Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/La hulotte

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 185-186).

LA HULOTTE

La hulotte[1], qu’on peut appeler aussi la chouette noire, et que les Grecs appelaient nycticorax ou le corbeau de nuit, est la plus grande de toutes les chouettes[NdÉ 1] ; elle a près de quinze pouces de longueur depuis le bout du bec à l’extrémité des ongles ; elle a la tête très grosse, bien arrondie et sans aigrettes, la face enfoncée et comme encavée dans sa plume, les yeux aussi enfoncés et environnés de plumes grisâtres et décomposées, l’iris des yeux noirâtre ou plutôt d’un brun foncé, ou couleur de noisette obscure, le bec d’un blanc jaunâtre ou verdâtre, le dessus du corps couleur de gris de fer foncé, marqué de taches noires et de taches blanchâtres ; le dessous du corps blanc, croisé de bandes noires transversales et longitudinales[NdÉ 2] ; la queue d’un peu plus de six pouces, les ailes s’étendant un peu au delà de son extrémité, l’étendue du vol de trois pieds, les jambes couvertes jusqu’à l’origine des doigts des plumes blanches tachetées de points noirs[2] ; ces caractères sont plus que suffisants pour faire distinguer la hulotte de toutes les autres chouettes ; elle vole légèrement et sans faire de bruit avec ses ailes, et toujours de côté comme toutes les autres chouettes[NdÉ 3] ; c’est son cri[3] hoû oû oû oû ou ou ou, qui ressemble assez au hurlement du loup, qui lui a fait donner par les Latins le nom d’ulula, qui vient d’ululare, hurler ou crier comme le loup, et c’est par cette même analogie que les Allemands l’appellent hû hû ou plutôt hôu hôu[4][NdÉ 4].

La hulotte se tient pendant l’été dans les bois, toujours dans des arbres creux ; quelquefois elle s’approche en hiver de nos habitations, elle chasse et prend les petits oiseaux, et plus encore les mulots et les campagnols ; elle les avale tout entiers et en rend aussi par le bec les peaux roulées en pelotons ; lorsque la chasse de la campagne ne lui produit rien, elle vient dans les granges pour y chercher des souris et des rats ; elle retourne au bois de grand matin à l’heure de la rentrée des lièvres, et elle se fourre dans les taillis les plus épais ou sur les arbres les plus feuillés, et y passe tout le jour sans changer de lieu : dans la mauvaise saison, elle demeure dans des arbres creux pendant le jour et n’en sort qu’à la nuit ; ces habitudes lui sont communes avec le hibou ou moyen duc, aussi bien que celle de pondre leurs œufs dans des nids étrangers, surtout dans ceux des buses, des cresserelles, des corneilles et des pies ; elle fait ordinairement quatre œufs d’un gris sale, de forme arrondie, et à peu près aussi gros que ceux d’une petite poule[NdÉ 5].


Notes de Buffon
  1. Hibou, chat-huant, appelé aussi dame. Belon : Portraits d’oiseaux, page 26. Cette dénomination dame vient probablement de ce que cet oiseau a la face environnée d’un collier et d’une espèce de chaperon assez semblable à ceux que portent les femmes pour se couvrir la tête ; mais on peut dire la même chose de l’effraie et du chat-huant. — Ulula. Aldrov., Avi., t. Ier, page 538… Aluco, idem, t. Ier, page 534. — Chouette noire. Albin, t. III, page 4, planche viii, avec une figure mal coloriée. — Albin me paraît avoir fait une faute en disant dans sa description que cet oiseau a l’iris des yeux jaune, à moins qu’il n’appelle jaune le brun couleur de noisette, couleur où il entre en effet un peu de jaune obscur. — Noctua major. Frisch, pl. xciv, avec une figure bien coloriée. — La Hulotte, Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 507.
  2. On peut encore ajouter à ces caractères un signe distinctif, c’est que la plume la plus extérieure de l’aile est plus courte de deux ou trois pouces que la seconde, qui est elle-même plus courte d’un pouce que la troisième, et que les plus longues de toutes sont la quatrième et la cinquième, au lieu que dans l’effraie la seconde et la troisième sont les plus longues, et l’extérieure n’est plus courte que d’un demi-pouce.
  3. Cet oiseau pousse la nuit, surtout quand il gèle, une voix terrible, qui fait peur aux femmes et aux enfants. Salerne, Ornithol., p. 53.
  4. C’est d’après Gessner que je dis ici que les Allemands appellent cette chouette, hu hu ; cependant c’est le grand duc auquel appartient ce nom : il dit aussi qu’ils l’appellent ul et eul. M. Frisch ne lui donne que le nom générique eule, et dit que les autres surnoms qu’on lui donne en allemand sont sans fondement, comme celui de knapp eule, par exemple, qui exprime le craquement que cet oiseau fait avec son bec, mais que toutes les espèces de chouettes font également ; et nacht eul qui signifie chouette de nuit, puisque toutes les chouettes sont également des oiseaux de nuit.
Notes de l’éditeur
  1. C’est le Syrnium Aluco Sav. [Note de Wikisource : actuellement Strix aluco Linnæus, vulgairement chouette hulotte]. Les Syrnium sont des Rapaces nocturnes, de la famille des Strigidés, à bec médiocre, court, large à la base, comprimé sur les côtés, courbé dès l’origine et très pointu, à demi couvert par les plumes du front ; à oreilles dépourvues d’aigrettes ; à queue longue et large, à doigts revêtus de plumes pressées, à ongles longs, minces, crochus.
  2. La coloration de la hulotte est extrêmement variable et a servi de point de départ à la création d’un certain nombre d’espèces qui doivent être complètement abandonnées. C’est sur ce caractère que Buffon a fondé l’espèce qu’il étudie, immédiatement après la hulotte, sous le nom de chat-huant, et qui n’est que la femelle de la hulotte.
  3. Le vol de la hulotte est vacillant et peu rapide ; quand elle chasse, elle rase le sol ou ne s’élève que de quelques pieds. Elle redoute beaucoup la lumière.
  4. D’après Brehm elle crie d’autres fois sur un ton atroce : raï, et quelquefois elle ajoute, sur un mode plus agréable : kouwit ou kiwiz.
  5. La hulotte se laisse facilement apprivoiser. D’abord timide, elle ne tarde pas à connaître son maître, le reçoit par de petits cris joyeux et mange dans sa main. Brehm dit que la hulotte vit en bonne harmonie avec ses semblables et même avec le hibou. « Nous en avons, dit-il, sept au jardin zoologique de Hambourg qui vivent très paisiblement l’une à côté de l’autre sans jamais se disputer, même quand il s’agit de leur nourriture. Pendant que l’une mange, les autres la regardent. Une paire a pondu quatre œufs, les a longtemps couvés, et a été aidée dans cette tâche par deux ou trois de ses compagnes. » Ce dernier trait de mœurs est très caractéristique.