Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport aux hiboux et aux chouettes

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 196-201).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AUX HIBOUX ET AUX CHOUETTES

I.LE CABURE OU CABOURE.

L’oiseau appelé cabure ou caboure par les Indiens du Brésil, qui a des aigrettes de plumes sur la tête, et qui n’est pas plus gros qu’une litorne ou grive des genévriers : ces deux caractères suffisent pour indiquer qu’il tient de très près à l’espèce du scops ou petit duc, si même il n’est pas une variété de cette espèce[NdÉ 1]. Marcgrave est le seul qui ait décrit cet oiseau[1] ; il n’en donne pas la figure : c’est, dit-il, une espèce de hibou de la grandeur d’une litorne (turdela) ; il a la tête ronde, le bec court, jaune et crochu, avec deux trous pour narines ; les yeux beaux, grands, ronds, jaunes, avec la pupille noire ; sous les yeux, et à côté du bec, il y a des poils longuets et bruns ; les jambes sont courtes et entièrement couvertes, aussi bien que les pieds, de plumes jaunes ; quatre doigts à l’ordinaire, avec des ongles semi-lunaires, noirs et aigus ; la queue large, et à l’origine de laquelle se terminent les ailes ; le corps, le dos, les ailes et la queue sont de couleur d’ombre pâle, marquée sur la tête et le cou de très petites taches blanches, et sur les ailes de plus grandes taches de cette même couleur ; la queue est ondée de blanc, la poitrine et le ventre sont d’un gris blanchâtre, marqué d’ombre pâle (c’est-à-dire d’un brun clair). Marcgrave ajoute que cet oiseau s’apprivoise aisément, qu’il peut tourner la tête et allonger le cou, de manière que l’extrémité de son bec touche au milieu de son dos ; qu’il joue avec les hommes comme un singe, et fait à leur aspect diverses bouffonneries et craquements de bec ; qu’il peut outre cela remuer les plumes qui sont des deux côtés de la tête, de manière qu’elles se dressent et représentent de petites cornes ou des oreilles ; enfin qu’il vit de chair crue. On voit, par cette description, combien ce hibou approche de notre scops ou petit duc d’Europe, et je ne serais pas éloigné de croire que cette même espèce du Brésil se retrouve au cap de Bonne-Espérance. Kolbe dit que les chouettes qu’on trouve en quantité au Cap sont de la même taille que celles d’Europe, que leurs plumes sont partie rouges et partie noires, avec un mélange de taches grises qui les rendent très belles, et qu’il y a plusieurs Européens au Cap qui gardent des chouettes apprivoisées qu’on voit courir autour de leurs maisons, et qu’elles servent à nettoyer leurs chambres de souris[2] : quoique cette description ne soit pas assez détaillée pour en faire une bonne comparaison avec celle de Marcgrave, on peut croire que ces chouettes du Cap, qui s’apprivoisent aisément comme les hiboux du Brésil, sont plutôt de cette même espèce que de celles d’Europe, parce que les influences du climat sont à peu près les mêmes au Brésil et au Cap, et que les différences et les variétés des espèces sont toujours analogues aux influences du climat.

II.LE CAPARACOCH OU HAWK-OWL.

L’oiseau de la baie d’Hudson[NdÉ 2], appelé dans cette partie de l’Amérique caparacoch, très bien décrit, dessiné, gravé et colorié par M. Edwards, qui l’a nommé hawk-owl[3], chouette-épervier, parce qu’il participe des deux, et qu’il semble faire, en effet, la nuance entre ses deux genres d’oiseaux. Il n’est guère plus gros qu’un épervier de la petite espèce, sparrow hawk, épervier des moineaux ; la longueur de ces ailes et de sa queue lui donne l’air d’un épervier ; mais la forme de sa tête et de ses pieds démontre qu’il touche de plus près au genre des chouettes : cependant il vole, chasse et prend sa proie en plein jour, comme les autres oiseaux de proie diurnes ; son bec est semblable à celui de l’épervier, mais sans angles sur les côtés ; il est luisant et de couleur orangée, couvert presque en entier de poils, ou plutôt de petites plumes décomposées et grises, comme dans la plupart des espèces de chouettes ; l’iris des yeux est de la même couleur que le bec, c’est-à-dire orangée ; ils sont entourés de blanc, ombragés d’un peu de brun moucheté de petites taches longuettes et de couleur obscure, un cercle noir environne cet espace blanchâtre, et s’étend autour de la face jusqu’auprès des oreilles ; au delà de ce cercle noir se trouve encore un peu de blanc ; le sommet de la tête est d’un brun foncé, marqueté de petites taches blanches et rondes ; le tour du cou et les plumes, jusqu’au milieu du dos, sont d’un brun obscur et bordées de blanc ; les ailes sont brunes et élégamment tachées de blanc, les plumes scapulaires sont rayées transversalement de blanc et de brun ; les trois plumes les plus voisines du corps ne sont pas tachées, mais seulement bordées de blanc ; la partie inférieure du dos, le croupion et les couvertures du dessus de la queue sont d’un brun foncé, avec des raies transversales d’un brun plus léger ; la partie inférieure de la gorge, la poitrine, le ventre, les côtés, les jambes, la couverture du dessous de la queue et les petites ouvertures du dessous des ailes sont blanches, avec des raies transversales brunes ; les grandes sont d’un cendré obscur, avec des taches sur les deux bords ; la première des grandes plumes de l’aile est toute brune, sans taches ni bordure blanche, et il n’y a rien de semblable aux autres plumes de l’aile, comme on peut aussi le remarquer dans les autres chouettes ; les plumes de la queue sont au nombre de douze, d’une couleur cendrée en dessous, d’un brun obscur en dessus, avec des raies transversales étroites et blanches ; les jambes et les pieds sont couverts de plumes fines, douces et blanches comme celles du ventre, traversées de lignes brunes plus étroites et plus courtes ; les ongles sont crochus, aigus et d’un brun foncé.

