Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du granit



DU GRANIT

De toutes les matières produites par le feu primitif, le granit est la moins simple et la plus variée : il est ordinairement composé de quartz, de feldspath, de schorl et de mica : de ces quatre substances primitives, les plus fusibles sont le feldspath et le schorl ; ces verres de nature se fondent sans addition au même degré de feu que nos verres factices, tandis que le quartz résiste au plus grand feu de nos fourneaux ; le feldspath et le schorl sont aussi beaucoup plus fusibles que le mica, auquel il faut appliquer le feu le plus violent pour le réduire en verre ou plutôt en scories spumeuses. Enfin le feldspath et le schorl communiquent la fusibilité aux matières dans lesquelles ils se trouvent mélangés, telles que les porphyres, les ophites et les granits, qui tous peuvent se fondre sans aucune addition ni fondant étranger[1] ; or, ces différents degrés de fusibilité respective dans les matières qui composent le granit, et particulièrement la grande fusibilité du feldspath et du schorl, me semblent suffire pour expliquer d’une manière satisfaisante la formation du granit.

En effet, le feu qui tenait le globe de la terre en liquéfaction a nécessairement eu des degrés différents de force et d’action : le quartz ne pouvait se fondre que par le feu le plus violent, et n’a pu demeurer en fusion qu’autant de temps qu’a duré cette extrême chaleur ; dès qu’elle a diminué, le quartz s’est d’abord consolidé, et sa surface, frappée du refroidissement, s’est fendue, écaillée, égrenée, comme il arrive à toute espèce de verre exposé à l’action de l’air ; toute la superficie du globe devait donc être couverte de ces premiers débris de la décrépitation du quartz immédiatement après sa consolidation ; et les groupes élancés des montagnes isolées, les sommets des grandes boursouflures du globe, qui dès lors s’étaient faites dans la masse quartzeuse, ont été les premiers lieux couverts de ces débris du quartz, parce que ces éminences, qui présentaient toutes leurs faces au refroidissement, en ont été plus complètement et plus vivement frappées que toutes les autres portions de la terre.

Je dis refroidissement, par rapport à la prodigieuse chaleur qui avait jusqu’alors tenu le quartz en fusion ; car, dans le moment de sa consolidation, le feu était encore assez violent pour dissiper les micas, dont l’exfoliation ne fut que le second détriment du quartz déjà brisé en écailles et en grains par le premier degré du refroidissement. Le feldspath et le schorl, bien plus fusibles que le mica, étaient encore en pleine fonte au point de feu où le quartz déjà consolidé s’égrenait faute de recuit et formait les micas par ses exfoliations[NdÉ 1].

Le feldspath et le schorl doivent donc être considérés comme les dernières fontes des matières vitreuses : ces deux derniers verres, en se refroidissant, durent s’amalgamer avec les détriments des premiers. Le feu qui avait tenu le quartz en fusion était bien plus violent que celui qui tenait dans ce même état le feldspath et le schorl, et ce n’est qu’après la consolidation du quartz et même après sa réduction en débris que les micas se sont formés de ses exfoliations, et ce n’est encore qu’après ce temps que le feldspath et le schorl, auxquels il ne faut qu’un feu médiocre pour rester en fusion, ont pu se réunir avec les détriments de ces premiers verres : ainsi le feldspath et le schorl ont rempli, comme des ciments additionnels, les interstices que laissaient entre eux les grains de quartz ou de jaspe et les particules de mica ; ils ont lié ensemble ces débris, qui de nouveau prirent corps et formèrent les granits et les porphyres, car c’est, en effet, sous la forme d’un ciment introduit et agglutiné dans les porphyres et les granits qu’ils s’y présentent.

En effet, les quartz en grains décrépités ou exfoliés en micas devaient couvrir généralement la surface du globe, à l’exception des fentes perpendiculaires qui venaient de s’ouvrir par la retraite que fit sur elle-même toute la matière liquéfiée en se consolidant ; le feu de l’intérieur exhalait par ces fentes, comme par autant de soupiraux, les vapeurs métalliques, qui, s’étant incorporées avec la substance du quartz, l’ont modifiée, colorée et convertie en jaspe, lequel ne diffère en effet du quartz que par ces impressions de vapeurs métalliques, et qui, s’étant consolidé et recuit dans ces fentes du quartz, et à l’abri de l’action des éléments humides, est demeuré solide, et n’a fourni à l’extérieur qu’une petite quantité de détriments que le feldspath et le schorl aient pu saisir. Les jaspes ne présentant que leur sommet, et étant du reste contenus dans les fentes perpendiculaires de la grande masse quartzeuse, ne purent recevoir le feldspath et le schorl que dans cette partie supérieure, sur laquelle seule se fit une décrépitation semblable à celle du quartz, parce que cette partie de leur masse était en effet la seule qui pût être réduite en débris par le refroidissement.

Et de fait, les porphyres, qui n’ont pu se former qu’à la superficie des jaspes, sont infiniment moins communs que les granits, qui se sont au contraire formés sur la surface entière de la masse quartzeuse ; car les granits recouvrent encore aujourd’hui la plus grande partie du globe ; et, quoique les quartz percent quelquefois au dehors et se montrent en divers endroits sur de fortes épaisseurs et dans une grande étendue[2], ils n’occupent que de petits espaces à la surface de la terre en comparaison des granits, parce que les quartz ont été recouverts et rehaussés, presque partout, par ces mêmes granits, qui ont recueilli dans leur substance presque tous les débris des verres primitifs, et se sont consolidés et groupés sur la roche même du globe, à laquelle ils tiennent immédiatement, et qu’ils chargent presque partout. On trouve le granit comme premier fond au-dessous des bancs calcaires et des couches de l’argile et des schistes, quand on peut en percer l’épaisseur[3], et nous ne devons pas oublier que ce fond actuel de notre terre était la surface du globe primitif avant le travail des eaux[4].

Or, les granits sont non seulement couchés sur cette antique surface, mais ils sont entassés encore plus en grand dans les groupes des montagnes primitives[5], et nous en avons d’avance indiqué la raison : ces sommets, où les degrés du refroidissement furent plus rapides, atteignirent plus tôt le point de la fusion et de la consolidation du feldspath et du schorl, en même temps qu’ils leur offraient à saisir de plus grandes épaisseurs de grains quartzeux décrépités.

Aussi les granits forment-ils la plupart de ces grands groupes et de ces hauts sommets élevés sur la base de la roche du globe comme les obélisques de la nature, qui nous attestent ses formations antiques, et sont les premiers et grands ouvrages dans lesquels elle préparait la matière de toutes ses plus riches productions, et où elle indiquait déjà de loin le dessin sur lequel elle devait tracer les merveilles de l’organisation et de la vie ; car on ne peut s’empêcher de reconnaître dans la figuration généralement assez régulière des petits solides du feldspath et du schorl cette tendance à la structure organique, prise dans un feu lent et tranquille, qui, en commençant l’union intime de la matière brute avec quelques molécules organiques, la dispose de loin à s’organiser, en y traçant des linéaments d’une figuration régulière : nos fusions artificielles, et plus encore les fusions produites par les volcans, nous offrent des exemples de cette figuration ou cristallisation par le feu dans un grand nombre de matières[6], et même dans tous les métaux et minéraux métalliques.

