Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/L’outarde

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 256-274).

L’OUTARDE


La première chose que l’on doit se proposer lorsqu’on entreprend d’éclaircir l’histoire d’un animal, c’est de faire une critique sévère de sa nomenclature, de démêler exactement les différents noms qui lui ont été donnés dans toutes les langues et dans tous les temps, et de distinguer, autant qu’il est possible, les espèces différentes auxquelles les mêmes noms ont été appliqués ; c’est le seul moyen de tirer parti des connaissances des anciens, et de les lier utilement aux découvertes des modernes, et par conséquent le seul moyen de faire de véritables progrès en histoire naturelle ; en effet, comment, je ne dis pas un seul homme, mais une génération entière, plusieurs générations de suite, pourraient-elles faire complètement l’histoire d’un seul animal ? presque tous les animaux craignent l’homme et le fuient ; le caractère de supériorité que la main du Très-Haut a gravé sur son front leur inspire plus de frayeur que de respect ; ils ne soutiennent point ses regards, ils se défient de ses embûches, ils redoutent ses armes ; ceux même qui pourraient se défendre par la force ou résister par leur masse se retirent dans des déserts que nous ne daignons pas leur disputer, ou se retranchent dans des forêts impénétrables ; les petits, sûrs de nous échapper par leur petitesse, et rendus plus hardis par leur faiblesse même, vivent chez nous malgré nous, se nourrissent à nos dépens, quelquefois même de notre propre substance, sans nous être mieux connus ; et parmi le grand nombre de classes intermédiaires renfermées entre ces deux classes extrêmes, les uns se creusent des retraites souterraines, les autres s’enfoncent dans la profondeur des eaux, d’autres se perdent dans le vague des airs, et tous disparaissent devant le tyran de la nature : comment donc pourrions-nous dans un court espace de temps voir tous les animaux dans toutes les situations où il faut les avoir vus pour connaître à fond leur naturel, leurs mœurs, leur instinct, en un mot, les principaux faits de leur histoire ? On a beau rassembler à grands frais des suites nombreuses de ces animaux, conserver avec soin leur dépouille extérieure, y joindre leurs squelettes artistement montés, donner à chaque individu son attitude propre et son air naturel, tout cela ne représente que la nature morte, inanimée, superficielle ; et si quelque souverain concevait l’idée vraiment grande de concourir à l’avancement de cette belle partie de la science, en formant de vastes ménageries, et réunissant sous les yeux des observateurs un grand nombre d’espèces vivantes, on y prendrait encore des idées imparfaites de la nature ; la plupart des animaux intimidés par la présence de l’homme, importunés par ses observations, tourmentés d’ailleurs par l’inquiétude inséparable de la captivité, ne montreraient que des mœurs altérées, contraintes et peu dignes des regards d’un philosophe, pour qui la nature libre, indépendante, et si l’on veut sauvage, est la seule belle nature.

Il faut donc, pour connaître les animaux avec quelque exactitude, les observer dans l’état sauvage, les suivre jusque dans les retraites qu’ils se sont choisies eux-mêmes, jusque dans ces antres profonds, et sur ces rochers escarpés où ils vivent en pleine liberté ; il faut même, en les étudiant, faire en sorte de n’en être point aperçu : car ici l’œil de l’observateur, s’il n’est en quelque façon invisible, agit sur le sujet observé et l’altère réellement ; mais comme il est fort peu d’animaux, surtout parmi ceux qui sont ailés, qu’il soit facile d’étudier ainsi, et que les occasions de les voir agir d’après leur naturel véritable, et montrer leurs mœurs franches et pures de toute contrainte, ne se présentent que de loin en loin, il s’ensuit qu’il faut des siècles et beaucoup de hasards heureux pour amasser tous les faits nécessaires, une grande attention pour rapporter chaque observation à son véritable objet, et conséquemment pour éviter la confusion des noms qui de toute nécessité entraînerait celle des choses ; sans ces précautions l’ignorance la plus absolue serait préférable à une prétendue science, qui ne serait au fond qu’un tissu d’incertitudes et d’erreurs ; l’outarde[NdÉ 1] nous en offre un exemple frappant. Les Grecs lui avaient donné le nom d’otis ; Aristote en parle en trois endroits sous ce nom[1], et tout ce qu’il en dit convient exactement à notre outarde ; mais les Latins, trompés apparemment par la ressemblance des mots, l’ont confondue avec l’otus, qui est un oiseau de nuit. Pline ayant dit, avec raison, que l’oiseau appelé otis par les Grecs se nommait avis tarda en Espagne, ce qui convient à l’outarde, ajoute que la chair en est mauvaise[2], ce qui convient à l’otus, selon Aristote et la vérité, mais nullement à l’outarde ; et cette méprise est d’autant plus facile à supposer que Pline, dans le chapitre suivant, confond évidemment l’otis avec l’otus[3], c’est-à-dire l’outarde avec le hibou.

Alexandre Myndien, dans Athénée[4], tombe aussi dans la même erreur, en attribuant à l’otus ou à l’otis qu’il prend pour un seul et même oiseau, d’avoir les pieds de lièvre, c’est-à-dire velus, ce qui est vrai de l’otus, hibou qui, comme la plupart des oiseaux de nuit, a les jambes et les pieds velus ou plutôt couverts jusque sur les ongles de plumes effilées, et non de l’otis, qui est notre outarde, et qui a non seulement le pied, mais encore la partie inférieure de la jambe immédiatement au-dessus du tarse, sans plumes.

Sigismond Galenius ayant trouvé dans Hésychius le nom de ῤάφος, dont l’application n’était point déterminée, l’appropria de son bon plaisir à l’outarde[5] ; et, depuis, MM. Moering et Brisson l’ont appliqué au dronte, sans rendre compte des raisons qui les y ont engagés.

Les Juifs modernes ont détourné arbitrairement l’ancienne acception du mot hébreu anapha, qui signifiait une espèce de milan, et par lequel ils désignent aujourd’hui l’outarde[6].

M. Brisson, après avoir donné le mot ὀτὶς comme le nom grec de l’outarde, selon Belon, donne ensuite le mot ὀτίδα pour son nom grec, selon Aldrovande[7], ne prenant pas garde que ὀτίδα est l’accusatif de ὀτὶς, et par conséquent un seul et même nom ; c’est comme s’il eût dit que les uns l’appellent tarda, et les autres tardam.

Schwenckfeld prétend que le tetrix dont parle Aristote[8], et qui était l’ourax des Athéniens, est aussi notre outarde[9] ; cependant le peu que dit Aristote du tetrix ne convient point à l’outarde ; le tetrix niche parmi les plantes basses, et l’outarde parmi les blés, les orges, etc., que probablement Aristote n’a point voulu désigner par l’expression générique de plantes basses ; en second lieu, voici comment s’explique ce grand philosophe : « Les oiseaux qui volent peu, comme les perdrix et les cailles, ne font point de nids, mais pondent à terre sur de petits tas de feuilles qu’elles ont amoncelées ; l’alouette et le tetrix font aussi de même. » Pour peu qu’on fasse d’attention à ce passage, on voit qu’il est d’abord question des oiseaux pesants et qui volent peu, qu’Aristote parle ensuite de l’alouette et du tetrix qui nichent à terre comme ces oiseaux qui volent peu, quoique apparemment ils soient moins pesants, puisque l’alouette est du nombre ; et que si Aristote eût voulu parler de notre outarde sous le nom de tetrix, il l’eût rangée sans doute comme oiseau pesant, avec les perdrix et les cailles, et non avec les alouettes, qui par leur vol élevé ont mérité, selon Schwenckfeld lui-même, le nom de celipètes[10].

