Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le petit tétras à queue pleine

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 371-372).

LE PETIT TÉTRAS À QUEUE PLEINE

J’ai exposé, à l’article précédent, les raisons que j’avais de faire de ce petit tétras une espèce ou plutôt une race séparée[NdÉ 1]. Gesner en parle, sous le nom de coq de bois (gallus sylvestris[1]), comme d’un oiseau qui a des barbillons rouges, et une queue pleine et non fourchue ; il ajoute que le mâle s’appelle coq noir en Écosse, et la femelle poule grise (greyhen). Il est vrai que cet auteur, prévenu de l’idée que le mâle et la femelle ne devaient pas différer, à un certain point, par la couleur des plumes, traduit ici le greyhen par gallina fusca, poule rembrunie, afin de rapprocher de son mieux la couleur des plumages ; et qu’ensuite il se prévaut de sa version infidèle pour établir que cette espèce est tout autre que celle de la poule moresque de Turner[2], par la raison que le plumage de cette poule moresque diffère tellement de celui du mâle qu’une personne peu au fait pourrait s’y méprendre, et regarder ce mâle et cette femelle comme appartenant à deux espèces différentes. En effet, le mâle est presque tout noir, et la femelle de la même couleur à peu près que la perdrix grise ; mais, au fond, c’est un nouveau trait de conformité qui rend plus complète la ressemblance de cette espèce avec celle du coq noir d’Écosse, car Gesner prétend en effet que ces deux espèces se ressemblent dans tout le reste. Pour moi, la seule différence que j’y trouve c’est que le coq noir d’Écosse a de petites taches rouges sur la poitrine, les ailes et les cuisses ; mais nous avons vu dans l’histoire du petit tétras à queue fourchue que dans les six premiers mois les jeunes mâles, qui doivent devenir tout noirs dans la suite, ont le plumage de leurs mères, c’est-à-dire de la femelle ; et il pourrait se faire que les petites taches rouges dont parle Gesner ne fussent qu’un reste de cette première livrée avant qu’elle se fût changée entièrement en un noir pur et sans mélange.

Je ne sais pourquoi M. Brisson confond cette race ou variété, comme il l’appelle, avec le tetrao pointillé de blanc de M. Linnæus[3], puisqu’un des caractères de ce tetrao, nommé en suédois racklehane, est d’avoir la queue fourchue ; et que d’ailleurs M. Linnæus ne lui attribue point de barbillons, tandis que le tétras dont il s’agit ici a la queue pleine, selon la figure donnée par Gesner, et que, selon sa description, il a des barbillons rouges à côté du bec.

Je ne vois pas non plus pourquoi M. Brisson, confondant ces deux races en une seule, n’en fait qu’une variété du petit tétras à queue fourchue, puisque, indépendamment des deux différences que je viens d’indiquer, M. Linnæus dit positivement que son tétras pointillé de blanc est plus rare, plus sauvage, et qu’il a un cri tout autre, ce qui suppose, ce me semble, des différences plus caractérisées, plus profondes que celles qui d’ordinaire constituent une simple variété.

Il me paraîtrait plus raisonnable de séparer ces deux races ou espèces de petit tétras, dont l’une caractérisée par la queue pleine et les barbillons rouges, comprend le coq noir d’Écosse et la poule moresque de Turner ; et l’autre, ayant pour attributs ses petites taches blanches sur la poitrine, et son cri différent, serait formée du racklehane des Suédois. Ainsi l’on doit compter, ce me semble, quatre espèces différentes dans le genre des tétras ou coqs de bruyère : 1o le grand tétras ou grand coq de bruyère ; 2o le petit tétras ou coq de bruyère à queue fourchue ; 3o le racklan ou racklehane de Suède, indiqué par M. Linnæus ; 4o la poule moresque de Turner ou coq noir d’Écosse, avec des barbillons charnus des deux côtés du bec, et la queue pleine.

Et ces quatre espèces sont toutes originaires et naturelles aux climats du Nord, et habitent également dans les forêts de pins et de bouleaux ; il n’y a que la troisième, c’est-à-dire le racklehane de Suède, qu’on pourrait regarder comme une variété du petit tétras, si M. Linnæus n’assurait pas qu’il jette un cri tout différent.


Notes de Buffon
  1. Gesner, de Avibus, p. 477.
  2. Gesner, de Avibus, p. 477.
  3. Linnæus, Fauna suecica, no 167.
Notes de l’éditeur
  1. Les ornithologistes modernes lui donnent le nom de Lyrurus medius. On le considère comme un métis du Tétras urogalle et du Lyrure des bouleaux. [Note de Wikisource : Il s’agit en effet d’un hybride résultant du croisement des oiseaux décrits dans les deux articles précédents ; à ce titre, il n’est pas pourvu de nom binominal. Il est parfois désigné du nom vernaculaire de rackelhahn.] Le petit Tétras à plumage variable dont parle ensuite Buffon est le même que son petit Tétras à queue pleine.