Si nous considérons maintenant que les grands bancs et les montagnes de granit s’offrent à la superficie de la terre dans tous les lieux où les argiles, les schistes et les couches calcaires n’ont pas recouvert l’ancienne surface du globe, et où le feu des volcans ne l’a point bouleversée, en un mot partout où subsiste la structure primitive de la terre[7], on ne pourra guère se refuser à croire qu’ils sont l’ouvrage de la dernière fonte qui ait eu lieu à sa surface encore ardente, et que cette dernière fonte n’ait été celle du feldspath et du schorl, lesquels, des cinq verres primitifs, sont sans comparaison les plus fusibles ; et si l’on rapproche ici un fait qui, tout grand et tout frappant qu’il est, ne paraît pas avoir été remarqué des minéralogistes, savoir qu’à mesure que l’on creuse ou qu’on fouille dans une montagne dont la cime et les flancs sont de granit, loin de trouver du granit plus solide et plus beau à mesure que l’on pénètre, l’on voit au contraire qu’au-dessous, à une certaine profondeur, le granit se change, se perd et s’évanouit à la fin, en reprenant peu à peu la nature brute du roc vif et quartzeux. On peut s’assurer de ce changement successif dans les fouilles de mines profondes : quoique ces profondeurs où nous pénétrons soient bien superficielles, en comparaison de celles où la nature a pu travailler les matériaux de ses premiers ouvrages, on ne voit dans ces profondeurs que la roche quartzeuse, dont la partie qui touche aux filons des mines et forme les parois des fentes perpendiculaires est toujours plus ou moins altérée par les eaux ou par les exhalaisons métalliques, tandis que celle qu’on taille dans l’épaisseur vive est une roche sauvage plus ou moins décidément quartzeuse, et dans laquelle on ne distingue plus rien qui ressemble aux grains réguliers du granit. En rapprochant ce second fait du premier, on ne pourra guère douter que les granits n’aient en effet été formés des détriments du quartz décrépité jusqu’à certaines profondeurs, et du ciment vitreux du feldspath et du schorl, qui s’est ensuite interposé entre ces grains de quartz et les micas, qui n’en étaient que les exfoliations.

Il s’est formé des granits à plus grands et à plus petits cristaux de feldspath et de schorl, suivant que les grains quartzeux se sont trouvés plus ou moins rapprochés, plus ou moins gros, et selon qu’ils laissaient entre eux plus d’espace où le feldspath et le schorl pouvaient couler pour se cristalliser. Dans le granit à menus grains, le feldspath et le schorl, presque confondus et comme incorporés avec la pâte quartzeuse, n’ont point eu assez d’espace pour former une cristallisation bien distincte ; au lieu que dans les beaux granits à gros grains réguliers, le feldspath et quelquefois le schorl sont cristallisés distinctement, l’un en rhombes et l’autre en prismes[8].

Les teintes de rouge du feldspath et de brun noirâtre du schorl dans les granits sont dues sans doute aux sublimations métalliques, qui de même ont coloré les jaspes et se sont étendues dans la matière du feldspath et du schorl en fusion. Néanmoins cette teinture métallique ne les a pas tous colorés, car il y a des feldspaths et des schorls blancs ou blanchâtres, et dans certains granits et plusieurs porphyres le feldspath ne se distingue pas du quartz par la couleur[9].

Les sommets des montagnes graniteuses sont généralement plus élevés que les montagnes schisteuses ou calcaires : ces sommets paraissent n’avoir jamais été surmontés ni travaillés par les eaux, dont la plus grande hauteur nous est indiquée par les bancs calcaires les plus élevés, car on ne trouve aucun indice de coquilles ou d’autres productions marines dans l’intérieur de ces granits primitifs, à quelque niveau qu’on les prenne, comme jamais aussi l’on ne voit de bancs calcaires interposés dans les masses de granit, ni de granits posés sur des couches calcaires, si ce n’est par fragments roulés et transportés[10], ou par bancs de seconde formation. Tous ces faits importants de l’histoire du globe ne sont que des conséquences nécessaires de l’ordre dans lequel nous venons de voir les grandes formations du feu précéder universellement l’ouvrage des eaux.

Les couches que l’eau a déposées sont étendues horizontalement, et c’est dans ce sens, c’est-à-dire en longueur et largeur, que se présentent leurs plus grandes dimensions ; les granits au contraire, et tous les autres ouvrages du feu sont groupés en hauteur ; leurs pyramides ont toujours plus d’élévation que de base[11]. Il y a de ces masses ou pyramides solides de granit, sans fentes ni sutures, d’une très grande hauteur et d’un volume énorme[12] ; on en peut juger non seulement par l’inspection des montagnes graniteuses[13], mais même par les monuments des anciens : ils ont travaillé des blocs de granit de plus de vingt mille pieds cubes, pour en former des colonnes et des obélisques d’une seule pièce[14], et de nos jours on a remué des masses encore plus fortes, car le bloc de granit qui sert de piédestal à la statue équestre du grand Pierre Ier, élevée par l’ordre d’une impératrice encore plus grande[15], contient trente-sept mille pieds cubes : cependant ce bloc a été trouvé dans un marais, où il était isolé et détaché des hautes masses auxquelles il tenait avant sa chute. « Mais nulle part, nous dit M. l’abbé Bexon[16], on ne peut prendre une idée plus magnifique de ces masses énormes de granit que dans nos montagnes des Vosges : elles en offrent en mille endroits des blocs plus grands que tous ceux que l’on admire dans les plus superbes monuments, puisque les larges sommets et les flancs escarpés de ces montagnes ne sont que des piles et des groupes d’immenses rochers de granit entassés les uns sur les autres[17]. »

Plusieurs observateurs ont déjà reconnu que la plupart des sommets des montagnes, surtout des plus élevées, sont formés de granit[18]. La plus grande hauteur où les eaux aient déposé des coquilles n’étant qu’à quinze cents ou deux mille toises au-dessus du niveau actuel de la mer, il y a par conséquent un grand nombre de sommets qui se trouvent au-dessus de cette hauteur ; mais il s’en faut bien que toutes les pointes moins élevées aient été recouvertes des productions de la mer ou cachées sous l’argile, le schiste et les autres matières transportées par les eaux ; plusieurs montagnes, telles que les Vosges, moins hautes que ces grands sommets, sont composées de granits qui n’offrent aucun vestige de productions marines, et ces granits ne sont pas surmontés de bancs calcaires, quoique la mer ait porté dans d’autres endroits ses productions à de bien plus grandes hauteurs. Au reste, ce n’est que dans les hautes montagnes vitreuses que l’on peut voir à nu la structure ancienne et la composition primitive du globe en masses de quartz, en veines de jaspe, en groupes de granit et en filons métalliques[19].

