Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/L’ortolan de roseaux

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 270-272).

L’ORTOLAN DE ROSEAUX[1]

En comparant les divers oiseaux de cette famille, j’ai trouvé des rapports si frappants entre l’ortolan de cet article et les quatre suivants[2], que je les eusse rapportés tous à une seule et même espèce, si j’avais pu réunir un nombre de faits suffisants pour autoriser cette petite innovation : il est plus que probable que tous ces oiseaux, et plusieurs autres du même nom, s’accoupleraient ensemble, si l’on savait s’y prendre ; il est probable que ces accouplements seraient avoués de la nature, et que les métis qui en résulteraient auraient la faculté de se reproduire ; mais une conjecture, quelque fondée qu’elle soit, ne suffit pas toujours pour s’écarter de l’ordre établi. D’ailleurs, je vois quelques-uns de ces ortolans qui subsistent depuis longtemps dans le même pays sans se mêler, sans se rapprocher, sans rien perdre des différences qui les distinguent les uns des autres ; je remarque aussi qu’ils n’ont pas tous absolument les mêmes mœurs, ni les mêmes habitudes : je me conformerai donc aux idées, ou pour mieux dire, aux conventions reçues, en séparant ces races diverses, et les regardant en effet comme autant de races distinctes, sortant originairement d’une même tige, et qui pourront s’y réunir un jour ; mais en me soumettant ainsi à la pluralité des voix, je protesterai hautement contre la fausse multiplication des espèces, source trop abondante de confusion et d’erreurs.

Les ortolans de roseaux[NdÉ 1] se plaisent dans les lieux humides, et nichent dans les joncs, comme leur nom l’annonce ; cependant ils gagnent quelquefois les hauteurs dans les temps de pluie ; au printemps on les voit le long des grands chemins, et sur la fin d’août ils se jettent dans les blés. M. Kramer assure que le millet est la graine qu’ils aiment le mieux. En général, ils cherchent leur nourriture le long des haies et dans les champs cultivés, comme les bruants ; ils s’éloignent peu de terre et ne se perchent guère que sur les buissons ; jamais ils ne se rassemblent en troupes nombreuses ; on n’en voit guère que trois ou quatre à la fois : ils arrivent en Lorraine vers le mois d’avril, et s’en retournent en automne, mais ils ne s’en retournent pas tous, et il y en a toujours quelques-uns qui restent dans cette province pendant l’hiver. On en trouve en Suède, en Allemagne, en Angleterre, en France et quelquefois, en Italie, etc.

Ce petit oiseau a presque toujours l’œil au guet, comme pour découvrir l’ennemi, et lorsqu’il a aperçu quelques chasseurs, il jette un cri qu’il répète sans cesse, et qui non seulement les ennuie, mais quelquefois avertit le gibier et lui donne le temps de faire sa retraite. J’ai vu des chasseurs fort impatientés de ce cri, qui a du rapport avec celui du moineau. L’ortolan de joncs a outre cela un chant fort agréable au mois de mai, c’est-à-dire au temps de la ponte.

Cet oiseau est un véritable hoche-queue, car il a dans la queue un mouvement de haut en bas assez brusque et plus vif que les lavandières.

Le mâle a le dessus de la tête noir ; la gorge et le devant du cou variés de noir et de gris roussâtre ; un collier blanc qui n’embrasse que la partie supérieure du cou : une espèce de sourcil et une bande au-dessous des yeux de la même couleur ; le dessus du corps varié de roux et de noir ; le croupion et les couvertures supérieures de la queue variés de gris et de roussâtre ; le dessous du corps d’un blanc teinté de roux ; les flancs un peu tachetés de noirâtre ; les pennes des ailes brunes, bordées de différentes nuances de roux ; les pennes de la queue de même, excepté les deux plus extérieures de chaque côté, lesquelles sont bordées de blanc ; le bec brun et les pieds d’une couleur de chair fort rembrunie.

La femelle n’a point de collier, sa gorge est moins noire, et sa tête est variée de noir et de roux clair ; le blanc qui se trouve dans son plumage n’est point pur, mais presque toujours altéré par une teinte de roux.

