Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le coq

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 286-323).

LE COQ


Cet oiseau[NdÉ 1], quoique domestique, quoique le plus commun de tous, n’est peut-être pas encore assez connu : excepté le petit nombre de personnes qui font une étude particulière des productions de la nature, il en est peu qui n’aient quelque chose à apprendre sur les détails de sa forme extérieure, sur la structure de ses parties internes, sur ses habitudes naturelles ou acquises, sur les différences qu’entraînent celles du sexe, du climat, des aliments ; enfin, sur les variétés des races diverses qui se sont séparées plus tôt ou plus tard de la souche primitive.

Mais si le coq est trop peu connu de la plupart des hommes, il n’est pas moins embarrassant pour un naturaliste à méthode, qui ne croit connaître un objet que lorsqu’il a su lui trouver une place dans ses classes et dans ses genres ; car si, prenant les caractères généraux de ses divisions méthodiques dans le nombre des doigts, il le met au rang des oiseaux qui en ont quatre, que fera-t-il de la poule à cinq doigts qui est certainement une poule, et même fort ancienne, puisqu’elle remonte jusqu’au temps de Columelle, qui en parle comme d’une race de distinction[1] ? Que s’il fait du coq une classe à part, caractérisée par la forme singulière de sa queue, où placera-t-il le coq sans croupion et par conséquent sans queue, et qui n’en est pas moins un coq ? Que s’il admet pour caractère de cette espèce d’avoir les jambes garnies de plumes jusqu’au talon, ne sera-t-il pas embarrassé du coq pattu qui a des plumes jusqu’à l’origine des doigts, et du coq du Japon qui en a jusqu’aux ongles[NdÉ 2] ? Enfin, s’il veut ranger les gallinacés à la classe des granivores, et que, dans le nombre et la structure de leurs estomacs et de leurs intestins il croie voir clairement qu’ils sont en effet destinés à se nourrir de graines et d’autres matières végétales, comment s’expliquera-t-il à lui-même cet appétit de préférence qu’ils montrent constamment pour les vers de terre, et même pour toute chair hachée, cuite ou crue, à moins qu’il ne se persuade que la nature, ayant fait la poule granivore par ses longs intestins et son double estomac, l’a faite aussi vermivore, et même carnivore par son bec un tant soit peu crochu ; ou plutôt ne conviendra-t-il pas, s’il est de bonne foi, que les conjectures que l’on se permet ainsi sur les intentions de la nature, et les efforts que l’on tente pour renfermer l’inépuisable variété de ses ouvrages dans les limites étroites d’une méthode particulière, ne paraissent être faits que pour donner essor aux idées vagues et aux petites spéculations d’un esprit qui ne peut en concevoir de grandes, et qui s’éloigne d’autant plus de la vraie marche de la nature et de la connaissance réelle de ses productions ? Ainsi, sans prétendre assujettir la nombreuse famille des oiseaux à une méthode rigoureuse, ni la renfermer tout entière dans cette espèce de filet scientifique dont, malgré toutes nos précautions, il s’en échapperait toujours quelques-uns, nous nous contenterons de rapprocher ceux qui nous paraîtront avoir plus de rapport entre eux, et nous tâcherons de les faire connaître par les traits les plus caractérisés de leur conformation intérieure, et surtout par les principaux faits de leur histoire.

Le coq est un oiseau pesant, dont la démarche est grave et lente, et qui ayant les ailes fort courtes, ne vole que rarement, et quelquefois avec des cris qui expriment l’effort ; il chante indifféremment la nuit et le jour, mais non pas régulièrement à certaines heures, et son chant est fort différent de celui de sa femelle, quoiqu’il y ait aussi quelques femelles qui ont le même cri du coq, c’est-à-dire qui font le même effort du gosier avec un moindre effet ; car leur voix n’est pas si forte et ce cri n’est pas si bien articulé ; il gratte la terre pour chercher sa nourriture, il avale autant de petits cailloux que de grains, et n’en digère que mieux ; il boit en prenant de l’eau dans son bec et levant la tête à chaque fois pour l’avaler ; il dort le plus souvent un pied en l’air[2] et en cachant sa tête sous l’aile du même côté ; son corps, dans sa situation naturelle, se soutient à peu près parallèle au plan de position, le bec de même, le cou s’élève verticalement, le front est orné d’une crête rouge et charnue, et le dessous du bec d’une double membrane de même couleur et de même nature : ce n’est cependant ni de la chair ni des membranes, mais une substance particulière, et qui ne ressemble à aucune autre.

Dans les deux sexes, les narines sont placées de part et d’autre du bec supérieur, et les oreilles de chaque côté de la tête, avec une peau blanche au-dessous de chaque oreille ; les pieds ont ordinairement quatre doigts, quelquefois cinq, mais toujours trois en avant et le reste en arrière ; les plumes sortent deux à deux de chaque tuyau, caractère assez singulier, qui n’a été saisi que par très peu de naturalistes ; la queue est à peu près droite, et néanmoins capable de s’incliner du côté du cou et du côté opposé ; cette queue, dans les races de gallinacés qui en ont une, est composée de quatorze grandes plumes qui se partagent en deux plans égaux, inclinés l’un à l’autre, et qui se rencontrent par leur bord supérieur sous un angle plus ou moins aigu ; mais ce qui distingue le mâle, c’est que les deux plumes du milieu de la queue sont beaucoup plus longues que les autres, et se recourbent en arc ; que les plumes du cou et du croupion sont longues et étroites, et que leurs pieds sont armés d’éperons ; il est vrai qu’il se trouve aussi des poules qui ont des éperons, mais cela est rare, et les poules ainsi éperonnées ont beaucoup d’autres rapports avec le mâle ; leur crête se relève ainsi que leur queue, elles imitent le chant du coq et cherchent à l’imiter en choses plus essentielles[3] ; mais on aurait tort de les regarder pour cela comme hermaphrodites, puisque étant incapables des véritables fonctions du mâle, et n’ayant que du dégoût pour celles qui leur conviendraient mieux, ce sont, à vrai dire, des individus viciés, indécis, privés de l’usage du sexe et même des attributs essentiels de l’espèce, puisqu’ils ne peuvent en perpétuer aucune.

Un bon coq est celui qui a du feu dans les yeux, de la fierté dans la démarche, de la liberté dans ses mouvements, et toutes les proportions qui annoncent la force ; un coq, ainsi fait, n’imprimerait pas la terreur à un lion, comme on l’a dit et écrit tant de fois, mais il inspirera de l’amour à un grand nombre de poules ; si on veut le ménager, on ne lui en laissera que douze ou quinze. Columelle voulait qu’on ne lui en donnât pas plus de cinq ; mais quand il en aurait cinquante chaque jour, on prétend qu’il ne manquerait à aucune[4] ; à la vérité, personne ne peut assurer que toutes ses approches soient réelles, efficaces et capables de féconder les œufs de sa femelle. Ses désirs ne sont pas moins impétueux que ses besoins paraissent être fréquents. Le matin, lorsqu’on lui ouvre la porte du poulailler où il a été renfermé pendant la nuit, le premier usage qu’il fait de sa liberté est de se joindre à ses poules ; il semble que chez lui le besoin de manger ne soit que le second ; et lorsqu’il a été privé de poules pendant du temps, il s’adresse à la première femelle qui se présente, fût-elle d’une espèce fort éloignée[5], et même il s’en fait une du premier mâle qu’il trouve en son chemin ; le premier fait est cité par Aristote, et le second est attesté par l’observation de M. Edwards[6], et par une loi dont parle Plutarque[7], laquelle condamnait au feu tout coq convaincu de cet excès de nature.

Les poules doivent être assorties au coq, si l’on veut une race pure ; mais si l’on cherche à varier et même à perfectionner l’espèce, il faut croiser les races. Cette observation n’avait point échappé aux anciens : Columelle dit positivement que les meilleurs poulets sont ceux qui proviennent du mélange d’un coq de race étrangère avec les poules communes ; et nous voyons dans Athénée que l’on avait encore enchéri sur cette idée en donnant un coq faisan aux poules ordinaires[8][NdÉ 3].

Dans tous les cas, on doit choisir celles qui ont l’œil éveillé, la crête flottante et rouge, et qui n’ont point d’éperons ; les proportions de leur corps sont en général plus légères que celles du mâle, cependant elles ont les plumes plus larges et les jambes plus basses ; les bonnes fermières donnent la préférence aux poules noires, comme étant plus fécondes que les blanches, et pouvant échapper plus facilement à la vue perçante de l’oiseau de proie qui plane sur les basses-cours.

Le coq a beaucoup de soin, et même d’inquiétude et de souci pour ses poules ; il ne les perd guère de vue, il les conduit, les défend, les menace, va chercher celles qui s’écartent, les ramène, et ne se livre au plaisir de manger que lorsqu’il les voit toutes manger autour de lui : à juger par les différentes inflexions de sa voix et par les différentes expressions de sa mine, on ne peut guère douter qu’il ne leur parle différents langages ; quand il les perd, il donne des signes de regrets ; quoique aussi jaloux qu’amoureux, il n’en maltraite aucune, sa jalousie ne l’irrite que contre ses concurrents ; s’il se présente un autre coq, sans lui donner le temps de rien entreprendre, il accourt l’œil en feu, les plumes hérissées, se jette sur son rival, et lui livre un combat opiniâtre jusqu’à ce que l’un ou l’autre succombe, ou que le nouveau venu lui cède le champ de bataille ; le désir de jouir, toujours trop violent, le porte non seulement à écarter tout rival, mais même tout obstacle innocent ; il bat et tue quelquefois les poussins pour jouir plus à son aise de la mère ; mais ce seul désir est-il la cause de sa fureur jalouse ? Au milieu d’un sérail nombreux et avec toutes les ressources qu’il sait se faire, comment pourrait-il craindre le besoin ou la disette ? Quelque véhéments que soient ses appétits, il semble craindre encore plus le partage qu’il ne désire la jouissance : et comme il peut beaucoup, sa jalousie est au moins plus excusable et mieux sentie que celle des autres sultans : d’ailleurs, il a, comme eux, une poule favorite qu’il cherche de préférence, et à laquelle il revient presque aussi souvent qu’il va vers les autres.

Et ce qui paraît prouver que sa jalousie ne laisse pas d’être une passion réfléchie, quoiqu’elle ne porte pas contre l’objet de ses amours, c’est que plusieurs coqs dans une basse-cour ne cessent de se battre, au lieu qu’ils ne battent jamais les chapons, à moins que ceux-ci ne prennent l’habitude de suivre quelque poule.

Les hommes, qui tirent parti de tout pour leur amusement, ont bien su mettre en œuvre cette antipathie invincible que la nature a établie entre un coq et un coq ; ils ont cultivé cette haine innée avec tant d’art, que les combats de deux oiseaux de basse-cour sont devenus des spectacles dignes d’intéresser la curiosité des peuples, même des peuples polis, et en même temps des moyens de développer ou entretenir dans les âmes cette précieuse férocité qui est, dit-on, le germe de l’héroïsme ; on a vu, on voit encore tous les jours, dans plus d’une contrée, des hommes de tous états accourir en foule à ces grotesques tournois, se diviser en deux partis, chacun de ces partis s’échauffer pour son combattant, joindre la fureur des gageures les plus outrées à l’intérêt d’un si beau spectacle, et le dernier coup de bec de l’oiseau vainqueur renverser la fortune de plusieurs familles : c’était autrefois la folie des Rhodiens, des Tangriens, de ceux de Pergame[9] ; c’est aujourd’hui celle des Chinois[10], des habitants des Philippines, de Java, de l’isthme de l’Amérique et de quelques autres nations des deux continents[11].

Au reste, les coqs ne sont pas les seuls oiseaux dont on ait ainsi abusé : les Athéniens, qui avaient un jour dans l’année[12] consacré à ces combats de coqs, employaient aussi les cailles au même usage ; et les Chinois élèvent encore aujourd’hui pour le combat certains petits oiseaux ressemblant à des cailles ou à des linottes ; et partout la manière dont ces oiseaux se battent est différente, selon les diverses écoles où ils ont été formés, et selon la diversité des armes offensives ou défensives dont on les affuble : mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que les coqs de Rhodes qui étaient plus grands, plus forts que les autres, et beaucoup plus ardents au combat, l’étaient au contraire beaucoup moins pour leurs femelles ; il ne leur faillait que trois poules au lieu de quinze ou vingt, soit que leur feu se fût éteint dans la solitude forcée où ils avaient coutume de vivre, soit que leur colère, trop souvent excitée, eût étouffé en eux des passions plus douces, et qui cependant étaient, dans l’origine, le principe de leur courage et la source de leurs dispositions guerrières : les mâles de cette race étaient donc moins mâles que les autres, et les femelles, qui souvent ne sont que ce qu’on les fait, étaient moins fécondes et plus paresseuses, soit à couver leurs œufs, soit à mener leurs poussins[NdÉ 4], tant l’art avait bien réussi à dépraver la nature ! tant l’exercice des talents de la guerre est opposé à ceux de la propagation !

Les poules n’ont pas besoin du coq pour produire des œufs : il en naît sans cesse de la grappe commune de l’ovaire, lesquels, indépendamment de toute communication avec le mâle, peuvent y grossir, et en grossissant acquièrent leur maturité, se détachent de leur calice et de leur pédicule, parcourent l’oviductus dans toute sa longueur, chemin faisant s’assimilent par une force qui leur est propre la lymphe dont la cavité de cet oviductus est remplie, en composent leur blanc, leurs membranes, leurs coquilles, et ne restent dans ce viscère que jusqu’à ce que ses fibres élastiques et sensibles étant gênées, irritées par la présence de ces corps devenus désormais des corps étrangers, entrent en contraction, et les poussent au dehors le gros bout le premier, selon Aristote.

Ces œufs sont tout ce que peut faire la nature prolifique de la femelle, seule et abandonnée à elle-même ; elle produit bien un corps organisé capable d’une sorte de vie, mais non un animal vivant semblable à sa mère, et capable lui-même de produire d’autres animaux semblables à lui ; il faut pour cela le concours du coq et le mélange intime des liqueurs séminales des deux sexes ; mais lorsqu’une fois ce mélange a eu lieu, les effets en sont durables. Harvey a observé que l’œuf d’une poule séparée du coq depuis vingt jours n’était pas moins fécond que ceux qu’elle avait pondus peu après l’accouplement, mais l’embryon qu’il contenait n’était pas plus avancé pour cela, et il ne fallait pas le tenir sous la poule moins de temps qu’aucun autre pour le faire éclore : preuve certaine que la chaleur seule ne suffit pas pour opérer ou avancer le développement du poulet, mais qu’il faut encore que l’œuf soit formé, ou bien qu’il se trouve en lieu où il puisse transpirer, pour que l’embryon qu’il renferme soit susceptible d’incubation, autrement tous les œufs qui resteraient dans l’oviductus vingt et un jours après avoir été fécondés ne manqueraient pas d’y éclore, puisqu’ils auraient le temps et la chaleur nécessaires pour cela, et les poules seraient tantôt ovipares et tantôt vivipares[13].

