Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le coracias huppé ou le sonneur

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 543-544).

LE CORACIAS HUPPÉ OU LE SONNEUR

J’adopte ce nom[NdÉ 1], que quelques-uns ont donné à l’oiseau dont il s’agit dans cet article, à cause du rapport qu’ils ont trouvé entre son cri et le son de ces clochettes qu’on attache au cou du bétail.

Le sonneur est de la grosseur d’une poule ; son plumage est noir, avec des reflets d’un beau vert, et variés à peu près comme dans le crave ou coracias, dont nous venons de parler : il a aussi, comme lui, le bec et les pieds rouges ; mais son bec est encore plus long, plus menu, et fort propre à s’insinuer dans les fentes de rochers, dans les crevasses de la terre, et dans les trous d’arbres et de murailles, pour y chercher les vers et les insectes dont il fait sa principale nourriture. On a trouvé dans son estomac des débris de grillons-taupes, vulgairement appelés courtillières. Il mange aussi des larves de hannetons, et se rend utile par la guerre qu’il fait à ces insectes destructeurs.

Les plumes qu’il a sur le sommet de la tête sont plus longues que les autres et lui forment une espèce de huppe pendant en arrière ; mais cette huppe, qui ne commence à paraître que dans les oiseaux adultes, disparaît dans les vieux, et c’est de là, sans doute, qu’ils ont été appelés, en certains endroits, du nom de corbeaux chauves, et que dans quelques descriptions ils sont représentés comme ayant la tête jaune, marquée de taches rouges. Ces couleurs sont apparemment celles de la peau, lorsqu’au temps de la vieillesse elle est dépouillée de ses plumes.

Cette huppe, qui a valu au sonneur le nom de huppe de montagne[1], n’est pas la seule différence qui le distingue du crave ou coracias ; il a encore le cou plus grêle et plus allongé, la tête plus petite, la queue plus courte, etc. De plus, il n’est connu que comme oiseau de passage, au lieu que le crave ou coracias n’est oiseau de passage qu’en certains pays et certaines circonstances, comme nous l’avons vu plus haut : c’est d’après ces traits de dissemblance que Gesner en a fait deux espèces diverses, et que je me suis cru fondé à les distinguer par des noms différents.

Les sonneurs ont le vol très élevé et vont presque toujours par troupes[2] ; ils cherchent souvent leur nourriture dans les prés et dans les lieux marécageux, et ils nichent toujours au haut des vieilles tours abandonnées, ou dans des fentes de rochers escarpés et inaccessibles, comme s’ils sentaient que leurs petits sont un mets délicat et recherché, et qu’ils voulussent les mettre hors de la portée des hommes ; mais il se trouve toujours des hommes qui ont assez de courage ou de mépris d’eux-mêmes pour exposer leur vie par l’appât du plus vil intérêt ; et l’on en voit beaucoup dans la saison, qui, pour dénicher ces petits oiseaux, se hasardent à se laisser couler le long d’une corde fixée au haut des rochers où sont les nids, et qui, suspendus ainsi au-dessus des précipices, font la plus vaine et la plus périlleuse de toutes les récoltes.

Les femelles pondent deux ou trois œufs par couvée, et ceux qui cherchent leurs petits laissent ordinairement un jeune oiseau dans chaque nid, afin de s’assurer de leur retour pour l’année suivante. Lorsqu’on enlève la couvée, les père et mère jettent un cri, ka-ka, kæ-kæ ; le reste du temps ils se font rarement entendre. Les jeunes se privent assez facilement, et d’autant plus facilement qu’on les a pris plus jeunes et avant qu’ils fussent en état de voler.

Ils arrivent dans le pays de Zurich vers le commencement d’avril, en même temps que les cigognes ; on recherche leurs nids aux environs de la Pentecôte, et ils s’en vont au mois de juin avant tous les autres oiseaux[3]. Je ne sais pourquoi M. Barrère en a fait une espèce de courlis.

Le sonneur se trouve sur les Alpes et sur les hautes montagnes d’Italie, de Styrie, de Suisse, de Bavière, et sur les hauts rochers qui bordent le Danube, aux environs de Passau et de Kelheym. Ces oiseaux choisissent pour leur retraite certaines gorges bien exposées entre ces rochers, d’où leur est venu le nom de klauss-rapen, corbeaux des gorges.


Notes de Buffon
  1. Klein, Ordo avium, p. 111, no xvi.
  2. Je sais que M. Klein fait du sonneur un oiseau solitaire, mais c’est contre le témoignage formel de Gesner, qui paraît être le seul auteur qui ait parlé de cet oiseau d’après sa propre observation, et que M. Klein copie lui-même dans tout le reste, sans le savoir, en copiant Albin.
  3. Voyez Gesner, de Avibus, p. 351.
Notes de l’éditeur
  1. Cuvier dit du Coracias de Buffon : « On ne sait quelle combinaison de l’histoire du Crave d’Europe avec des figures défectueuses, peut-être de quelque courlis, a donné naissance à l’espèce imaginaire du Crave huppé ou sonneur (Corvus eremita Linn.), prétendu oiseau de Suisse que personne n’a vu depuis Gesner. »