Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le loriot

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 666-671).

LE LORIOT


On a dit des petits de cet oiseau[NdÉ 1] qu’ils naissaient en détail et par parties séparées, mais que le premier soin des père et mère était de rejoindre ces parties et d’en former un tout vivant par la vertu d’une certaine herbe. La difficulté de cette merveilleuse réunion n’est peut-être pas plus grande que celle de séparer avec ordre les noms anciens que les modernes ont appliqués confusément à cette espèce, de lui conserver tous ceux qui lui conviennent en effet, et de rapporter les autres aux espèces que les anciens ont eues réellement en vue, tant ceux-ci ont décrit superficiellement des objets trop connus, et tant les modernes se sont déterminés légèrement dans l’application des noms imposés par les anciens. Je me contenterai donc de dire ici que, selon toute apparence, Aristote n’a connu le loriot que par ouï-dire : quelque répandu que soit cet oiseau, il y a des pays qu’il semble éviter ; on ne le trouve ni en Suède, ni en Angleterre, ni dans les montagnes du Bugey, ni même à la hauteur de Nantua, quoiqu’il se montre régulièrement en Suisse deux fois l’année. Belon ne paraît pas l’avoir aperçu dans ses voyages de Grèce ; et d’ailleurs comment supposer qu’Aristote ait connu par lui-même cet oiseau sans connaître la singulière construction de son nid, ou que, la connaissant, il n’en ait point parlé ?

Pline, qui a fait mention du chlorion d’après Aristote[1], mais qui ne s’est pas toujours mis en peine de comparer ce qu’il empruntait des Grecs avec ce qu’il trouvait dans ses mémoires, a parlé du loriot sous quatre dénominations différentes[2], sans avertir que c’était le même oiseau que le chlorion. Quoi qu’il en soit, le loriot est un oiseau très peu sédentaire, qui change continuellement de contrées et semble ne s’arrêter dans les nôtres que pour faire l’amour, ou plutôt pour accomplir la loi imposée par la nature à tous les êtres vivants de transmettre à une génération nouvelle l’existence qu’ils ont reçue d’une génération précédente, car l’amour n’est que cela dans la langue des naturalistes. Les loriots suivent cette loi avec beaucoup de zèle et de fidélité. Dans nos climats, c’est vers le milieu du printemps que le mâle et la femelle se recherchent, c’est-à-dire presque à leur arrivée. Ils font leur nid sur des arbres élevés, quoique souvent à une hauteur fort médiocre ; ils le façonnent avec une singulière industrie et bien différemment de ce que font les merles, quoiqu’on ait placé ces deux espèces dans le même genre. Ils l’attachent ordinairement à la bifurcation d’une petite branche, et ils enlacent autour des deux rameaux qui forment cette bifurcation de longs brins de paille ou de chanvre, dont les uns, allant droit d’un rameau à l’autre, forment le bord du nid par devant, et les autres, pénétrant dans le tissu du nid ou passant par-dessous et revenant se rouler sur le rameau opposé, donnent la solidité à l’ouvrage. Ces longs brins de chanvre ou de paille qui prennent le nid par-dessous en sont l’enveloppe extérieure ; le matelas intérieur, destiné à recevoir les œufs, est tissu de petites tiges de gramen, dont les épis sont ramenés sur la partie convexe et paraissent si peu dans la partie concave qu’on a pris plus d’une fois ces tiges pour des fibres de racines ; enfin, entre le matelas intérieur et l’enveloppe extérieure il y a une quantité assez considérable de mousse, de lichen et d’autres matières semblables qui servent, pour ainsi dire, d’ouate intermédiaire et rendent le nid plus impénétrable au dehors, et tout à la fois plus mollet au dedans. Ce nid étant ainsi préparé, la femelle y dépose quatre ou cinq œufs, dont le fond blanc sale est semé de quelques petites taches bien tranchées d’un brun presque noir et plus fréquentes sur le gros bout que partout ailleurs ; elle les couve avec assiduité l’espace d’environ trois semaines, et lorsque les petits sont éclos, non seulement elle leur continue ses soins affectionnés pendant très longtemps[3], mais elle les défend contre leurs ennemis et même contre l’homme, avec plus d’intrépidité qu’on n’en attendrait d’un si petit oiseau. On a vu le père et la mère s’élancer courageusement sur ceux qui leur enlevaient leur couvée ; et, ce qui est encore plus rare, on a vu la mère, prise avec le nid, continuer de couver en cage et mourir sur ses œufs.