Le poids moyen d’un œuf de poule ordinaire est d’environ une once six gros : si on ouvre un de ces œufs avec précaution on trouvera d’abord, sous la coque, une membrane commune qui en tapisse toute la cavité, ensuite le blanc externe qui a la forme de cette cavité ; puis le blanc interne qui est plus arrondi que le précédent, et enfin, au centre de ce blanc, le jaune qui est sphérique : ces différentes parties sont contenues chacune dans sa membrane propre, et toutes ces membranes sont attachées ensemble à l’endroit de ces chalazæ ou cordons, qui forment comme les deux pôles du jaune ; la petite vésicule lenticulaire, appelée cicatricule, se trouve à peu près sur son équateur, et fixée solidement à sa surface[14].

À l’égard de sa forme extérieure, elle est trop connue pour qu’il soit besoin de la décrire ; mais elle est assez souvent altérée par des accidents dont il est facile, ce me semble, de rendre raison, d’après l’histoire de l’œuf même et de sa formation.

Il n’est pas rare de trouver deux jaunes dans une seule coque : cela arrive lorsque deux œufs également mûrs se détachent en même temps de l’ovaire, parcourent ensemble l’oviductus et, formant leur blanc sans se séparer, se trouvent réunis sous la même enveloppe.

Si, par quelque accident facile à supposer, un œuf détaché depuis quelque temps de l’ovaire se trouve arrêté dans son accroissement, et qu’étant formé autant qu’il peut l’être, il se rencontre dans la sphère d’activité d’un autre œuf qui aura toute sa force, celui-ci l’entraînera avec lui, et ce sera un œuf dans un œuf[15].

On comprendra de même comment on y trouve quelquefois une épingle ou tout autre corps étranger qui aura pu pénétrer jusque dans l’oviductus[16].

Il y a des poules qui donnent des œufs hardés ou sans coque, soit par le défaut de la matière propre dont se forme la coque, soit parce qu’ils sont chassés de l’oviductus avant leur entière maturité ; aussi n’en voit-on jamais éclore de poulet, et cela arrive, dit-on, aux poules qui sont trop grasses : des causes directement contraires produisent les œufs à coque trop épaisse, et même des œufs à double coque ; on en a vu qui avaient conservé le pédicule par lequel ils étaient attachés à l’ovaire, d’autres qui étaient contournes en manière de croissant, d’autres qui avaient la forme d’une poire ; d’autres, enfin, qui portaient sur leur coquille l’empreinte d’un soleil, d’une comète[17], d’une éclipse ou de tel autre objet dont on avait l’imagination frappée : on en a même vu quelques-uns de lumineux : ce qu’il y avait de réel dans ces premiers phénomènes, c’est-à-dire les altérations de la forme de l’œuf, ou les empreintes à sa surface, ne doit s’attribuer qu’aux différentes compressions qu’il avait éprouvées dans le temps que sa coque était encore assez souple pour céder à l’effort et néanmoins assez ferme pour en conserver l’impression : il ne serait pas tout à fait si facile de rendre raison des œufs lumineux[18] ; un docteur allemand en a observé de tels, qui étaient actuellement sous une poule blanche, fécondée, ajoute-t-il, par un coq très ardent. On ne peut honnêtement nier la possibilité du fait ; mais, comme il est unique, il est prudent de répéter l’observation avant de l’expliquer[NdÉ 5].

À l’égard de ces prétendus œufs de coq qui sont sans jaunes et contiennent, à ce que croit le peuple, un serpent[19], ce n’est autre chose, dans la vérité, que le premier produit d’une poule trop jeune, ou le dernier effort d’une poule épuisée par sa fécondité même, ou enfin ce ne sont que des œufs imparfaits dont le jaune aura été crevé dans l’oviductus de la poule, soit par quelque accident, soit par un vice de conformation, mais qui auront toujours conservé leurs cordons ou chalazæ, que les amis du merveilleux n’auront pas manqué de prendre pour un serpent ; c’est ce que M. de la Peyronie a mis hors de doute par la dissection d’une poule qui pondait de ces œufs ; mais ni M. de la Peyronie, ni Thomas Bartholin, qui ont disséqué de prétendus coqs ovipares[20], ne leur ont trouvé d’œufs, ni d’ovaires, ni aucune partie équivalente[NdÉ 6].

Les poules pondent indifféremment pendant toute l’année, excepté pendant la mue, qui dure ordinairement six semaines ou deux mois, sur la fin de l’automne et au commencement de l’hiver : cette mue n’est autre chose que la chute des vieilles plumes qui se détachent comme les vieilles feuilles des arbres, et comme les vieux bois des cerfs, étant poussées par les nouvelles ; les coqs y sont sujets comme les poules : mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que les nouvelles plumes prennent quelquefois une couleur différente de celle des anciennes. Un de nos observateurs a fait cette remarque sur une poule et sur un coq, et tout le monde la peut faire sur plusieurs autres espèces d’oiseaux, et particulièrement sur les bengalis dont le plumage varie presque à chaque mue ; et, en général, presque tous les oiseaux ont leurs premières plumes, en naissant, d’une couleur différente de celle dont elles doivent revenir dans la suite.

La fécondité ordinaire des poules consiste à pondre presque tous les jours : on dit qu’il y en a en Samogitie[21], à Malacca et ailleurs[22], qui pondent deux fois par jour. Aristote parle de certaines poules d’Illyrie qui pondaient jusqu’à trois fois, et il y a apparence que ce sont les mêmes que ces petites poules adriènes ou adriatiques dont il parle dans un autre endroit, et qui étaient renommées pour leur fécondité : quelques-uns ajoutent qu’il y a telle manière de nourrir les poules communes qui leur donne cette fécondité extraordinaire ; la chaleur y contribue beaucoup ; on peut faire pondre les poules en hiver en les tenant dans une écurie où il y a toujours du fumier chaud sur lequel elles puissent séjourner.

Dès qu’un œuf est pondu, il commence à transpirer et perd chaque jour quelques grains de son poids par l’évaporation des parties les plus volatiles de ses sucs ; à mesure que cette opération se fait, ou bien il s’épaissit, se durcit et se dessèche, ou bien il contracte un mauvais goût, et il se gâte enfin totalement au point qu’il devient incapable de rien produire : l’art de lui conserver longtemps toutes ses qualités se réduit à mettre obstacle à cette transpiration[23] par une couche de matière grasse quelconque dont on enduit exactement sa coque peu de moments après qu’il a été pondu ; avec cette seule précaution on gardera pendant plusieurs mois et même pendant des années des œufs bons à manger, susceptibles d’incubation, et qui auront en un mot toutes les propriétés des œufs frais[24] : les habitants de Tonquin les conservent dans une espèce de pâte faite avec de la cendre tamisée et de la saumure ; d’autres Indiens dans l’huile[25] : le vernis peut aussi servir à conserver les œufs que l’on veut manger ; mais la graisse n’est pas moins bonne pour cet usage, et vaut mieux pour conserver les œufs que l’on veut faire couver, parce qu’elle s’enlève plus facilement que le vernis, et qu’il faut nettoyer de tout enduit les œufs dont on veut que l’incubation réussisse ; car tout ce qui nuit à la transpiration nuit aussi au succès de l’incubation[NdÉ 7].

J’ai dit que le concours du coq était nécessaire pour la fécondation des œufs, et c’est un fait acquis par une longue et constante expérience ; mais les détails de cet acte si essentiel dans l’histoire des animaux sont trop peu connus ; on sait, à la vérité, que la verge du mâle est double, et n’est autre chose que les deux mamelons par lesquels se terminent les vaisseaux spermatiques à l’endroit de leur insertion dans le cloaque ; on sait que la vulve de la femelle est placée au-dessus de l’anus, et non au-dessous comme dans les quadrupèdes[26] ; on sait que le coq s’approche de la poule par une espèce de pas oblique, accéléré, baissant les ailes comme un coq d’Inde qui fait la roue, étalant même sa queue à demi, et accompagnant son action d’un certain murmure expressif, d’un mouvement de trépidation et de tous les signes du désir pressant ; on sait qu’il s’élance sur la poule qui le reçoit en pliant les jambes, se mettant ventre à terre, et écartant les deux plans de longues plumes dont sa queue est composée ; on sait que le mâle saisit avec son bec la crête ou les plumes du sommet de la tête de la femelle, soit par manière de caresse, soit pour garder l’équilibre ; qu’il ramène la partie postérieure de son corps où est sa double verge, et l’applique vivement sur la partie postérieure du corps de la poule où est l’orifice correspondant ; que cet accouplement dure d’autant moins qu’il est plus souvent répété, et que le coq semble s’applaudir après par un battement d’ailes et par une espèce de chant de joie ou de victoire ; on sait que le coq a des testicules, que sa liqueur séminale réside, comme celle des quadrupèdes, dans des vaisseaux spermatiques ; on sait, par mes observations, que celle de la poule réside dans la cicatricule de chaque œuf[NdÉ 8], comme celle des femelles quadrupèdes dans le corps glanduleux des testicules[NdÉ 9] ; mais on ignore si la double verge du coq ou seulement l’une des deux pénètre dans l’orifice de la femelle, et même s’il y a intromission réelle ou une compression forte ou un simple contact ; on ne sait pas encore quelle doit être précisément la condition d’un œuf pour qu’il puisse être fécondé, ni jusqu’à quelle distance l’action du mâle peut s’étendre ; en un mot, malgré le nombre infini d’expériences et d’observations que l’on a faites sur ce sujet, on ignore encore quelques-unes des principales circonstances de la fécondation.

Son premier effet connu est la dilatation de la cicatricule et la formation du poulet dans sa cavité, car c’est la cicatricule qui contient le véritable germe, et elle se trouve dans les œufs fécondés ou non, même dans ces prétendus œufs de coq dont j’ai parlé plus haut[27] ; mais elle est plus petite dans les œufs inféconds. Malpighi l’ayant examinée dans des œufs féconds nouvellement pondus, et avant qu’ils eussent été couvés, vit au centre de la cicatricule une bulle nageant dans une liqueur, et reconnut au milieu de cette bulle l’embryon du poulet bien formé, au lieu que la cicatricule des œufs inféconds et produits par la poule seule, sans communication avec le mâle, ne lui présenta qu’un petit globule informe muni d’appendices remplis d’un suc épais, quoique transparent et environné de plusieurs cercles concentriques[28] ; on n’y aperçoit aucune ébauche d’animal : l’organisation intime et complète d’une matière informe n’est que l’effet instantané du mélange des deux liqueurs séminales ; mais s’il ne faut qu’un moment à la nature pour donner la forme première à cette glaire transparente, et pour la pénétrer du principe de vie dans tous ses points, il lui faut beaucoup de temps et de secours pour perfectionner cette première ébauche. Ce sont principalement les mères qu’elle semble avoir chargées du soin de ce développement, en leur inspirant le désir ou le besoin de couver : dans la plupart des poules ce désir se fait sentir aussi vivement, se marque au dehors par des signes aussi énergiques que celui de l’accouplement auquel il succède dans l’ordre de la nature, sans même qu’il soit excité par la présence d’aucun œuf. Une poule qui vient de pondre éprouve une sorte de transport que partagent les autres poules qui n’en sont que témoins, et qu’elles expriment toutes par des cris de joie répétés[29], soit que la cessation subite des douleurs de l’accouchement soit toujours accompagnée d’une joie vive, soit que cette mère prévoie dès lors tous les plaisirs que ce premier plaisir lui prépare. Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle aura pondu vingt-cinq ou trente œufs, elle se mettra tout de bon à les couver : si on les lui ôte à mesure, elle en pondra peut-être deux ou trois fois davantage, et s’épuisera par sa fécondité même ; mais enfin il viendra un temps où, par la force de l’instinct, elle demandera à couver par un gloussement particulier et par des mouvements et des attitudes non équivoques. Si elle n’a pas ses propres œufs, elle couvera ceux d’une autre poule, et, à défaut de ceux-là, ceux d’une femelle d’une autre espèce, et même des œufs de pierre ou de craie ; elle couvera encore après que tout lui aura été enlevé, et elle se consumera en regrets et en vains mouvements[30] : si ses recherches sont heureuses et qu’elle trouve des œufs vrais ou feints dans un lieu retiré et convenable, elle se pose aussitôt dessus, les environne de ses ailes, les échauffe de sa chaleur, les remue doucement les uns après les autres comme pour en jouir plus en détail et leur communiquer à tous un égal degré de chaleur ; elle se livre tellement à cette occupation, qu’elle en oublie le boire et le manger : on dirait qu’elle comprend toute l’importance de la fonction qu’elle exerce, aucun soin n’est omis, aucune précaution n’est oubliée pour achever l’existence de ces petits êtres commencés, et pour écarter les dangers qui les environnent[31]. Ce qu’il y a de plus digne de remarque, c’est que la situation d’une couveuse, quelque insipide qu’elle nous paraisse, est peut-être moins une situation d’ennui qu’un état de jouissance continuelle, d’autant plus délicieuse qu’elle est plus recueillie, tant la nature semble avoir mis d’attraits à tout ce qui a rapport à la multiplication des êtres.

L’effet de l’incubation se borne au développement de l’embryon du poulet, qui, comme nous l’avons déjà dit, existe tout formé dans la cicatricule de l’œuf fécondé : voici à peu près l’ordre dans lequel se fait ce développement, ou plutôt comme il se présente à l’observateur ; et comme j’ai déjà donné dans un assez grand détail tous les faits qui ont rapport au développement du poulet dans l’œuf, je me contenterai d’en rappeler ici les circonstances essentielles.

Des que l’œuf a été couvé pendant cinq ou six heures, on voit déjà distinctement la tête du poulet jointe à l’épine du dos, nageant dans la liqueur, dont la bulle qui est au centre de la cicatricule est remplie : sur la fin du premier jour la tête s’est déjà recourbée en grossissant.

Dès le second jour, on voit les premières ébauches des vertèbres qui sont comme de petits globules disposés des deux côtés du milieu de l’épine ; on voit aussi paraître le commencement des ailes et les vaisseaux ombilicaux, remarquables par leur couleur obscure ; le cou et la poitrine se débrouillent, la tête grossit toujours ; on y aperçoit les premiers linéaments des yeux et trois vésicules entourées, ainsi que l’épine, de membranes transparentes : la vie du fœtus devient plus manifeste ; déjà l’on voit son cœur battre et son sang circuler.

Le troisième jour tout est plus distinct, parce que tout a grossi : ce qu’il y a de plus remarquable, c’est le cœur, qui pend hors de la poitrine et bat trois fois de suite, une fois en recevant par l’oreillette le sang contenu dans les veines, une seconde fois en le renvoyant aux artères, et la troisième fois en le poussant dans les vaisseaux ombilicaux ; et ce mouvement continue encore vingt-quatre heures après que l’embryon a été séparé du blanc de son œuf. On aperçoit aussi des veines et des artères sur les vésicules du cerveau ; les rudiments de la moelle de l’épine commencent à s’étendre le long des vertèbres ; enfin on voit tout le corps du fœtus comme enveloppé d’une partie de la liqueur environnante, qui a pris plus de consistance que le reste.

