Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/La chevêche ou petite chouette

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 193-196).

LA CHEVÈCHE OU PETITE CHOUETTE[1]

La chevèche[NdÉ 1] et le scops ou petit duc sont à peu près de la même grandeur : ce sont les plus petits oiseaux du genre des hiboux et des chouettes ; ils ont sept ou huit pouces de longueur depuis le bout du bec jusqu’à l’extrémité des ongles, et ne sont que de la grosseur d’un merle ; mais on ne les prendra pas l’un pour l’autre, si l’on se souvient que le petit duc a des aigrettes qui sont, à la vérité, très courtes et composées d’une seule plume, et que la chevèche a la tête dénuée de ces deux plumes éminentes ; d’ailleurs elle a l’iris des yeux d’un jaune plus pâle, le bec brun à la base et jaune vers le bout, au lieu que le petit duc a tout le bec noir ; elle en diffère aussi beaucoup par les couleurs, et peut aisément être reconnue par la régularité des taches blanches qu’elle a sur les ailes et sur le corps, et aussi par sa queue courte comme celle d’une perdrix ; elle a encore les ailes beaucoup plus courtes à proportion, plus courtes même que la grande chevèche ; elle a un cri ordinaire poupou poupou qu’elle pousse et répète en volant, et un autre cri qu’elle ne fait entendre que quand elle est posée, qui ressemble beaucoup à la voix d’un jeune homme qui s’écrierait aîme, hême, êsme plusieurs fois de suite[2] ; elle se tient rarement dans les bois ; son domicile ordinaire est dans les masures écartées des lieux peuplés, dans les carrières, dans les ruines des anciens édifices abandonnés ; elle ne s’établit pas dans les arbres creux, et ressemble par toutes ces habitudes à la grande chevèche ; elle n’est pas absolument oiseau de nuit, elle voit pendant le jour beaucoup mieux que les autres oiseaux nocturnes, et souvent elle s’exerce à la chasse des hirondelles et des autres petits oiseaux, quoique assez infructueusement, car il est rare quelle en prenne ; elle réussit mieux avec les souris et les petits mulots qu’elle ne peut avaler entiers et qu’elle déchire avec le bec et les ongles ; elle plume aussi très proprement les oiseaux avant de les manger, au lieu que les hiboux, la hulotte et les autres chouettes les avalent avec la plume, qu’elles vomissent ensuite sans pouvoir la digérer ; elle pond cinq œufs qui sont tachetés de blanc et de jaunâtre, et fait son nid presque à cru dans des trous de rochers ou de vieilles murailles. M. Frisch dit que comme cette petite chouette cherche la solitude, qu’elle habite communément les églises, les voûtes, les cimetières où l’on construit des tombeaux, quelques-uns l’on nommée oiseau d’église ou de cadavre, kirchen-vogel, leichen-huhu, et que comme on a remarqué aussi qu’elle voltigeait quelquefois autour des maisons où il y avait des mourants…, le peuple superstitieux l’a appelée oiseau de mort ou de cadavre, s’imaginant qu’elle présageait la mort des malades. M. Frisch n’a pas fait attention que c’est à l’effraie, et non pas à la chevèche, qu’appartiennent toutes ces imputations, car cette petite chouette est très rare en comparaison de l’effraie ; elle ne se tient pas comme celle-ci dans les clochers, dans les toits des églises, elle n’a pas le soufflement lugubre ni le cri âcre et effrayant de l’autre, et ce qu’il y a de certain c’est que si cette petite chouette ou chevèche est regardée en Allemagne comme l’oiseau de la mort, en France c’est à l’effraie qu’on donne ce nom sinistre. Au reste, la chevèche ou petite chouette dont M. Frisch a donné la figure, et qui se trouve en Allemagne, paraît être une variété dans l’espèce de notre chevèche ; elle est beaucoup plus noire par le plumage, et a aussi l’iris des yeux noir, au lieu que notre chevèche est beaucoup moins brune, et a l’iris des yeux jaune : nous avons aussi au Cabinet une variété de l’espèce de la chevèche qui nous a été envoyée de Saint-Domingue, et qui ne diffère de notre chevèche de France qu’en ce qu’elle a un peu moins de blanc sous la gorge, et que la poitrine et le ventre sont rayés transversalement de bandes brunes assez régulières ; au lieu que dans notre chevèche il n’y a que des taches brunes semées irrégulièrement sur ces mêmes parties.

