Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le scarlatte

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 235-238).

LE SCARLATTE[1]

Quatrième espèce.

Cet oiseau[NdÉ 1] est représenté dans les planches enluminées, no 127, fig. 1, sous le nom de tangara du Mexique, appelé le cardinal, et comme le nom de tangara est un nom générique, et que le surnom de cardinal a été appliqué à des oiseaux d’un autre genre, nous avons adopté le nom scarlatte que lui ont donné les Anglais, parce que son plumage est d’un rouge d’écarlate.

C’est le même oiseau que le cardinal de M. Brisson[2], et le même que le moineau scarlet d’Edwards[3] ; on doit aussi lui rapporter :

1o Les deux moineaux rouges et noirs d’Aldrovande, qui ne diffèrent entre eux qu’en ce que l’un des deux n’avait pas de queue, et qu’Aldrovande a fait de ce défaut un caractère spécifique en le nommant, l’un, moineau rouge sans queue, et l’autre, moineau rouge à queue[4]. Cette erreur et ses descriptions ont été copiées par presque tous les ornithologues[5] ;

2o Le tijepiranga de Marcgrave[6] ;

3o Le chiltototl de Fernandez[7] ;

4o Et enfin le merle du Brésil de Belon, qu’il a ainsi nommé, parce que ceux qui apportaient en France quelques-uns de ces oiseaux les appelaient merles du Brésil[8]. Aldrovande a encore copié Belon : la seule différence essentielle que l’on trouve, dans les notices données par ces auteurs, ne porte que sur le chant de ces oiseaux ; mais après les avoir toutes examinées, nous avons reconnu que ceux de ces oiseaux qui chantent étaient d’une taille un peu plus grande que les autres, qu’ils avaient le plumage teint d’un rouge plus éclatant ; que cette couleur se voyait aussi sur les couvertures supérieures des ailes, etc. : ce qui nous fait croire avec beaucoup de vraisemblance que l’oiseau qui chante est le mâle, et que c’est la femelle qui n’a point de ramage, comme cela arrive dans presque toutes les espèces d’oiseaux chanteurs.

Il paraît aussi que le mâle a les plumes de la tête plus longues, et qu’il les relève un peu plus en forme de huppe, comme Edwards l’a représenté[9]. C’est ce qui a fait dire à quelques voyageurs qu’il y avait au Mexique deux espèces de cardinaux, l’un qui a une huppe et qui chante assez bien, et l’autre plus petit qui ne chante pas.

Ces oiseaux appartiennent aux climats chauds du Mexique, du Pérou et du Brésil, mais ils sont fort rares à la Guyane. Belon dit que de son temps les marchands qui venaient du Brésil apportaient beaucoup de ces oiseaux et en tiraient un grand profit[10]. Il faut croire que c’était pour faire des garnitures de robes et d’autres parures qui pouvaient alors être à la mode, et que ces oiseaux étaient dans ce temps bien plus nombreux qu’ils ne le sont aujourd’hui.

On doit présumer que c’est du scarlatte qu’il faut entendre ce que les voyageurs disent du ramage du cardinal, car le cardinal huppé, étant du genre des gros-becs, doit être silencieux comme eux. M. Salerne, après avoir dit, comme les voyageurs, que le cardinal huppé, c’est-à-dire celui du genre du gros-bec, avait un très joli ramage, ajoute qu’il en a vu un vivant à Orléans qui ne criait que rarement, et dont la voix n’avait rien de gracieux[11], contradiction qui se trouve dans la même page de l’ouvrage de cet auteur. Les voyageurs s’accordent à dire que cet oiseau a un ramage très agréable, et qu’il est même susceptible d’instruction. Fernandez assure qu’on le trouve particulièrement à Totonocapa, au Mexique, et qu’il chante très agréablement.