Les yeux sont déjà fort avancés le quatrième jour ; on y reconnaît fort bien la prunelle, le cristallin, l’humeur vitrée ; on voit outre cela, dans la tête, cinq vésicules remplies d’humeur, lesquelles, se rapprochant et se recouvrant peu à peu les jours suivants, formeront enfin le cerveau, enveloppé de toutes ses membranes ; les ailes croissent, les cuisses commencent à paraître et le corps à prendre de la chair.

Les progrès du cinquième jour consistent, outre ce qui vient d’être dit, en ce que le corps se recouvre d’une chair onctueuse ; que le cœur est retenu au dedans par une membrane fort mince qui s’étend sur la capacité de la poitrine, et que l’on voit les vaisseaux ombilicaux sortir de l’abdomen[32].

Le sixième jour, la moelle de l’épine, s’étant divisée en deux parties, continue de s’avancer le long du tronc ; le foie, qui était blanchâtre auparavant, est devenu de couleur obscure, le cœur bat dans ses deux ventricules, le corps du poulet est recouvert de la peau, et sur cette peau l’on voit déjà poindre les plumes.

Le bec est facile à distinguer le septième jour ; le cerveau, les ailes, les cuisses et les pieds ont acquis leur figure parfaite ; les deux ventricules du cœur paraissent comme deux bulles contiguës et réunies par leur partie supérieure avec le corps des oreillettes : on remarque deux mouvements successifs dans les ventricules aussi bien que dans les oreillettes ; ce sont comme deux cœurs séparés.

Le poumon paraît à la fin du neuvième jour, et sa couleur est blanchâtre ; le dixième jour les muscles des ailes achèvent de se former, les plumes continuent de sortir, et ce n’est que le onzième jour qu’on voit des artères, qui auparavant étaient éloignées du cœur, s’y attacher, et que cet organe se trouve parfaitement conformé et réuni en deux ventricules.

Le reste n’est qu’un développement plus grand des parties, qui se fait jusqu’à ce que le poulet casse sa coquille après avoir pipé, ce qui arrive ordinairement le vingt et unième jour, quelquefois le dix-huitième, d’autres fois le vingt-septième.

Toute cette suite de phénomènes, qui forme un spectacle si intéressant pour un observateur, est l’effet de l’incubation opérée par une poule, et l’industrie humaine n’a pas trouvé qu’il fût au-dessous d’elle d’en imiter les procédés : d’abord de simples villageois d’Égypte, et ensuite des physiciens de nos jours, sont venus à bout de faire éclore des œufs aussi bien que la meilleure couveuse, et d’en faire éclore un très grand nombre à la fois ; tout le secret consiste à tenir ces œufs dans une température qui réponde à peu près au degré de la chaleur de la poule, et à les garantir de toute humidité et de toute exhalaison nuisible, telle que celle du charbon, de la braise, même de celle des œufs gâtés : en remplissant ces deux conditions essentielles, et en y joignant l’attention de retourner souvent les œufs et de faire circuler dans le four ou l’étuve les corbeilles qui les contiendront, en sorte que non seulement chaque œuf, mais chaque partie du même œuf participe à peu près également à la chaleur requise, on réussira toujours à faire éclore des milliers de poulets.

Toute chaleur est bonne pour cela ; celle de la mère poule n’a pas plus de privilège que celle de tout autre animal, sans en excepter l’homme[33], ni celle du feu solaire ou terrestre, ni celle d’une couche de tan ou de fumier : le point essentiel est de savoir s’en rendre maître, c’est-à-dire d’être toujours en état de l’augmenter ou de la diminuer à son gré : or il sera toujours possible, au moyen de bons thermomètres distribués avec intelligence dans l’intérieur du four ou de l’étuve, de savoir le degré de chaleur de ses différentes régions ; de la conserver en étoupant les ouvertures et en fermant tous les registres du couvercle, de l’augmenter, soit avec des cendres chaudes, si c’est un four, soit en ajoutant du bois dans le poêle, si c’est une étuve à poêle, soit en faisant des réchauds si c’est une couche, et enfin de la diminuer en ouvrant les registres pour donner accès à l’air extérieur, ou bien en introduisant dans le four un ou plusieurs corps froids, etc.

Au reste, quelque attention que l’on donne à la conduite d’un four d’incubation, il n’est guère possible d’y entretenir constamment et sans interruption le trente-deuxième degré, qui est celui de la poule ; heureusement ce terme n’est point indivisible, et l’on a vu la chaleur varier du trente-huitième au vingt-quatrième degré sans qu’il en résultât d’inconvénient pour la couvée ; mais il faut remarquer qu’ici l’excès est beaucoup plus à craindre que le défaut, et que quelques heures du trente-huitième et même du trente-sixième degré feraient plus de mal que quelques jours du vingt-quatrième ; et la preuve que cette quantité de moindre chaleur peut encore être diminuée sans inconvénient, c’est qu’ayant trouvé, dans une prairie qu’on fauchait, le nid d’une perdrix, et ayant gardé et tenu à l’ombre les œufs pendant trente-six heures qu’on ne put trouver de poule pour les couver, ils éclôrent néanmoins tous au bout de trois jours, excepté ceux qui avaient été ouverts pour voir où en étaient les perdreaux ; à la vérité, ils étaient très avancés, et sans doute il faut un degré de chaleur plus fort dans les commencements de l’incubation que sur la fin de ce même temps, où la chaleur du petit oiseau suffit presque seule à son développement.

À l’égard de son humidité, comme elle est fort contraire au succès de l’incubation, il faut avoir des moyens sûrs pour reconnaître si elle a pénétré dans le four, pour la dissiper lorsqu’elle y a pénétré et pour empêcher qu’il n’en vienne de nouvelle.

L’hygromètre le plus simple et le plus approprié pour juger de l’humidité de l’air de ces sortes de fours, c’est un œuf froid qu’on y introduit et qu’on y tient pendant quelque temps, lorsque le juste degré de chaleur y est établi ; si, au bout d’un demi-quart d’heure au plus, cet œuf se couvre d’un nuage léger, semblable à celui que l’haleine produit sur une glace polie, ou bien à celui qui se forme l’été sur la surface extérieure d’un verre où l’on verse des liqueurs à la glace, c’est une preuve que l’air du four est trop humide, et il l’est d’autant plus que ce nuage est plus longtemps à se dissiper, ce qui arrive principalement dans les fours à tan et à fumier, que l’on a voulu renfermer en un lieu clos : le meilleur remède à cet inconvénient est de renouveler l’air de ces endroits fermés, en y établissant plusieurs courants par le moyen des fenêtres opposées, et, à défaut de fenêtre, en y plaçant et agitant un ventilateur proportionné à l’espace. Quelquefois la seule transpiration du grand nombre d’œufs produit dans le four même une humidité trop grande et, dans ce cas, il faut, tous les deux ou trois jours, retirer pour quelques instants les corbeilles d’œufs hors du four, et l’éventer simplement avec un chapeau qu’on y agitera en différents sens.

Mais ce n’est pas assez de dissiper l’humidité qui s’est accumulée dans les fours, il faut encore, autant qu’il est possible, lui interdire tout accès par dehors, en revêtissant leurs parois extérieures de plomb laminé ou de bon ciment, ou de plâtre, ou de goudron bien cuit, ou du moins en leur donnant plusieurs couches à l’huile qu’on laissera bien sécher, et en collant sur leurs parois intérieures des bandes de vessies ou de fort papier gris.

C’est à ce peu de pratiques aisées que se réduit tout l’art de l’incubation artificielle, et il faut y assujettir la structure et les dimensions des fours ou étuves, le nombre, la forme et la distribution des corbeilles, et toutes les petites manœuvres que la circonstance prescrit, que le moment inspire, et qui nous ont été détaillées avec une immensité de paroles, et que nous réduirons ici dans quelques lignes, sans cependant rien omettre[34].

Le four le plus simple est un tonneau revêtu par dedans de papier collé, bouché par le haut d’un couvercle qui l’emboîte, lequel est percé dans son milieu d’une grande ouverture fermant à coulisse, pour regarder dans le four et de plusieurs autres petites autour de celle-là servant de registre pour le ménagement de la chaleur, et fermant aussi à coulisse : on noie ce tonneau plus qu’aux trois quarts de sa hauteur dans du fumier chaud ; on place dans son intérieur, les unes au-dessus des autres et à de justes intervalles, deux ou trois corbeilles à claire-voie, dans chacune desquelles on arrange deux couches d’œufs, en observant que la couche supérieure soit moins fournie que l’inférieure, afin que l’on puisse aussi avoir l’œil sur celle-ci ; on ménage, si l’on veut, une ouverture dans le centre de chaque corbeille, et dans l’espèce de petit puits formé par la rencontre de ces ouvertures, qui répondent toutes à l’axe du tonneau, on y suspend un thermomètre bien gradué ; on en place d’autres en différents points de la circonférence, on entretient partout la chaleur au degré requis, et on a des poulets.

On peut aussi, en économisant la chaleur et tirant parti de celle qu’ordinairement on laisse perdre, employer à l’incubation artificielle celle des fours de pâtissiers et de boulangers, celle des forges et des verreries, celle même d’un poêle ou d’une plaque de cheminée, en se souvenant toujours que le succès de la couvée est attaché principalement à une juste distribution de la chaleur, et à l’exclusion de toute humidité.

Lorsque les fournées sont considérables et qu’elles vont bien, elles produisent des milliers de poulets à la fois ; et cette abondance même ne serait pas sans inconvénient dans un climat comme le nôtre, si l’on n’eût trouvé moyen de se passer de poule pour élever les poulets, comme on savait s’en passer pour les faire éclore ; et ces moyens se réduisent à une imitation plus ou moins parfaite des procédés de la poule lorsque ses poussins sont éclos[NdÉ 10].

On juge bien que cette mère qui a montré tant d’ardeur pour couver, qui a couvé avec tant d’assiduité, qui a soigné avec tant d’intérêt des embryons qui n’existaient point encore pour elle, ne se refroidit pas lorsque ses poussins sont éclos ; son attachement, fortifié par la vue de ces petits êtres qui lui doivent la naissance, s’accroît encore tous les jours par les nouveaux soins qu’exige leur faiblesse : sans cesse occupée d’eux, elle ne cherche de la nourriture que pour eux ; si elle n’en trouve point, elle gratte la terre avec ses ongles pour lui arracher les aliments qu’elle recèle dans son sein, et elle s’en prive en leur faveur ; elle les rappelle lorsqu’ils s’égarent, les met sous ses ailes à l’abri des intempéries et les couve une seconde fois ; elle se livre à ces tendres soins avec tant d’ardeur et de souci que sa constitution en est sensiblement altérée, et qu’il est facile de distinguer de toute autre poule une mère qui mène ses petits, soit à ses plumes hérissées et à ses ailes traînantes, soit au son enroué de sa voix et à ses différentes inflexions toutes expressives, et ayant toutes une forte empreinte de sollicitude et d’affection maternelle.

Mais si elle s’oublie elle-même pour conserver ses petits, elle s’expose à tout pour les défendre : paraît-il un épervier dans l’air, cette mère si faible, si timide, et qui en toute autre circonstance chercherait son salut dans la fuite, devient intrépide par tendresse, elle s’élance au-devant de la serre redoutable, et par ses cris redoublés, ses battements d’ailes et son audace, elle en impose souvent à l’oiseau carnassier, qui, rebuté d’une résistance imprévue, s’éloigne et va chercher une proie plus facile ; elle paraît avoir toutes les qualités du bon cœur, mais, ce qui ne fait pas autant d’honneur au surplus de son instinct, c’est que si par hasard on lui a donné à couver des œufs de cane ou de tout autre oiseau de rivière, son affection n’est pas moindre pour ces étrangers qu’elle le serait pour ses propres poussins ; elle ne voit pas qu’elle n’est que leur nourrice ou leur bonne et non pas leur mère, et lorsqu’ils vont, guidés par la nature, s’ébattre ou se plonger dans la rivière voisine, c’est un spectacle singulier de voir la surprise, les inquiétudes, les transes de cette pauvre nourrice qui se croit encore mère, et qui, pressée du désir de les suivre au milieu des eaux, mais retenue par une répugnance invincible pour cet élément, s’agite incertaine sur le rivage, tremble et se désole, voyant toute sa couvée dans un péril évident, sans oser lui donner de secours.

Il serait impossible de suppléer à tous les soins de la poule pour élever ses petits, si ces soins supposaient nécessairement un degré d’attention et d’affection égal à celui de la mère elle-même ; il suffit, pour réussir, de remarquer les principales circonstances de la conduite de la poule et ses procédés à l’égard de ses petits, et de les imiter autant qu’il est possible. Par exemple, ayant observé que le principal but des soins de la mère est de conduire ses poussins dans des lieux où ils puissent trouver à se nourrir, et de les garantir du froid et de toutes les injures de l’air, on a imaginé le moyen de leur procurer tout cela, avec encore plus d’avantage que la mère ne peut le faire. S’ils naissent en hiver, on les tient pendant un mois ou six semaines dans une étuve échauffée au même degré que les fours d’incubation ; seulement on les en tire cinq ou six fois par jour pour leur donner à manger au grand air, et surtout au soleil ; la chaleur de l’étuve favorise leur développement, l’air extérieur les fortifie et ils prospèrent : de la mie de pain, des jaunes d’œufs, de la soupe, du millet sont leur première nourriture ; si c’est en été, on ne les tient dans l’étuve que trois ou quatre jours, et dans tous les temps on ne les tire de l’étuve que pour les faire passer dans la poussinière. C’est une espèce de cage carrée, fermée par devant d’un grillage en fil de fer ou d’un simple filet, et par-dessus d’un couvercle à charnière ; c’est dans cette cage que les poussins trouvent à manger ; mais lorsqu’ils ont mangé et couru suffisamment, il leur faut un abri où ils puissent se réchauffer et se reposer, et c’est pour cela que les poulets qui sont menés par une mère ont coutume de se rassembler alors sous ses ailes. M. de Réaumur a imaginé pour ce même usage une mère artificielle : c’est une boîte doublée de peau de mouton dont la base est carrée et le dessus incliné comme le dessus d’un pupitre ; il place cette boîte à l’un des bouts de sa poussinière, de manière que les poulets puissent y entrer de plain-pied et en faire le tour au moins de trois côtés, et il l’échauffe par dessous au moyen d’une chaufferette qu’on renouvelle selon le besoin ; l’inclinaison du couvercle de cette espèce de pupitre offre des hauteurs différentes pour les poulets de différentes tailles ; mais comme ils ont coutume, surtout lorsqu’ils ont froid, de se presser et même de s’entasser en montant les uns sur les autres, et que dans cette foule les petits et les faibles courent risque d’être étouffés, on tient cette boîte ou mère artificielle ouverte par les deux bouts, ou plutôt on ne la ferme aux deux bouts que par un rideau que le plus petit poulet puisse soulever facilement, afin qu’il ait toujours la facilité de sortir lorsqu’il se sent trop pressé ; après quoi il peut, en faisant le tour, revenir par l’autre bout et choisir une place moins dangereuse. M. de Réaumur tâche encore de prévenir ce même inconvénient par une autre précaution, c’est de tenir le couvercle de la mère artificielle incliné assez bas pour que les poulets ne puissent pas monter les uns sur les autres ; et à mesure que les poulets croissent, il élève le couvercle, en ajoutant sur le côté de la boîte des hausses proportionnées. Il renchérit encore sur tout cela en divisant ses plus grandes poussinières en deux par une cloison transversale, afin de pouvoir séparer les poulets de différentes grandeurs ; il les fait mettre aussi sur des roulettes pour la facilité du transport, car il faut absolument les rentrer dans la chambre toutes les nuits, et même pendant le jour lorsque le temps est rude ; et il faut que cette chambre soit échauffée en temps d’hiver : mais, au reste, il est bon, dans les temps qui ne sont ni froids ni pluvieux, d’exposer les poussinières au grand air et au soleil, avec la seule précaution de les garantir du vent ; on peut même en tenir les portes ouvertes, les poulets apprendront bientôt à sortir pour aller gratter le fumier ou becqueter l’herbe tendre, et à rentrer pour prendre leur repas ou s’échauffer sous la mère artificielle. Si l’on ne veut pas courir le risque de les laisser ainsi vaguer en liberté, on ajoute au bout de la poussinière une cage à poulets ordinaire qui, communiquant avec la première, leur fournira un plus grand espace pour s’ébattre et une promenade close où ils seront en sûreté.

