Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/L’ortolan de neige

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 276-280).

L’ORTOLAN DE NEIGE[1]

Les montagnes du Spitzberg, les Alpes laponnes, les côtes du détroit d’Hudson, et peut-être des pays encore plus septentrionaux, sont le séjour favori de cet ortolan[NdÉ 1], pendant la belle saison, si toutefois il est une belle saison dans des climats aussi rigoureux. On sait quelle est leur influence sur la couleur du poil des quadrupèdes, comme sur celle des plumes des oiseaux, et l’on ne doit pas être surpris de ce que l’oiseau dont il s’agit dans cet article est blanc pendant l’hiver, comme le dit M. Linnæus, non plus que du grand nombre de variétés que l’on compte dans cette espèce et dont toute la différence consiste dans plus ou moins de blanc, de noir ou de roussâtre ; on sent que les combinaisons de ces trois couleurs principales doivent varier continuellement, en passant de la livrée d’été à la livrée d’hiver, et que chaque combinaison observée doit dépendre en grande partie de l’époque de l’observation ; souvent aussi elle dépendra du degré de froid que ces oiseaux auront éprouvé, car on peut leur conserver toute l’année leur livrée d’été en les tenant l’hiver dans un poêle ou dans tout autre appartement bien échauffé.

En hiver, le mâle a la tête, le cou, les couvertures des ailes et tout le dessous du corps blanc comme de la neige[2], avec une teinte légère et comme transparente de roussâtre sur la tête seulement ; le dos noir ; les pennes des ailes et de la queue mi-parties de noir et de blanc ; en été il se répand sur la tête, le cou, le dessous du corps et même sur le dos des ondes transversales de roussâtre plus ou moins foncé, mais jamais autant que dans la femelle, dont cette couleur est pour ainsi dire la couleur dominante et sur laquelle elle forme des raies longitudinales. Quelques individus ont du cendré sur le cou, du cendré varié de brun sur le dos, une teinte de pourpre autour des yeux, de rougeâtre sur la tête, etc.[3] ; la couleur du bec est aussi variable, tantôt jaune, tantôt cendrée à la base, et assez constamment noire à la pointe. Dans tous, les narines sont rondes, un peu relevées et couvertes de petites plumes, la langue un peu fourchue, les yeux petits et noirs, les pieds noirs ou noirâtres.

Ces oiseaux quittent leurs montagnes lorsque la gelée et les neiges suppriment leur nourriture ; elle est la même que celle de la gelinotte blanche et consiste dans la graine d’une espèce de bouleau[4] et quelques autres graines semblables ; lorsqu’on les tient en cage, ils s’accommodent très bien de l’avoine qu’ils épluchent fort adroitement, des pois verts, du chènevis, du millet, de la graine de cuscute, etc. ; mais le chènevis les engraisse trop vite et les fait mourir de gras-fondure.

Ils repassent au printemps pour regagner leurs sommets glacés : quoiqu’ils ne tiennent pas toujours la même route, on les voit ordinairement en Suède, en Saxe, dans la Basse-Silésie, en Pologne, dans la Russie-Rouge, la Podolie ; en Angleterre, dans la province d’York[5]. Ils sont très rares dans le midi de l’Allemagne et presque tout à fait inconnus en Suisse et en Italie[6].

Au temps du passage, ils se tiennent le long des grands chemins, ramassant les petites graines et tout ce qui peut leur servir de nourriture : c’est alors qu’on leur tend des pièges. Si on les recherche, ce n’est que pour la singularité de leur plumage et la délicatesse de leur chair, mais non à cause de leur voix, car jamais on ne les a entendus chanter dans la volière ; tout leur ramage connu se réduit à un gazouillement qui ne signifie rien ou à un cri aigre approchant de celui du geai, qu’ils font entendre lorsqu’on veut les toucher ; au reste, pour les juger définitivement sur ce point, il faudrait les avoir entendus au temps de l’amour, dans ce temps où la voix des oiseaux prend un nouvel éclat et de nouvelles inflexions, et l’on ignore les détails de leur ponte et même les endroits où ils la font ; c’est sans doute dans les contrées où ils passent l’été, mais il n’y a pas beaucoup d’observateurs dans les Alpes laponnes.

Ces oiseaux n’aiment point à se percher ; ils se tiennent à terre, où ils courent et piétinent comme nos alouettes, dont ils ont les allures, la taille, presque les longs éperons, etc., mais dont ils diffèrent par la forme du bec et de la langue, et, comme on a vu, par les couleurs, l’habitude des grands voyages, leur séjour sur les montagnes glaciales, etc.[7].