Nous regardons comme des variétés de cette espèce : 1o le cardinal tacheté, cité par M. Brisson[12], qui ne diffère de notre scarlatte qu’en ce que quelques plumes du dos et de la poitrine sont bordées de vert, ce qui forme des taches de cette couleur qui ont la forme d’un croissant. Aldrovande a fait un merle de cet oiseau, et comme ses jambes ne sont pas aussi allongées que celles du merle, il l’a appelé merle aux pieds courts[13].

2o Le cardinal à collier, cité par M. Brisson[14], qui a la taille et les couleurs du scarlatte, mais qui a de plus les petites couvertures et les bords des pennes des ailes bleus, et de chaque côté du cou deux grandes taches de la même couleur, elles sont contiguës et ont la forme d’un croissant ; mais cet auteur décrit le cardinal tacheté ainsi que le cardinal à collier d’après Aldrovande[15], qui, selon la remarque de Willughby[16], n’avait vu que des dessins de ces deux oiseaux, non plus que des autres que nous avons cités de lui dans cet article, ce qui rend ses descriptions très imparfaites et l’existence de ces oiseaux assez douteuse ; je n’aurais pas même fait mention de celui-ci, si les nomenclateurs ne l’avaient pas compris dans leurs listes.

3o L’oiseau mexicain, que Fernandez a indiqué par la phrase suivante : « avis Mexicana psittaci colore », et que M. Brisson, d’après lui, a décrit, comme s’il l’avait vu, sous le nom de cardinal du Mexique[17], tandis que Fernandez dit seulement : « Hæc avis statim in rostro (quod aduncum nonnihil et cinneritium est totum) inferiore parte ad caudam usque, hoc est in ventre toto minii colore rubet : qui idem color sursum per uropygium, ad dorsum porrigitur, nisi quod alarum versùs principium cum virore rubor confunditur, qui ad ipsum ita collum protenditur quod omnino virescit. Caput autem amethystino, aut hyacinthino colore diluitur. Circulus qui pupillam ambit, valde albet, orbita vero oculi est cærulei saturati coloris. Ubi suum sumunt principium alæ, color est subluteus. Sequitur primus pennarum in alis ordo cum secundo et tertio dicti hyacinthino coloris. In medio tamen harum pennarum circumferentia intercurrit linearis subviridis usque ad finem. Cauda tota est amethystini coloris absque viriditate, dilutioris tamen versus finem. Pedes, qui tres ante et unum retro digitos habent, inter cinereum ac violaceum ambigunt[18]. » Au reste, ces oiseaux volent en troupes[19] ; on les prend facilement avec des lacets et autres petits pièges[20] ; ils s’apprivoisent aisément, et de plus ils sont gras et bons à manger.