Quelque solide et durable que soit la matière du granit, le temps ne laisse pas de la miner et de la détruire à la longue, et des trois ou quatre substances dont il est composé, le quartz paraît être celle qui a le plus perdu de sa solidité, et cela est peut-être arrivé dès le premier temps qu’il s’est décrépité ; car quoique, étant d’une substance plus simple, il soit en lui-même plus solide que le feldspath et le schorl, cependant ces derniers verres, et surtout le feldspath, sont ce qu’il y a de plus durable dans le granit ; du moins il est certain que sur les faces des blocs de granit exposés à l’air aux flancs des montagnes, c’est la partie quartzeuse qui tombe en détriment la première avec le mica, et que les rhombes du feldspath restent nus et relevés à la surface du granit dépouillé du mica et des grains de quartz qui les environnaient. Cet effet se remarque surtout dans les granits où la quantité du feldspath est plus grande que celle du quartz ; et il provient de ce que les cristaux de cette même matière vitreuse sont en masses plus longues et plus profondément implantées que les grains du quartz dans presque tous les granits. Au reste, ces grains de quartz détachés par l’action des éléments humides et entraînés par les eaux s’arrondissent en roulant, et se réduisent bientôt en sables quartzeux et micacés[20], lesquels, comme les sables de grès, se convertissent ensuite en terres argileuses.

On trouve dans l’intérieur de la terre des granits décomposés, dont les grains n’ont que peu d’adhérence et dont le ciment est ramolli[21] ; cette décomposition se remarque surtout dans les fentes perpendiculaires où les eaux extérieures peuvent pénétrer par infiltration, et aussi dans les endroits où la masse des rochers est humectée par les vapeurs qui s’élèvent des eaux souterraines[22] : toute humidité s’oppose à la dureté, et la preuve en est que toute masse pierreuse acquiert de la dureté en se séchant à l’air. Cette différence est plus sensible dans les marbres et autres pierres calcaires que dans les matières vitreuses ; néanmoins elle se reconnaît dans les granits, et plus particulièrement encore dans le grès, qui est toujours humide dans sa carrière et qui prend plus de dureté après s’être séché à l’air pendant quelques années.

Lorsque les exhalaisons métalliques sont abondantes et en même temps mêlées d’acides et d’autres éléments corrosifs, elles détériorent avec le temps la substance des granits, et même elles altèrent celle du quartz : on le voit dans les parois de toutes les fentes perpendiculaires où se trouvent les filons des mines métalliques ; le quartz paraît décomposé et le granit adjacent est friable.

Mais cette décomposition d’une petite portion de granit dans l’intérieur de la terre n’est rien en comparaison de la destruction immense et des débris que dut produire l’action des eaux, lorsqu’elles vinrent battre pour la première fois les pics des montagnes primitives, plus élancés alors qu’ils ne le sont aujourd’hui ; leurs flancs nus, exposés aux coups d’un océan terrible, durent s’ébranler, se fendre, se rompre en mille endroits et de mille manières : de là ces blocs énormes qu’on en voit détachés et tombés à leurs pieds ; et ces autres blocs qui, comme suspendus et menaçant les vallées, ne semblent plus tenir à leurs sommets que pour attester les efforts qui se firent pour les en arracher[23] ; mais tandis que la force des vagues renversait les masses qui offraient le plus de prise ou le moins de résistance, l’eau, par une action plus tranquille et tout aussi puissante, attaquait généralement et altérait partout les surfaces des matières primitives, et, transportant la poudre de leurs détriments, en composait de nouvelles substances, telles que les argiles et les grès ; mais il dut y avoir aussi dans les amas de ces débris de gros sables qui n’étaient pas réduits en poudre ; et les granits étant les plus composés, et par conséquent les plus destructibles des substances primitives, ils fournirent ces gros sables en plus grande quantité ; et l’on conçoit qu’eu égard à leur pesanteur, ces sables ne purent être transportés par les eaux à de très grandes distances du lieu de leur origine : ils se déposèrent en grande quantité aux environs de leurs masses primitives, ils s’y accumulèrent en couches graniteuses, et ces grains, agglutinés de nouveau par l’intermède de l’eau, ont formé les granits secondaires, bien différents, comme l’on voit, quant à leur origine, des vrais granits primitifs. Et en effet l’on trouve en divers endroits ces nouveaux granits, soit en couches, soit en amas inclinés, et on reconnaît à plusieurs caractères qu’ils sont de seconde formation ; 1o  à leur position en couches, et quelquefois en sacs entre des matières calcaires[24] ; 2o  en ce qu’ils sont moins compactes, moins durs et moins durables que les granits antiques ; 3o  en ce que le feldspath et le schorl n’y sont pas en cristaux bien distincts, mais par petites masses qui paraissent résulter de l’agglutination de plusieurs fragments de ces mêmes substances, et qui n’offrent à l’œil qu’une teinte terne et mate, de couleur briquetée ou d’un gris rougeâtre ; 4o  en ce que les parcelles du mica y ont forme par leur jonction des feuilles assez grandes, et même de petites piles de ces feuilles qui ressemblent à du talc ; 5o  enfin, en ce que l’empâtement de toute la pierre est grossier, imparfait, n’ayant ni la cohérence, ni la solidité, ni la cassure vive et vitreuse du vrai granit. On peut vérifier ces différences en comparant les granits des Vosges ou des Alpes avec celui qui se trouve à Semur en Bourgogne ; ce granit est de seconde formation ; il est friable, peu compact, mêlé de talc ; il est disposé par lits et par couches presque horizontales ; il présente donc toutes les empreintes d’un ouvrage de l’eau, au lieu que les granits primitifs n’ont d’autres caractères que ceux d’une vitrification.

On ne doit donc rien inférer, rien conclure de la formation de ces granits secondaires à celle du granit primitif dont ils ne sont que des détriments : les grès sont relativement au quartz ce que ces seconds granits sont au premier, et vouloir les réunir pour expliquer leur formation par un principe commun, c’est comme si l’on prétendait rendre raison de l’origine du quartz par la formation du grès.

Ceux qui voudraient persister à croire qu’on doit rapporter à l’eau la formation de tous les granits, même de ceux qui sont élancés à pic, et groupés en pyramides dans les montagnes primitives, ne voient pas qu’ils ne font que reculer, ou plutôt éluder la réponse à la question ; car ne doiton pas leur demander d’où sont venus, et par quel agent ont été formés ces fragments vitreux employés par l’eau pour composer les granits[25], et dès lors ne seront-ils pas forcés à rechercher l’origine des masses, dont ces fragments vitreux ont été détachés, et ne faut-il pas reconnaître que si l’eau peut diviser, transporter, rassembler les matières vitreuses, elle ne peut en aucune façon les produire ?