Pour présenter en raccourci, et d’une manière plus facile à saisir, les caractères qui distinguent les cinq espèces de chouettes dont nous venons de parler, nous dirons : 1o que la hulotte est la plus grande et la plus grosse, qu’elle a les yeux noirs, le plumage noirâtre, et le bec d’un blanc jaunâtre, qu’on peut la nommer grosse chouette noire aux yeux noirs ; 2o que le chat-huant est moins grand et beaucoup moins gros que la hulotte, qu’il a les yeux bleuâtres, le plumage roux, mêlé de gris de fer, le bec d’un blanc verdâtre, et qu’on peut l’appeler la chouette rousse et gris de fer aux yeux bleus ; 3o que l’effraie est à peu près de la même grandeur que le chat-huant, qu’elle a les yeux jaunes, le plumage d’un jaune blanchâtre, varié de taches bien distinctes, et le bec blanc avec le bout du crochet brun, et qu’on peut l’appeler la chouette blanche ou jaune aux yeux orangés ; 4o que la grande chevèche ou chouette des rochers n’est pas si grande que le chat-huant ni l’effraie, quoiqu’elle soit à peu près aussi grosse, qu’elle a le plumage brun, les yeux d’un beau jaune et le bec brun, et qu’on peut l’appeler la chouette brune aux yeux jaunes et au bec brun ; 5o que la petite chouette ou chevèche est beaucoup plus petite qu’aucune des autres, qu’elle a le plumage brun, régulièrement taché de blanc, les yeux d’un jaune pâle et le bec brun à la base, et jaune vers le bout, et qu’on peut l’appeler la petite chouette brune aux yeux jaunâtres, au bec brun et orangé. Ces caractères se trouveront vrais en général, les femelles et les mâles de toutes ces espèces se ressemblant assez par les couleurs pour que les différences ne soient pas fort sensibles ; cependant il y a ici, comme dans toute la nature, des variétés assez considérables, surtout dans les couleurs il se trouve des hulottes plus noires les unes que les autres, des chats-huants plutôt couleur de plomb que gris-de-fer foncé, des effraies plus blanches ou plus jaunes les unes que les autres, des chouettes ou chevèches grandes et petites, plutôt fauves que brunes ; mais, en réunissant ensemble et comparant les caractères que nous venons d’indiquer, je crois que tout le monde pourra les reconnaître, c’est-à-dire les distinguer les unes des autres sans s’y méprendre.


Notes de Buffon
  1. M. Edwards, M. Frisch et l’auteur de la Zoologie britannique ont chacun donné une planche coloriée de cet oiseau : la meilleure et la plus ressemblante à la nature est celle de M. Edwards ; elle représente la femelle de cette espèce. La planche de la Zoologie britannique et celle de M. Frisch représentent le mâle ; mais ce dernier auteur a fait une faute en donnant des yeux d’un bleu noirâtre à cet oiseau, car il les a d’un jaune pâle.
  2. Étant couché dans une des vieilles tours du château de Montbard, une chevèche vint se poser un peu avant le jour, à trois heures du matin, sur la tablette de la fenêtre de ma chambre, et m’éveilla par son cri heme, edme ; comme je prêtais l’oreille à cette voix, qui me parut d’autant plus singulière qu’elle était tout près de moi, j’entendis un de mes gens, qui était couché dans la chambre au-dessus de la mienne, ouvrir sa fenêtre, et trompé par la ressemblance du son bien articulé edme, répondre à l’oiseau : Qui es-tu là-bas ? je ne m’appelle pas Edme, je m’appelle Pierre. Ce domestique croyait, en effet, que c’était un homme qui en appelait un autre, tant la voix de la chevèche ressemble à la voix humaine et articule distinctement ce mot.
Notes de l’éditeur
  1. Surnia passerina Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Athene noctua Scopoli, vulgairement chevêche d’Athéna ; il faut prendre garde que cette chouette a souvent partagé son ancien nom spécifique passerinus avec une espèce de chouette encore plus petite, actuellement dénommée Glaucidium passerinum Linnæus ou chevêchette d’Europe].