Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/L’écorcheur

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 158-160).

L’ÉCORCHEUR

L’écorcheur[NdÉ 1] est un peu plus petit que la pie-grièche rousse, et lui ressemble assez par les habitudes naturelles : comme elle, il arrive au printemps, fait son nid sur des arbres ou même dans des buissons en pleine campagne et non pas dans les bois, part avec sa famille vers le mois de septembre, se nourrit communément d’insectes, et fait aussi la guerre aux petits oiseaux ; en sorte qu’on ne peut trouver aucune différence essentielle entre eux, sinon la grandeur, la distribution et les nuances des couleurs, qui paraissent être constamment différentes dans chacune de ces espèces, tant celles du mâle que celles de la femelle ; néanmoins, comme entre le mâle et la femelle de chacune de ces deux espèces il y a dans ce même caractère de la couleur encore plus de différence que d’une espèce à l’autre, on serait très bien fondé à ne les regarder que comme des variétés, et à réunir sous la même espèce la pie-grièche rousse, l’écorcheur et l’écorcheur varié[1], dont quelques naturalistes ont encore fait une espèce distincte, et qui cependant pourrait bien être la femelle de celui dont il est ici question.

Au reste, ces deux espèces de pies-grièches, avec leurs variétés, nichent dans nos climats, et se trouvent en Suède comme en France ; en sorte qu’elles ont pu passer d’un continent à l’autre : il est donc à présumer que les espèces étrangères de ce même genre, et qui ont des couleurs rousses, ne sont que des variétés de l’écorcheur, d’autant qu’ayant l’usage de passer tous les ans d’un climat à l’autre elles ont pu se naturaliser dans des climats éloignés encore plus aisément que la pie-grièche, qui reste constamment dans notre pays.

Rien ne prouve mieux le passage de ces oiseaux de notre pays dans des climats plus chauds, pour y passer l’hiver, que de les retrouver au Sénégal ; la pie-grièche rousse nous a été envoyée par M. Adanson, et c’est absolument le même oiseau que notre pie-grièche rousse d’Europe ; il y en a une autre qui nous a été également envoyée du Sénégal, et qui doit n’être regardée que comme une simple variété dans l’espèce, puisqu’elle ne diffère des autres que par la couleur de la tête qu’elle a noire, et par un peu plus de longueur de queue, ce qui ne fait pas, à beaucoup près, une assez grande différence pour en former une espèce distincte et séparée.

Il en est de même de l’oiseau que nous avons appelé l’écorcheur des Philippines[2], et encore de celui que nous avons appelé pie-grièche de la Louisiane, qui nous ont été envoyés de ces deux climats si éloignés l’un de l’autre, et qui néanmoins se ressemblent assez pour ne paraître que le même oiseau, et qui dans le réel ne font ensemble qu’une variété de notre écorcheur, à la femelle duquel cette variété ressemble presque en tout.


Notes de Buffon
  1. « Collurionis parvi secundum genus. » Aldrov., Avi., t. Ier, p. 390. Cum icone. « Cullorio varius. » L’écorcheur varié. Brisson, t. II, p. 154. « An præcedentis fœmina ? » Idem, ibidem, p. 158.
  2. Il nous paraît que cet oiseau est le même que celui que M. Edwards a donné sous le nom de pie-grièche rouge ou rousse huppée. « Cet oiseau, dit-il, s’appelle charah dans le pays de Bengale, et diffère de nos pies-grièches par une huppe qu’il porte sur la tête » ; mais cette différence est bien légère, car cette huppe n’en est pas une, c’est seulement une disposition de plumes qui paraissent hérissées comme celles du geai lorsqu’il est en colère, et que M. Edwards avoue lui-même qu’il n’a vue que dans l’oiseau mort ; en sorte qu’on ne peut pas assurer si ces plumes n’avaient pas été redressées par quelque froissement avant ou après la mort de l’oiseau, ce qui est bien différent d’une huppe naturelle. La preuve de ce que je viens de dire, c’est qu’on voit une semblable huppe sur la tête de la pie-grièche blanche et noire de Surinam, dont le même M. Edwards a donné la figure dans la première partie de ses Glanures (Glanures d’Edwards, part. i, p. 35, pl. ccxxvi) : or nous avons cette espèce au Cabinet du Roi, et il est certain qu’elle n’a point de huppe ; dès lors nous ne pouvons nous empêcher de présumer que cette apparence de huppe, ou plutôt de plumes hérissées sur la tête, qui se trouve dans ces deux pies-grièches de M. Edwards, ne soit une disposition accidentelle ou momentanée, et qui probablement ne se manifeste que quand l’oiseau est en colère : ainsi nous persistons à croire que cette pie-grièche du Bengale n’est qu’une variété de l’espèce de la pie-grièche rousse ou de l’écorcheur d’Europe.
Notes de l’éditeur
  1. Lanius collurio Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Lanius collurio Linnæus].