Mais plus on les tient en captivité, plus il faut être exact à leur fournir une nourriture qui leur convienne : outre le millet, les jaunes d’œufs, la soupe et la mie de pain, les jeunes poulets aiment aussi la navette, le chènevis et autres menus grains de ce genre, les pois, les fèves, les lentilles, le riz, l’orge et l’avoine mondés, le turquis écrasé et le blé noir. Il convient, et c’est même une économie, de faire crever dans l’eau bouillante la plupart de ces graines avant de les leur donner ; cette économie va à un cinquième sur le froment, à deux cinquièmes sur l’orge, à une moitié sur le turquis, à rien sur l’avoine et le blé noir ; il y aurait de la perte à faire crever le seigle, mais c’est de toutes ces graines celle que les poulets aiment le moins. Enfin on peut leur donner, à mesure qu’ils deviennent grands, de tout ce que nous mangeons nous-mêmes, excepté les amandes amères[35] et les grains de café[36] ; toute viande hachée, cuite ou crue, leur est bonne, surtout les vers de terre ; c’est le mets dont ces oiseaux, qu’on croit si peu carnassiers, paraissent être le plus friands, et peut-être ne leur manque-t-il, comme à bien d’autres, qu’un bec crochu et des serres pour être de véritables oiseaux de proie.

Cependant il faut avouer qu’ils ne diffèrent pas moins des oiseaux de proie par la façon de digérer et par la structure de l’estomac que par le bec et par les ongles : l’estomac de ceux-ci est membraneux, et leur digestion s’opère par le moyen d’un dissolvant qui varie dans les différentes espèces, mais dont l’action est bien constatée[37] ; au lieu que les gallinacés peuvent être regardés comme ayant trois estomacs, savoir : 1o le jabot, qui est une espèce de poche membraneuse, où les grains sont d’abord macérés et commencent à se ramollir ; 2o la partie la plus évasée du canal intermédiaire entre le jabot et le gésier, et la plus voisine de celui-ci ; elle est tapissée d’une quantité de petites glandes qui fournissent un suc dont les aliments peuvent aussi se pénétrer à leur passage ; 3o enfin, le gésier qui fournit un suc manifestement acide, puisque de l’eau, dans laquelle on a broyé sa membrane interne, devient une bonne présure pour faire cailler les crèmes ; c’est ce troisième estomac qui achève, par l’action puissante de ses muscles, la digestion qui n’avait été que préparée dans les deux premiers. La force de ses muscles est plus grande qu’on ne le croirait ; en moins de quatre heures elle réduit en poudre impalpable une boule d’un verre assez épais pour porter un poids d’environ quatre livres ; en quarante-huit heures elle divise longitudinalement, en deux espèces de gouttières, plusieurs tubes de verre de quatre lignes de diamètre et d’une ligne d’épaisseur, dont, au bout de ce temps, toutes les parties aiguës et tranchantes se trouvent émoussées et le poli détruit, surtout celui de la partie convexe ; elle est aussi capable d’aplatir des tubes de fer-blanc, et de broyer jusqu’à dix-sept noisettes dans l’espace de vingt-quatre heures, et cela par des compressions multipliées, par une alternative de frottement dont il est difficile de voir la mécanique. M. de Réaumur ayant fait nombre de tentatives pour la découvrir, n’a aperçu qu’une seule fois des mouvements un peu sensibles dans cette partie ; il vit dans un chapon, dont il avait mis le gésier à découvert, des portions de ce viscère se contracter, s’aplatir et se relever ensuite ; il observa des espèces de cordons charnus qui se formaient à sa surface, ou plutôt qui paraissaient s’y former, parce qu’il se faisait entre deux des enfoncements qui les séparaient, et tous ces mouvements semblaient se propager comme par ondes et très lentement.

Ce qui prouve que, dans les gallinacés, la digestion se fait principalement par l’action des muscles du gésier[NdÉ 11], et non par celle d’un dissolvant quelconque, c’est que, si l’on fait avaler à l’un de ces oiseaux un petit tube de plomb ouvert par les deux bouts, mais assez épais pour n’être point aplati par l’effort du gésier, et dans lequel on aura introduit un grain d’orge, le tube de plomb aura perdu sensiblement de son poids dans l’espace de deux jours, et le grain d’orge qu’il renferme, fût-il cuit et même mondé, se retrouvera au bout de deux jours un peu renflé, mais aussi peu altéré que si on l’eût laissé pendant le même temps dans tout autre endroit également humide ; au lieu que ce même grain et d’autres beaucoup plus durs, qui ne seraient pas garantis par un tube, seraient digérés en beaucoup moins de temps.

Une chose qui peut aider encore à l’action du gésier, c’est que les oiseaux en tiennent la cavité remplie, autant qu’il est possible, et par là mettent en jeu les quatre muscles dont il est composé : à défaut de grains ils le lestent avec de l’herbe et même avec de petits cailloux, lesquels, par leur dureté et leurs inégalités, sont des instruments propres à broyer les grains avec lesquels ils sont continuellement froissés ; je dis par leurs inégalités, car lorsqu’ils sont polis ils passent fort vite, il n’y a que les raboteux qui restent ; ils abondent d’autant plus dans le gésier qu’il s’y trouve moins d’aliments ; et ils y séjournent beaucoup plus de temps qu’aucune autre matière digestible ou non digestible.

Et l’on se sera point surpris que la membrane intérieure de cet estomac soit assez forte pour résister à la réaction de tant de corps durs sur lesquels elle agit sans relâche, si l’on fait attention que cette membrane est en effet fort épaisse et d’une substance analogue à celle de la corne ; d’ailleurs, ne sait-on pas que les morceaux de bois et les cuirs, dont on se sert pour frotter avec une poudre extrêmement dure les corps auxquels on veut donner le poli, résistent fort longtemps ? On peut encore supposer que cette membrane dure se répare de la même manière que la peau calleuse des mains de ceux qui travaillent à des ouvrages de force.

Au reste, quoique les petites pierres puissent contribuer à la digestion, il n’est pas bien avéré que les oiseaux granivores aient une intention bien décidée en les avalant. Redi ayant renfermé deux chapons avec de l’eau et de ces petites pierres pour toute nourriture, ils burent beaucoup d’eau et moururent, l’un au bout de vingt jours, l’autre au bout de vingt-quatre, et tous deux sans avoir avalé une seule pierre. M. Redi en trouva bien quelques-unes dans leur gésier, mais c’était de celles qu’ils avaient avalées précédemment[38].

Les organes servant à la respiration consistent en un poumon semblable à celui des animaux terrestres, et dix cellules aériennes, dont il y en a huit dans la poitrine qui communiquent immédiatement avec le poumon, et deux plus grandes dans le bas-ventre, qui communiquent avec les huit précédentes ; lorsque dans l’inspiration le thorax est dilaté, l’air entre par le larynx dans le poumon, passe du poumon dans les huit cellules aériennes supérieures, qui attirent aussi, en se dilatant, celui des deux cellules du bas-ventre, et celles-ci s’affaissent à proportion ; lorsque, au contraire, le poumon et les cellules supérieures, s’affaissant dans l’expiration, pressent l’air contenu dans leur cavité, cet air sort en partie par le larynx, et repasse en partie des huit cellules de la poitrine dans les deux cellules du bas-ventre, lesquelles se dilatent alors par une mécanique assez analogue à celle d’un soufflet à deux âmes : mais ce n’est point ici le lieu de développer tous les ressorts de cette mécanique ; il suffira de remarquer que, dans les oiseaux qui ne volent point, comme l’autruche, le casoar, et dans ceux qui volent pesamment, tels que les gallinacés, la quatrième cellule de chaque côté est plus petite[39].

Toutes ces différences d’organisation en entraînent nécessairement beaucoup d’autres, sans parler des hanches membraneuses observées dans quelques oiseaux. M. Duverney a fait voir, sur un coq vivant, que la voix, dans ces oiseaux, ne se formait pas vers le larynx comme dans les quadrupèdes, mais au bas de la trachée-artère, vers la bifurcation[40], où M. Perrault a vu un larynx interne. Outre cela, M. Hérissant a observé dans les principales bronches du poumon des membranes semi-lunaires posées transversalement les unes au-dessus des autres, de façon qu’elles n’occupent que la moitié de la cavité de ces bronches, laissant à l’air un libre cours par l’autre demi-cavité ; et il a jugé, avec raison, que ces membranes devaient concourir à la formation de la voix des oiseaux, mais moins essentiellement encore que la membrane de l’os de la lunette, laquelle termine une cavité assez considérable, qui se trouve au-dessus de la partie supérieure et interne de la poitrine, et qui a aussi quelque communication avec les cellules aériennes supérieures ; cet anatomiste dit s’être assuré, par des expériences réitérées, que, lorsque cette membrane est percée, la voix se perd aussi et que, pour la faire entendre de nouveau, il faut boucher exactement l’ouverture de la membrane, et empêcher que l’air ne puisse sortir[41].

D’après de si grandes différences observées dans l’appareil des organes de la voix, ne paraîtra-t-il pas singulier que les oiseaux, avec leur langue cartilagineuse et leurs lèvres de corne, aient plus de facilité à imiter nos chants et même notre parole, que ceux d’entre les quadrupèdes qui ressemblent le plus à l’homme ? tant il est difficile de juger de l’usage des parties par leur simple structure, et tant il est vrai que la modification de la voix et des sons dépend presque en entier de la sensibilité de l’ouïe !

Le tube intestinal est fort long dans les gallinacés, et surpasse environ cinq fois la longueur de l’animal, prise de l’extrémité du bec jusqu’à l’anus ; on y trouve deux cæcums d’environ six pouces, qui prennent naissance à l’endroit où le colon se joint à l’iléon ; le rectum s’élargit à son extrémité, et forme un réceptacle commun, qu’on a appelé cloaque, où se rendent séparément les excréments solides et liquides, et d’où ils sortent à la fois sans être néanmoins entièrement mêlés. Les parties caractéristiques des sexes s’y trouvent aussi, savoir : dans les poules, la vulve ou l’orifice de l’oviductus ; et, dans les coqs, les deux verges, c’est-à-dire les mamelons des deux vaisseaux spermatiques ; la vulve est placée, comme nous l’avons dit plus haut, au-dessus de l’anus, et par conséquent tout au rebours de ce qu’elle est dans les quadrupèdes.

On savait, dès le temps d’Aristote, que tout oiseau mâle avait des testicules, et qu’ils étaient cachés dans l’intérieur du corps ; on attribuait même à cette situation la véhémence de l’appétit du mâle pour la femelle, qui a, disait-on, moins d’ardeur, parce que l’ovaire est plus près du diaphragme, et par conséquent plus à portée d’être rafraîchi par l’air de la respiration[42] : au reste, les testicules ne sont pas tellement propres au mâle, que l’on n’en trouve aussi dans la femelle de quelques espèces d’oiseaux, comme dans la canepetière et peut-être l’outarde[43][NdÉ 12]. Quelquefois les mâles n’en ont qu’un, mais le plus souvent ils en ont deux ; et il s’en faut beaucoup que la grosseur de ces espèces de glandes soit proportionnée à celle de l’oiseau. L’aigle les a comme des pois, et un poulet de quatre mois les a déjà comme des olives ; en général leur grosseur varie non seulement d’une espèce à l’autre, mais encore dans la même espèce, et n’est jamais plus remarquable que dans le temps des amours. Au reste, quelque peu considérable qu’en soit le volume, ils jouent un grand rôle dans l’économie animale, et cela se voit clairement par les changements qui arrivent à la suite de leur extirpation. Cette opération se fait communément aux poulets qui ont trois ou quatre mois ; celui qui la subit prend désormais plus de chair, et sa chair, qui devient plus succulente et plus délicate, donne au chimiste des produits différents de ceux qu’elle eût donnés avant la castration[44] ; il n’est presque plus sujet à la mue, de même que le cerf, qui est dans le même cas, ne quitte plus son bois ; il n’a plus le même chant, sa voix devient enrouée, et il ne la fait entendre que rarement : traité durement par les coqs, avec dédain par les poules, privé de tous les appétits qui ont rapport à la reproduction, il est non seulement exclu de la société de ses semblables, il est encore, pour ainsi dire, séparé de son espèce ; c’est un être isolé, hors d’œuvre, dont toutes les facultés se replient sur lui-même, et n’ont pour but que sa conservation individuelle ; manger, dormir et s’engraisser, voilà désormais ses principales fonctions et tout ce qu’on peut lui demander. Cependant, avec un peu d’industrie, on peut tirer parti de sa faiblesse même et de sa docilité qui en est la suite, en lui donnant des habitudes utiles, celle, par exemple, de conduire et d’élever les jeunes poulets ; il ne faut pour cela que le tenir pendant quelques jours dans une prison obscure, ne l’en tirant qu’à des heures réglées pour lui donner à manger, et l’accoutumant peu à peu à la vue et à la compagnie de quelques poulets un peu forts ; il prendra bientôt ces poulets en amitié, et les conduira avec autant d’affection et d’assiduité que le ferait leur mère ; il en conduira même plus que la mère, parce qu’il en peut réchauffer sous ses ailes un plus grand nombre à la fois. La mère poule, débarrassée de ce soin, se remettra plus tôt à pondre[45], et de cette manière les chapons, quoique voués à la stérilité, contribueront encore indirectement à la conservation et à la multiplication de leur espèce.

Un si grand changement dans les mœurs du chapon, produit par une cause si petite et si peu suffisante en apparence, est un fait d’autant plus remarquable qu’il est confirmé par un très grand nombre d’expériences que les hommes ont tentées sur d’autres espèces, et qu’ils ont osé étendre jusque sur leurs semblables.