La question resterait donc à résoudre dans toute son étendue, quand on voudrait par prévention de système, ou qu’on pourrait par suite d’analogie, établir que les granits primitifs ont été formés par l’eau ou dans le sein des eaux, et il resterait toujours pour fait constant que la grande masse vitreuse, dont les éléments de ces granits sont ou l’extrait ou les débris, est une matière antérieure et étrangère à l’eau, et dont la formation ne peut être attribuée qu’à l’action du feu primitif.

Les nouveaux granits sont souvent adossés aux flancs, ou stratifiés aux pieds des grandes masses antiques dont ils tirent leur origine ; ils sont étendus en couches ou en lits, plus ou moins inclinés, et souvent horizontaux, au lieu d’être groupés en hauteur, entassés en pyramides, ou empilés en feuillets verticaux[26], comme le sont les véritables granits dans les grandes montagnes primitives : cette différence de position est un effet remarquable et frappant, qui d’un côté caractérise l’action du feu, dont la force expansive du centre à la circonférence ne pouvait qu’élancer, élever la matière et la grouper en hauteur, tandis que la seconde position présente l’ouvrage de l’eau, qui soumise à la loi de l’équilibre, et ne travaillant que par voie de transport et de dépôt, tend généralement à suivre la ligne horizontale.

Les granits secondaires sont donc formés des premiers débris du granit primitif, et les fragments rompus des uns et des autres, et roulés par les eaux, ont postérieurement rempli plusieurs vallées[27], et ont même formé par leur entassement des montagnes subalternes. Il se trouve des carrières, entières et en bancs étendus, de ces fragments de granits roulés et souvent mêlés de pareils fragments de quartz arrondis, comme ceux de granit, en forme de cailloux[28]. Mais ces couches sont, comme l’on voit, de seconde et même de troisième formation. Et dans le même temps que les eaux entraînaient, froissaient et entassaient ces fragments massifs, elles transportaient au loin, dispersaient et déposaient partout les parties les plus ténues, et la poussière flottante de ces débris graniteux ou quartzeux ; dès lors ces poudres vitreuses ont été mêlées avec les poudres calcaires, et c’est de là que proviennent originairement les sucs quartzeux ou silicés qui transsudent dans les craies et autres couches calcaires formées par le dépôt des eaux.

Et comme le transport de ces débris du granit, du grès et des poudres d’argile, s’est longtemps fait dans le fond des mers, conjointement avec celui des détriments des craies, des marbres et des autres substances calcaires, les unes et tes autres ont quelquefois été entraînées, réunies et consolidées ensemble : c’est de leur mélange que se sont formées les brèches et autres pierres mi-parties de calcaire et de vitreux ou argileux, tandis que les fragments de quartz et de granit, unis de même par le ciment des eaux, ont formé les poudingues purement vitreux, et que les fragments des marbres et autres pierres de même nature ont formé les brèches purement calcaires.


Notes de Buffon
  1. 1o  Un morceau de très beau granit rouge très vif, très dur, faisant feu dans tous les points, enfermé dans un petit creuset de Hesse et recouvert d’un autre, a coulé en verre noir en moins de deux heures ;

    2o  Un morceau de granit noir et blanc très dur, du poids de cinq gros vingt-deux grains, a formé dans le même temps une seule masse vitreuse noire, très compacte, très homogène ;

    3o  Un morceau de porphyre très brun piqué de blanc, très dur, de deux gros vingt-huit grains, a coulé au point d’enduire absolument le creuset de verre noir : ces trois morceaux antiques ont été trouvés à Autun ;

    4o  J’ai exposé au même feu de beau quartz blanc d’Auvergne : il y a pris un blanc plus mat, plus opaque, y est devenu plus tendre, plus aisé à égrener au doigt, mais sans aucune fusion, pas même aux endroits où il touchait le creuset. — Lettre de M. de Morveau à M. de Buffon. Dijon, 27 octobre 1778.

  2. « Les quartz s’offrent à plusieurs endroits dans les Vosges, soit que les masses de granits éboulées aient découvert les flancs de la masse quartzeuse, ou que des zones ou veines de quartz percent d’elles-mêmes à la surface. Dans les mines du Thillot et de Château-Lambert, fouillées dans une des racines de la grande montagne du Balon, et dont l’exploitation fut autrefois très riche et pourrait l’être encore, le cuivre se trouve immédiatement dans le quartz vif, sans autre matrice ni gangue ; ce quartz est d’un beau blanc de lait et perce en larges bandes jusqu’au dehors de la montagne. On rencontre la tranche d’une autre très large zone de quartz, coupée dans le bas de la superbe route qui descend de l’autre côté de cette même grande montagne du Balon sur Giromagny en haute Alsace. Des masses et des zones de quartz se présentent également sur les coupes de l’autre route qui pénètre la montagne, de Lorraine en Alsace, par la source de la Moselle, Bussang, Saint-Amarin et Than. Enfin, en nombre d’autres endroits dans toute la chaîne des Vosges, le quartz se montre entre les granits, soit à la base, soit aux côtés escarpés des montagnes. » Observations communiquées par M. l’abbé Bexon.

    « Dans le canton de Salvert en Auvergne, il y a, dit M. Guettard, une bande de plus de deux mille toises de long qui n’est que du quartz blanc ; elle reprend même du côté de Roche-d’Agout jusqu’à une petite butte qui est auprès de la paroisse de Biolet, ce qui fait en tout une longueur de plus de dix mille toises.

    Aux environs de Pont-Gibaud, le long du chemin de Clermont au Mont-Dore, il y a du quartz ; les maisons en sont bâties dans le canton de la Sauvetat, cette pierre est ordinairement d’un blanc plus ou moins vif, etc. » Mémoire sur la minéralogie d’Auvergne, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1759.

    Presque tous les rochers du Grimsel (l’une des plus hautes Alpes, d’où sortent les sources de l’Aar et du Rhône) contiennent de beaux cristaux ; c’est sur cette montagne composée de quartz, qu’ont été trouvées les plus belles pièces de cristal que l’on connaisse, entre autres celle qu’a vue M. de Haller, et qui pesait six cent quatre-vingt-quinze livres. Voyages de M. Bourrit, t. II, chap. iii.

    On entrevoit de certaines lois à l’égard de l’arrangement respectif de cet ordre d’anciennes roches, par tous les systèmes de montagnes qui appartiennent à l’empire russe. La chaîne ouralique, par exemple, a du côté de l’orient, sur toute sa longueur, une très grande abondance de schistes cornés, serpentins et talqueux, riches en filons de cuivre, lesquels forment le principal accompagnement du granit. Des jaspes de diverses couleurs… forment des lits de montagnes entières et occupent de très grands espaces ; de ce même côté, il paraît beaucoup de quartz en grandes roches toutes pures. » Observ. sur la formation des montagnes, par M. Pallas, p. 50.

