est un oiseau tout différent, et du macucagua et de la perdrix.

5o L’yambou de Marcgrave[7], qui est la perdrix du Brésil de M. Brisson, et qui n’a ni la forme, ni les habitudes, ni les propriétés des perdrix, puisque, selon M. Brisson lui-même[8], il a le bec allongé, qu’il se perche sur les arbres et que ses œufs sont bleus.

6o La perdrix d’Amérique de Catesby[9] et de M. Brisson[10], laquelle se perche aussi et fréquente les bois plus que les pays découverts, ce qui ne convient guère aux perdrix que nous connaissons.

7o Une multitude d’oiseaux d’Amérique que le peuple ou les voyageurs ont jugé à propos d’appeler perdrix, d’après des ressemblances très légères, et encore plus légèrement observées : tels sont les oiseaux qu’on appelle à la Guadeloupe perdrix rousses, perdrix noires et perdrix grises, quoique, selon le témoignage des personnes plus instruites, ce soient des pigeons ou des tourterelles, puisqu’ils n’ont ni le bec, ni la chair des perdrix, qu’ils se perchent sur les arbres, qu’ils y font leur nid, qu’ils ne pondent que deux œufs, que leurs petits ne courent point dès qu’ils sont éclos, mais que les père et mère les nourrissent dans le nid, comme font les tourterelles[11] ; telles sont encore, selon toute apparence, ces perdrix à tête bleue que Careri a vues dans les montagnes de la Havane[12] ; tels sont les manbouris, les pégassous, les pégacans de Léry, et peut-être quelques-unes des perdrix d’Amérique, que j’ai rapportées au genre des perdrix sur la foi des auteurs, lorsque leur témoignage n’était point contredit par les faits, quoiqu’il le soit, à mon avis, par la loi du climat, à laquelle un oiseau aussi pesant que la perdrix ne peut guère manquer d’être assujetti.


Notes de Buffon
  1. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 223.
  2. Belon, Nature des oiseaux, p. 258.
  3. Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 143.
  4. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 231.
  5. Idem, ibidem, p. 227, espèce v.
  6. Marcgrave, Historia naturalis Brasil., p. 213.
  7. Idem, ibidem, p. 192.
  8. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 227.
  9. Catesby, Appendix, planche vii, avec une figure coloriée.
  10. Brisson, Ornithologie, t. Ier, p. 230.
  11. Voyez le P. du Tertre, Histoire générale des Antilles, t. II, p. 254.
  12. Gemelli Careri, Voyages…, t. VI, p. 326.