On a fait sur les poulets un essai beaucoup moins cruel, et qui n’est peut-être pas moins intéressant pour la physique : c’est, après leur avoir emporté la crête[46], comme on fait ordinairement, d’y substituer un de leurs éperons naissants, qui ne sont encore que de petits boutons ; ces éperons, ainsi entés, prennent peu à peu racine dans les chairs, en tirent de la nourriture, et croissent souvent plus qu’ils n’eussent fait dans le lieu de leur origine : ou en a vu qui avaient deux pouces et demi de longueur et plus de trois lignes et demie de diamètre à la base ; quelquefois, en croissant, ils se recourbent comme les cornes de bélier, d’autres fois ils se renversent comme celles des boucs[47].

C’est une espèce de greffe animale dont le succès a dû paraître fort douteux la première fois qu’on l’a tentée, et dont il est surprenant qu’on n’ait tiré, depuis qu’elle a réussi, aucune connaissance pratique. En général, les expériences destructives sont plus cultivées, suivies plus vivement que celles qui tendent à la conservation, parce que l’homme aime mieux jouir et consommer, que faire du bien et s’instruire.

Les poulets ne naissent point avec cette crête et ces membranes rougeâtres qui les distinguent des autres oiseaux ; ce n’est qu’un mois après leur naissance que ces parties commencent à se développer : à deux mois les jeunes mâles chantent déjà comme les coqs, et se battent les uns contre les autres ; ils sentent qu’ils doivent se haïr, quoique le fondement de leur haine n’existe pas encore. Ce n’est guère qu’à cinq ou six mois qu’ils commencent à rechercher les poules, et que celles-ci commencent à pondre ; dans les deux sexes, le terme de l’accroissement complet est à un an ou quinze mois ; les jeunes poules pondent plus, à ce qu’on dit, mais les vieilles couvent mieux ; ce temps nécessaire à leur accroissement indiquerait que la durée de leur vie naturelle ne devrait être que de sept ou huit ans, si, dans les oiseaux, cette durée suivait la même proportion que dans les animaux quadrupèdes ; mais nous avons vu qu’elle est beaucoup plus longue : un coq peut vivre jusqu’à vingt ans dans l’état de domesticité, et peut-être trente dans celui de liberté : malheureusement pour eux, nous n’avons nul intérêt de les laisser vivre longtemps ; les poulets et les chapons qui sont destinés à paraître sur nos tables ne passent jamais l’année, et la plupart ne vivent qu’une saison ; les coqs et les poules qu’on emploie à la multiplication de l’espèce sont épuisés assez promptement, et nous ne donnons le temps à aucun de parcourir la période entière de celui qui leur a été assigné par la nature ; en sorte que ce n’est que par des hasards singuliers que l’on a vu des coqs mourir de vieillesse.

Les poules peuvent subsister partout avec la protection de l’homme : aussi sont-elles répandues dans tout le monde habité ; les gens aisés en élèvent en Islande, où elles pondent comme ailleurs[48], et les pays chauds en sont pleins ; mais la Perse est le climat primitif des coqs, selon le docteur Thomas Hyde[49] ; ces oiseaux y sont en abondance et en grande considération, surtout parmi certains dervis, qui les regardent comme des horloges vivantes ; et l’on sait qu’une horloge est l’âme de toute communauté de dervis[NdÉ 13].

Dampier dit qu’il a vu et tué, dans les îles de Poulocondor, des coqs sauvages qui ne surpassaient pas nos corneilles en grosseur, et dont le chant, assez semblable à celui des coqs de nos basses-cours, était seulement plus aigu[50] ; il ajoute ailleurs qu’il y en a dans l’île Timor et à Santiago, l’une des îles du cap Vert[51]. Gemelli Carreri rapporte qu’il en avait aperçu dans les îles Philippines ; et Merolla prétend qu’il y a des poules sauvages au royaume de Congo, qui sont plus belles et de meilleur goût que les poules domestiques, mais que les nègres estiment peu ces sortes d’oiseaux.

De leur climat naturel, quel qu’il soit, ces oiseaux se sont répandus facilement dans le vieux continent, depuis la Chine jusqu’au cap Vert, et depuis l’Océan méridional jusqu’aux mers du nord : ces migrations sont fort anciennes et remontent au delà de toute tradition historique ; mais leur établissement dans le Nouveau-Monde paraît être beaucoup plus récent. L’historien des Incas[52] assure qu’il n’y en avait point au Pérou avant la conquête, et même que les poules ont été plus de trente ans sans pouvoir s’accoutumer à couver dans la vallée de Cusco. Coréal dit positivement que les poules ont été apportées au Brésil par les Espagnols, et que les Brésiliens les connaissaient si peu qu’ils n’en mangeaient d’aucune sorte, et qu’ils regardaient leurs œufs comme une espèce de poison : les habitants de l’île de Saint-Domingue n’en avaient point non plus, selon le témoignage du P. Charlevoix ; et Oviedo donne comme un fait avéré qu’elles ont été transportées d’Europe en Amérique. Il est vrai qu’Acosta avance tout le contraire : il soutient que les poules existaient au Pérou avant l’arrivée des Espagnols ; il en donne pour preuve qu’elles s’appellent dans la langue du pays gualpa, et leurs œufs ponto ; et de l’ancienneté du mot il croit pouvoir conclure celle de la chose, comme s’il n’était pas fort simple de penser que des sauvages, voyant pour la première fois un oiseau étranger, auront songé d’abord à le nommer, soit d’après sa ressemblance avec quelque oiseau de leur pays, soit d’après quelque autre analogie ; mais ce qui doit, ce me semble, faire préférer absolument la première opinion, c’est qu’elle est conforme à la loi du climat ; cette loi, quoiqu’elle ne puisse avoir lieu en général à l’égard des oiseaux, surtout à l’égard de ceux qui ont l’aile forte, et à qui toutes les contrées sont ouvertes, est néanmoins suivie nécessairement par ceux qui, comme la poule, étant pesants et ennemis de l’eau, ne peuvent ni traverser les airs comme les oiseaux qui ont le vol élevé, ni passer les mers ou même les grands fleuves comme les quadrupèdes qui savent nager, et sont par conséquent exclus pour jamais de tout pays séparé du leur par de grands amas d’eau, à moins que l’homme, qui va partout, ne s’avise de les transporter avec lui : ainsi le coq est un animal qui appartient en propre à l’ancien continent, et qu’il faut ajouter à la liste que j’ai donnée de tous les animaux qui n’existaient pas dans le Nouveau-Monde lorsqu’on en a fait la découverte.

À mesure que les poules se sont éloignées de leur pays natal, qu’elles se sont accoutumées à un autre climat, à d’autres aliments, elles ont dû éprouver quelque altération dans leur forme, ou plutôt dans celles de leurs parties qui en étaient le plus susceptibles ; et de là sans doute ces variétés qui constituent les différentes races dont je vais parler, variétés qui se perpétuent constamment dans chaque climat, soit par l’action continuée des mêmes causes qui les ont produites d’abord, soit par l’attention que l’on a d’assortir les individus destinés à la propagation.

Il serait bon de dresser pour le coq, comme je l’ai fait pour le chien, une espèce d’arbre généalogique de toutes ses races, dans lequel on verrait la souche primitive et ses différentes branches, qui représenteraient les divers ordres d’altérations et de changements relatifs à ses différents états ; mais il faudrait avoir pour cela des mémoires plus exacts, plus détaillés que ceux que l’on trouve dans la plupart des relations ; ainsi je me contenterai de donner ici mon opinion sur la poule de notre climat, et de rechercher son origine après avoir fait le dénombrement des races étrangères qui ont été décrites par les naturalistes, ou seulement indiquées par les voyageurs.

1o Le coq commun, le coq de notre climat.

2o Le coq huppé : il ne diffère du coq commun que par une touffe de plumes qui s’élève sur sa tête, et il a ordinairement la crête plus petite, vraisemblablement parce que la nourriture, au lieu d’être portée toute à la crête, est en partie employée à l’accroissement des plumes. Quelques voyageurs assurent que toutes les poules du Mexique sont huppées : ces poules, comme toutes les autres de l’Amérique, y ont été transportées par les hommes, et viennent originairement de l’ancien continent. Au reste, la race des poules huppées est celle que les curieux ont le plus cultivée ; et, comme il arrive à toutes les choses qu’on regarde de très près, ils y ont remarqué un grand nombre de différences, surtout dans les couleurs du plumage, d’après lesquelles ils ont formé une multitude de races diverses, qu’ils estiment d’autant plus que leurs couleurs sont plus belles ou plus rares, telles que les dorées et les argentées ; la blanche à huppe noire, et la noire à huppe blanche ; les agates et les chamois ; les ardoisées ou périnettes ; celles à écailles de poisson et les herminées ; la poule veuve, qui a de petites larmes blanches semées sur un fond rembruni ; la poule couleur de feu ; la poule pierrée, dont le plumage fond blanc est marqueté de noir ou de chamois, ou d’ardoise ou de doré, etc. ; mais je doute fort que ces différences soient assez constantes et assez profondes pour constituer des espèces vraiment différentes, comme le prétendent quelques curieux, qui assurent que plusieurs des races ci-dessus ne propagent point ensemble.

3o Le coq sauvage de l’Asie : c’est sans doute celui qui approche le plus de la souche originaire des coqs de ce climat ; car n’ayant jamais été gêné par l’homme ni dans le choix de sa nourriture, ni dans sa manière de vivre, qu’est-ce qui aurait pu altérer en lui la pureté de la première empreinte ? Il n’est ni des plus grands, ni des plus petits de l’espèce, mais sa taille est moyenne entre les différentes races. Il se trouve, comme nous l’avons dit ci-devant, en plusieurs contrées de l’Asie, en Afrique et dans les îles du cap Vert : nous n’en avons pas de description assez exacte pour pouvoir le comparer à notre coq. Je dois recommander ici aux voyageurs qui se trouveront à portée de voir ces coqs et poules sauvages, de tâcher de savoir si elles font des nids, et comment elles les font. M. Lottinger, médecin à Sarrebourg, qui a fait de nombreuses et très bonnes observations sur les oiseaux, m’a assuré que nos poules, lorsqu’elles sont en pleine liberté, font des nids, et qu’elles y mettent autant de soin que les perdrix.

4o L’acoho ou coq de Madagascar : les poules de cette espèce sont très petites, et cependant leurs œufs sont encore plus petits à proportion, puisqu’elles en peuvent couver jusqu’à trente à la fois[53].

5o Poule naine de Java, de la grosseur d’un pigeon[54] : il y a quelque apparence que la petite poule anglaise pourrait bien être de la même race que cette poule de Java dont parlent les voyageurs ; car cette poule anglaise est encore plus petite que notre poule naine de France, n’étant en effet pas plus grosse qu’un pigeon de moyenne grosseur. On pourrait peut-être encore ajouter à cette race la petite poule du Pégu, que les voyageurs disent n’être pas plus grosse qu’une tourterelle, et avoir les pieds rogneux, mais le plumage très beau.

6o Poule de l’isthme de Darien, plus petite que la poule commune ; elle a un cercle de plumes autour des jambes, une queue fort épaisse qu’elle porte droite, et le bout des ailes noir ; elle chante avant le jour[55].

7o Poules de Camboge, transportées de ce royaume aux Philippines par les Espagnols ; elles ont les pieds si courts que leurs ailes traînent à terre ; cette race ressemble beaucoup à celle de la poule naine de France, ou peut-être à cette poule naine qu’on nourrit en Bretagne à cause de sa fécondité, et qui marche toujours en sautant : au reste, ces poules sont de la grosseur des poules ordinaires, et ne sont naines que par les jambes, qu’elles ont très courtes.

8o Le coq de Bantam a beaucoup de rapport avec le coq pattu de France ; il a de même les pieds couverts de plumes, mais seulement en dehors ; celles des jambes sont très longues et lui forment des espèces de bottes qui descendent beaucoup plus bas que le talon ; il est courageux et se bat hardiment contre des coqs beaucoup plus forts que lui ; il a l’iris des yeux rouge. On m’a assuré que la plupart des races pattues n’ont point de huppe. Il y a une grosse race de poules pattues qui vient d’Angleterre, et une plus petite que l’on appelle le coq nain d’Angleterre, qui est bien doré et à crête double.

Il y a encore une race naine, qui ne surpasse pas le pigeon commun en grosseur, et dont le plumage est tantôt blanc, tantôt blanc et doré. On comprend aussi dans les poules pattues la poule de Siam, qui est blanche et plus petite que nos poules communes.

9o Les Hollandais parlent d’une autre espèce de coqs propre à l’île de Java, où on ne les élève guère que pour la joute ; ils l’appellent demi-poule d’Inde. Selon Willughby, il porte sa queue à peu près comme le dindon. C’est sans doute à cette race que l’on doit rapporter celle de ces poules singulières de Java, dont parle Mandeslo[56], lesquelles tiennent de la poule ordinaire et de la poule d’Inde, et qui se battent entre elles à outrance comme les coqs. Le sieur Fournier m’a assuré que cette espèce a été vivante à Paris[57] ; elle n’a, selon lui, ni crête, ni cravate ; la tête est unie comme celle du faisan ; cette poule est très haute sur ses jambes ; sa queue est longue et pointue, les plumes étant d’inégale longueur ; et, en général, la couleur des plumes est rembrunie comme celle des plumes du vautour.

10o Le coq d’Angleterre ne surpasse pas le coq nain en grosseur, mais il est beaucoup plus haut monté que notre coq commun, et c’est la principale chose qui l’en distingue : on peut donc rapporter à cette race le xolo, espèce de coq des Philippines, qui a de très longues jambes[58]. Au reste, le coq d’Angleterre est supérieur à celui de France pour le combat ; il a plutôt une aigrette qu’une huppe ; son cou et son bec sont plus dégagés, et il a au-dessus des narines deux tubercules de chair, rouges comme sa crête.

11o Le coq de Turquie n’est remarquable que par son beau plumage.

12o Le coq de Hambourg[59], appelé aussi culotte de velours, parce qu’il a les cuisses et le ventre d’un noir velouté : sa démarche est grave et majestueuse ; son bec très pointu, l’iris de ses yeux jaunes, et ses yeux mêmes sont entourés d’un cercle de plumes brunes, d’où part une touffe de plumes noires qui couvrent les oreilles ; il y a des plumes à peu près semblables derrière la crête et au-dessous des barbes, et des taches noires, rondes et larges sur la poitrine ; les jambes et les pieds sont de couleur de plomb, excepté la plante des pieds qui est jaunâtre.

13o Le coq frisé dont les plumes se renversent en dehors : on en trouve à Java, au Japon et dans toute l’Asie méridionale ; sans doute que ce coq appartient plus particulièrement aux pays chauds, car les poussins de cette race sont extrêmement sensibles au froid, et n’y résistent guère dans notre climat. Le sieur Fournier m’a assuré que leur plumage prend toutes sortes de couleurs, et qu’on en voit de blancs, de noirs, d’argentés, de dorés, d’ardoisés, etc.