Longueurs, cinq pouces trois quarts, cinq pouces[3] ; bec, quatre lignes et demie ; pied, neuf lignes ; doigt du milieu, huit lignes ; vol, neuf pouces ; queue, deux pouces et demi, composée de douze pennes, dépassant les ailes d’environ quinze lignes.


Notes de l’auteur
  1. « Passer arundinarius Anglorum, passer aquaticus Peuceri ; junco Gazæ » ; en anglais, reed-sparrow ; en allemand, reidt-muess, selon Turner ; en Suisse, riedt-meiss (ces deux derniers noms sont les vrais noms de la mésange de marais), Rhorsperling, Rhorspartz, Rhorsparstzle, an Rhor-geutz, Weiden-spatz seu passer salicum ; en grec, σχοινίκλος, σχοινίκος, σχοινίων. Gessner, De avibus, p. 573 et 653. Aldrovande, Ornithologie, p. 529 ; il remarque que l’oiseau appelé à Bologne passere aquatico, est différent du red-sparrow des Anglais ayant le bec plus long, le plumage brun, la poitrine blanche, et étant plus gros. — « Βατίς seu pubetra Aldrovandi (« avicula vermiculis victitans », dit Aldrovande, ce qui ne convient guère à l’ortolan de roseaux.) » Passer torquatus palustris, passer calamodytis ; en allemand, Rohr-sperling, Rohr-spatzlin, Rohr-spatz ; en grec, στρουθὸς σχοινίκλος. Schwenckfeld, Avi. Siles., p. 323. — « Passer arundinarius », etc., en polonais, wrobel trzcinnis. Rzaczynski, Auctuar., p. 406, no LXVIII. — « Passer arundinaceus, junco », etc. Charleton, Exercit., p. 86, no 7, Onomastic., p. 78. — « Passer torquatus in arundinetis nidificans » ; en anglais, the reed sparrow. « An passer arundinaceus Turneri, Aldrovandi ? » Willughby, Ornithologia, p. 196, § 4. — Ray, Synop. p. 93, an atototl Fr. Fernandez, cap. viii, « seu atototloquichitl ejusdem » Fernandez, cap. xvi ? Ray, Synop., p. 47. — Moineau de joncs, reed sparrow, canevarola. Albin, liv. II, no 51. — « Passer atricapillus torquatus », rohr-ammer, rohr-sperling (bruant ou moineau de roseaux). Frisch, cl. 1, div. 2, art. 5, pl. 3, no 6. — « Fringilla capite nigro, maxillis rufis, torque albo, corpore rufo-nigricante » ; en suédois, saefsparf. Linnæus, Fauna Suec., p. 79, no 211. — « Schæniclus, fringilla rectricibus fuscis, extimis duabus maculâ albâ cuneiformi, corpore griseo nigroque, capite nigro. » Linnæus, Syst. nat., édit. X, g. 98, sp. 26. — « Emberiza capite nigro, maxillis rufis, torque albo, corpore rufo-nigricante ; on le nomme en Autriche, rohr-ammering, meer-spatz. » Kramer, Elenchus, p. 371, no 5. — « Emberiza supernè ex nigro et rufescente varia, infernè alborufescens ; capite nigro (rufescente vario Fœmina) ; tæniâ supra oculos albo-rufescente ; torque albo (minime conspicuo Fœmina) ; rectricibus binis utrimque extimis albis, interius in exortu obliqué nigricantibus, extimâ apice obliqué fuscâ… » Hortulanus arundinaceus. Ortolan de roseaux. Brisson, t. III, p. 274. — Il est connu en Provence sous le nom de chic des roseaux.
  2. Le gavoué de Provence, le mitilène, l’ortolan de Lorraine et l’ortolan de la Louisiane.
  3. Lorsqu’il y a deux longueurs exprimées, la première s’entend de la pointe du bec au bout de la queue ; et l’autre, de la pointe du bec au bout des ongles.
Notes de l’éditeur
  1. Emberiza schœniclus L. [Note de Wikisource : actuellement Emberiza schoeniclus Linnæus, vulgairement bruant des roseaux].