Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/L’organiste

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 257-258).

L’ORGANISTE

Troisième petite espèce.

L’on a donné, à Saint-Domingue, le nom d’organiste à ce petit oiseau[NdÉ 1], parce qu’il fait entendre successivement tous les tons de l’octave, en montant du grave à l’aigu. Cette espèce de chant, qui suppose dans l’oreille de l’oiseau quelque conformité avec l’organisation de l’oreille humaine, est non seulement fort singulière, mais très agréable. M. le chevalier Fabre Deshayes nous a écrit qu’il existe dans la partie du sud, sur les hautes montagnes de Saint-Domingue, un petit oiseau fort rare et fort renommé, que l’on y appelle musicien, et dont le chant peut se noter : nous présumons que ce musicien de M. Deshayes est le même que notre organiste ; cependant nous doutons encore que le chant de cet oiseau imite régulièrement et constamment les sons successifs de l’octave de nos sons musicaux, car nous ne l’avons point eu vivant ; il m’a été donné par M. le comte de Noë, qui l’avait rapporté de la partie espagnole de Saint-Domingue, où il m’a dit qu’il était fort rare et très difficile à apercevoir et à tirer, parce qu’il est défiant et qu’il sait se cacher ; il sait même tourner autour d’une branche à mesure que le chasseur change de place, pour n’en être pas aperçu, en sorte que souvent, quoiqu’il y ait plusieurs de ces oiseaux sur un arbre, on ne peut en découvrir un seul, tant ils sont attentifs à se mettre à couvert.

Sa longueur est de quatre pouces ; son plumage est bleu sur la tête et le cou, noir changeant en gros bleu sur le dos, les ailes et la queue, et jaune-orangé sur le front, le croupion et tout le dessous du corps. Cette courte description suffit pour le faire reconnaître.

On trouve, dans l’ouvrage de M. le Page Dupratz[1], la description d’un petit oiseau qu’il appelle l’évêque, et que nous croyons être le même que notre organiste. Voici le passage de cet auteur : « L’évêque est un oiseau plus petit que le serin ; son plumage est bleu tirant sur le violet : on voit par là l’origine de son nom (l’évêque). Il se nourrit de plusieurs sortes de petites graines, entre autres de widlogouil et de choupichoul, espèce de millet naturel au pays. Son gosier est si doux, ses tons si flexibles et son ramage si tendre, que lorsqu’une fois on l’a entendu, on devient beaucoup plus réservé sur l’éloge du rossignol. Son chant dure l’espace d’un miserere, et dans tout le temps il ne paraît pas reprendre haleine ; il se repose ensuite deux fois autant pour recommencer aussitôt après : cette alternative de chant et de repos dure deux heures. »

Quoique M. Dupratz ne dise pas que son oiseau fasse les sept tons de l’octave, comme on l’avance de l’organiste, nous nous croyons néanmoins fondés à le regarder comme le même oiseau, car d’abord ils se ressemblent par les couleurs et par la grandeur, suivant sa description, et en second lieu on ne peut comparer le sien, pour le chant, qu’avec le scarlatte, qui est tout rouge et deux fois plus grand ; et si on veut le comparer à l’arada, dont le chant est si beau, on trouvera la même différence pour les couleurs, car l’arada est tout brun. Il ne reste donc que l’organiste auquel on doive rapporter cet oiseau évêque de la Louisiane, et le détail des habitudes naturelles donné par M. Dupratz doit lui appartenir, ce qui paraît indiquer que cet oiseau, qui ne se trouve à Saint-Domingue que dans la partie espagnole, habite aussi quelques contrées de la Louisiane.


Notes de l’auteur
  1. Histoire de la Louisiane, t. II, p. 140.
Notes de l’éditeur
  1. Tanagra musica L. [Note de Wikisource : actuellement Euphonia musica Gmelin, vulgairement organiste louis-d’or].