Un autre individu de la même espèce était un peu plus gros et avait les couleurs plus claires, ce qui fait présumer que celui qu’on vient de décrire est le mâle, et ce second-ci la femelle ; tous deux ont été apportés de la baie d’Hudson en Angleterre par M. Light à M. Edwards.

III.LE HARFANG.

L’oiseau qui se trouve dans les terres septentrionales des deux continents, que nous appellerons harfang[NdÉ 3], du nom harfaong[4] qu’il porte en Suède, et qui, par sa grandeur, est à l’égard des chouettes ce que le grand duc est à l’égard des hiboux ; car ce harfang n’a point d’aigrettes sur la tête, et il est encore plus grand et plus gros que le grand duc. Comme la plupart des oiseaux du Nord, il est presque partout d’un très beau blanc[NdÉ 4] ; mais nous ne pouvons rien faire de mieux ici que de traduire de l’anglais la bonne description que M. Edwards nous a donnée de cet oiseau rare, et que nous n’avons pu nous procurer : « La grande chouette blanche, dit cet auteur, est de la première grandeur dans le genre des oiseaux de proie nocturnes, et c’est en même temps l’espèce la plus belle à cause de son plumage qui est blanc comme neige ; sa tête n’est pas si grosse, à proportion, que celle des autres chouettes ; ses ailes, lorsqu’elles sont pliées, ont seize pouces anglais depuis l’épaule jusqu’à l’extrémité de la plus longue plume, ce qui peut faire juger de sa grandeur ; on dit que c’est un oiseau diurne, et qu’il prend en plein jour les perdrix blanches dans les terres de la baie d’Hudson[5], où il demeure pendant toute l’année ; son bec est crochu comme celui d’un épervier, n’ayant point d’angles sur les côtés ; il est noir et percé de larges ouvertures ou narines ; il est de plus presque entièrement couvert de plumes raides, semblables à des poils plantés dans la base du bec, et se retournant en dehors ; la pupille des yeux est environnée d’un iris brillant et jaune ; la tête aussi bien que le corps, les ailes et la queue sont d’un blanc pur ; le dessus de la tête est seulement marqué de petites taches brunes ; la partie supérieure du dos est rayée transversalement de quelques lignes brunes ; les côtés sous les ailes sont aussi rayés de même, mais par des lignes plus étroites et plus claires ; les grandes plumes des ailes sont tachées de brun sur les bords extérieurs ; il y a aussi des taches brunes sur les couvertures des ailes, mais leurs couvertures en dessous sont purement blanches, le bas du dos et le croupion sont blancs et sans taches ; les jambes et les pieds sont couverts de plumes blanches, les ongles sont longs, forts, d’une coule r noire et très aigus : j’ai eu un autre individu de cette espèce, ajoute M. Edwards, qui ne différait de celui-ci qu’en ce qu’il avait des taches plus fréquentes et d’une couleur plus foncée[6]. » Cet oiseau, qui est commun dans les terres de la baie d’Hudson, est apparemment confiné dans les pays du Nord, car il est très rare en Pensylvanie, dans le nouveau continent, et, en Europe, on ne le trouve plus en deçà de la Suède et du pays de Dantzick ; il est presque blanc et sans taches dans les montagnes de Laponie. M. Klein dit que cet oiseau, qu’on appelle hûrfang en Suède, se nomme weissebunte schlidete-eule en Allemagne, qu’il a eu à Dantzick le mâle et la femelle vivants, pendant plusieurs mois[7] en 1747. M. Ellis rapporte que le grand hibou blanc sans oreilles (c’est-à-dire cette grande chouette blanche) abonde aussi bien que le hibou couronné (c’est-à-dire le grand duc) dans les terres qui avoisinent la baie d’Hudson : il est, dit cet auteur, d’un blanc éblouissant, et l’on a peine à le distinguer de la neige ; il y paraît pendant toute l’année, il vole souvent en plein jour et donne la chasse aux perdrix blanches[8]. On voit, par tous ces témoignages, que le harfang, qui est sans comparaison la plus grande de toutes les chouettes, se trouve assez communément dans les terres septentrionales des deux continents[9], mais qu’apparemment cet oiseau craint le chaud, puisqu’on ne le trouve dans aucun pays du Midi[NdÉ 5].