On a remarqué qu’ils ne dormaient point ou que très peu la nuit, et que dès qu’ils apercevaient la lumière ils se mettaient à sautiller ; c’est peut-être la raison pourquoi ils se plaisent pendant l’été sur le sommet des hautes montagnes du Nord, où il n’y a point de nuit dans cette saison et où ils peuvent ne pas perdre un seul instant de leur perpétuelle insomnie.

Longueur totale, six pouces et demi ; bec, cinq lignes, ayant au palais un tubercule ou grain d’orge qui caractérise cette famille ; doigt postérieur, égal à celui du milieu, et il a l’ongle beaucoup plus long et moins crochu ; vol, onze pouces un quart ; queue, deux pouces deux tiers, un peu fourchue, composée de douze pennes, dépasse les ailes de dix lignes.


VARIÉTÉS DE L’ORTOLAN DE NEIGE

On juge bien, d’après ce que j’ai dit du double changement que l’ortolan de neige éprouve chaque année dans les couleurs de son plumage et de la différence qui est entre sa livrée d’été et sa livrée d’hiver ; on juge bien, dis-je, qu’il ne sera ici question d’aucune variété qui pourra appartenir, soit aux deux époques principales, soit aux époques intermédiaires, ces variétés n’étant au vrai que les variations produites par l’action du froid et du chaud dans le plumage du même individu, que les nuances successives par lesquelles chacune des deux livrées se rapproche insensiblement de l’autre.

I.L’ortolan jacobin[8].

C’est une variété de climat qui a le bec, la poitrine et le ventre blancs, les pieds gris, tout le reste noir. Cet oiseau paraît tous les hivers à la Caroline et à la Virginie, et disparaît tous les étés ; il est probable qu’il va nicher du côte du Nord.

II.L’ortolan de neige à collier[9].

Il a la tête, la gorge et le cou blancs ; deux espèces de colliers au bas du cou : le supérieur de couleur plombée, l’inférieur de couleur bleue, tous deux séparés par la couleur du fond, qui forme une espèce de collier blanc intermédiaire ; les plumes des ailes blanches, teintées de jaune verdâtre et entremêlées de quelques plumes noires ; les huit pennes du milieu de la queue et les deux extérieures blanches, les deux autres noires ; tout le reste du plumage d’un brun rougeâtre, tacheté d’un jaune verdâtre ; le bec rouge bordé de cendré ; l’iris blanc et les pieds couleur de chair. Cet oiseau a été pris dans la province d’Essex, et ce n’est qu’après un très long temps et beaucoup de tentatives inutiles qu’on est venu à bout de l’attirer dans le piège.

M. Kramer a remarqué que les ortolans, ainsi que les bruants, les pinsons et les bouvreuils, avaient les deux pièces du bec mobiles, et c’est par cette raison, dit-il, que ces oiseaux épluchent les graines et ne les avalent pas tout entières.