14o La poule à duvet du Japon : ses plumes sont blanches, et les barbes des plumes sont détachées et ressemblent assez à du poil ; ses pieds ont des plumes en dehors jusqu’à l’ongle du doigt extérieur : cette race se trouve au Japon, à la Chine et dans quelques autres contrées de l’Asie. Pour la propager dans toute sa pureté, il faut que le père et la mère soient tous deux à duvet.

15o Le coq nègre a la crête, les barbes, l’épiderme et le périoste absolument noirs ; ses plumes le sont aussi le plus souvent, mais quelquefois elles sont blanches. On en trouve aux Philippines, à Java, à Delhi, à Santiago, l’une des îles du cap Vert. Becman prétend que la plupart des oiseaux de cette dernière île ont les os aussi noirs que du jais, et la peau de la couleur de celle des nègres[60] : si ce fait est vrai, on ne peut guère attribuer cette teinture noire qu’aux aliments que ces oiseaux trouvent dans cette île. On connaît les effets de la garance, des caille-lait, des graterons, etc., et l’on sait qu’en Angleterre on rend blanche la chair des veaux en les nourrissant de farineux et autres aliments doux, mêlés avec une certaine terre ou craie que l’on trouve dans la province de Bedford[61]. Il serait donc curieux d’observer à Santiago, parmi les différentes substances dont les oiseaux s’y nourrissent, quelle est celle qui teint leur périoste en noir : au reste, cette poule nègre est connue en France et pourrait s’y propager ; mais comme la chair, lorsqu’elle est cuite, est noire et dégoûtante, il est probable qu’on ne cherchera pas à multiplier cette race : lorsqu’elle se mêle avec les autres, il en résulte des métis de différentes couleurs, mais qui conservent ordinairement la crête et les cravates ou barbes noires, et qui ont même la membrane qui forme l’oreillon teinte de bleu noirâtre à l’extérieur.

16o Le coq sans croupion ou coq de Perse de quelques auteurs : la plupart des poulets et des coqs de Virginie n’ont point de croupion ; et cependant ils sont certainement de race anglaise. Les habitants de cette colonie assurent que, lorsqu’on y transporte de ces oiseaux, ils perdent bientôt leur croupion[62]. Si cela est ainsi, il faudrait les appeler coqs de Virginie et non de Perse, d’autant plus que les anciens ne les ont point connus, et que les naturalistes n’ont commencé à en parler qu’après la découverte de l’Amérique. Nous avons dit que les chiens d’Europe à oreilles pendantes perdent leur voix et prennent des oreilles droites lorsqu’on les transporte dans le climat du tropique ; cette singulière altération produite par l’influence du climat n’est cependant pas aussi grande que la perte du croupion et de la queue dans l’espèce du coq : mais ce qui nous paraît être une bien plus grande singularité, c’est que dans le chien, comme dans le coq, qui, de tous les animaux de deux ordres très différents, sont le plus domestiques, c’est-à-dire le plus dénaturés par l’homme, il se trouve également une race de chiens sans queue comme une race de coqs sans croupion. On me montra, il y a plusieurs années, un de ces chiens né sans queue ; je crus alors que ce n’était qu’un individu vicié, un monstre, et c’est pour cela que je n’en fis aucune mention dans l’histoire du chien : ce n’est que depuis ce temps que j’ai revu ces chiens sans queue, et que je me suis assuré qu’ils forment une race constante et particulière comme celle des coqs sans croupion. Cette race de coqs a le bec et les pieds bleus ; une crête simple ou double, et point de huppe ; le plumage est de toutes couleurs ; et le sieur Fournier m’a assuré que lorsqu’elle se mêle avec la race ordinaire il en provient des métis qui n’ont qu’un demi-croupion, et six plumes à la queue au lieu de douze : cela peut être, mais j’ai de la peine à le croire.

17o La poule à cinq doigts est, comme nous avons dit, une forte exception à la méthode dont les principaux caractères se prennent du nombre des doigts : celle-ci en a cinq à chaque pied, trois en avant et deux en arrière ; et il y a même quelques individus dans cette race qui ont six doigts[NdÉ 14].

18o Les poules de Sansevare : ce sont celles qui donnent ces œufs qui se vendent en Perse trois ou quatre écus la pièce, et que les Persans s’amusent à choquer les uns contre les autres par manière de jeu : dans le même pays il y a des coqs beaucoup plus beaux et plus grands, et qui coûtent jusqu’à trois cents livres[63].

19o Le coq de Caux ou de Padoue : son attribut distinctif est la grosseur ; il a souvent la crête double en forme de couronne, et une espèce de huppe qui est plus marquée dans les poules ; leur voix est beaucoup plus forte, plus grave et plus rauque, et leur poids va jusqu’à huit à dix livres. On peut rapporter à cette belle race les grands coqs de Rhodes, de Perse[64], du Pégu[65], ces grosses poules de Bahia, qui ne commencent à se couvrir de plumes que lorsqu’elles ont atteint la moitié de leur grosseur[66] : on sait que les poussins de Caux prennent leurs plumes plus tard que les poussins ordinaires.

Au reste, il faut remarquer qu’un grand nombre d’oiseaux, dont parlent les voyageurs sous le nom de coqs ou de poules, sont de toute autre espèce : telles sont les poules patourdes ou palourdes qui se trouvent au Grand-Banc, et sont très friandes de foie de morue[67] ; le coq et la poule noire de Moscovie, qui sont coqs et poules de bruyère ; la poule rouge du Pérou, qui a beaucoup de rapport avec les faisans ; cette grosse poule à huppe de la Nouvelle-Guinée, dont le plumage est bleu céleste, qui a le bec de pigeon, les pieds de poule commune, qui niche sur les arbres[68], et qui est probablement le faisan de Banda ; la poule de Damiette, qui a le bec et les pieds rouges, une petite marque sur la tête de la même couleur, et le plumage d’un bleu violet, ce qui pourrait se rapporter à la grande poule d’eau ; la poule du Delta, dont Thévenot vante les belles couleurs, mais qui diffère des gallinacés, non seulement par la forme du bec et de la queue, mais encore par les habitudes naturelles, puisqu’elle se plaît dans les marécages ; la poule de Pharaon, que le même Thévenot dit ne le point céder à la gelinotte ; les poules de Corée, qui ont une queue de trois pieds de longueur, etc.

Dans ce grand nombre de races différentes que nous présente l’espèce du coq, comment pourrons-nous démêler quelle en est la souche primitive ? Tant de circonstances ont influé sur ces variétés, tant de hasards ont concouru pour les produire ! Les soins et même les caprices de l’homme les ont si fort multipliées, qu’il paraît bien difficile de remonter à leur première origine, et de reconnaître dans nos basses-cours la poule de la nature, ni même la poule de notre climat. Les coqs sauvages, qui se trouvent dans les pays chauds de l’Asie, pourront être regardés comme la tige primordiale de tous les coqs de ces contrées. Mais, comme il n’existe dans nos pays tempérés aucun oiseau sauvage qui ressemble parfaitement à nos poules domestiques, on ne sait à laquelle des races ou des variétés l’on doit donner la primauté ; car, en supposant que le faisan, le coq de bruyère ou la gelinotte, qui sont les seuls oiseaux sauvages de ce pays qu’on puisse rapprocher de nos poules par la comparaison en soient les races primitives[NdÉ 15], et en supposant encore que ces oiseaux peuvent produire, avec nos poules, des métis féconds, ce qui n’est pas bien avéré, ils seront alors de la même espèce ; mais les races se seront très anciennement séparées et toujours maintenues par elles-mêmes, sans chercher à se réunir avec les races domestiques, dont elles diffèrent par des caractères constants, tels que le défaut de crêtes, de membranes pendantes dans les deux sexes, et d’éperons dans les mâles et, par conséquent, ces races sauvages ne sont représentées par aucune de nos races domestiques, qui, quoique très variées et très différentes entre elles à beaucoup d’égards, ont toutes néanmoins ces crêtes, ces membranes et ces éperons qui manquent aux faisans, à la gelinotte et au coq de bruyère. D’où l’on doit conclure qu’il faut regarder le faisan, le coq de bruyère et la gelinotte comme des espèces voisines, et néanmoins différentes de celle de la poule, jusqu’à ce qu’on se soit bien assuré, par des expériences réitérées, que ces oiseaux sauvages peuvent produire avec nos poules domestiques, non seulement des mulets stériles, mais des métis féconds ; car c’est à cet effet qu’est attachée l’idée de l’identité d’espèce : les races singulières, telles que la poule naine, la poule frisée, la poule nègre, la poule sans croupion, viennent toutes originairement des pays étrangers ; et, quoiqu’elles se mêlent et produisent avec nos poules communes, elles ne sont ni de la même race ni du même climat. En séparant donc notre poule commune de toutes les espèces sauvages qui peuvent se mêler avec elle, telles que la gelinotte, le coq de bruyère, le faisan, etc., en la séparant aussi de toutes les poules étrangères avec lesquelles elle se mêle et produit des individus féconds, nous diminuerons de beaucoup le nombre de ses variétés, et nous n’y trouverons plus que des différences assez légères : les unes pour la grandeur du corps ; les poules de Caux sont presque doubles, pour la grosseur, de nos poules ordinaires : les autres pour la hauteur des jambes ; le coq d’Angleterre, quoique parfaitement ressemblant à celui de France, a les jambes et les pieds bien plus longs : d’autres pour la longueur des plumes, comme le coq huppé, qui ne diffère du coq commun que par la hauteur des plumes du sommet de la tête : d’autres par le nombre des doigts, tels que les poules et coqs à cinq doigts : d’autres enfin par la beauté et la singularité des couleurs, comme la poule de Turquie et celle de Hambourg. Or, de ces six variétés auxquelles nous pouvons réduire la race de nos poules communes, trois appartiennent, comme Bon voit, à l’influence du climat de Hambourg, de la Turquie et de l’Angleterre, et peut-être encore la quatrième et la cinquième, car la poule de Caux vient vraisemblablement d’Italie, puisqu’on l’appelle aussi poule de Padoue, et la poule à cinq doigts était connue en Italie dès le temps de Columelle. Ainsi il ne nous restera que le coq commun et le coq huppé, qu’on doive regarder comme les races naturelles de notre pays ; mais, dans ces deux races, les poules et les coqs sont également de toutes couleurs ; le caractère constant de la huppe paraît indiquer une espèce perfectionnée, c’est-à-dire plus soignée et mieux nourrie et, par conséquent, la race commune du coq et de la poule sans huppe doit être la vraie lige de nos poules ; et si l’on veut chercher dans cette race commune quelle est la couleur qu’on peut attribuer à la race primitive, il paraît que c’est la poule blanche[NdÉ 16] ; car, en supposant les poules originairement blanches, elles auront varié du blanc au noir, et pris successivement toutes les couleurs intermédiaires : un rapport très éloigné, et que personne n’a saisi, vient directement à l’appui de cette supposition, et semble indiquer que la poule blanche est en effet la première de son espèce, et que c’est d’elle que toutes les autres races sont issues ; ce rapport consiste dans la ressemblance qui se trouve assez généralement entre la couleur des œufs et celle du plumage ; les œufs du corbeau sont d’un vert brun taché de noir ; ceux de la cresserelle sont rouges ; ceux du casoar sont d’un vert noir ; ceux de la corneille noire sont d’un brun plus obscur encore que ceux du corbeau ; ceux du pic varié sont de même variés et tachetés ; la pie-grièche grise a ses œufs tachés de gris, et la pie-grièche rouge les a tachés de rouge ; le crapaud volant les a marbrés de taches bleuâtres et brunes, sur un fond nuageux blanchâtre ; l’œuf du moineau est cendré, tout couvert de taches brunes marron, sur un fond gris ; ceux du merle sont bleu noirâtre ; ceux de la poule de bruyère sont blanchâtres, marquetés de jaune ; ceux des peintades sont marqués, comme leurs plumes, de taches blanches et rondes, etc., en sorte qu’il paraît y avoir un rapport assez constant entre la couleur du plumage des oiseaux et la couleur de leurs œufs ; seulement on voit que les teintes en sont beaucoup plus faibles sur les œufs, et que le blanc domine dans plusieurs, parce que dans le plumage de plusieurs oiseaux il y a aussi plus de blanc que de toute autre couleur, surtout dans les femelles, dont les couleurs sont toujours moins fortes que celles du mâle. Or, nos poules blanches, noires, grises, fauves et de couleurs mêlées, produisent toutes des œufs parfaitement blancs : donc, si toutes ces poules étaient demeurées dans leur état de nature, elles seraient blanches, ou du moins auraient dans leur plumage beaucoup plus de blanc que de toute autre couleur ; les influences de la domesticité, qui ont changé la couleur de leurs plumes, n’ont pas assez pénétré pour altérer celle de leurs œufs. Ce changement de la couleur des plumes n’est qu’un effet superficiel et accidentel, qui ne se trouve que dans les pigeons, les poules et les autres oiseaux de nos basses-cours ; car tous ceux qui sont libres et dans l’état de nature conservent leurs couleurs, sans altération et sans autres variétés que celles de l’âge, du sexe ou du climat, qui sont toujours plus brusques, moins nuancées, plus aisées à reconnaître, et beaucoup moins nombreuses que celles de la domesticité[NdÉ 17].