  3. « Les montagnes du Vicentin et du Véronois sont composées d’un schiste argileux micacé ; comme on n’en perce pas l’épaisseur, on ignore s’il en est de même ici que dans d’autres pays de montagnes, c’est-à-dire s’il y a au-dessous de ce schiste du granit, ce que je présume cependant ; car le granit perce et s’élève au-dessus du schiste dans les hautes montagnes du Tyrol, et le granit gris ou granitello se montre déjà vers les sources de la rivière de Cismonvé qui se jette dans la Brenta. » Ferber, Lettres sur la Minéralogie, p. 46.
  4. « Il résulte des faits que j’ai rapportés, qu’à l’époque où la mer commençait à couvrir les Pyrénées de productions marines, il existait déjà de grandes montagnes, purement graniteuses, qu’elle n’a fait qu’accroître par d’immenses dépôts, provenant de la destruction des corps marins organisés ; mais l’enveloppe des masses de granit, continuellement exposée aux injures du temps et à l’action des eaux du ciel, ne cesse de diminuer depuis que la mer s’est retirée du sommet des Pyrénées : les torrents surtout, qui sillonnent de profondes cavités dans le sein de ces montagnes, entraînent les pierres calcaires et argileuses, et dégagent peu à peu le granit ; ainsi cette roche, après une longue suite de siècles, se trouvera entièrement à découvert, telle enfin qu’elle était disposée avant d’avoir servi de base à des matières de nouvelle formation. Les Pyrénées, parvenues à leur premier état, ressembleront aux montagnes graniteuses du Limousin, qui paraissent avoir subi toutes ces vicissitudes. Les environs de Châteauneuf, village situé à six lieues de Limoges, présentent des bancs inclinés de marbre gris, enfermés de granit ; cette île calcaire est, selon M. Cornuo, ingénieur-géographe du roi, d’une demi-lieue de diamètre, et distante de plus de dix lieues des contrées calcaires. Un pareil monument semble avoir été conservé pour indiquer que les montagnes actuelles du Limousin ne sont que le noyau d’une région autrefois beaucoup plus haute, formée par les dépôts de la mer, et détruite, après la retraite des eaux, par les mêmes causes qui rabaissent chaque jour la cime des Pyrénées.

    » La constitution intérieure de cette chaîne ne permet pas d’admettre, comme nous l’avons déjà dit, que les matières qui la composent aient été formées en même temps ; il est aisé, au contraire, de voir que la formation du granit a précédé celle des bancs calcaires et argileux, a auxquels il sert de base. » Essai sur la minéralogie des monts Pyrénées, par M. l’abbé Palassau, p. 154.

  5. « Les granits me semblent mériter, mieux que toutes les autres roches, le nom de roches primitives, parce qu’on les trouve plus près du centre, et dans le centre même des hautes chaînes. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 99. — « C’est une observation générale, que dans les grandes chaînes on trouve au dehors les montagnes calcaires, puis les ardoises. » — L’auteur se fût mieux exprimé en disant les schistes, puis les roches feuilletées primitives, et enfin les granits. Idem, ibidem, p. 402.
  6. Voyez l’article des volcans, sur les espèces de granits et de porphyres qui se forment quelquefois dans la lave.
  7. « Après avoir vu les ruines de l’ancienne Syène, je me rendis aux carrières de granit, qui sont environ un mille au sud-est. Tout le pays qui est à l’orient, les îles et le lit du Nil, sont de granit rouge, appelé par Hérodote pierre thébaïque. Ces carrières ne sont pas profondes, et l’on tire la pierre des flancs des montagnes. Je trouvai dedans quelques colonnes ébauchées, entre autres une carrée, qui était vraisemblablement destinée pour un obélisque… On suit ces carrières le long du chemin d’Assouan (Syène) à Philæ… L’île d’Éléphantine n’est aussi qu’un rocher de granit rouge… et ce sont des rochers de ce même granit, que le Nil a rompus, et entre lesquels il passe dans ses fameuses cataractes. » Voyage de Pococke. Paris, 1772, tome Ier, p. 347, 348, 354 et 360.
  8. « Le granit (proprement dit) varie par la proportion de ses ingrédients, qui est différente dans différents rochers, et quelquefois dans les différentes parties d’un même rocher… Il varie aussi par la grandeur de ses parties, et surtout des cristaux de feldspath, qui ont quelquefois jusqu’à un pouce de longueur, et d’autres fois sont aussi petits qu’un grain de sable. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 105.
  9. Le granito grigio ou bigio est gris, composé de quartz transparent ou opaque et couleur de lait, de spath dur blanc et de mica noir ; lorsque toutes ses parties sont en petits grains, on en nomme l’assemblage granitello… Le granito rosso, ou granit rouge, est composé de quartz blanc, de grands morceaux de spath dur rouge et de mica noir… Quelques colonnes de granit et de granitello sont clairement parsemées de petites taches noires provenant d’un amas de mica plus grand et plus fréquent dans ces endroits ; telles sont les colonnes de la façade du Palais royal de Naples, du côté de la mer ; telles sont aussi celles de granit gris antique que j’ai vues à Salerne. Ferber, Lettres sur la Minéralogie, p. 343 et suiv.

    Les différentes couleurs dont le feldspath est susceptible sont, dans le granit, la source d’un nombre de variétés : celle qu’il présente le plus communément est un blanc laiteux ; mais on le voit aussi jaune ou fauve, rouge, violet, et rarement, mais pourtant quelquefois d’un beau noir. Voyage dans les Alpes, par M. de Saussure, t. Ier, p. 105.

  10. « Il y a de gros morceaux de granit, de quartz et d’autres pierres, qui viennent des montes primarii du Tyrol, épars sur les champs des environs de Gallio d’Asiago, de Camporovere et d’autres endroits, tous situés dans la montagne… Ces morceaux sont de même nature que ceux qu’entraînent dans leur cours l’Adige et la Brenta en sortant des montagnes du Tyrol ; et il faut concevoir que le cours de ces rivières, avant qu’elles n’eussent approfondi leurs vallées, était au niveau de ces morceaux détachés des montagnes, et qui n’ont pu être entraînés et transportés sur ces couches calcaires que par les eaux. » Lettres sur la Minéralogie, par M. Ferber, p. 54.

    « Arrivés au milieu de la vallée d’Urseren (au mont Saint-Gothard), nous tournâmes à gauche, et nous montâmes dans une vallée plus élevée, dont les profondeurs sont jonchées de ruines de montagnes renversées. La Reuss, resserrée des deux côtés entre d’immenses blocs de granit d’une superbe couleur grise, confusément accumulés, et qui sont des fragments de celui qui a forme tous les sommets des Alpes, s’élance à travers ces débris avec une inconcevable rapidité. » Lettres sur la Suisse, par M. Will. Coxe, t. Ier, p. 128.

