Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le scops ou petit duc

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 183-184).

LE SCOPS OU PETIT DUC[1]

Voici la troisième et dernière espèce du genre des hiboux[NdÉ 1], c’est-à-dire des oiseaux de nuit qui portent des plumes élevées au-dessus de la tête, et elle est aisée à distinguer des deux autres, d’abord par la petitesse même du corps de l’oiseau, qui n’est pas plus gros qu’un merle, et ensuite par le raccourcissement très marqué de ces aigrettes qui surmontent les oreilles, lesquelles, dans cette espèce, ne s’élèvent pas d’un demi-pouce et ne sont composées que d’une seule petite plume[2] ; ces deux caractères suffisent pour distinguer le petit duc du moyen et du grand duc, et on le reconnaîtra encore aisément à la tête, qui est proportionnellement plus petite par rapport au corps que celle des deux autres, et encore à son plumage plus élégamment bigarré et plus distinctement tacheté que celui des autres, car tout son corps est très joliment varié de gris, de roux, de brun et de noir, et ses jambes sont couvertes jusqu’à l’origine des ongles de plumes d’un gris roussâtre mêlé de taches brunes ; il diffère aussi des deux autres par le naturel, car il se réunit en troupe en automne et au printemps pour passer dans d’autres climats ; il n’en reste que très peu ou point du tout en hiver dans nos provinces, et on les voit partir après les hirondelles et arriver à peu près en même temps ; quoiqu’ils habitent de préférence les terrains élevés, ils se rassemblent volontiers dans ceux où les mulots se sont le plus multipliés et y font un grand bien pour la destruction de ces animaux, qui se multiplient toujours trop, et qui, dans de certaines années, pullulent à un tel point qu’ils dévorent toutes les graines et toutes les racines des plantes les plus nécessaires à la nourriture et à l’usage de l’homme. On a souvent vu, dans les temps de cette espèce de fléau, les petits ducs arriver en troupe et faire si bonne guerre aux mulots qu’en peu de jours ils en purgent la terre[3]. Les hiboux, ou moyens ducs, se réunissent aussi quelquefois en troupe de plus de cent ; nous en avons été informés deux fois par des témoins oculaires, mais ces assemblées sont rares, au lieu que celles des scops ou petits ducs se font tous les ans ; d’ailleurs c’est pour voyager qu’ils semblent se rassembler, et il n’en reste point au pays, au lieu qu’on y trouve des hiboux ou moyens ducs en tout temps ; il est même à présumer que les petits ducs font des voyages de long cours et qu’il passent d’un continent à l’autre. L’oiseau de la Nouvelle-Espagne, indiqué par Nieremberg sous le nom de talchicuatli, est ou de la même espèce, ou d’une espèce très voisine de celle du scops ou du petit duc[4] ; au reste, quoiqu’il voyage par troupes nombreuses, il est assez rare partout et difficile à prendre ; on n’a jamais pu m’en procurer ni les œufs, ni les petits, et on a même de la peine à l’indiquer aux chasseurs, qui le confondent toujours avec la chevêche, parce que ces deux oiseaux sont à peu près de la même grosseur et que les petites plumes éminentes qui distinguent le petit duc sont très courtes et trop peu apparentes pour faire un caractère qu’on puisse reconnaître de loin.

Au reste, la couleur de ces oiseaux varie beaucoup suivant l’âge et le climat, et peut-être le sexe ; ils sont tous gris dans le premier âge ; il y en a de plus bruns les uns que les autres quand ils sont adultes ; la couleur des yeux paraît suivre celle du plumage, les gris n’ont les yeux que d’un jaune très pâle, les autres les ont plus jaunes ou d’une couleur de noisette plus brune ; mais ces légères différences ne suffisent pas pour en faire des espèces distinctes et séparées.