Longolius[11] et Gessner[12] pensent l’un et l’autre que le tetrax du poète Nemesianus n’est autre chose que l’outarde, et il faut avouer qu’il en a à peu près la grosseur[13] et le plumage[14] ; mais ces rapports ne sont pas suffisants pour emporter l’identité de l’espèce, et d’autant moins suffisants, qu’en comparant ce que dit Nemesianus de son tetrax avec ce que nous savons de notre outarde, j’y trouve deux différences marquées : la première, c’est que le tetrax paraît familier par stupidité, et qu’il va se précipiter dans les pièges qu’il a vus qu’on dressait contre lui[15], au lieu que l’outarde ne soutient pas l’aspect de l’homme et qu’elle s’enfuit fort vite du plus loin qu’elle l’aperçoit[16] ; en second lieu, le tetrax faisait son nid au pied du mont Apennin, au lieu qu’Aldrovande, qui était italien, nous assure positivement qu’on ne voit d’outardes en Italie que celles qui y ont été apportées par quelque coup de vent[17] ; il est vrai que Willughby soupçonne qu’elles ne sont point rares dans ces contrées, et cela sur ce qu’en passant par Modène il en vit une au marché ; mais il me semble que cette outarde unique, aperçue au marché d’une ville comme Modène, s’accorde encore mieux avec le dire d’Aldrovande qu’avec la conjecture de Willughby.

M. Perrault impute à Aristote d’avoir avancé que l’otis, en Scythie[18], ne couve point ses œufs comme les autres oiseaux, mais qu’elle les enveloppe dans une peau de lièvre ou de renard, et les cache au pied d’un arbre au haut duquel elle se perche : cependant Aristote n’attribue rien de tout cela à l’outarde, mais à un certain oiseau de Scythie, probablement un oiseau de proie, puisqu’il savait écorcher les lièvres et les renards, et qui seulement était de la grosseur d’une outarde, ainsi que Pline[19] et Gaza le traduisent[20] ; d’ailleurs, pour peu qu’Aristote connût l’outarde, il ne pouvait ignorer qu’elle ne se perche point.

Le nom composé de trapp-gansz, que les Allemands ont appliqué à cet oiseau, a donné lieu à d’autres erreurs : trappen signifie marcher, et l’usage a attaché à ses dérivés une idée accessoire de lenteur, de même qu’au gradatim des Latins et à l’andante des Italiens ; et en cela le mot trapp peut très bien être appliqué à l’outarde, qui, lorsqu’elle n’est point poursuivie, marche lentement et pesamment ; il lui conviendrait encore, quand cette idée accessoire de lenteur n’y serait point attachée, parce qu’en caractérisant un oiseau par l’habitude de marcher, c’est dire assez qu’il vole peu.

À l’égard du mot gansz, il est susceptible d’équivoque ; ici il doit peut-être s’écrire, comme je l’ai écrit, avec un Z final, et de cette manière il signifie beaucoup, et annonce un superlatif ; au lieu que lorsqu’on l’écrit par un S, gans, il signifie une oie : quelques auteurs l’ayant pris dans ce dernier sens l’ont traduit en latin par anser trappus, et cette erreur de nom influant sur la chose, on n’a pas manqué de dire que l’outarde était un oiseau aquatique qui se plaisait dans les marécages[21], et Aldrovande lui-même, qui avait été averti de cette équivoque de noms par un médecin hollandais, et qui penchait à prendre le mot gansz dans le même sens que moi[22], fait cependant dire à Belon, en le traduisant en latin, que l’outarde aime les marécages[23], quoique Belon dise précisément le contraire[24] ; et cette erreur en produisant une autre, on a donné le nom d’outarde à un oiseau véritablement aquatique, à une espèce d’oie noire et blanche que l’on trouve en Canada et dans plusieurs endroits de l’Amérique septentrionale[25]. C’est sans doute par une suite de cette méprise qu’on envoya d’Écosse, à Gessner, la figure d’un oiseau palmipède sous le nom de gustarde[26], qui est le nom que l’on donne dans ce pays à l’outarde véritable, et que Gessner fait dériver de tarde, lent, tardif, et de guss et gooss, qui, en hollandais et en anglais, signifie une oie[27] : voilà donc l’outarde, qui est un oiseau tout à fait terrestre, travestie en un oiseau aquatique avec lequel elle n’a cependant presque rien de commun, et cette bizarre métamorphose a été produite évidemment par une équivoque de mots ; ceux qui ont voulu justifier ou excuser le nom d’anser trappus ou trapp-gans, ont été réduits à dire, les uns que les outardes volaient par troupes comme les oies[28], les autres qu’elles étaient de la même grosseur[29], comme si la grosseur ou l’habitude de voler par troupes pouvaient seules caractériser une espèce : à ce compte les vautours et les coqs de bruyère pourraient être rangés avec l’oie ; mais c’est trop insister sur une absurdité, je me hâte de terminer cette liste d’erreurs, et cette critique, peut-être un peu longue, mais que j’ai crue nécessaire.

Belon a prétendu que le tetrao alter de Pline[30] était l’outarde[31], mais c’est sans fondement, puisque Pline parle au même endroit de l’avis tarda : il est vrai que Belon, défendant son erreur par une autre, avance que l’avis tarda des Espagnols et l’otis des Grecs désignent le duc ; mais il faudrait prouver auparavant : 1o que l’outarde se tient sur les hautes montagnes, comme Pline l’assure du tetrao alter (gignunt eos Alpes[32]), ce qui est contraire à ce qui a été dit de cet oiseau par tous les naturalistes, excepté M. Barrère[33] ; 2o que le duc, et non l’outarde, a été en effet connu en Espagne sous le nom d’avis tarda, et, en grec, sous celui d’otis : assertion insoutenable et combattue par le témoignagne de presque tous les écrivains. Ce qui peut avoir trompé Belon, c’est que Pline donne son second tetrao comme un des plus beaux oiseaux après l’autruche, ce qui, suivant Belon, ne peut convenir qu’à l’outarde ; mais nous verrons dans la suite que le grand tetras ou coq de bruyère surpasse quelquefois l’outarde en grosseur : et si Pline ajoute que la chair de cette avis tarda est un mauvais manger, ce qui convient beaucoup mieux à l’otus hibou, ou moyen duc, qu’à l’otis outarde, Belon aurait pu soupçonner que ce naturaliste confond ici l’otis avec l’otus, comme je l’ai remarqué plus haut, et qu’il attribue à une seule espèce les propriétés de deux espèces très différentes, désignées dans ses recueils par des noms presque semblables ; mais il n’aurait pas dû conclure que l’avis tarda est en effet un duc.

Le même Belon penchait à croire que son œdicnemus était un ostardeau[34], et, en effet, cet oiseau n’a que trois doigts, et tous antérieurs comme l’outarde ; mais il a le bec très différent, le tarse plus gros, le cou plus court, et il paraît avoir plus de rapport avec le pluvier qu’avec l’outarde : c’est ce que nous examinerons de plus près dans la suite.

Enfin il faut être averti que quelques auteurs, trompés apparemment par la ressemblance des mots, ont confondu le nom de starda, qui, en italien, signifie une outarde, avec le nom de starna, qui dans la même langue signifie perdrix[35].