  11. « Si l’on consulte les auteurs qui ont parlé de la structure des montagnes de granit, on verra que presque tous disent que les pierres de ce genre se trouvent en masse informe, entassées sans aucun ordre : la source de ce préjugé vient principalement de ce qu’on a cru trouver du désordre partout où l’on n’a pas vu des couches horizontales ; mais tout homme qui observera en grand, et sans aucune prévention, la structure de ces hautes chaînes de montagnes de granit, reconnaîtra qu’elles sont composées de grandes lames ou feuillets pyramidaux appuyés les uns contre les autres… Ces feuillets sont tous à peu près verticaux ; ceux du centre ou du cœur de la chaîne le sont presque toujours ; mais les autres, à mesure qu’ils s’en éloignent, s’inclinent en s’appuyant contre ce même centre. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 502.
  12. Le plus bel endroit du passage du mont Saint-Gothard, et celui qui frappe le plus par son aspect, est un chemin taillé sur le roc comme un escalier ; là, une seule pièce de granit de quatre-vingts pieds de haut sur mille pas de front surplombe ce chemin. Voyage de M. Bourrit, t. II, chap. v.
  13. « Un œil exercé peut découvrir, même à de grandes distances, la matière dont un pic inaccessible est composé, surtout lorsqu’elle est d’un granit dur, comme dans les hautes Alpes. Les montagnes composées de ce genre de pierres ont leurs sommités terminées par des crénelures très aiguës à angles vifs ; leurs faces et leurs flancs sont de grandes tables planes, verticales, dont les angles sont aussi vifs et tranchants. La nuance même que la nature a souvent mise entre les roches de corne molles et les granits durs se marque à ces signes : les crêtes des sommets qui sont composés d’une roche de corne tendre paraissent arrondies, émoussées, sans physionomie ; mais à mesure que la pierre, en se chargeant de quartz et de feldspath, approche de la dureté du granit, on voit naître des créneaux plus distincts et des formes plus tranchées ; ces gradations s’observent à merveille sur l’aiguille inaccessible des Charmos qui domine le glacier des Bois dans le district de Chamouni. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 500.
  14. La colonne de Pompée, dont le fût est d’une seule pièce, passe pour être le plus grand monument des anciens en ce genre. « Cette colonne est, dit Thévenot, située à environ deux cents pas d’Alexandrie ; elle est posée sur un piédestal ou base carrée, large d’environ vingt pieds et haute de deux ou environ, mais faite de plusieurs grosses pierres : pour le fût de la colonne, il est tout d’une seule pièce de granit, si haute qu’elle n’a pas au monde sa pareille, car elle a dix-huit cannes de haut, et est si grosse qu’il faut six personnes pour l’embrasser. » Voyage au Levant, t. Ier, p. 227. En supposant la canne de cinq pieds de longueur, le fût de cette colonne en a quatre-vingt-dix de hauteur sur trente pieds de circonférence, parce que chaque homme, les bras étendus, embrasse aussi cinq pieds : ces dimensions donnent environ vingt mille pieds cubes. — « Nos montagnes européennes, dit M. Ferber, contiennent du granit rouge et du granit gris, et il n’y a pas de doute que l’on en pourrait tirer des blocs aussi beaux et aussi grands que le sont ceux des obélisques venus d’Égypte, si on voulait y mettre la main et y employer les sommes que les Romains dépensaient pour les avoir. » Lettres sur la minéralogie, p. 344.
  15. Catherine II, actuellement régnante, et dont l’Europe et l’Asie admirent et respectent également le grand caractère et le puissant génie.
  16. Mémoires sur l’Histoire naturelle de la Lorraine, communiqués par l’abbé Bexon.
  17. On vient depuis peu de commencer à travailler ces granits des Vosges, et les premiers essais ont découvert dans ces montagnes les plus grandes richesses en ce genre : elles offrent des granits très beaux et très variés pour le grain et pour les couleurs, et diverses espèces de porphyres ; on en tire aussi des jaspes richement colorés, et toutes ces matières s’y rencontrent partout dans une extrême abondance : quoique dans une exploitation commencée on n’ait encore attaqué aucune masse considérable, et qu’on se soit borné aux morceaux rompus, épars au penchant des montagnes, et que les habitants entassent en gros murs bruts pour enclore leurs terrains. Le premier établissement de ce travail des granits des Vosges, fait d’abord à Giromagny, dans la haute Alsace, est actuellement transféré, pour plus grande abondance de matières et plus grande facilité de transports, de l’autre côté de la montagne, en Lorraine, dans le vallon de la Moselle, environ quatre lieues au-dessous de sa source. Nous le devons au goût et à l’activité de M. Patu des Hauts-Champs, magistrat qui joint à l’honneur et aux distinctions héréditaires l’amour éclairé du bien public et de grandes connaissances dans les sciences et dans les arts. Son entreprise, qui nous semble très digne de l’attention et de la faveur du gouvernement, mettrait en valeur des matières précieuses restées jusqu’à présent brutes entre nos mains, et pour lesquelles nous payons jusqu’ici un tribut à l’Italie.
  18. Les hautes sommités des Alpes sont presque toutes de granit proprement dit, savoir, de celui qui est composé de quartz, de feldspath et de mica… Le mont Blanc, qui s’élève comme un géant au centre des Alpes, est un immense rocher de granit. Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 105 et 356. — Le sommet du Saint-Gothard est une plate-forme de granit nu. Lettres sur la Suisse, par M. William Coxe, traduites par M. Ramond, t. Ier, p. 193. — Le mont Sinaï (où je l’observai près du couvent) est presque tout de granit rougeâtre et à gros grains. Descript. de l’Arabie, par Niebuhr, t. II, p. 278. Les observations des derniers voyageurs ont constaté que le Caucase, qui occupe l’espace entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne, est une grande masse de granit très irrégulièrement accompagnée de ces bandes schisteuses qui recouvrent toujours les côtés des grandes chaînes, ainsi que des montagnes secondaires et tertiaires qui les accompagnent… La chaîne célèbre des montagnes d’Oural, qui trace la limite naturelle entre l’Europe et l’Asie, et que le respect des peuples qui l’avoisinent leur a fait appeler la ceinture de la terre, est élevée sur une échine de granit et de quartz qui va en serpentant du midi au nord, et dont la plus grande largeur se trouve sur les sources du Jaïck et du Bielaïa… elle arrive en décroissant aux bords de la mer Glaciale, où elle forme le grand cap à l’ouest du golfe de l’Oby… et répond enfin, par des côtes escarpées, à la grande chaîne boréale d’Europe, laquelle ayant parcouru toute la Scandinavie en forme de fer à cheval, et élevé le cap Nord, vient remplir de rochers granitiques les basses terres de la Finlande. La grande chaîne altaïque, qui forme un des plus puissants systèmes de montagnes qui aient été reconnus sur notre planète, remplit l’Asie de ses différentes branches ; elles partent de ces prodigieux sommets dont la suite règne depuis la grande montagne Ouloutaou, au milieu de la Tartarie déserte, par le Boghdo (montagne souveraine), qui élève ses pics fort au-dessus des neiges, jusqu’aux effroyables groupes de montagnes au nord des Indes, dont le Thibet et le royaume de Cachemire sont hérissés : toute cette suite de sommets est granitique, et il en part des rameaux de même nature qui se distribuent entre tous les grands fleuves de l’Asie. (Extrait d’une dissertation de M. Pallas, intitulée : Observations sur la formation des montagnes.)