Notes de Buffon
  1. The short eared owl, le hibou à oreilles courtes : British zoology, pl. B 3 et pl. B 4, fig. 2. C’est pour ne rien omettre et pour tout indiquer que je cite ici la Zoologie britannique ; car cet ouvrage, dont le principal mérite consiste dans les planches, est même à cet égard encore très défectueux : par exemple les aigrettes des hiboux, qui ne sont composées que de plumes, y sont représentées comme si c’étaient de vraies oreilles de chair, etc. De même il est dit, dans le texte, que le hibou à oreilles courtes a treize pouces et demi anglais de longueur, ce qui fait plus de douze pouces et demi de France : or ce même oiseau n’a que sept pouces et demi tout au plus ; ainsi c’est probablement le moyen duc que l’auteur aura pris pour le petit duc ; et ce qui prouve encore son peu de connaissance et d’exactitude, c’est d’avoir également indiqué ce même oiseau dans les pl. B 3 et B 4, fig. 2. On voit, au premier coup d’œil, que ce ne doit pas être le même oiseau, puisque la figure représentée dans la pl. B 4, fig. 2, est d’un tiers plus petite que celle qui est représentée dans la pl. B 3, et que le moyen duc qui est représenté dans la pl. B 4, fig. 1, n’est pas plus grand que le petit duc, B 4, fig. 2 : or le moyen duc ayant, comme le dit Willughby, quatorze pouces et demi, si le petit duc en avait treize et demi, comme le dit l’auteur de la Zoologie britannique, pourquoi ne pas appuyer sur ce fait et relever l’erreur de ceux qui ne lui donnent que sept pouces, ou bien dire qu’en Angleterre les petits ducs sont plus gros qu’ailleurs, ou bien encore que c’est une espèce particulière à la Grande-Bretagne ? Cela valait bien la peine d’être discuté ; mais cet auteur ne discute rien, ne dit rien de nouveau, ni même rien de moderne, car il paraît ignorer beaucoup de choses qui ont été dites avant lui sur les sujets qu’il traite. L’ouvrage de M. Edwards est infiniment meilleur ; car indépendamment de ce que les dessins et les planches coloriées sont plus correctes, c’est que ses descriptions sont plus exactes, ses comparaisons plus justes, et que partout il paraît avoir une pleine connaissance de ce qui a été fait avant lui sur les objets qui ont rapport à ceux qu’il nous présente.
  2. « Aures, vel plumulæ in aurium modum surrectæ, in mortuo vix apparent, in vivo manifestiores, ex unâ tantùm pinnulâ constantes. » Aldrov., Avi., t. I, p. 531.
  3. 1o Samuel Dale en cite deux exemples d’après Childrey, et il les rapporte dans les termes suivants : « In the year 1580 at hallontide an army of mices so overrun the marshes near South-Minster that the eat up the grass to the very roots… But at lenght a great number of strange painted owls came and devoured all the mice. The like happened again in Essex anno 1648. » Childrey, Britannia botanica, p. 100. — Dale’s Appendix to the history of Harwich. London, 1732, p. 397. — 2o Quoique Dale rapporte ces faits à l’otus ou moyen duc, je crois qu’il faut les attribuer au scops ou petit duc, à cause de l’indication strange painted owls, qui suffit pour faire reconnaître ici le scops ou petit duc.
  4. « Exoticum oti henus talchicuatli videtur : cornuta avis est sive auriculata, parva corpore, resima, rostro brevi, nigra lumine, luteâ erubescens iride, fusca et cinerea plumis usque ad crura, atra et incurva unguibus. Caetera similis nostrati oto. » Euseb. Nieremberg, Hist. nat., lib. x, cap. xxxix, p. 221.
Notes de l’éditeur
  1. Scops carniolica ou Ephialtes Scops L. [Note de Wikisource : actuellement Otus scops Linnæus, vulgairement petit-duc scops]. Les Scops sont, comme les Otus et les Bubo, des Rapaces de la famille des Strigidés. Ils se distinguent par un bec recourbé seulement au niveau de la pointe.