Il résulte de toutes ces discussions que l’otis des Grecs, et non l’otus, est notre outarde ; que le nom de ῤάφος lui a été appliqué au hasard comme il l’a été ensuite au dronte : que celui d’anapha, que lui donnent les juifs modernes, appartenait autrefois au milan ; que c’est l’avis tarda de Pline, ou plutôt des Espagnols au temps de Pline, ainsi appelée à cause de sa lenteur, et non, comme le veut Nyphus, parce qu’elle n’aurait été connue à Rome que fort tard ; qu’elle n’est ni le tetrix d’Aristote, ni le tetrax du poëte Nemesianus, ni cet oiseau de Scythie dont parle Aristote dans son Histoire des Animaux[36], ni le tetrao alter de Pline, ni un oiseau aquatique, et enfin que c’est la starda et non la starna des Italiens.

Pour sentir combien cette discussion préliminaire était importante, il ne faut que se représenter la bizarre et ridicule idée que se ferait de l’outarde un commençant qui aurait recueilli, sans choix et avec une confiance aveugle, tout ce qui a été attribué par les auteurs à cet oiseau, ou plutôt aux différents noms par lesquels il l’aurait trouvé désigné dans leurs ouvrages ; il serait obligé d’en faire à la fois un oiseau de jour et de nuit, un oiseau de montagne et de vallée, un oiseau d’Europe et d’Amérique, un oiseau aquatique et terrestre, un oiseau granivore et carnassier, un oiseau très gros et très petit ; en un mot un monstre, et même un monstre impossible : ou s’il voulait opter entre ces attributs contradictoires, ce ne pourrait être qu’en rectifiant la nomenclature comme nous avons fait par la comparaison de ce que l’on sait de cet oiseau avec ce qu’en ont dit les naturalistes qui nous ont précédé.

Mais c’est assez nous arrêter sur le nom, il est temps de nous occuper de la chose. Gessner s’est félicité d’avoir fait le premier la remarque que l’outarde pouvait se rapporter au genre des gallinacés[37], et il est vrai qu’elle en a le bec et la pesanteur, mais elle en diffère par sa grosseur, par ses pieds à trois doigts, par la forme de la queue, par la nudité du bas de la jambe, par la grande ouverture des oreilles, par les barbes de plumes qui lui tombent sous le menton, au lieu de ces membranes charnues qu’ont les gallinacés, sans parler des différences intérieures.

Aldrovande n’est pas plus heureux dans ses conjectures, lorsqu’il prend pour une outarde cet aigle frugivore dont parle Élien[38], à cause de sa grandeur[39], comme si le seul attribut de la grandeur suffisait pour faire naître l’idée d’un aigle ; il me paraît bien plus vraisemblable qu’Élien voulait parler du grand vautour, qui est un oiseau de proie comme l’aigle, et même plus puissant que l’aigle commun, et qui devient frugivore dans les cas de nécessité : j’ai ouvert un de ces oiseaux qui avait été démonté par un coup de fusil et qui avait passé plusieurs jours dans les champs semés de blé ; je ne lui trouvai dans les intestins qu’une bouillie verte, qui était évidemment de l’herbe à demi digérée.

On retrouverait bien plutôt les caractères de l’outarde dans le tetrax d’Athénée, plus grand que les plus gros coqs (et on sait qu’il y en a de très gros en Asie) n’ayant que trois doigts aux pieds, des barbes qui lui tombent de chaque côté du bec, le plumage émaillé, la voix grave, et dont la chair a le goût de celle de l’autruche, avec qui l’outarde a tant d’autres rapports[40] ; mais ce tetrax ne peut être l’outarde, puisque c’est un oiseau dont, selon Athénée, il n’est fait aucune mention dans les livres d’Aristote, au lieu que ce philosophe parle de l’outarde en plusieurs endroits.

On pourrait encore soupçonner, avec M. Perrault[41], que ces perdrix des Indes dont parle Strabon, qui ne sont pas moins grosses que des oies, sont des espèces d’outardes ; le mâle diffère de la femelle par les couleurs du plumage qu’il a autrement distribuées et plus vives, par ces barbes de plumes qui lui tombent des deux côtés sur le cou, dont il est surprenant que M. Perrault n’ait point parlé et dont mal à propos Albin a orné la figure de la femelle, par sa grosseur presque double de celle de la femelle, ce qui est une des plus grandes disproportions qui aient été observées en aucune autre espèce de la taille de la femelle à celle du mâle[42].

Belon[43] et quelques autres, qui ne connaissaient ni le casoar, ni le touyou, ni le dronte, ni peut-être le griffon ou grand vautour, regardaient l’outarde comme un oiseau de la seconde grandeur, et le plus gros après l’autruche : cependant le pélican, qui ne leur était pas inconnu[44], est beaucoup plus grand selon M. Perrault ; mais il peut se faire que Belon ait vu une grosse outarde et un petit pélican, et dans ce cas tout son tort sera, comme celui de bien d’autres, d’avoir assuré de l’espèce ce qui n’était vrai que de l’individu.

M. Edwards reproche à Willughby de s’être trompé grossièrement, et d’avoir induit en erreur Albin, qui l’a copié en disant que l’outarde avait soixante pouces anglais de longueur du bout du bec au bout de la queue : en effet, celles que j’ai mesurées n’avaient guère plus de trois pieds, ainsi que celle de M. Brisson ; et la plus grande qui ait été mesurée par M. Edwards avait trois pieds et demi dans ce sens, et trois pieds neuf pouces et demi du bout du bec au bout des ongles[45] : les auteurs de la Zoologie britannique la fixent à près de quatre pieds anglais, ce qui revient à un peu moins de trois pieds neuf pouces de France[46] : l’étendue du vol varie de plus de moitié en différents sujets ; elle a été trouvée de sept pieds quatre pouces par M. Edwards, de neuf pieds par les auteurs de la Zoologie britannique, et de quatre pieds de France par M. Perrault, qui assure n’avoir jamais observé que des mâles, toujours plus gros que les femelles.

Le poids de cet oiseau varie aussi considérablement : les uns l’ont trouvé de dix livres[47], et d’autres de vingt-sept[48] et même de trente[49] ; mais, outre ces variétés dans le poids et la grandeur, on en a aussi remarqué dans les proportions ; tous les individus de cette espèce ne paraissent pas avoir été formés sur le même modèle. M. Perrault en a observé dont le cou était plus long, et d’autres dont le cou était plus court proportionnellement aux jambes ; et d’autres dont le bec était plus pointu ; d’autres dont les oreilles étaient recouvertes par des plumes plus longues[50] ; tous avaient le cou et les jambes beaucoup plus longs que ceux que Gessner et Aldrovande ont examinés. Dans les sujets décrits par M. Edwards, il y avait de chaque côté du cou deux places nues, de couleur violette, et qui paraissaient garnies de plumes lorsque le cou était fort étendu[51] ; ce qui n’a point été indiqué par les autres observateurs. Enfin M. Klein a remarqué que les outardes de Pologne ne ressemblaient pas exactement à celles de France et d’Angleterre[52] ; et en effet on trouve, en comparant les descriptions, quelques différences de couleurs dans le plumage, le bec, etc.

En général l’outarde se distingue de l’autruche, du touyou, du casoar et du dronte par ses ailes, qui, quoique peu proportionnées au poids de son corps, peuvent cependant l’élever et la soutenir quelque temps en l’air, au lieu que celles des quatre autres oiseaux que j’ai nommés sont absolument inutiles pour le vol : elle se distingue de presque tous les autres par sa grosseur, ses pieds à trois doigts isolés et sans membranes, son bec de dindon, son duvet couleur de rose, et la nudité du bas de la jambe : non point par chacun de ces caractères, mais par la réunion de tous[NdÉ 2].