    « En traversant le Tyrol pour aller en Italie, on trouve d’abord des montagnes calcaires, ensuite des montagnes schisteuses, et enfin des montagnes de granit ; ces dernières sont les plus élevées ; on redescend par le même ordre de montagnes graniteuses, schisteuses et calcaires… La même chose s’observe en montant les autres chaînes considérables de l’Europe, comme cela est incontestable dans les montagnes Carpathiques, dans celles de Saxe, du Hartz, de la Silésie, de la Suisse, des Pyrénées, de l’Écosse et de la Laponie, etc. ; on peut en tirer la juste conséquence que le granit forme les montagnes les plus élevées, et en même temps les plus profondes et les plus anciennes, puisque toutes les autres montagnes sont appuyées et reposent sur le granit, que le schiste a été posé sur le granit ou à côté de lui, et que les montagnes calcaires ou autres couches de pierres ou de terres amenées par les eaux ont encore été placées par-dessus le schiste. » Ferber, Lettres sur la minéralogie, p. 495 et 496. — « Plusieurs montagnes au-dessus du lac de Côme, dans le canton appelé la Grigna, sont composées de granit ; telles sont celles qui environnent en forme d’amphithéâtre le lago Maggiore, sur lequel sont les charmantes îles Borromées : ce granit a une couleur de chair pâle. » Idem, p. 473. — Le même M. Ferber dit expressément ailleurs (p. 343) que la partie la plus élevée des Alpes, entre l’Italie et l’Allemagne, est de granit ; et il ajoute que ces granits européens ne diffèrent en aucune façon du granit oriental.

    Tous les pays du monde offriront donc des granits dans leurs chaînes de montagnes primitives, et si les observations sur cet objet ne sont pas plus multipliées, c’est que de justes notions du règne minéral, pris en grand, paraissent avoir jusqu’ici manqué aux observateurs. Quoi qu’il en soit, toutes nos provinces montagneuses, l’Auvergne, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, la Lorraine, la Franche-Comté et même la Bourgogne vers Semur, offrent des granits. La Bretagne depuis la Loire, et partie de la Normandie touchant à la Bretagne, en comprenant Mortain, Argentan, Lisieux, Bayeux, Cherbourg, est appuyée sur une masse de granit. La Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ont les leurs. Les montagnes de la Corse et celles de l’île d’Elbe en sont formées. « Il s’y en trouve, dit M. Ferber (p. 441), qui est violet et très beau, parce que le feldspath est violet, à grands cubes, larges ou épais, oblongs ou polygones. »

    « Le bas de la montagne de Volvic (en Auvergne) qui a brûlé, est, dit M. Guettard, composé de granits de différentes couleurs ; il y en a de blanc, jaunâtre et gris, qui a des grains de moyenne grosseur bien liés, et un peu de paillettes talqueuses d’un argenté brillant ; un autre est blanc pointillé de noir à grains moyens et serrés, et à paillettes talqueuses brunes ou noires ; il ressemble beaucoup au carreau de Saint-Sever en Normandie ; un troisième est encore blanc, mais fouetté de jaunâtre et pointillé de brun et de noir ; ces grains sont de moyenne grosseur, serrés, et les paillettes talqueuses, brunes et petites ; les deux suivants sont jaunes, le premier est lavé de blanc pointillé de brun et de noir ; ces grains sont peu liés, de moyenne grosseur, serrés, et les paillettes talqueuses, brunes et petites ; on y remarque, outre cela, des plaques qui ont un coup d’œil de spath ; le second est jaune rouille de fer pointillé de blanc, à grains moyens, très peu liés et à paillettes petites et brunes ; enfin, des deux autres, l’un est noir et couleur de chair, à grains serrés et petits, mêlés d’un peu de talc brun ; l’autre est couleur de cerise foncée et brune, à grains moyens et un peu serrés, et à paillettes talqueuses d’un brun tirant sur le noir. Il y a encore de cette espèce de pierre le long du chemin qui conduit de Clermont au Mont-d’Or ; j’en ai observé qui étaient d’un blanc jaunâtre, sans paillettes talqueuses, et dont le grain était très serré ; ces granits étaient traversés par des veines de quelques lignes d’épaisseur d’un quartz blanc sale et demi-transparent ; d’autres étaient couleur de cerise vif, fouetté de brun avec quelques paillettes talqueuses d’un brun doré, ou bien ils étaient gris blanc avec de très grandes plaques de quartz : cette pierre se rencontre aussi sur la route de Clermont à Pont-Gibaud, à Rajat, sur le chemin de Rochefort à Pont-Gibaud, dans les environs de Clermont et du Puy-de-Dôme, dont la base est de cette pierre, à Gergovie, où il paraît décomposé : tous ces granits sont de différentes couleurs. Auprès d’Aurillac, dans la commanderie de la Salvetat, il y en a de rouges ; toutes les montagnes du canton de Courpierre sont, à ce qu’on dit, composées en grande partie de granits remplis de talc blanc et jaune. » Mémoires sur la minéralogie d’Auvergne, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1759.

    Quoique les montagnes qui sont auprès de l’Escurial paraissent toutes de granit bleu, on en trouve aussi du rouge comme celui d’Égypte… Il se décompose au contact de l’air, comme les autres pierres… et le rouge perd de sa couleur à mesure qu’il se décompose… Il y a aussi d’énormes masses de roche grossière et de granit, avec des morceaux de quartz blanc et de cristal de roche qui y sont enchâssés… Le pied de la montagne de Saint-Ildefonse est de granit, dont on fait des meules de moulin qui ne sont pas de bonne qualité, parce qu’elles deviennent trop unies en s’usant, et qu’on est obligé de les piquer souvent. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 440 et 446… M. Bowles ajoute que le granit bleu ou gris de l’Escurial, et le granit rouge de Saint-Ildefonse, ne sont pas comme les granits ordinaires mêlés de spath, ce qui pourrait faire croire que ce sont plutôt des quartz que des granits. Ibid., p. 448.