IV.LE CHAT-HUANT DE CAYENNE.

L’oiseau que nous avons cru devoir appeler le chat-huant de Cayenne[NdÉ 6], qui n’a été indiqué par aucun naturaliste, est, en effet, de la grandeur du chat-huant, dont cependant il diffère par la couleur des yeux qu’il a jaunes, en sorte qu’on pourrait peut-être le rapporter également à l’espèce de l’effraie ; mais, dans le vrai, il ne ressemble ni à l’un ni à l’autre, et nous paraît être un oiseau différent de tous ceux que nous avons indiqués : il est particulièrement remarquable par son plumage roux, rayé transversalement de lignes en ondes brunes et très étroites, non seulement sur la poitrine et le ventre, mais même sur le dos ; il a aussi le bec couleur de chair et les ongles noirs. Cette courte description suffira pour faire distinguer cette espèce nouvelle de toutes les autres chouettes.

V.LA CHOUETTE OU GRANDE CHEVÈCHE DE CANADA.

Cet oiseau, qui a été indiqué par M. Brisson[10], sous le nom de chat-huant de Canada[NdÉ 7], nous a paru approcher beaucoup plus de l’espèce de la grande chevèche, et c’est par cette raison que nous lui en avons donné le nom ; elle en diffère néanmoins en ce qu’elle a sur la poitrine et sur le ventre des bandes brunes transversales régulièrement disposées ; et c’est chose assez singulière, qui se trouve également dans la petite chevèche d’Amérique dont nous avons parlé à l’article de la chevèche ou petite chouette, et que nous n’avons considérée que comme une variété de cette petite espèce.

VI.LA CHOUETTE OU GRANDE CHEVÈCHE DE SAINT-DOMINGUE.

Cet oiseau[NdÉ 8] nous a été envoyé de Saint-Domingue, et nous paraît être une espèce nouvelle différente de toutes celles qui ont été indiquées par tous les naturalistes ; nous avons cru devoir la rapporter par le nom à celle de la chouette ou grande chevèche d’Europe, parce qu’elle s’en éloigne moins que d’aucune autre ; mais dans le réel elle nous paraît faire une espèce à part et qui mériterait un nom particulier ; elle a le bec plus grand, plus fort et plus crochu qu’aucune espèce de chouette, et elle diffère encore de notre grande chevèche en ce qu’elle a le ventre d’une couleur roussâtre, uniforme, et qu’elle n’a sur la poitrine que quelques taches longitudinales ; au lieu que la chouette ou grande chevèche d’Europe a sur la poitrine et sur le ventre de grandes taches brunes, oblongues et pointues qui lui ont fait donner le nom de chouette flambée, noctua flammeata.