L’aile est composée de vingt-six pennes, selon M. Brisson, et de trente-deux ou trente-trois, suivant M. Edwards, qui peut-être compte celles de l’aile bâtarde. La seule chose que j’aie à faire remarquer dans ces pennes, c’est qu’aux troisième, quatrième, cinquième et sixième plumes de chaque aile, les barbes extérieures deviennent tout à coup plus courtes, et ces pennes conséquemment plus étroites à l’endroit où elles sortent de dessous leurs couvertures[53].

Les pennes de la queue sont au nombre de vingt, et les deux du milieu sont différentes de toutes les autres.

M. Perrault[54] impute à Belon comme une erreur d’avoir dit que le dessus des ailes de l’outarde était blanc[55], contre ce qu’avaient observé MM. de l’Académie, et contre ce qui se voit dans les oiseaux qui ont communément plus de blanc sous le ventre et dans toute la partie inférieure du corps, et plus de brun et d’autres couleurs sur le dos et les ailes ; mais il me semble que sur cela Belon peut être aisément justifié, car il a dit exactement, comme MM. de l’Académie, que l’outarde était blanche par-dessous le ventre et dessous les ailes ; et lorsqu’il a avancé que le dessus des ailes était blanc, il a sans doute entendu parler des pennes de l’aile qui approchent du corps et qui se trouvent en effet au-dessus de l’aile, celle-ci étant supposée pliée et l’oiseau debout : or, dans ce sens, ce qu’il a dit se trouve vrai et conforme à la description de M. Edwards, où la vingt-sixième penne de l’aile et les suivantes, jusqu’à la trentième, sont parfaitement blanches[56].

M. Perrault a fait une observation plus juste : c’est que quelques plumes de l’outarde ont du duvet, non seulement à leur base, mais encore à leur extrémité, en sorte que la partie moyenne de la plume, qui est composée de barbes fermes et accrochées les unes aux autres, se trouve entre deux parties où il n’y a que du duvet ; mais ce qui est très remarquable, c’est que le duvet de la base de toutes les plumes, à l’exception des pennes du bout de l’aile, est d’un rouge vif approchant de la couleur rose, ce qui est un caractère commun à la grande et à la petite outarde ; le bout du tuyau est aussi de la même couleur[57].

Le pied ou plutôt le tarse, et la partie inférieure de la jambe qui s’articule avec le tarse sont revêtus d’écailles très petites ; celles des doigts sont en tables longues et étroites ; elles sont toutes de couleur grise, et recouvertes d’une petite peau qui s’enlève comme la dépouille d’un serpent[58].

Les ongles sont courts et convexes par-dessous comme par-dessus, ainsi que ceux de l’aigle que Belon appelle haliætos[59], en sorte qu’en les coupant perpendiculairement à leur axe, la coupe en serait à peu près circulaire[60].

M. Salerne s’est trompé, en imprimant que l’outarde avait au contraire les ongles caves en dessous[61].

Sous les pieds, on voit en arrière un tubercule calleux qui tient lieu de talon[62].

La poitrine est grosse et ronde[63] ; la grandeur de l’ouverture de l’oreille est apparemment sujette à varier, car Belon a trouvé cette ouverture plus grande dans l’outarde que dans aucun autre oiseau terrestre[64] ; et MM. de l’Académie n’y ont rien vu d’extraordinaire[65]. Ces ouvertures sont cachées sous les plumes ; on aperçoit dans leur intérieur deux conduits, dont l’un se dirige au bec et l’autre au cerveau[66].

Dans le palais et la partie inférieure du bec, il y a, sous la membrane qui revêt ces parties, plusieurs corps glanduleux qui s’ouvrent dans la cavité du bec par plusieurs tuyaux fort visibles[67].

La langue est charnue en dehors ; elle a au dedans un noyau cartilagineux qui s’attache à l’os hyoïde, comme dans la plupart des oiseaux ; ses côtés sont hérissés de pointes d’une substance moyenne entre la membrane et le cartilage[68] : cette langue est dure et pointue par le bout, mais elle n’est pas fourchue comme l’a dit M. Linnæus, trompé sans doute par une faute de ponctuation qui se trouve dans Aldrovande, et qui a été copiée par quelques autres[69].

Sous la langue se présente l’orifice d’une espèce de poche tenant environ sept pintes anglaises, et que le docteur Douglas, qui l’a découverte le premier, regarde comme un réservoir que l’outarde remplit d’eau pour s’en servir au besoin lorsqu’elle se trouve au milieu des plaines vastes et arides où elle se tient par préférence ; ce singulier réservoir est propre au mâle[70], et je soupçonne qu’il a donné lieu à une méprise d’Aristote. Ce grand naturaliste avance que l’œsophage de l’outarde est large dans toute sa longueur[71] ; cependant les modernes, et notamment MM. de l’Académie, ont observé qu’il s’élargissait seulement en s’approchant du gésier[72]. Ces deux assertions, qui paraissent contradictoires, peuvent néanmoins se concilier, en supposant qu’Aristote ou les observateurs chargés de recueillir les faits dont il composait son histoire des animaux, ont pris pour l’œsophage cette poche ou réservoir qui est en effet fort ample et fort large dans toute son étendue.

Le véritable œsophage, à l’endroit où il s’épaissit, est garni de glandes régulièrement arrangées ; le gésier, qui vient ensuite (car il n’y a point de jabot), est long d’environ quatre pouces, large de trois ; il a la dureté de celui des poules communes, et cette dureté ne vient point, comme dans les poules, de l’épaisseur de la partie charnue, qui est fort mince ici, mais de la membrane interne, laquelle est très dure, très épaisse, et de plus godronnée, plissée et replissée en différents sens, ce qui grossit beaucoup le volume du gésier.

Cette membrane interne paraît n’être point continue, mais seulement contiguë et jointe bout à bout à la membrane interne de l’œsophage : d’ailleurs celle-ci est blanche, au lieu que celle du gésier est d’un jaune doré[73].

La longueur des intestins est d’environ quatre pieds, non compris les cæcums ; la tunique interne de l’ileon est plissée selon sa longueur, et elle a quelques rides transversales à son extrémité[74].

Les deux cæcums sortent de l’intestin à environ sept pouces de l’anus, se dirigeant d’arrière en avant. Suivant Gessner, ils sont inégaux selon toutes leurs dimensions, et c’est le plus étroit qui est le plus long dans la raison de six à cinq[75]. M. Perrault dit seulement que le droit, qui a un pied plus ou moins, est ordinairement un peu plus long que le gauche[76].

À un pouce à peu près de l’anus, l’intestin se rétrécit ; puis, se dilatant, forme une poche capable de contenir un œuf, et dans laquelle s’insèrent les uretères et le canal déférent ; cette poche intestinale, appelée bourse de Fabrice[77], a aussi son cæcum long de deux pouces, large de trois lignes, et le trou qui communique de l’un à l’autre est surmonté d’un repli de la membrane interne, lequel peut servir de valvule[78].