Notes de Buffon
  1. « Generosissimæ creduntur quæ quinos habent digitos. » Columelle, lib. viii, cap. ii.
  2. Par une suite de cette attitude habituelle, la cuisse qui porte ordinairement le corps est la plus charnue, et nos gourmands savent bien la distinguer de l’autre dans les chapons et les poulardes.
  3. Aristot., Historia animalium, lib. ix, cap. xlix.
  4. Aldrovande, t. II, lib. xiv.
  5. « Ex perdice et gallinaceo tertium generatur, quod, procedente, tempore feminæ assimilatur. » Aristot., Hist. animal., lib. ix, cap. xlix.
  6. Ayant renfermé trois ou quatre jeunes coqs dans un lieu où ils ne pouvaient avoir de communication avec aucune poule, bientôt ils déposèrent leur animosité précédente, et au lieu de se battre, chacun tâchait de cocher son camarade, quoique aucun ne parût bien aise d’être coché. Voyez Préface des Glanures, t. II.
  7. Tractatus : Num bruta ratione utantur.
  8. De Re rusticâ, lib. viii, cap. ii. — Longolius indique la façon de faire réussir cette union du coq faisan avec les poules communes. Gesner, de Avibus, p. 445. Et l’on m’a assuré que ces poules se mêlent aussi avec le coq peintade lorsqu’on les a élevés de jeunesse ensemble ; mais que les mulets qui proviennent de ce mélange sont peu féconds.
  9. Pline, Hist. nat., lib. x, cap. xxi.
  10. Gemelli Careri, t. V, p. 36, Anciennes relations des Indes et de la Chine. Traduction de l’arabe, p. 105.
  11. Navarete, Description de la Chine, p. 40.
  12. Thémistocle, allant combattre les Perses et voyant que ses soldats montraient peu d’ardeur, leur fit remarquer l’acharnement avec lequel des coqs se battaient : « Voyez, leur dit-il, le courage indomptable de ces animaux ; cependant ils n’ont d’autre motif que le désir de vaincre ; et vous, qui combattez pour vos foyers, pour les tombeaux de vos pères, pour la liberté… » Ce peu de mots ranima le courage de l’armée, et Thémistocle remporta la victoire. Ce fut en mémoire de cet événement que les Athéniens instituèrent une espèce de fête qui se célébrait par des combats de coqs. Voyez Élien, De variâ Historiâ, lib. ii.
  13. Je ne vois que le docteur Michel Lyzeruts qui ait parlé d’une poule vivipare ; mais les exemples en seraient plus fréquents s’il ne fallait que de la chaleur à un œuf fécondé pour éclore. Voyez Éphémérides d’Allemagne, déc. ii, ann. 4, append. observ. xxviii.
  14. Bellini, trompé par ses expériences, ou plutôt par les conséquences qu’il en avait tirées, croyait et avait fait croire à beaucoup de monde que, dans les œufs frais durcis à l’eau bouillante, la cicatricule quittait la surface du jaune pour se retirer au centre, mais que, dans les œufs couvés durcis de même, la cicatricule restait constamment attachée à la surface. Les savants de Turin, en répétant et variant les mêmes expériences, se sont assurés que, dans tous les œufs couvés ou non couvés, la cicatricule restait toujours adhérente à la surface du jaune durci, et que le corps blanc que Bellini avait vu au centre et qu’il avait pris pour la cicatricule n’était rien moins que cela et ne paraissait, en effet, au centre du jaune que lorsqu’il était ni trop ni trop peu cuit.
  15. Collection académique, partie française, t. I, p. 388, et t. II, p. 327 ; et partie étrangère, t. IV, p. 337.
  16. Ibidem, partie française, t. I, p. 388.
  17. Ibidem, partie étrangère, t. IV, p. 160.
  18. Éphémérides des Curieux de la nature, déc. ii, ann. 6, append. observ. xxv.
  19. Collection académique, partie française, t. III.
  20. Collection académique, partie étrangère, t. IV, p. 225.
  21. Rzaczynski, Hist. nat. Polon., p. 432.
  22. Bontekoe, Voyage aux Indes orientales, p. 234.
  23. Le Journal économique du mois de mars 1755 fait mention de trois œufs, bons à manger, trouvés en Italie dans l’épaisseur d’un mur construit il y avait trois cents ans ; ce fait est d’autant plus difficile à croire qu’un enduit de mortier ne serait pas suffisant pour conserver un œuf, et que les murs les plus épais étant sujets à l’évaporation dans tous les points de leur épaisseur, puisque les mortiers de l’intérieur se sèchent à la longue, ils ne peuvent empêcher la transpiration des œufs cachés dans leur épaisseur, ni par conséquent les conserver.
  24. Pratique de l’Art de faire éclore les poulets, p. 138.
  25. Suite du Voyage de Tavernier, t. V, p. 225 et 226.
  26. Redi, Degli animali viventi, etc. Collection académique, partie étrangère, t. IV, p. 520, et Regnier Graaf, p. 243.
  27. M. de la Peyronnie a observé dans un de ces œufs une tache ronde, jaune, d’une ligne de diamètre, sans épaisseur, située sur la membrane qu’on trouve sous la coque : on peut croire que cette tache, qui devrait être blanche, n’était jaune ici que parce que le jaune de l’œuf s’était épanché de toutes parts, comme on l’a reconnu par la dissection de la poule, et si elle était située sur la membrane qu’on trouve sous la coque, c’est qu’après l’épanchement du jaune la membrane qui contenait ce jaune était restée adhérente à celle de la coque.
  28. Malpighi, Pullus in ovo.
  29. Nous n’avons point dans notre langue de termes propres pour exprimer les différents cris de la poule, du coq, des poulets. Les Latins, qui se plaignaient de leur pauvreté, étaient beaucoup plus riches que nous et avaient des expressions pour rendre toutes ces différences. Voyez Gesner, de Avibus, p. 431. « Gallus cucurit, pulli pipiunt, gallina canturit, gracillat, pipat, singultit ; glociunt eæ quæ volunt incubare », d’où vient le mot français glousser, le seul que nous ayons dans ce genre.
  30. On vient à bout d’éteindre le besoin de couver en trempant souvent dans l’eau froide les parties postérieures de la poule.
  31. Il n’y a pas jusqu’au bruit qui ne leur soit contraire : on a remarqué qu’une couvée entière de poulets, éclos dans la boutique d’un serrurier, fut attaquée de vertiges. Voyez Collection académique, partie étrangère, t. III, p. 25.
  32. Les vaisseaux qui se répandent dans le jaune de l’œuf, et qui par conséquent se trouvent hors de l’abdomen du poulet, rentrent peu à peu dans cette cavité, selon la remarque de Stenon. Voyez Collection académique, partie étrangère, t. V, p. 572.
  33. On sait que Livie, étant grosse, imagina de couver et faire éclore un œuf dans son sein, voulant augurer du sexe de son enfant par le sexe du poussin qui viendrait ; ce poussin fut mâle, et son enfant aussi. Les augures ne manquèrent pas de se prévaloir du fait pour montrer aux plus incrédules la vérité de leur art ; mais ce qui reste le mieux prouvé, c’est que la chaleur humaine est suffisante pour l’incubation des œufs.
  34. Voyez l’Art de faire éclore les poulets, par M. de Réaumur, 2 vol. in-12.
  35. Voyez Éphémérides des Curieux de la nature, déc. i, ann. 8, observ. 99.
  36. Deux poulets ayant été nourris, l’un avec du café des îles rôti, l’autre avec le même café non rôti, devinrent tous deux étiques et moururent, l’un le huitième jour et l’autre le dixième, après avoir consommé chacun trois onces de café ; les pieds et les jambes étaient fort enflés, et la vésicule du fiel se trouva aussi grosse que celle d’une poule d’Inde. Mémoires de l’Académie royale des Sciences, ann. 1746, p. 101.
  37. Voyez Mém. de l’Acad. royale des Sciences, ann. 1752, p. 266.
  38. Redi, des Animaux vivants qui se trouvent dans les animaux vivants.
  39. Mém. pour servir à l’hist. des animaux, partie ii, p. 142 et 164.
  40. Anciens Mém. de l’Acad. royale des Sciences, t. XI, p. 7.
  41. Mém. de l’Acad. royale des Sciences, ann. 1753, p. 291.
  42. Aristot., de Partibus Animalium, lib. iv, cap. v.
  43. Hist. de l’Acad. royale des Sciences, ann. 1756, p. 44.
  44. L’extrait tiré de la chair du chapon dégraissé est un peu moins du quatorzième du poids total, au lieu qu’il en fait un dixième dans le poulet et un peu plus du septième dans le coq ; de plus, l’extrait de la chair du coq est très sec, au lieu que celle du chapon est difficile à sécher. Voyez Mém. de l’Acad. royale des Sciences, ann. 1730, p. 231.
  45. Voyez Pratique de faire éclore les œufs, etc., p. 98.
  46. La raison qui semble avoir déterminé à couper la crête aux poulets qu’on fait devenir chapons, c’est qu’après cette opération, qui ne l’empêche pas de croître, elle cesse de se tenir droite, elle devient pendante comme celle des poules, et, si on la laissait, elle les incommoderait en leur couvrant un œil.
  47. Voyez Anciens Mém. de l’Acad. royale des Sciences, t. XI, p. 48. — Le Journal économique, mars 1761, p. 120.
  48. Horrebow, Description de l’Islande, t. I, p. 199.
  49. Historia religionis veterum Persarum, etc., p. 163. Remarquez cependant que l’art d’engraisser les chapons a été porté d’Europe en Perse par des marchands arméniens. Voyez Tavernier, t. II, p. 24.
  50. Nouveau Voyage autour du monde, t. II, p. 82.
  51. Dampier, Suite du Voyage de la Nouvelle-Hollande, t. V, p. 61.
  52. Histoire des Incas, t. II, p. 239.
  53. Hist. gén. des Voyages, t. VIII, p. 603-606.
  54. Collection académique, partie étrangère, t. III, p. 452.
  55. Hist. gén. des Voyages, t. VIII, p. 151.
  56. Idem, t. II, p. 350.
  57. M. Fournier est un curieux qui a élevé pendant plusieurs années pour lui-même, pour S. A. S. M. le comte de Clermont et pour plusieurs seigneurs, des poules et des pigeons de toute espèce.
  58. Gemelli Carreri, t. V, p. 272.
  59. Coq de Hambourg. Albin, t. III, p. 13, avec une figure.
  60. Dampier, t. III, p. 23.
  61. Journal économique, mai 1754.
  62. Transactions philosophiques, no 206, ann. 1693, p. 992.
  63. Voyage de Tavernier, t. II, p. 43 et 44.
  64. Chardin, t. II, p. 24.
  65. Recueil des Voyages qui ont servi à l’établissement de la Compagnie des Indes, t. III, p. 71.
  66. Nouveau Voyage de Dampier, t. III, p. 68.
  67. Recueil des Voyages du Nord, t. III, p. 15.
  68. Hist. générale des Voyages, t. XI, p. 230.
Notes de l’éditeur
  1. La description de Buffon se rapporte incontestablement à plusieurs espèces du genre Gallus Briss. Les Gallus sont des oiseaux de l’ordre des Gallinacés et de la famille des Phasianidés, dans laquelle ils se distinguent par la présence d’une crête dentelée sur la tête, et d’un ou deux lobes charnus sous le bec ; par une queue possédant quatorze grandes tectrices, et chez le mâle de grandes plumes nommées couvertures, recourbées en faucille et retombant en arrière du corps. Dans tous les Phasianidés le bec est de longueur moyenne, courbé et déprimé à la pointe ; les ailes sont moyennes, arrondies, pourvues de rémiges secondaires souvent allongées. La queue est longue, large, pourvue d’un grand nombre de rémiges et, chez le mâle, de couvertures plus ou moins nombreuses et diversement disposées. Les pattes sont fortes, formées de trois doigts antérieurs réunis par une courte membrane et armés de griffes fortes, et d’un doigt postérieur, faible, placé assez haut, surmonté, chez le mâle, d’un ergot fort et plus ou moins allongé.
  2. Le lecteur trouvera profit à rapprocher ce passage de celui qui est relatif aux méthodes de classification, dans le Discours de Buffon sur la manière d’étudier l’histoire naturelle. Ces considérations sont de la plus grande justesse.
  3. La poule s’hybride très bien avec le faisan ; il en est de même du coq avec la peintade.
  4. Cette page est très remarquable relativement à l’influence exercée par les conditions de la vie sur les caractères des animaux.
  5. Buffon accueille parfois avec grande facilité des racontars indignes de figurer dans une œuvre aussi magistrale que l’est la sienne ; telle est la légende de l’œuf lumineux.
  6. Les œufs désignés vulgairement sous le nom « d’œufs de coq » sont des œufs de jeunes poules dans lesquels le jaune, incomplètement formé, n’est que très peu abondant.
  7. On doit en dire autant de tout ce qui nuit à la respiration. Celle-ci s’effectue par les pores de la coquille.
  8. La cicatricule de l’œuf, c’est-à-dire cette tache blanche, de la grosseur d’une lentille, que l’on voit en un point de la surface du jaune, n’est nullement, comme le dit Buffon, la liqueur séminale de la poule. La poule n’a, d’ailleurs, pas plus de liqueur séminale qu’aucune autre femelle d’oiseau ou de mammifère. Quant à la cicatricule, elle représente la portion de l’œuf qui, après sa fécondation, c’est-à-dire après la fusion d’un ou plusieurs spermatozoïdes du mâle avec sa substance, se divise pour produire un nouvel animal.

    Puisque l’occasion favorable s’en présente, le lecteur nous saura peut-être gré d’entrer ici dans quelques détails au sujet de l’organisation de l’œuf des oiseaux, en prenant celui de la poule pour exemple et en comparant cet œuf avec celui des mammifères. Comme ce dernier est beaucoup plus simple, rappelons d’abord sa constitution. Un œuf de mammifère, celui de la femme, par exemple, est une cellule simple, formée d’un protoplasma que l’on désigne sous le nom de vitellus, d’un noyau qui porte le nom de vésicule germinative et d’un nucléole ou tache germinative. Il est entouré d’une enveloppe très mince, la membrane vitelline. Après la fécondation, l’œuf tout entier se divise pour produire l’embryon.

    L’œuf de la poule, aussitôt après sa formation dans l’ovaire de cet oiseau, est tout à fait semblable à celui de la femme, et son volume est également très minime. Mais il ne tarde pas à absorber des matériaux nutritifs qui lui sont fournis par l’ovaire et augmente considérablement de taille, en même temps qu’il prend une coloration jaune caractéristique. Quand il a atteint son volume définitif, il se compose d’une masse arrondie, très volumineuse, jaune, que l’on nomme vitellus nutritif, et d’une portion blanche, formée de protoplasma, la cicatricule, qui a reçu le nom de vitellus germinatif. Ainsi que je l’ai dit plus haut, c’est sur la cicatricule seule que porte la fécondation ; c’est elle seule qui se divise pour produire l’embryon. La cicatricule de l’œuf de la poule représente donc, en réalité, l’œuf de la femme. Quant au vitellus, il est formé principalement de matières grasses et sert à la nutrition du jeune poulet tant que ce dernier est contenu dans la coquille de l’œuf. C’est grâce à l’abondance de cette provision alimentaire que l’oiseau peut atteindre, avant de sortir de l’œuf, le degré de développement que tout le monde connaît.

  9. Nous avons rencontré déjà plusieurs fois cette erreur. Nous ne nous lasserons pas de la combattre en répétant que les femelles des mammifères n’ont pas de testicules.
  10. Depuis l’époque de Buffon, les procédés d’incubation artificielle ont fait de très grands progrès.
  11. C’est une erreur. Le gésier agit simplement comme organe masticateur. Il broie les graines entre ses muscles puissants, aidé dans cette opération par le frottement des graines les unes contre les autres, et contre les petits cailloux que les granivores avalent toujours en assez forte quantité. Après que les aliments ont été broyés par le gésier, ils sont digérés par les liquides que secrètent le ventricule succenturié d’une part, l’intestin de l’autre.
  12. Ce passage est criblé d’erreurs. D’abord, ainsi que nous l’avons déjà dit, les femelles des oiseaux n’ont jamais de testicule ; en second lieu, la respiration ne sert pas à rafraîchir le sang, mais à lui rendre l’oxygène qu’il a cédé aux tissus et à dégager l’acide carbonique qui provient de ces derniers ; pour mieux dire encore, le phénomène intime de la respiration consiste dans une oxydation incessante des principes constituants des cellules ; enfin, la situation des testicules n’est pour rien dans l’ardeur génésique des oiseaux.
  13. Les Gallus vivent à l’état indigène dans d’autres pays que la Perse. Il en existe notamment dans l’Indo-Chine, à Java et dans l’Hindoustan. Le Gallus Sonneratii Temm. [Note de Wikisource : actuellement Gallus sonneratii Temminck, vulgairement coq de Sonnerat] provient des montagnes de Gates, dans l’Hindoustan. Le Gallus Bankiva Temm. [Note de Wikisource : actuellement Gallus gallus bankiva Temminck, vulgairement coq bankiva, sous-espèce de Gallus gallus Linnæus dont le coq domestique est une autre sous-espèce] et le Gallus furcatus Temm. [Note de Wikisource : actuellement Gallus varius Shaw, vulgairement coq de Java] proviennent de Java. C’est le Gallus Bankiva qui est généralement considéré comme la souche de nos coqs domestiques.
  14. Cette race provient d’une monstruosité qui a été conservée par l’hérédité et par la sélection.
  15. Nos poules domestiques ne proviennent ni du faisan, ni du coq de bruyère, ni de la gelinotte, mais bien de l’une ou de plusieurs des espèces sauvages que nous avons signalées plus haut.
  16. Aucune espèce sauvage de Gallus n’est blanche. Les poules blanches ont dû être produites par sélection artificielle de poules domestiques.
  17. Je crois utile, pour compléter cette remarquable histoire du coq, d’indiquer brièvement les caractères des espèces sauvages de Gallus et ceux des principales variétés domestiques. J’emprunte une grande partie de ces détails à l’Histoire des oiseaux de M. A. E. Brehm.

