Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le manucode

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 621-622).

LE MANUCODE

Le manucode[NdÉ 1], que je nomme ainsi d’après son nom indien ou plutôt superstitieux, manucodiata, qui signifie oiseau de Dieu, est appelé communément le roi des oiseaux de Paradis ; mais c’est par un préjugé qui tient aux fables dont on a chargé l’histoire de cet oiseau. Les marins dont Clusius tira ses principales informations avaient ouï dire dans le pays que chacune des deux espèces d’oiseaux de Paradis avait son roi, à qui tous les autres paraissaient obéir avec beaucoup de soumission et de fidélité ; que ce roi volait toujours au-dessus de la troupe et planait sur ses sujets ; que de là il leur donnait ses ordres pour aller reconnaître les fontaines où on pouvait aller boire sans danger, pour en faire l’épreuve sur eux-mêmes, etc.[1] ; et cette fable, conservée par Clusius, quoique non moins absurde qu’aucune autre, était la seule chose qui consolât Nieremberg de toutes celles dont Clusius avait purgé l’histoire des oiseaux de Paradis[2] : ce qui, pour le dire en passant, doit fixer le degré de confiance que nous pouvons avoir en la critique de ce compilateur. Quoi qu’il en soit, ce prétendu roi a plusieurs traits de ressemblance avec l’oiseau de Paradis et il s’en distingue aussi par plusieurs différences.

Il a, comme lui, la tête petite et couverte d’une espèce de velours ; les yeux encore plus petits, situés au-dessus de l’angle de l’ouverture du bec ; les pieds assez longs et assez forts ; les couleurs du plumage changeantes ; deux filets à la queue à peu près semblables, excepté qu’ils sont plus courts, que leur extrémité, qui est garnie de barbes, fait la boucle en se roulant sur elle-même, et qu’elle est ornée de miroirs semblables en petit à ceux du paon[3]. Il a aussi sous l’aile, de chaque côté, un paquet de sept ou huit plumes plus longues que dans la plupart des oiseaux, mais moins longues et d’une autre forme que dans l’oiseau de Paradis, puisqu’elles sont garnies dans toute leur longueur de barbes adhérentes entre elles. On a disposé la figure[NdÉ 2] de manière que ces plumes subalaires peuvent être aperçues. Les autres différences sont que le manucode est plus petit, qu’il a le bec blanc et plus long à proportion, les ailes aussi plus longues, la queue plus courte et les narines couvertes de plumes.

Clusius n’a compté que treize pennes à chaque aile et sept ou huit à la queue, mais il n’a vu que des individus desséchés et qui pouvaient n’avoir pas toutes leurs plumes. Ce même auteur remarque comme une singularité que dans quelques sujets les deux filets de la queue se croisent[4] ; mais cela doit arriver souvent et très naturellement dans le même individu à deux filets longs, flexibles et posés à côté l’un de l’autre[NdÉ 3].


Notes de Buffon
  1. Voyez Clusius, Exotic., in Auctuario, p. 359. Cela a rapport à la manière dont les Indiens se rendent quelquefois maîtres de toute une volée de ces oiseaux, en empoisonnant les fontaines où ils vont boire.
  2. Voyez Nieremberg, p. 212.
  3. Collection académique, t. III, partie étrangère, p. 449.
  4. Voyez Clusius, p. 362. — Edwards, planche iii.
Notes de l’éditeur
  1. Cincinnurus regius (Paradisæa regia L.) [Note de Wikisource : actuellement Cicinnurus regius Linnæus, vulgairement paradisier royal]. — « Le Manucode royal n’a que la taille de la Grive. Le mâle a le dos rouge rubis, le front et le sommet de la tête orange, la gorge jaune, le ventre d’un blanc grisâtre ; l’œil surmonté d’une petite tache noire ; la poitrine traversée par une bande verte, à éclat métallique ; les plumes des côtés sont grises, marquées de deux bandes transversales, une blanche et une rouge, et d’un vert émeraude à leur extrémité. La femelle a le dos rouge brun, le ventre d’un jaune rouille, rayé de brun. Le bec est brun foncé, les ailes jaune d’or, les pattes bleu clair. » (Brehm.)
  2. Buffon parle de ses planches enluminées.
  3. Le manucode est l’objet, dans le pays qu’il habite, de singulières légendes. Ce que dit à cet égard Cardan (cité par Brehm) est fort curieux : « Les rois Marmin des îles Moluques ont commencé, il y a quelques années seulement, à croire que les âmes étaient immortelles, et cela, pour cette seule raison qu’ils avaient remarqué un superbe oiseau qui ne se perchait jamais, ni sur la terre, ni sur quelque objet que ce soit, mais qui, de temps à autre, tombait des airs mort sur le sol. Les mahométans, qui venaient vers eux pour faire le commerce, leur dirent que ces oiseaux venaient du paradis qui était le lieu où se rendaient les âmes des morts ; alors ces rois se convertirent à la secte de Mahomet, parce que celle-ci leur annonçait et leur promettait mille merveilles de ce paradis. Ils appellent cet oiseau manucodiata, c’est-à-dire l’oiseau de Dieu, et ils le regardent comme saint et sacré ; de telle sorte qu’avec un de ces oiseaux les rois se croient en sûreté dans leurs guerres, quand, suivant leur coutume, il se tiennent au premier rang. »