Il résulte de ces observations que l’outarde, bien loin d’avoir plusieurs estomacs et de longs intestins, comme les ruminants, a au contraire le tube intestinal fort court et d’une petit capacité, et qu’il n’a qu’un seul ventricule ; en sorte que l’opinion de ceux qui prétendent que cet oiseau rumine[79] serait réfutée par cela seul : mais il ne faut pas non plus se persuader, avec Albert, que l’outarde soit carnassière, qu’elle se nourrisse de cadavres, que même elle fasse la guerre au petit gibier, et qu’elle ne mange de l’herbe et du grain que dans le cas de grande disette ; il faut encore moins conclure de ces suppositions qu’elle a le bec et les ongles crochus, toutes erreurs accumulées par Albert[80] d’après un passage d’Aristote mal entendu[81], admises par Gessner avec quelques modifications[82], mais rejetées par tous les autres naturalistes.

L’outarde est un oiseau granivore[NdÉ 3] : elle vit d’herbes, de grains et de toutes sortes de semences ; de feuilles de choux, de dent-de-lion, de navels, de myosotis ou oreille de souris, de vesce, d’ache, de daucus et même de foin, et de ces gros vers de terre que pendant l’été l’on voit fourmiller sur les dunes tous les matins avant le lever du soleil[83] : dans le fort de l’hiver et par les temps de neige elle mange l’écorce des arbres[84] ; en tout temps elle avale de petites pierres, même des pièces de métal comme l’autruche, et quelquefois en plus grande quantité. MM. de l’Académie, ayant ouvert le ventricule de l’une des six outardes qu’ils avaient observées, le trouvèrent rempli en partie de pierres, dont quelques-unes étaient de la grosseur d’une noix, et en partie de doubles, au nombre de quatre-vingt-dix, tous usés et polis dans les endroits exposés aux frottements, mais sans aucune apparence d’érosion[85].

Willughby a trouvé dans l’estomac de ces oiseaux, au temps de la moisson, trois ou quatre grains d’orge, avec une grande quantité de graine de ciguë[86], ce qui indique un appétit de préférence pour cette graine, et par conséquent le meilleur appât pour l’attirer dans les pièges.

Le foie est très grand ; la vésicule du fiel, le pancréas, le nombre des canaux pancréatiques, leurs insertions, ainsi que celle des conduits hépatiques et cystiques, sont sujets à quelque variation dans les différents sujets[87].

Les testicules ont la forme d’une petite amande blanche, d’une substance assez ferme ; le canal déférent va s’insérer à la partie inférieure de la poche du rectum, comme je l’ai dit plus haut, et l’on trouve au bord supérieur de l’anus un petit appendice qui tient lieu de verge.

M. Perrault ajoute à ces observations anatomiques la remarque suivante : c’est qu’entre tant de sujets qu’avaient disséqués MM. de l’Académie, il ne s’était pas rencontré une seule femelle ; mais nous avons dit à l’article de l’autruche ce que nous pensions de cette remarque.

Dans la saison des amours, le mâle va piaffant autour de la femelle et fait une espèce de roue avec sa queue[88][NdÉ 4].

Les œufs ne sont que de la grosseur de ceux d’une oie ; ils sont d’un brun olivâtre pâle, marqués de petites taches plus foncées, en quoi leur couleur a une analogie évidente avec celle du plumage.

Cet oiseau ne construit point de nid, mais il creuse seulement un trou en grattant la terre[89], et y dépose ses deux œufs qu’il couve pendant trente jours, comme font presque tous les gros oiseaux, selon Aristote[90]. Lorsque cette mère inquiète se défie des chasseurs, et qu’elle craint qu’on n’en veuille à ses œufs, elle les prend sous ses ailes[NdÉ 5] (on ne dit pas comment) et les transporte en lieu sûr[91]. Elle s’établit ordinairement dans les blés qui approchent de la maturité pour y faire sa ponte, suivant en cela l’instinct commun à tous les animaux de mettre leurs petits à portée de trouver en naissant une nourriture convenable. M. Klein prétend qu’elle préfère les avoines comme plus basses, en sorte qu’étant posée sur ses œufs sa tête domine sur la campagne, et qu’elle puisse avoir l’œil sur ce qui se passe autour d’elle ; mais ce fait, avancé par M. Klein[92], ne s’accorde ni avec le sentiment général des naturalistes, ni avec le naturel de l’outarde, qui, sauvage et défiante comme elle l’est, doit chercher sa sûreté plutôt en se cachant dans les grands blés qu’en se tenant à portée de voir les chasseurs de loin, au risque d’en être elle-même aperçue[NdÉ 6].

Elle quitte quelquefois ses œufs pour aller chercher sa nourriture ; mais si, pendant ses courtes absences, quelqu’un les touche ou les frappe seulement de son haleine, on prétend qu’elle s’en aperçoit à son retour et qu’elle les abandonne[93].

L’outarde, quoique fort grosse, est un animal très craintif et qui paraît n’avoir ni le sentiment de sa propre force, ni l’instinct de l’employer ; elles s’assemblent quelquefois par troupes de cinquante ou soixante, et ne sont pas plus rassurées par leur nombre que par leur force et leur grandeur ; la moindre apparence de danger, ou plutôt la moindre nouveauté les effraie, et elles ne pourvoient guère à leur conservation que par la fuite ; elles craignent surtout les chiens, et cela doit être, puisqu’on se sert communément des chiens pour leur donner la chasse ; mais elles doivent craindre aussi le renard, la fouine et tout autre animal, si petit qu’il soit, qui sera assez hardi pour les attaquer ; à plus forte raison les animaux féroces et même les oiseaux de proie, contre lesquels elles oseraient bien moins se défendre : leur pusillanimité est telle, que, pour peu qu’on les blesse, elles meurent plutôt de la peur que de leurs blessures[94]. M. Klein prétend néanmoins qu’elles se mettent quelquefois en colère, et qu’alors on voit s’enfler une peau lâche qu’elles ont sous le cou. Si l’on en croit les anciens, l’outarde n’a pas moins d’amitié pour le cheval qu’elle a d’antipathie pour le chien ; dès qu’elle aperçoit celui-là, elle, qui craint tout, vole à sa rencontre et se met presque sous ses pieds[95]. En supposant bien constatée cette singulière sympathie entre des animaux si différents, on pourrait, ce me semble, en rendre raison en disant que l’outarde trouve dans la fiente du cheval des grains qui ne sont qu’à demi digérés, et lui sont une ressource dans la disette[96]. Lorsqu’elle est chassée, elle court fort vite, en battant des ailes, et va quelquefois plusieurs milles de suite, et sans s’arrêter[97] ; mais comme elle ne prend son vol que difficilement et lorsqu’elle est aidée, ou si l’on veut portée par un vent favorable, et que d’ailleurs elle ne se perche ni ne peut se percher sur les arbres, soit à cause de sa pesanteur, soit faute de doigt postérieur dont elle puisse saisir la branche et s’y soutenir, on peut croire, sur le témoignage des anciens et des modernes[98], que les lévriers et les chiens courants la peuvent forcer : on la chasse aussi avec l’oiseau de proie[99], ou enfin on lui tend des filets et on l’attire où l’on veut en faisant paraître un cheval à propos, ou seulement en s’affublant de la peau d’un de ces animaux[100]. Il n’est point de piège, si grossier qu’il soit, qui ne doive réussir, s’il est vrai, comme le dit Élien, que dans le royaume de Pont les renards viennent à bout de les attirer à eux en se couchant contre terre et relevant leur queue, à laquelle ils donnent, autant qu’ils peuvent, l’apparence et les mouvements du cou d’un oiseau ; les outardes, qui prennent, dit-on, cet objet pour un oiseau de leur espèce, s’approchent sans défiance et deviennent la proie de l’animal rusé[101] ; mais cela suppose bien de la subtilité dans le renard, bien de la stupidité dans l’outarde, et peut-être encore plus de crédulité dans l’écrivain.