Dès que les petits sont élevés, la famille se met en marche pour voyager ; c’est ordinairement vers la fin d’août ou le commencement de septembre ; ils ne se réunissent jamais en troupes nombreuses, ils ne restent pas même assemblés en famille, car on n’en trouve guère plus de deux ou trois ensemble. Quoiqu’ils volent peu légèrement et en battant des ailes, comme le merle, il est probable qu’ils vont passer leur quartier d’hiver en Afrique ; car, d’une part, M. le chevalier Desmazy, commandeur de l’ordre de Malte, m’assure qu’ils passent à Malte dans le mois de septembre et qu’ils repassent au printemps ; et, d’autre part, Thévenot dit qu’ils passent en Égypte au mois de mai et qu’ils repassent en septembre[4]. Il ajoute qu’au mois de mai ils sont très gras, et alors leur chair est un bon manger. Aldrovande s’étonne de ce qu’en France on n’en sert pas sur nos tables[5].

Le loriot est à peu près de la grosseur du merle ; il a neuf à dix pouces de longueur, seize pouces de vol, la queue d’environ trois pouces et demi, et le bec de quatorze lignes. Le mâle est d’un beau jaune sur tout le corps, le cou et la tête, à l’exception d’un trait noir qui va de l’œil à l’angle de l’ouverture du bec. Les ailes sont noires, à quelques taches jaunes près qui terminent la plupart des grandes pennes et quelques-unes de leurs couvertures ; la queue est aussi mi-partie de jaune et de noir, de façon que le noir règne sur ce qui paraît des deux pennes du milieu, et que le jaune gagne toujours de plus en plus sur les pennes latérales, à commencer de l’extrémité de celles qui suivent immédiatement les deux du milieu ; mais il s’en faut bien que le plumage soit le même dans les deux sexes : presque tout ce qui est d’un noir décidé dans le mâle n’est que brun dans la femelle, avec une teinte verdâtre ; et presque tout ce qui est d’un si beau jaune dans celui-là est dans celle-ci olivâtre ou jaune pâle, ou blanc ; olivâtre sur la tête et le dessus du corps, blanc sale varié de traits bruns sous le corps, blanc à l’extrémité de la plupart des pennes des ailes, et jaune pâle à l’extrémité de leurs couvertures ; il n’y a de vrai jaune qu’au bout de la queue et sur ses couvertures inférieures. J’ai observé de plus dans une femelle un petit espace derrière l’œil qui était sans plumes et de couleur ardoisée claire.

Les jeunes mâles ressemblent d’autant plus à la femelle pour le plumage qu’ils sont plus jeunes : dans les premiers temps, ils sont mouchetés encore plus que la femelle, ils le sont même sur la partie supérieure du corps ; mais, dès le mois d’août, le jaune commence déjà à paraître sous le corps ; ils ont aussi un cri différent de celui des vieux ; ceux-ci disent yo, yo, yo, qu’ils font suivre quelquefois d’une sorte de miaulement comme celui du chat ; mais indépendamment de ce cri, que chacun entend à sa manière[6], ils ont encore une espèce de sifflement, surtout lorsqu’il doit pleuvoir[7], si toutefois ce sifflement est autre chose que le miaulement dont je viens de parler.

Ces oiseaux ont l’iris des yeux rouge, le bec rouge brun, le dedans du bec rougeâtre, les bords du bec inférieur un peu arqués sur leur longueur, la langue fourchue et comme frangée par le bout, le gésier musculeux, précédé d’une poche formée par la dilatation de l’œsophage, la vésicule du fiel verte, des cæcums très petits et très courts, enfin la première phalange du doigt extérieur soudée à celle du doigt du milieu.

Lorsqu’ils arrivent au printemps, ils font la guerre aux insectes et vivent de scarabées, de chenilles, de vermisseaux, en un mot de ce qu’ils peuvent attraper ; mais leur nourriture de choix, celle dont ils sont le plus avides, ce sont les cerises, les figues[8], les baies de sorbier, les pois, etc. Il ne faut que deux de ces oiseaux pour dévaster en un jour un cerisier bien garni, parce qu’ils ne font que becqueter les cerises les unes après les autres et n’entament que la partie la plus mûre.