Notes de Buffon
  1. Marcgrave, Hist. Brasil., page 212.
  2. Description du cap de Bonne-Espérance, t. III, p. 198 et 199.
  3. The Little Hawk-owl. Edwards, Hist. of Birds. t. II, p. 62, pl. lxii, avec une bonne figure coloriée.
  4. Strix capite lævi, corpore albido. Harfaong. » Linn. Faun. Suec., no 54… « Nyctea. Strix capite lævi, corpore albido, maculis lunatis distantibus fuscis. » Idem. Syst. nat., édit. X… « Noctua scandiana maxima ex albo et cinereo variegata. » Rudbeck cité par Linnæus. Ibid.
  5. Ces perdrix blanches des terres du nord de l’Amérique ne sont pas des perdrix, mais des gelinottes.
  6. Edwards, Hist. of Birds, t. II, p. 61, pl. lxi, avec une bonne figure coloriée.
  7. « Ulula alba maculis terrei coloris. Hûrfang : Suec. Weissebunte Schlictete-eule. » — « Ejusmodi avem anno 1747, 3 jan. infarctam inter curiosa societatis Gûar reposui. Pondus æquabat 3 1/2 libras : posteâ marem et fœminam vivos obtinui ; post menses sex fœminâ mortuâ, marem libertate donavi. » Eadem apud Edwardum, t. II, p. 61. — « Ab unco rostri ad exilum caudæ 1 1/16 ulnæ dant alis expansis 2 3/8 rostrum et ungues nigri ; genæ, alæ infernæ, uropygium, pedes, pilosa, lactea ; truncus supernè super albo ex cinereo marmoratus. » Klein, Avi., p. 54.
  8. Voyage de la baie d’Hudson, t. Ier, pages 55 et 56. — Nota. J’ai déjà averti que ces perdrix étaient des gelinottes.
  9. On le trouve, comme on voit, en Laponie, en Suède et dans le Nord de l’Allemagne ; on le trouve à la baie d’Hudson et en Pensylvanie ; on le trouve aussi en Islande, car Anderson l’a fait dessiner et graver. Voyez la Description de l’Islande, par Anderson, t. Ier, p. 85, pl. i ; et quoique Horrobous, qui a fait la critique de l’ouvrage d’Anderson, assure qu’il n’y a aucun hibou ni chouette en Islande, ce fait négatif et général ne doit pas être admis sur la parole d’un seul garant, dont il paraît que le but principal était de contredire Anderson.
  10. Brisson, Ornithol., t. Ier, p. 518, pl. xxxvii, fig. 2.
Notes de l’éditeur
  1. C’est le Strix brasiliana de Gmelin. [Note de Wikisource : L’identification de cet oiseau sur la seule description de Marcgrave est discutée. On a convenu de faire remonter à la Strix brasiliana de Gmelin la chouette dite chevêchette brune, actuellement Glaucidium brasilianum Gmelin, appelée caburé en espagnol et en portugais. Mais la description de Marcgrave, et notamment la mention d’aigrette dont la chevêchette est dépourvue, fait plutôt penser au petit-duc choliba, actuellement Strix choliba Vieillot. L’Avibase enregistre ainsi la Strix brasiliana de Gmelin comme protonyme de la première espèce et comme synonyme de la seconde.]
  2. C’est le Strix (Surnia) hudsonia de Gmelin [Note de Wikisource : il s’agit de la sous-espèce américaine, actuellement Surnia ulula caparoch Statius Müller, de la chouette épervière (ou épervière boréale) Surnia ulula Linnæus].
  3. Nyctea nivea Daud. [Note de Wikisource : actuellement Bubo scandiacus Linnæus, vulgairement harfang des neiges]. — Les Nyctea sont des Rapaces de la famille des Strigidés, à tête petite et étroite ; à ailes obtuses ; à queue assez longue, arrondie ; à bec fort, terminé par un crochet court ; à tarses et à doigts courts, couverts de plumes très serrées ; à oreilles externes petites, et à cercle auriculaire peu développé.
  4. Les vieux sont blancs, avec de rares taches brunes. Ces taches sont d’autant plus nombreuses et larges que l’oiseau est plus jeune.
  5. Le Harfang des neiges paraît dépasser en hardiesse tous les autres oiseaux de la famille des Strigidés. On raconte qu’il attaque les chiens et que, quand il est blessé, il se retourne contre le chasseur lui-même. Le nom suédois, Haarfang, donné à cet oiseau signifie « preneur de lièvres », ce qui indique qu’il se livre à la chasse des gros mammifères. D’après Radde, sur les hauts plateaux déboisés de la Transbeikalie il se nourrit surtout de marmottes, dont il fait une très grande consommation. En Europe, il se nourrit habituellement de petits rongeurs, notamment de lemmings. Audubon l’a vu, sur les bords de l’Ohio, faire la chasse aux poissons.
  6. C’est le Strix cayennensis Gmel. [Note de Wikisource : probablement une variété de l’actuelle Strix hylophila Temminck, vulgairement chouette dryade].
  7. Strix canadensis [Note de Wikisource : il s’agit du même oiseau que celui que Buffon appelle grande chevêche et qui est appelé maintenant hibou des marais, soit Asio flammeus Pontoppidan].
  8. Strix dominicensis L. [Note de Wikisource : il s’agit encore du hibou des marais, Asio flammeus Pontoppidan, sous-espèce domingensis].