J’ai dit que ces oiseaux allaient quelquefois par troupes de cinquante ou soixante[NdÉ 7] ; cela arrive surtout en automne dans les plaines de la Grande Bretagne ; ils se répandent alors dans les terres semées de turnipes[NdÉ 8], et y font de très grands dégâts[102]. En France, on les voit passer régulièrement au printemps et en automne, mais par plus petites troupes, et elles ne se posent guère que sur les lieux les plus élevés. On a observé leur passage en Bourgogne, en Champagne et en Lorraine.

L’outarde se trouve dans la Libye, aux environs d’Alexandrie, selon Plutarque[103] ; dans la Syrie[104], dans la Grèce[105], en Espagne[106] ; en France, dans les plaines du Poitou et de la Champagne pouilleuse[107] ; dans les contrées ouvertes de l’est et du sud de la Grande-Bretagne, depuis la province de Dorset jusqu’à celle de Mercie et de la Lothiane en Écosse[108] ; dans les Pays-Bas, en Allemagne[109] ; en Ukraine et en Pologne, où, selon Rzaczynski, elle passe quelquefois l’hiver au milieu des neiges. Les auteurs de la Zoologie britannique assurent que ces oiseaux ne s’éloignent guère du pays qui les a vus naître, et que leurs plus grandes excursions ne vont pas au delà de vingt à trente milles[110] ; mais Aldrovande prétend que, sur la fin de l’automne, ils arrivent par troupes en Hollande et se tiennent par préférence dans les campagnes éloignées des villes et des lieux habités[111]. M. Linnæus dit qu’ils passent en Hollande et en Angleterre. Aristote parle aussi de leur migration[112] ; mais c’est un point qui demande à être éclairci par des observations plus exactes.

Aldrovande reproche à Gessner d’être tombé dans quelque contradiction à cet égard, sur ce qu’il dit que l’outarde s’en va avec les cailles[113], ayant dit plus haut qu’elle ne quittait point la Suisse, où elle est rare, et qu’on y en prenait quelquefois l’hiver[114] ; mais cela peut se concilier, ce me semble, en admettant la migration des outardes, et la resserrant dans des limites, comme les auteurs de la Zoologie britannique ; d’ailleurs, celles qui se trouvent en Suisse sont des outardes égarées, dépaysées, en petit nombre, et dont les mœurs ne peuvent représenter celles de l’espèce : ne pourrait-on pas dire aussi que l’on n’a point de preuves que celles qu’on prend quelquefois à Zurich, pendant l’hiver, soient les mêmes qui y ont passé l’été précédent ?

Ce qui paraît de plus certain, c’est que l’outarde ne se trouve que rarement dans les contrées montagneuses ou bien peuplées, comme la Suisse, le Tyrol, l’Italie, plusieurs provinces d’Espagne, de France, d’Angleterre et d’Allemagne ; et que, lorsqu’elle s’y rencontre, c’est presque toujours en hiver[115] ; mais quoiqu’elle puisse subsister dans les pays froids et qu’elle soit, selon quelques auteurs, un oiseau de passage, il ne paraît pas néanmoins qu’elle ait jamais passé en Amérique par le Nord ; car, bien que les relations des voyageurs soient remplies d’outardes trouvées dans ce nouveau continent, il est aisé de reconnaître que ces prétendues outardes sont des oiseaux aquatiques, comme je l’ai déjà remarqué plus haut, et absolument différents de la véritable outarde dont il est ici question. M. Barrère parle bien d’une outarde cendrée d’Amérique dans son Essai d’ornithologie (page 33), qu’il dit avoir observée ; mais, 1o il ne paraît pas l’avoir vue en Amérique, puisqu’il n’en fait aucune mention dans sa France équinoxiale ; 2o il est le seul, avec M. Klein, qui parle d’une outarde américaine : or celle de M. Klein, qui est le macucagua de Marcgrave, n’a point les caractères propres à ce genre, puisqu’elle a quatre doigts à chaque pied[116], et le bas de la jambe garni de plumes jusqu’à son articulation avec le tarse, qu’elle est sans queue, et qu’elle n’a d’autre rapport avec l’outarde que d’être un oiseau pesant qui ne se perche ni ne vole presque point[117]. À l’égard de M. Barrère, son autorité n’est pas d’un assez grand poids en histoire naturelle pour que son témoignage doive prévaloir contre celui de tous les autres ; 3o enfin, son outarde cendrée d’Amérique a bien l’air d’être la femelle de l’outarde d’Afrique, laquelle est en effet toute couleur de cendre, selon M. Linnæus[118].

On me demandera peut-être pourquoi un oiseau qui, quoique pesant, a cependant des ailes, et qui s’en sert quelquefois, n’est point passé en Amérique par le nord, comme ont fait plusieurs quadrupèdes : je répondrai que l’outarde n’y est point passée parce que, quoiqu’elle vole en effet, ce n’est guère que lorsqu’elle est poursuivie ; parce qu’elle ne vole jamais bien loin, et que d’ailleurs elle évite surtout les eaux, selon la remarque de Belon, d’où il suit qu’elle n’a pas dû se hasarder à franchir de grandes étendues de mer ; je dis de grandes étendues, car, quoique celles qui séparent les deux continents du côté du nord soient bien moindres que celles qui les séparent entre les tropiques, elles sont néanmoins considérables par rapport à l’espace que l’outarde peut parcourir d’un seul vol.

On peut donc regarder l’outarde comme un oiseau propre et naturel à l’ancien continent, et qui dans ce continent ne paraît point attaché à un climat particulier, puisqu’il peut vivre en Libye, sur les côtes de la mer Baltique et dans tous les pays intermédiaires.

C’est un très bon gibier : la chair des jeunes, un peu gardée, est surtout excellente ; et si quelques écrivains ont dit le contraire, c’est pour avoir confondu l’otis avec l’otus, comme je l’ai remarqué plus haut. Je ne sais pourquoi Hippocrate l’interdisait aux personnes qui tombaient du mal caduc[119]. Pline reconnaît dans la graisse d’outarde la vertu de soulager les maux de mamelles qui surviennent aux nouvelles accouchées. On se sert des pennes de cet oiseau, comme on fait de celles d’oie et de cygne, pour écrire, et les pêcheurs les recherchent pour les attacher à leurs hameçons, parce qu’ils croient que les petites taches noires dont elles sont émaillées paraissent autant de petites mouches aux poissons qu’elles attirent par cette fausse apparence[120].


Notes de Buffon
  1. Historia animalium, lib. ii, cap. xvii ; lib. vi, cap. vi, et lib. ix, cap. xxxiii.
  2. Hist. nat., lib. x, cap. xxii.
  3. « Otis bubone minor est, noctuis major, auribus plumeis eminentibus, unde nomen illi. » Ibid., cap. xxiii.
  4. Hist. nat., lib. ix.
  5. In Lexico symphono.
  6. Paul Fagius, apud Gesnerum, de Avibus, page 489.
  7. Ornithologie, t. V, page 18.
  8. Hist. animal., lib. vi, cap. i.
  9. Aviarium Silesiæ, page 355.
  10. Aviarium Silesiæ, page 191.
  11. Dialog. de Avibus.
  12. De Avibus, lib. iii, page 489.
  13. Tarpeiæ est custos arcis non corpore major.