Les loriots ne sont point faciles à élever ni à apprivoiser. On les prend à la pipée, à l’abreuvoir et avec différentes sortes de filets.

Ces oiseaux se sont répandus quelquefois jusqu’à l’extrémité du continent sans subir aucune altération dans leur forme extérieure ni dans leur plumage, car on a vu des loriots de Bengale et même de la Chine parfaitement semblables aux nôtres ; mais aussi on en a vu d’autres, venant à peu près des mêmes pays, qui ont quelques différences dans les couleurs et que l’on peut regarder pour la plupart comme des variétés de climat jusqu’à ce que des observations faites avec soin sur les allures et les mœurs de ces espèces étrangères, sur la forme de leur nid, etc., éclairent ou rectifient nos conjectures.


Variétés du loriot.

I.LE COULAVAN[9].

Cet oiseau de la Cochinchine[NdÉ 2] est peut-être un tant soit peu plus gros que notre loriot ; il a aussi le bec plus fort à proportion ; les couleurs du plumage sont absolument les mêmes et distribuées de la même manière partout, excepté sur la couverture des ailes, qui sont entièrement jaunes, et sur la tête, où l’on voit une espèce de fer à cheval noir ; la partie convexe de ce fer à cheval borde l’occiput, et ses branches vont en passant sur l’œil aboutir aux coins de l’ouverture du bec : c’est le trait de dissemblance le plus caractérisé du coulavan, encore retrouve-t-on dans le loriot une tache noire entre l’œil et le bec, qui semble être la naissance de ce fer à cheval. J’ai vu quelques individus coulavans qui avaient le dessus du corps d’un jaune rembruni. Tous ont le bec jaunâtre et les pieds noirs.

II.LE LORIOT DE LA CHINE[10].

Il est un peu moins gros que le nôtre[NdÉ 3] ; mais c’est la même forme, les mêmes proportions et les mêmes couleurs, quoique disposées différemment. La tête, la gorge et la partie antérieure du cou sont entièrement noires[11], et dans toute la queue il n’y a de noir qu’une large bande qui traverse les deux pennes intermédiaires près de leur extrémité, et deux taches situées aussi près de l’extrémité des deux pennes suivantes. La plupart des couvertures des ailes sont jaunes ; les autres sont mi-partie de noir et de jaune ; les plus grandes pennes sont noires dans ce qui paraît au dehors, l’aile étant dans son repos, et les autres sont bordées ou terminées de jaune ; tout le reste du plumage est de cette dernière couleur et de la plus belle teinte.

La femelle[12] est différente, car elle a le front ou l’espace entre l’œil et le bec d’un jaune vif, la gorge et le devant du cou d’une couleur claire plus ou moins jaunâtre avec des mouchetures brunes, le reste du dessous du corps d’un jaune plus foncé, le dessus d’un jaune brillant, toutes les ailes variées de brun et de jaune, la queue jaune aussi, excepté les deux pennes du milieu, qui sont brunes : encore ont-elles un œil jaunâtre et sont-elles terminées de jaune.

III.LE LORIOT DES INDES[13].

C’est le plus jaune des loriots[NdÉ 4], car il est en entier de cette couleur, excepté : 1o un fer à cheval qui embrasse le sommet de la tête et aboutit des deux côtés à l’angle de l’ouverture du bec ; 2o quelques taches longitudinales sur les couvertures des ailes ; 3o une bande qui traverse la queue vers le milieu de sa longueur, le tout de couleur azurée, mais le bec et les pieds sont d’un rouge éclatant.