    Gallus Bankiva Temm. [Note de Wikisource : actuellement Gallus gallus bankiva Temminck, vulgairement coq bankiva]. Le coq a « la tête, le cou, les longues plumes pendantes de cette dernière région d’un jaune doré brillant ; les plumes du dos d’un brun pourpre, d’un rouge brillant au milieu, bordées de brun jaune ; les longues couvertures supérieures et pendantes de la queue de même couleur que les plumes du cou ; les couvertures moyennes des ailes d’un brun châtain vif ; les grandes à reflet vert noir ; les plumes de la poitrine noires, à reflets vert doré ; les rémiges primaires d’un gris noir foncé, bordées d’un liséré plus clair ; les rémiges secondaires rouges sur les barbes externes ; les internes noires ; les plumes de la queue noires, les médianes brillantes, les autres ternes ; l’œil rouge orange ; la crête rouge ; le bec brunâtre ; les pattes d’un noir ardoisé. Ce coq a 64 centimètres et demi de long ; la longueur de l’aile est de 23 centimètres et demi, celle de la queue de 38 centimètres. »

    La femelle est plus petite, et se distingue par une crête et des appendices rostraux rudimentaires ; « les longues plumes du cou noires, bordées de blanc jaunâtre ; celles du manteau tachetées de brun noir ; celles du ventre isabelle ; les rémiges et les rectrices d’un brun noir. »

    Le Gallus Bankiva paraît être l’espèce souche de nos coqs domestiques. Il habite les îles de la Sonde où il est connu sous le nom de Kasintu, et est très répandu sur le continent indien. Rare dans l’Inde centrale, il se trouve en abondance dans l’est et le nord ; il s’étend au nord jusqu’à la frontière sud du Kachemire ; à l’ouest, jusqu’aux montagnes du Rhat ; à l’est jusqu’au sud-ouest de la Chine ; au sud jusqu’à Java. C’est, si je ne me trompe, cette espèce qui habite la Cochinchine où elle est très abondante dans les régions boisées et montagneuses. On la rencontre fréquemment sur la lisière des forêts ou dans les champs de riz entourés de bois. Toutes les troupes que j’ai vues se composaient d’un mâle et de sept ou huit femelles, parfois davantage, avec leurs poussins. Le mâle se tient d’habitude sur une élévation quelconque, une motte de terre, un tronc d’arbre, et exerce de là une surveillance très active sur le troupeau. Les femelles, confiantes dans le coq, paraissent très peu soucieuses des dangers qui sont susceptibles de les menacer. Dès que le coq aperçoit le chasseur, il pousse un cri et s’envole jusqu’à la forêt ; les femelles se sauvent en courant. Dès que la bande a atteint les fourrés, il est impossible de la revoir, mais on peut assez facilement s’en approcher tant qu’elle est dans la plaine, et c’est d’ordinaire le mâle que l’on tire le plus facilement, parce qu’il est le plus en vue. Dans certaines parties de la Cochinchine, par exemple, à quelques lieues de Bien-hoa, les coqs sauvages s’avancent très souvent jusqu’au voisinage des habitations et s’y croisent avec les poules domestiques. Aussi n’est-il pas rare de voir, dans ces localités, des poules ou des coqs domestiques offrant la plupart des caractères de l’espèce sauvage. M. A. E. Brehm dit qu’ « on chasse peu les coqs sauvages, leur chair n’étant pas très bonne. » C’est là une grave erreur. En Cochinchine, notamment, le coq sauvage est réputé pour le meilleur gibier du pays ; sa chair est plus foncée que celle des coqs domestiques, mais le léger goût de sauvage qu’elle possède la rend beaucoup plus agréable. Comme saveur, je n’hésite pas à placer le coq sauvage, surtout jeune, au-dessus du faisan.

    Gallus Stanleyi [Note de Wikisource : actuellement Gallus lafayettii Lesson, vulgairement coq de Lafayette]. Cette espèce paraît être limitée à l’île de Ceylan. Elle dérive probablement de la précédente. Le mâle ne diffère que par sa poitrine brun rougeâtre, rayée de noir foncé. La poule est encore plus ressemblante à celle de l’espèce précédente.

    Gallus furcatus Temm. [Note de Wikisource : actuellement Gallus varius Shaw, vulgairement coq de Java]. C’est le Ayam-alas ou Gangégar des Javanais. « Il a les plumes de la collerette longues, mais non pointues, d’un vert foncé, à éclat métallique et entourées d’un liséré étroit d’un noir de satin ; les plumes longues et étroites de l’épaule et des couvertures supérieures des ailes d’un vert noir brillant, bordées d’une bande large d’un jaune doré foncé, très vif ; les plumes du croupion très longues, d’un vert noir brillant au milieu, et bordées de jaune clair ; les grandes couvertures et toutes les plumes de la face inférieure du corps d’un noir foncé, très brillant ; les rémiges primaires d’un noir brun, les secondaires brunes, bordées en dehors de jaune fauve ; les plumes de la queue d’un vert métallique, à reflets superbes ; l’œil jaune clair ; les parties nues des joues rouges, bordées en dehors et en bas de jaune doré ; la crête bleue à sa base, violette à sa pointe ; la mandibule supérieure noire, l’inférieure jaune ; les pattes d’un gris bleuâtre clair. »

    La poule est dépourvue de crête et d’appendices gutturaux ; ses joues sont couvertes de plumes ; « la tête et le cou sont gris brun ; les plumes du manteau vert doré, bordées de gris brun, avec la tige rayée de jaune d’or ; les grandes couvertures et les rémiges secondaires sont d’un gris foncé, brillant, moirées de jaune ; les rémiges primaires sont brunâtres, les rectrices brunes, à reflets verdâtres et bordées de noir. La gorge est blanche ; la poitrine et le ventre sont couleur isabelle. »

    Le coq de Java est plus petit que le coq de Bankiva, mais il est beaucoup plus beau. On ne le trouve qu’à Java et à Sumatra. Il vit dans la profondeur des forêts et est entièrement sauvage. D’après Berstein, au moindre bruit qui lui est suspect il se sauve en courant dans la profondeur des fourrés, sans s’envoler. On l’entend, mais on ne le voit que rarement. « C’est le matin qu’on y réussit le mieux. À ce moment, l’oiseau, se croyant le plus en sûreté, quitte les fourrés et va chercher dans des endroits découverts les graines, les bourgeons, les insectes dont il se nourrit. On le voit souvent en quête de termites, dont il est très friand. » Le coq de Java est très difficile à apprivoiser ; d’après Berstein, « quand on fait couver ses œufs par des poules domestiques, les jeunes, à peine grands, profitent de la première occasion pour s’échapper ». D’après Brehm, le coq de Java ne s’est jamais reproduit en Europe, « malgré toutes les tentatives qu’on a faites ».

    Gallus Sonnerati [Note de Wikisource : actuellement Gallus sonneratii Temminck, vulgairement coq de Sonnerat]. Cette espèce est répandue sur le continent indien où elle est connue sous le nom de Katukoli. Elle « diffère des autres espèces par la forme de sa collerette. Les plumes en sont longues, étroites, mais arrondies et non pointues à leur extrémité ; leur lige s’élargit, forme un disque corné, puis s’amincit pour s’élargir de nouveau. Les barbes en sont gris foncé, les tiges et leur première dilatation d’un blond brillant ; la dilatation terminale est d’un jaune roux vif. Il a les plumes longues et étroites du dos d’un brun noir, semées de taches plus claires ; les petites couvertures des ailes dépourvues de barbes et d’un brun châtain brillant sur les tiges qui sont aplaties ; les plumes du croupion, grises, à tiges et à liséré plus clairs ; les plus externes rouges, à tiges et à liséré jaunes ; les rémiges d’un gris sale, à tige et à liséré plus clairs ; les couvertures supérieures de la queue d’un vert foncé, brillant ; les plumes de la face inférieure du corps d’un gris noir ; celles des flancs jaunes ou brun rouge sur le milieu et les bords ; l’œil jaune brun clair ; la crête rouge ; le bec jaunâtre ; les pattes d’un jaune clair. Ce coq a 66 centimètres de long ; la longueur de l’aile est de 26 centimètres, celle de la queue de 41. La poule a le dos d’un brun foncé, assez uniforme, les lisérés et les raies foncées des plumes y étant très peu visibles ; la gorge blanche ; les plumes du ventre et de la poitrine d’un gris jaunâtre clair, bordées de noir ; les rémiges primaires d’un brun foncé ; les secondaires rayées de brun et de noir ; les rectrices d’un brun noir, ponctuées et moirées de brun foncé. »

    Les coqs domestiques présentent un grand nombre de races et de variétés, dans la description desquelles il est impossible que nous entrions ici. Nous nous bornerons à passer rapidement en revue les principales races.

    Race de Crèvecœur. On la croit d’origine picarde ou normande ; elle est très répandue dans l’ouest de la France. Le coq est remarquable par sa crête affectant la forme de deux cornes et par la présence d’une houppe de plumes qui retombent sur le derrière de la tête. Son plumage est d’habitude entièrement noir, mais il existe des variétés à plumage gris ou blanc. Cette race est très recommandable par le peu de volume du squelette, la rapidité du développement et de l’engraissement, la qualité de sa chair et par la facilité avec laquelle elle se croise à d’autres races pour donner de très bons produits.

    Race de Houdan. Elle tire son nom d’un chef-lieu de canton (Houdan) du département de Seine-et-Oise ; on suppose qu’elle a été obtenue par le croisement de la race Crèvecœur avec la race Dorking. Elle a, comme cette dernière race, cinq doigts, c’est-à-dire un de plus que toutes les autres races de coqs. La crête du coq affecte la forme de cornes disposées transversalement sur trois rangs. Le coq et la poule portent une houppe de plumes rejetées sur le derrière de la tête. Le plumage est papilloté, noir, blanc et jaune paille ; les ailes sont noires, vertes et blanches ; les plumes de la queue sont noires et d’un vert émeraude, bordé de blanc ; celles de la poitrine sont d’un brun noir, avec des taches noires et blanches aux extrémités.

    Cette race est fort bonne comme produits ; les petits se développent très vite ; les mâles s’engraissent sans être chaponnés ; les femelles donnent de très belles poulardes ; les pontes sont précoces, abondantes et prolongées, mais la poule est mauvaise couveuse.

    Race de la Flèche. D’abord élevée en grand, près du Mans, elle l’est surtout aujourd’hui aux environs de la Flèche. On pense généralement qu’elle descend de la race Bréda ou de la race espagnole. Elle est remarquable par son port élevé et la fierté de sa démarche. Le coq porte sur la tête un épi de plumes et, en avant, une crête transversale en forme de cornes, précédée d’un petit crétillon placé à la base du bec. Le plumage est noir, avec des reflets verts et violets. Cette race est surtout remarquable par le goût délicat de sa chair, mais son développement est lent ; il faut de neuf à onze mois à un poulet pour qu’il devienne apte à être mangé ; on tire avantage de ce fait ; les poulets passant l’hiver à s’engraisser, on les vend au début du printemps, c’est-à-dire à une époque où les volailles manquent.

    Race de Bréda ou Race à bec de Corneille. On la considère comme originaire de la Hollande. Le coq est remarquable par l’absence de crête véritable. Le plumage est noir avec des reflets métalliques. La chair de cette race est excellente.

    Race de Gueldre. Elle paraît n’être qu’une variété dite coucou de la précédente, c’est-à-dire que chaque plume est coupée par des bandes grises sur fond blanc.

    Race de Dorking. C’est une race anglaise très estimée. La forme est massive et robuste. Le coq porte une crête simple, haute, large, prolongée en arrière, dentée sur son bord supérieur. Son cou est très large et muni d’un beau camail, ordinairement coloré en jaune paille. Le plumage et très variable. Les pattes ont cinq doigts. La chair de cette race est excellente.

    Race espagnole. Originaire de l’Espagne, elle est répandue depuis longtemps en Angleterre ; elle n’est entrée en France que récemment. La crête est simple, très haute et très prolongée en arrière, dentée ; les barbillons se confondent avec des joues blanches et ridées qui donnent à la tête un aspect spécial ; le plumage est noir, avec des reflets métalliques. Cette race paraît fournir de très bons produits.

    Race cochinchinoise. Elle est originaire non de la Cochinchine comme son nom semble l’indiquer, mais de la Chine. Elle a été envoyée de Shangaï en France par l’amiral Cécile, en 1846. Elle est remarquable par son corps court, trapu, ramassé, la brièveté de ses ailes, ses cuisses et ses jambes courtes, mais très fortes. La couleur de son plumage est fauve clair avec des reflets dorés. Il en existe des variétés blanches et noires, rousses, etc. C’est une bonne race de production.

    Race de Bruges. Cette race, originaire de la Hollande, est remarquable par ses jambes épaisses, longues, fortement éperonnées, sa crête noirâtre, simple et petite. Son plumage est gris bleu ou ardoise, avec les plumes du dos, du cou et du croupion jaune paille. Le coq est très hardi, féroce même, et sert comme coq de combat. La lutte entre deux coqs, dressés à cet effet, se termine toujours par la mort de l’un d’eux.

    Race malaise. Elle est très remarquable par son corps conique, dressé, porté par des jambes longues et épaisses. Les Anglais s’en servent dans les croisements pour donner du poids aux races qu’ils élèvent en vue de la consommation. Elle donne d’excellents coqs de combat.

    Un certain nombre d’autres races sont élevées surtout en vue de l’agrément ; telles sont : la race de Padoue, remarquable par sa huppe ; la Hollandaise huppée ; la race de Hambourg qui est dépourvue de huppe ; la race de combat anglaise qui a beaucoup d’analogie avec la race malaise ; la race de Bantam, etc.