  14. Persimilis cineri dorsum (collum forte) maculosaque terga
    Inficiunt pullæ cacabantis (perdicis) imagine notæ.

  15. Cùm pedicas necti sibi contemplaverit adstans,
    Immemor ipse sui tamen in dispendia currit.

  16. « Neque hominem ad se appropinquantem sustinent, sed cùm eum longinquo cernunt statim fugam capessunt. » Willughby, Ornithol., p. 129.
  17. « Italia nostra has aves nisi forte ventorum turbine advectas non habet. » Aldrov., Ornithol., t. II, page 92.
  18. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 104.
  19. Nat. Historia, lib. x, cap. xxxiii.
  20. Hist. animalium, lib. ix, cap. xxxiii.
  21. Sylvaticus apud Gesnerum, page 488.
  22. Ornitholog., t. II, page 86.
  23. Ibidem, page 92.
  24. « La nature de l’outarde est de vivre par les spacieuses campagnes, comme l’autruche, fuyant l’eau sur toutes choses… ne hanter les eaux, n’était de celle qui reste entre les seillons, après avoir plû, ou bien qu’elle hantât les marres pour en boire. » Belon, Nature des oiseaux, lib. v, cap. iii.
  25. Voyez Histoire et description de la Nouvelle-France, par le P. Charlevoix, t. III, p. 156. — Voyage du capitaine Robert Lade, t. II, p. 202. — Voyage du P. Théodat, p. 300. — Lettres Édifiantes, XIe Recueil, p. 310 ; et XXIIIe Recueil, p. 238, etc.
  26. Gessner, de Avibus, pages 164 et 489.
  27. Ibidem, p. 142.
  28. Longolius, apud Gesn., page 486.
  29. Frisch, planche cvi.
  30. Nat. Hist., lib. x, cap. xxii.
  31. Histoire naturelle des oiseaux, lib. v, cap. iii.
  32. Plin., Nat. Hist., lib. x, cap. xxii.
  33. M. Barrère reconnaît deux outardes d’Europe, mais il est le seul qui les donne pour des oiseaux des Pyrénées ; et l’on sait que cet auteur, né en Roussillon, rapportait aux montagnes des Pyrénées tous les animaux des provinces adjacentes.
  34. Histoire naturelle des oiseaux, lib. v, cap. v.
  35. Petrus Apponensis, Patavinus, seu Conciliator, apud Aldrovand. Ornithol., lib. xiii, cap. xii.
  36. Lib. ix, cap. xxxiii.
  37. « Quanquam gallinaceorum generi otidem adscribendam nemo adhuc monuerit, mihi tamen recte ad id referri videtur. » Gesn., de Avibus, p. 484.
  38. Lib. ix, de Nat. Animal., cap. x. Cet aigle, selon Élien, s’appelait aigle de Jupiter, et était encore plus frugivore que l’outarde, qui mange des vers de terre ; au lieu que l’aigle dont il s’agit ne mange aucun animal.
  39. Ornithologie, t. II, page 93.
  40. Gesner, de Avibus, p. 487. « Otis avis fidipes est, tribus insistens digitis, magnitudine gallinacei majoris, capite oblongo, oculis amplis, rostro acuto, linguâ osseâ, gracili collo. »
  41. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 102.
  42. Edwards, Hist. nat. of Birds, pl. lxxiv.
  43. Ibidem, p. 236.
  44. Ibidem, page 153.
  45. Edwards, Hist. nat. of Birds, pl. lxxiii.
  46. On sait que le pied de Paris est plus long que celui de Londres de près de neuf lignes.
  47. Gesner, de Avibus, p. 488.
  48. British Zoology, page 87.
  49. Rzaczynski, Auctuarium, page 401.
  50. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 99 et 102.
  51. Edwards, Hist. nat. of Birds, pl. lxxiv.
  52. Hist. Avium, p. 18.
  53. Voyez Ornithologie de M. Brisson, t. V, p. 22.
  54. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 102.
  55. Belon, Nature des oiseaux, page 235.
  56. Edwards, Hist. nat. of Birds, pl. lxxiti.
  57. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, page 103.
  58. Animaux de Perrault, partie ii, p. 104.
  59. Belon, Nature des oiseaux, liv. ii, chap. vii.
  60. Animaux de Perrault, partie ii, page 104.
  61. Ornithologie, p. 153.
  62. Belon, Nature des oiseaux, p. 235. — Gesner, de Avibus, p. 488, etc.
  63. Belon, page 235.
  64. On mettrait bien le bout du doigt dans le conduit. Belon, p. 235.
  65. Animaux de Perrault, page 102.
  66. Belon, Nature des oiseaux, p. 235.
  67. Animaux de Perrault, p. 109.
  68. Animaux de Perrault, p. 109.
  69. Lingua serrata, utrimque acuta, au lieu de lingua serrata utrimque, acuta. Cette phrase n’est qu’une traduction de celle-ci de Belon : sa langue est dentelée de chaque côté, pointue et dure par le bout ; d’où l’on voit que l’utrimque doit se rapporter à serrata, et non au mot acuta.
  70. Edwards, Hist. nat. of Birds, pl. lxxiii.
  71. Hist. animal., lib. ii, cap. ultimo.
  72. Gesner, de Avibus, p. 488. — Aldrov., Ornithologie, t. II, p. 92. — Animaux de Perrault, partie ii, p. 106.
  73. Animaux de Perrault, partie ii, p. 107.
  74. Ibidem.
  75. Gesner, de Avibus, page 486.
  76. Animaux de Perrault, partie ii, p. 107.
  77. Du nom de Fabricius ab Aquapendente, qui l’a le premier observée. Animaux de Perrault, partie ii, page 107.
  78. Ibidem.
  79. Athénée, Eustache ; voyez Gesner, page 484.
  80. Voyez Gesner, de Avibus, page 485.
  81. Aldrovande prétend que l’idée de faire de l’outarde un oiseau de proie a pu venir à Albert de ce passage d’Aristote : Avis Schythica quædam… que j’ai discuté plus haut. Voyez Aldrovande, Ornitholog., t. II, p. 90. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce n’est pas d’après l’inspection de l’animal qu’Albert s’est formé cette idée.
  82. Gesner, de Avibus, page 485.
  83. British Zoology, p. 88, et presque tous les autres naturalistes que j’ai cités dans cet article.
  84. Gesner, de Avibus, page 488.
  85. Animaux de Perrault, partie ii, page 107.
  86. Ornithologia, p. 129.
  87. Animaux de Perrault, page 105.
  88. Klein, Hist. Avium, p. 18. — Merula apud Gesn. de Avibus, p. 487.
  89. British Zoology, page 88.
  90. Hist. anim., lib. vi, cap. vi.
  91. Klein, Hist. Avium, page 18.
  92. Ibidem.
  93. Hector Boeth apud Gesn., page 488.
  94. Gesner, de Avibus, page 488.
  95. Oppien, de Aucupio, lib. iii.
  96. « Otidibus amicitia cum equis quibus appropinquare et fimum dejicere gaudent. » Plutarque, de Soll. animal.
  97. Britisch Zoology, page 88.
  98. Xénophon, Élien, Albin, Frisch, etc.
  99. Aldrov., Ornitholog., t. II, page 92.
  100. Athénée.
  101. Ælian, Nat. animal., lib. vi, cap. xxiv.
  102. British Zoology, p. 88. — « Nec ullam pestem odere magis olitores, nam rapis ventrem fulcit, nec mediocri præda contentus esse solet. » Longolius apud Aldrov. Ornitholog., t. II, page 93.
  103. Si toutefois on n’a pas ici confondu l’otis avec l’otus, comme on a fait si souvent.
  104. Gesner, de Avibus, page 484.
  105. Pausanias in Phocicis.
  106. Plin., lib. x, cap. xxii. — « Hispania otides producit. » Strabon.
  107. Ornithologie de Salerne, page 153.
  108. British Zoology, p. 88. — Aldrov., Ornitholog., t. II, p. 92.
  109. Frisch l’appelle la plus grosse de toutes les poules sauvages naturelles à l’Allemagne ; cela ne prouve pas que l’outarde soit une poule, mais bien qu’elle se trouve en Allemagne.
  110. British Zoology, p. 88.
  111. Ornithologia, page 92.
  112. Hist. animal., lib. viii.
  113. Gesner, de Avibus, page 484. « Otidem de quâ scribo avolare puto cum coturnicibus, sed corporis gravitate impeditum, perseverare non posse, et in locis proximis remanere. »
  114. « Otis magna, si ea est quam vulgo Trappum vocant, non avolat, nisi fallor, ex nostris regionibus (etsi Helvetiæ rara est), et hieme etiam interdum capitur apud nos. » Gesner, ibidem.
  115. « Memini ter quaterque apud nos captum, et in Rhætiâ circa Curiam, decembri et januario mensibus, nec apud nos, nec illic à quoquam agnitum. » Gesner, de Avibus, p. 486.