Notes de l’auteur
  1. « Emberiza varia. Passer hybernus, ξανθόρυγκος μελανόλευχος ; en allemand, winterling, schnee-vogel, neuvogel, gescheckter emmerling. Avis peregrina, etc. Gessneri. Avis merulæ congener (alia) Aldrovandi. » Schwenckfeld, Av. Siles., p. 256. — « Avis ignota a D. Piperino missa. » Gessner, Aves., p. 798. Il le croit du genre des pies-grièches, quoiqu’il n’en ait pas le bec ; il juge qu’il pourrait être un métis de moineau et de pie-grièche, ou de moineau et de pie. Tout cela justifie bien le nom qu’il lui avait donné de avis ignota. — « Fringilla albicans seu ex albido flavescens. » Aldrovande, Ornithol., p. 817. C’était un jeune, car il avait le bec et les pieds couleur de chair. « Hortulanus albus, quin ipso fermé cycno candidior », p. 179. — « Fringilla sublutea et subnigra », ibid., p. 817 et 818. — « Fortasse avis merulæ congener alia », ibid., p. 625. — « Nivalis avis Olaï M. passer hibernus, hortulanus ex albo variegatus nonnullorum, Snegula Cromeri » ; en polonais, sniegula ; sniez-niczka ; emberiza varia Schwenckfeldi. Rzaczynski, Auct. Ροlοn., p. 397. — Miliaria nivis, schnee-ammer, schnee-vogel. Frisch, class. 1, div. 2, art. 3, pl. 2, no 6. — The lesser-pied mountain-finch, le petit pinson-pie des montagnes. Albin, t. III, no 71. — « Emberiza varia, passer hibernus… » Weissfleckige-ammer. Klein, Ordo avium, § 42, trib. II, no 4. — « Monti fringilla calcaribus alaudæ, seu major » ; great-pied mountainfinch, or brambling. Willughby, p. 187. — The sea-lark. Ray, Synop., p. 88. — « Passer alpino-laponicus seu nivalis », Acta Litt. et Scient. Sueciæ, an. 1736, no 1. — « Alauda remigibus albis, primoribus extrorsùm nigris, lateralibus tribus albis. » Moineau de neige. Académie de Stockholm, Collect. académ., partie étrangère, t. XI, p. 59. — « Avis nivalis », Martens, Spitzb. 53. — « Alauda remigibus albis, etc. », pied chaffinch ; en suédois, snoesparf ; en lapon, alaipg ; en dalécarlien, illwarsvogel ; en scanien, sioelaerka. Linnæus, Fauna Suec., no 194. Je rapporte à une même espèce les deux oiseaux indiqués sous ce numéro, j’en dirai les raisons. — « Emberiza remigibus albis, etc. » Linn., Syst. nat., édit. X, g. 97, sp. 1. — « Fringilla albicans Aldrov., etc. » Linnæus, Syst. nat., édit. XIII. — G.-H. Kramer, Elenchus, p. 372. En autrichien, méer-stiglitz. — On a aussi donné le nom d’oiseau de neige à la gelinotte blanche qui habite les mêmes montagnes ; mais c’est un oiseau tout à fait différent. Rossolan dans les montagnes du Dauphiné, sans doute à cause de la couleur roussâtre, qui est en été la couleur dominante de son plumage, surtout pour les femelles. — En danois, sneekok, winter-fugl ; en norv., snee-fugl, fiœlster, sneespurre, snee-titing, sœlskriger ; en isl., sino-tytlingur, soel-skrikia, le mâle ; tytlings-blike ; en lapon, alpe ; en groënlandais, kopa-noarsuch, Otho Frid. Muller. Zoologiæ Danicæ prodromus, p. 30, 31. — « Emberiza supernè nigra, marginibus pennarum candidis, infernè alba ; capite, collo et pectore albis, rufescente mixtis ; rectricibus tribus utrimque extimis albis, exteriùs in apice longâ maculâ nigrâ notatis… » Hortulanus nivalis, l’ortolan de neige. Brisson, t. III, p. 285.
  2. Ces plumes blanches sont noires à la base, et il arrive quelquefois que le noir perce à travers le blanc, et y forme une multitude de petites taches, comme dans l’individu que Frisch a dessiné sous le nom de bruant blanc tacheté : Weisse-fleckige-ammer, class. 1, div. 2, art. 4, pl. 2, no 6. D’autres fois il arrive que la couleur noire de la base de chaque plume s’étend sur la plus grande partie de la plume ; en sorte qu’il en résulte une couleur noirâtre sur toute la partie inférieure du corps, comme dans le pinson noirâtre et jaunâtre d’Aldrovande, lib. XVIII, p. 817 et 818.
  3. Schwenckfeld, Av. Siles., à l’endroit cité.
  4. « Betula foliis orbiculatis, crenatis. » Flora Lappon., 342.
  5. Willughby en a tué un dans la province de Lincoln. Ray, 89. On en prend en assez grand nombre dans la province d’York pendant l’hiver. Ray, 89. Lister, Trans. philos., no 175. — On en voit quelques-uns dans les montagnes qui sont au nord de cette province. Johnson. Willughby, 188.
  6. Gessner et Aldrovande, aux endroits cités.
  7. D’habiles naturalistes ont rangé l’ortolan de neige avec les alouettes ; mais M. Linnæus, frappé des grandes différences qui se trouvent entre ces deux espèces, a reporté celle-ci, avec grande raison, dans le genre des bruants. Voyez Syst. nat., treizième édition, page 308.
  8. Moineau de neige ; snow-bird. Catesby, t. Ier, pl. 36. — Passer nivalis cervice albâ (il aurait dû dire nigrâ) ; Wessnacken. Klein, Ordo avium, p. 89, no VIII. — C. Hortulanus nivalis niger ; ortolan de neige noir. Brisson, t. III, p. 289.
  9. The pied-chaffinch ; le pinson-pie. Albin, t. II, p. 34, pl. 54. — Fringilla capite albo, weiss-koppff. Klein, Ordo av., p. 98, no X.
Notes de l’éditeur
  1. Emberiza nivalis L. [Note de Wikisource : actuellement Plectrophenax nivalis Linnæus, vulgairement bruant ou plectrophane des neiges ; les plectrophanes sont des Calcariidés, famille sœur récemment séparée de celle des Embérizidés].