Notes de l’auteur
  1. Scarlatte. — Par les colons de l’Amérique, cardinal. — En anglais, scarlet sparrow. Edwards. — Kumploss et red and black. Charleton. — Au Brésil, tijepiranga. Marcg. — Au Mexique, chiltototl et hauhtototl. Fern., Hist. nov. Hisp., p. 51, cap. 190.
  2. « Tangara coccinea, alis, caudâ cruribusque nigris… Cardinalis. » Brisson, Ornithol., t. III, p. 42.
  3. Scarlet sparrow. Moineau écarlate. Edw., Glan., p. 278, avec une figure coloriée, pl. 343. Cet oiseau a aussi été indiqué par Seba, sous la dénomination « d’oiseau du Mexique, rouge et grand, qui est une espèce de moineau », t. Ier, p. 101. — « Cardinalis non cristatus è Para Brasiliæ regione. » Ornithol. Ital., Florence, 1771, p. 69 ; et pl. 335, fig. 2.
  4. « Passer erythromelanus Indicus sine uropygio. » Aldrovand., Avium, t. II, p. 568. — « Et passer Indicus alius porphyromelanus caudatus », ibid., p. 570.
  5. « Passer sine uropygio. » Charleton, Exercit., p. 87, no 3, et Onomast., p. 79, no 3. — « Passer porphyromelanus. Red and black », ibid., p. 87, et Onomast., p. 79. « Passer Indicus erythromelanus sine uropygio. » Jonst., Avi., p. 67. « Passer Indicus porphyromelanus », ibid., p. 68. « Passer erythromelas Indicus sine uropygio Aldrovandi. » Willugh., Ornithol., p. 185. — « Passer Indicus caudatus porphyromelas Aldrovandi », ibid., p. 183. — « Passer erythromelas Indicus uropygio Aldrovandi. » Ray, Syn. avium, p. 87, no 3. — « Passer Indicus caudatus porphyromelas Aldrovandi », ibid., p. 87, no 8.
  6. « Tijepiranga Brasiliensibus. » Marcg., Hist. Bras., p. 192. — « Tijepiranga », Pison, Hist. nat. Bras., p. 94. — « Passer Americanus tijepiranga Brasiliensibus. » Jonst., Avi., p. 131. — « Passer Americanus tijepiranga Brasiliensibus Marcgravii. » Willughby, Ornithol., p. 184.
  7. Chiltototl. Fernandez, Hist. nov. Hisp., p. 54, cap. 210. Chiltototl. Ray, Syn. avium, p. 173.
  8. Merle du Brésil. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 319 ; et Portrait d’oiseaux, p. 80, fig. a. — « Merula Brasilica. » Aldrovande, Avium, t. II, p. 628. — « Merula Brasilica. » Jonston, Avium, p. 75. « Merula Brasiliensibus Bellonii. » Charleton, Exercit., p. 90, et Onomast., p. 84, no 6. — « Merula Brasilica Aldrovandi. » Willughby, Ornithol., p. 142. — « Merula Brasilica Bellonii et Aldrovandi. » Ray, Syn. avium, p. 66, no 8.
  9. Glanures, p. 278, pl. 343.
  10. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 319.
  11. Salerne, Ornithol., p. 255.
  12. « Tangara coccinea ; pectore et dorso supremo maculis lunatis virescentibus variegatis ; alis, caudâque nigris… Cardinalis nævius. » Brisson, Ornithol., t. III, p. 44.
  13. « Merula apus indica. » Aldrov., Avium, t. II, p. 629. — « Merula indica apos. » Jonston, Avium, p. 76. — « Merula indica apos dicta (a brevitate pedum) quam adumbrat Aldrovandus. » Charleton, Exercit., p. 90, no 7, et Onomast., p. 84, no 7.
  14. « Tangara coccinea ; maculis binis in utroque colli latere semilunaribus cæruleis ; alis et caudâ nigris ; marginibus alarum cæruleis… Cardinalis torquatus. ». Brisson, Ornithol., t. III, p. 45.
  15. « Passer Indicus sine uropygio alius cyanerythromelas. » Aldrovande, Avium, t. II, p. 569. — « Passer Indicus cyanerythromelanus sine uropygio, Aldrovandi. » Willughby, Ornithol., p. 185. — « Passer Indicus cyanerythromelanus sine uropygio, Aldrovandi. » Ray, Syn. Avium, p. 87, no 44. — « Passer Indicus cyanerythromelanus sine uropygio. » Jonston, Avium, p. 67.
  16. Ornithologia, p. 185, cap. 15.
  17. « Tangara coccinea ; collo superiore viridi ; capite, alis et caudâ amethystinis : quâlibet alarum pennâ circumferentià lineari subviridi, in medio intercurrente præditâ… Cardinalis Mexicana. » Brisson, Ornithol., t. III, p. 46.
  18. Fernandez, Hist. Mexic., p. 709.
  19. Voyage de Robert Lade, p. 358.
  20. Pison, Hist. nat., p. 94.
Notes de l’éditeur
  1. Tanagra brasilia L. [Note de Wikisource : actuellement Ramphocelus bresilia Linnæus, vulgairement tangara du Brésil ou tangara scarlate].