    « L’outarde se voit rarement dans l’Orléanais, et seulement en hiver, dans les temps de neige. » Salerne, Ornithologie, p. 153. « Un particulier incapable d’en imposer, ajoute le même M. Salerne, m’a raconté qu’un jour que la campagne était couverte de neige et de frimas, un de ses domestiques trouva le matin une trentaine d’outardes à moitié gelées, qu’il amena à la maison, les prenant pour des dindons qu’on avait laissés coucher dehors, et qu’on ne reconnut pour ce qu’elles étaient que lorsqu’elles furent dégelées. » Ibidem.

    Je me souviens moi-même d’en avoir vu deux, à deux différentes fois, dans une partie de la Bourgogne fertile en blé, et cependant montagneuse ; mais ç’a toujours été en hiver et par un temps de neige.

  116. Klein, Ordo Avium, p. 18.
  117. Marcgrav., Hist. nat. Brasil., p. 213.
  118. Syst. nat., édit. X, p. 155.
  119. Vide Aldrovand., Ornithologia, p. 95.
  120. Gesner, de Avibus, p. 488.
Notes de l’éditeur
  1. Otis tarda L. [Note de Wikisource : actuellement Otis tarda Linnæus, vulgairemnt grande outarde ou outarde barbue]. Les Otis sont des oiseaux de l’ordre des Échassiers, de la famille des Alectoridés. Les oiseaux qui composent cette famille ne peuvent guère être considérés comme des Échassiers véritables ; ils sont, en réalité, intermédiaires aux Échassiers et aux Palmipèdes. Ils se rattachent aux premiers par la longueur de leurs pattes, et aux seconds par la forme de leur bec et par le genre de vie. Chez les outardes le bec est un peu plus court que la tête, élevé et large au niveau de la racine, puis déprimé dans le point où s’ouvrent les fosses nasales, enfin renflé et convexe jusqu’à la pointe, qui est échancrée. Les bords de la mandibule supérieure dépassent ceux de la mandibule inférieure. Les ailes sont fortes, pointues, mais courtes et incapables de soutenir un vol de longue durée ou rapide ; elles servent à l’oiseau d’armes défensives et sont munies, dans beaucoup d’espèces de la famille, d’un fort ergot situé à l’extrémité du pouce. Les pattes sont relativement longues, fortes, adaptées à la course. Les doigts sont courts ; ils sont réunis soit tous ensemble, soit seulement les deux externes par une courte membrane. Les tarses sont couverts d’un réseau de petites écailles hexagonales. On considère souvent comme un caractère générique essentiel des Otis la présence, chez les mâles adultes, de touffes de plumes étroites et allongées, situées de chaque côté de la racine de la mandibule inférieure.
  2. A. E. Brehm donne de la grande outarde, la description suivante : « Le mâle a la tête, le haut de la poitrine, une partie de la face supérieure de l’aile d’un gris cendré clair ; les plumes du dos d’un jaune roux, rayées de noir en travers ; celles de la nuque rousses, celles du ventre d’un blanc sale ou d’un blanc jaunâtre ; les rectrices externes presque entièrement blanches, les autres d’un rouge roux, marquées à leur pointe d’une tache blanche, précédée d’une bande noire ; les rémiges d’un gris foncé, avec les barbes externes et l’extrémité d’un brun noir, et les tiges d’un blanc jaunâtre ; les plumes de l’avant-bras blanches à leur racine, noires dans le reste de leur étendue, les dernières étant presque entièrement blanches ; la barbe formée d’une trentaine de plumes ébarbées, longues, étroites, d’un blanc gris ; l’œil brun foncé ; le bec noirâtre ; les pattes grises. Il mesure 1,08 m à 1,16 m de long, et 2,47 m à 2,64 m d’envergure ; la longueur de l’aile est de 75 centimètres, celle de la queue de 30. Son poids est de 15 kilogrammes et plus. La femelle a une taille plus faible, un plumage moins vif et n’a pas de barbe. Elle a au plus 80 centimètres de long et 2 mètres d’envergure. »
  3. À l’état jeune, l’outarde ne mange que des insectes ; plus tard, elle se nourrit de plantes vertes et de graines. L’hiver elle déterre ses aliments avec les pattes ; il paraît que la rosée bue, le matin, goutte à goutte, suffit pour apaiser sa soif. C’est la mère qui recueille les insectes destinés à la nourriture des jeunes. Dès que ceux-ci commencent à chercher eux-mêmes leurs aliments, ils se nourrissent d’herbes et de graines.
  4. L’outarde paraît être monogame, mais Naumann pense, qu’à l’exemple de la caille, le mâle peut prendre une seconde femelle pendant la première couvée des œufs.
  5. Cette assertion est très probablement erronée.
  6. D’après A. E. Brehm, l’outarde creuse un trou dans le sol au milieu des hautes céréales ; elle tapisse cette cavité de quelques chaumes et pond seulement deux ou trois œufs ovales, courts, à coquille épaisse, rugueuse, semée de taches d’un cuivré foncé sur un fond vert olivâtre clair ou vert gris mat. L’outarde ne va à son nid qu’avec de très grandes précautions ; si l’on touche ses œufs ou si l’on marche beaucoup autour du nid, elle n’y revient plus. L’incubation est d’environ trente jours ; à un mois, les jeunes commencent à voleter, à un mois et demi, ils suivent les parents.
  7. À l’approche de l’époque des amours, vers le mois de février, Naumann dit « qu’elles cessent de venir visiter régulièrement leurs pâturages habituels et de vivre réunies. Elles sont plus vives, inquiètes jusqu’à un certain point ; on dirait qu’elles sont comme contraintes d’errer tout le jour d’un endroit à l’autre. Les mâles commencent à poursuivre les femelles ; celles-ci se dispersent. La société se relâche, sans se dissoudre encore. » Puis, quand les mâles ont choisi leurs femelles et ont été agréés, la société est définitivement désagrégée ; elle ne se reconstitue que quand les jeunes sont grands. Ce fait de la dissolution des sociétés animales, au moment de la constitution de la famille, est offert par un grand nombre d’oiseaux et de mammifères. Il offre une grande importance.
  8. C’est le turneps des anglais ou rave (Brassica Rapa).