  19. « Toutes ces énormes montagnes qui bordent la vallée de Chamouni sont dans la classe des primitives : on trouve cependant une ou deux carrières de gypse et de rochers calcaires parsemés dans le fond de la vallée ; on voit aussi quelques bancs d’ardoise appliqués contre le pied du mont Blanc et des montagnes de sa chaîne ; mais toutes ces pierres secondaires n’occupent que le fond ou les bords des vallées, et ne pénètrent point dans le cœur des montagnes : le centre de celles-ci est de roche primitive, et les sommités assises sur ce centre sont aussi de cette même roche. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 431.
  20. La chaîne des monts Carpentins en Espagne est presque toute de granit ; il se résout en une espèce de gravier menu, par la dissolution du ciment qui unissait ses parties, et les petits cailloux de quartz restent détachés avec les feuilles de talc et de spath (feldspath) qui, ensuite avec le temps, se décomposent et se convertissent en terre parfaite qui n’est pas de la nature calcaire. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, t. Ier, p. 260.
  21. C’est mal à propos que M. de Saussure veut établir (Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 106) diverses espèces de granit sur les divers degrés de dureté de cette pierre, et parce qu’il s’en trouve de tendre au point de s’égrener entre les doigts, puisque ce n’est ici qu’une décomposition ou destruction par l’air et par l’eau du vrai granit, si pourtant, c’est de ce granit que l’observateur entend parler, de quoi l’on peut douter avec raison, puisqu’il attribue le vice de ces granits devenus tendres à l’effet de « quelque matière saline ou argileuse, entrée dans leur composition » (Ibid.) ; mais plus bas il se rétracte, en observant que, si dès l’origine ce principe de mollesse fût entré dans leur combinaison, les fragments roulés que l’on trouve de ces granits « n’eussent pu, sans se réduire en sable, supporter les chocs qui les ont arrondis. » (Ibid.)
  22. « Si ces eaux sont chaudes, la décomposition des parties de la roche en est plus intime et plus profonde : les fentes des rochers de granit, d’où coulent les eaux chaudes de Plombières, se montrent revêtues et remplies d’une argile très blanche, qui, en la pétrissant, se trouve encore mêlée de grains de quartz, et qui n’est en effet que la substance du quartz même dissoute et fondue par l’eau. La douceur au toucher de cette espèce d’argile, et sa facilité à se délayer dans l’eau qu’elle rend détersive, lui ont fait donner dans le pays le nom impropre de savon ou de terre savonneuse ; elle se fond à un feu très modéré en donnant un beau verre laiteux, et c’est un véritable pétunt-zé, propre à entrer dans la plus belle porcelaine. » Morceau extrait de l’Histoire naturelle de Lorraine, manuscrite, par M. l’abbé Bexon.
  23. Vous rencontrez (dans une vallée des Pyrénées), des blocs énormes de granit ; ce sont les débris de quelques montagnes formées par le prolongement des masses de granit qu’on trouve vers l’entrée de la vallée de Louron, et qu’un tremblement de terre aura peut-être renversées. Ce bouleversement n’a pu arriver qu’après la formation des bancs calcaires et argileux qui traversent cette vallée, puisque ces bancs sont couverts par les blocs de granit. On voit régner ce désordre dans une grande partie du terrain qui se trouve entre le village de Saint-Paul et celui d’Oo. Essai sur la Minéralogie des monts Pyrénées, p. 205.
  24. Au-dessus de Lescrinet, du côté d’Aubenas (en Vivarais), on trouve une scissure énorme dans du marbre, remplie de matière granitique, qui démontre bien visiblement que les granits supérieurs sont venus se mouler dans cette fente perpendiculaire. Il fallut donc, pour la formation de ce filon fort curieux : 1o  que la roche calcaire existât avant lui ; 2o  que la fente perpendiculaire de cette carrière matrice se fit après la séparation des eaux de la mer par les lois du retrait ; car si la matière calcaire eût été dans un état de vase, elle se fût mélangée par l’action du courant avec la vase de granit, ou avec ses grains sablonneux… ; 3o  que la roche de granit, en supposant ces trois premiers cas, fût réellement dans un état de pâte molle, puisqu’elle remplit exactement toutes les sinuosités de sa gangue. Hist. naturelle de la France méridionale, par M. Soulavie, t. Ier, p. 385 et 386.
  25. Le granit, dit très bien M. de Saint-Fond, n’est pas la pierre primitive dont est formé le noyau de notre globe, et qui couronne les hautes montagnes… Cette roche étant composée de différentes matières agrégées, bien connues et bien distinctes, elle suppose la préexistence de ces matières. Vues générales du Dauphiné, p. 13.
  26. C’est ce que M. de Saussure appelle des couches perpendiculaires, par une association de mots aussi insociables que les idées qu’ils présentent sont incompatibles ; car qui dit couches dit dépôt stratifié, étendu, couché enfin sur une ligne plus ou moins voisine de la ligne horizontale, et dont les feuillets se divisent en ce sens ; or, une telle masse, stratifiée horizontalement, ne peut rien offrir de perpendiculaire que les fissures ou sutures qui l’ont accidentellement divisée : la tranche perpendiculaire porte au contraire sa plus grande dimension sur la ligne de hauteur, elle se coupe en lames verticales ; et il est aussi impossible qu’elle ait été formée par la même cause que la couche horizontale, qu’il l’est que cette dernière devienne jamais perpendiculaire, si ce n’est par accident ; car il est indubitable que toutes les couches stratifiées par la mer, et qui ne doivent pas leur inclinaison aux causes accidentelles, comme la chute des cavernes, la tiennent des inclinaisons même, des pentes ou des coupes des masses primitives auxquelles elles sont venues s’adosser, s’adapter et se superposer, qui, en un mot, leur ont servi de base. Aussi M. de Saussure, après avoir fait la description et l’énumération de plusieurs de ces couches violemment inclinées ou presque perpendiculaires, rappelle-t-il tous ces faits particuliers à une observation qu’il regarde lui-même comme « générale et importante, savoir, que les montagnes secondaires sont d’autant plus irrégulières et plus inclinées, qu’elles approchent plus des primitives. »
  27. « Presque tous les ruisseaux qui se déchargent dans le gave de la vallée de Bastan roulent des blocs de granit : il y en a d’énormes à une petite distance de Barèges, et en si grande quantité, qu’on ne peut s’empêcher de penser que cette espèce de pierre a dû former anciennement de hautes montagnes dans cette partie des Pyrénées.

    » Les ruisseaux qui descendent du pic de Midi et du pic des Aiguillons entraînent aussi des blocs de granit. » Essai sur la minéralogie des monts Pyrénées, p. 257.

  28. La montagne où est le château de Molina (en Espagne) est très élevée, et son sommet est composé d’une masse de petits quartz arrondis et incrustés ou conglutinés avec le ciment naturel formé de sable et de pierre à chaux… À côté de la montagne de la Platilla, il y a une autre montagne composée de roche de tuf (ce tuf est un grès feuilleté), en couches inclinées, soutenues par un lit de quartz ronds, fortement conglutinés entre eux, comme ceux qui se trouvent au sommet de la montagne de Molina : ce lit suit la même pente que celui de la roche du tuf qui contient beaucoup de quartz enchâssés, qui viennent de ceux qui se sont détachés de leur grande masse par la destruction de la colline ; d’où l’on infère que ces quartz sont d’une origine antérieure aux lits de la roche de tuf, et que celle-ci était un sable menu avant d’être roche…

    À une demi-lieue de Molina, du côté de la mine de la Platilla, il y a une cavité d’environ cent cinquante pieds de profondeur et de vingt à quarante de largeur, formée dans une montagne déroché de sable rouge sur des bancs de quartz arrondis, conglutinés avec le

Notes de l’éditeur
  1. Nous avons déjà dit que le mica et le quartz ayant une composition différente, doivent avoir aussi une origine indépendante.