Notes de Buffon
  1. Hist. nat., lib. x, cap. xxix.
  2. « Picorum aliquis suspendit in surculo (nidum) primis in ramis cyathi modo. » Plin., lib. x, cap. xxxiii. « Jam publicum quidem omnium est (galgulos) tabulata ramorum sustinendo nido providè eligere, camerâque ab imbri aut fronde protegere densâ. » Ibidem. — La construction du nid du picus et du galgulus, étant à peu près la même et fort ressemblante à celle du loriot, on en peut conclure que dans ces deux passages il s’agit de notre loriot sous deux noms différents ; mais que le galgulus soit le même oiseau que l’avis icterus et que l’ales luridus, c’est ce qui est démontré par les deux passages suivants. « Avis icterus vocatur a colore, quæ, si spectetur, sanari id malum (regium) tradunt, et avem mori ; hanc puto latinè vocari galgulum », lib. xxx, cap. xi. « Icterias (lapis) aliti lurido similis, ideo existimatur salubris contra regios morbos », lib. xxxvii, cap. x. D’ailleurs ce que Pline dit de son galgulus, lib. x, cap. xxv, « cum fœtum eduxere abeunt », convient tout à fait à notre loriot.
  3. « Les petits (loriots) suivent longtemps leurs père et mère, dit Belon, jusqu’à ce qu’ils aient bien appris à se pourchasser eux-mêmes. » Nature des Oiseaux, p. 293.
  4. Voyage du Levant, t. Ier, p. 493.
  5. Ornithologie, t. Ier, p. 861.
  6. Gesner dit qu’ils prononcent oriot ou loriot ; Belon, qu’ils semblent dire : compère loriot ; d’autres ont cru entendre : lousot bonnes merises, etc. Voyez l’Histoire nat. des Oiseaux de M. Salerne, p. 186.
  7. « Aliquando instar fistulæ canit, præsertim imminente pluviâ. » Gesner, De Avibus, p. 714.
  8. C’est de là qu’on leur a donné en certains pays les noms de becfigues, de συκοφάγος, etc., et c’est peut-être cette nourriture qui rend leur chair si bonne à manger. On sait que les figues produisent le même effet sur la chair des merles et d’autres oiseaux.
  9. Les Cochinchinois le nomment couliavan. C’est le cinquante-neuvième merle de M. Brisson, t. II, p. 326.
  10. C’est le loriot de Bengale de M. Brisson, t. II, p. 329, et le black-headed indian icterus de M. Edwards, planche 77.
  11. L’espèce de pièce noire qui couvre la gorge et le devant du cou a, dans la figure d’Edwards, une échancrure de chaque côté, vers le milieu de sa longueur.
  12. C’est l’yellow indian starling d’Edwards, planche 186 ; et d’Albin, t. II, p. 38. M. Edwards lui aurait donné le nom de loriot tacheté, spotted icterus, s’il n’avait cru plus à propos de conserver le nom d’Albin. Il pense que ce pourrait bien être le mottled jay de Madras, et par conséquent le cinquième troupiale de M. Brisson.
  13. C’est le nom que lui donnent Aldrovande, t. Ier, p. 862, et M. Brisson, qui en a fait son soixantième merle. Voyez le t. II, p. 328.
Notes de l’éditeur
  1. Oriolus galbula L. [Note de Wikisource : actuellement Oriolus oriolus Linnæus, vulgairement loriot d’Europe]. — Les Oriolus sont des Dentirostres de la famille des Corvidés. Ils se distinguent par un bec conique, arrondi, faiblement membré à l’extrémité, une queue tronquée.

    « Le Loriot vulgaire a 27 centimètres de long et 50 centimètres d’envergure ; l’aile pliée mesure 17 centimètres, et la queue 11. La femelle est un peu plus petite que le mâle. Celui-ci a les lorums, les ailes et la queue d’un noir profond ; le reste du corps jaune doré. Une tache jaune se trouve à la racine des rémiges et à l’extrémité des rectrices. La femelle a le dos d’un vert serin, le ventre blanchâtre, avec des raies longitudinales brunes au centre des plumes ; le cou d’un gris cendré clair ; les rémiges brunes, avec une tache jaunâtre vers le milieu des primaires, et une autre de même couleur à l’extrémité ; la queue brune, terminée de jaune. Les jeunes et les mâles d’un an ont le plumage de la femelle. L’iris est rouge carmin ; le bec rouge sale chez les vieux mâles, gris noirâtre chez les jeunes et les femelles ; les pattes sont gris de plomb. » (Brehm.)

  2. Oriolus chinensis Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Oriolus chinensis Linnæus, vulgairement loriot de Chine].
  3. C’est l’Oriolus melanocephalus de Gmelin [Note de Wikisource : actuellement Oriolus xanthornus Linnæus, vulgairement loriot à capuchon noir].
  4. Oriolus indicus Gmel. [Note de Wikisource : c’est une sous-espèce du loriot de la Chine, no I].