Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du grès



DU GRÈS

Le grès lorsqu’il est pur est d’une grande dureté, quoiqu’il ne soit composé que des débris du quartz réduits en petits grains qui se sont agglutinés par l’intermède de l’eau ; ce grès, comme le quartz, étincelle sous le choc de l’acier ; il est également réfractaire à l’action du feu le plus violent ; les détriments du quartz ne formaient d’abord que des sables qui ont pris corps en se réunissant par leur affinité, et ont ensuite formé les masses solides des grès, dans lesquels on ne voit en effet que ces petits grains quartzeux plus ou moins rapprochés, et quelquefois liés par un ciment de même nature qui en remplit les interstices[1]. Ce ciment a pu être porté dans le grès de deux manières différentes ; la première par les vapeurs qui s’élèvent de l’intérieur de la terre, et la seconde par la stillation des eaux : ces deux causes produisent des effets si semblables qu’il est assez difficile de les distinguer. Nous allons rapporter à ce sujet les observations faites récemment par un de nos plus savants académiciens, M. de Lassone, qui a examiné avec attention la plupart des grès de Fontainebleau, et qui s’exprime dans les termes suivants :

« Sur les parois extérieures et découvertes de plusieurs blocs de grès le plus compact, et presque toujours sur les surfaces de ceux dont on a enlevé de grandes et larges pièces en les exploitant, j’ai observé un enduit vitreux très dur ; c’est une lame de deux ou trois lignes d’épaisseur, comme une espèce de couverte, naturellement appliquée, intimement inhérente, faisant corps avec le reste de la masse, et formée par une matière atténuée et subtile, qui en se condensant a pris le caractère pierreux le plus décidé, une consistance semblable à celle du silex, et presque à celle de l’agate ; cet enduit vitreux n’est pas bien longtemps à se démontrer sur les endroits qu’il revêt. Je l’ai vu établi au bout d’un an sur les surfaces de certains blocs entamés l’année précédente : on découvre et on distingue les nuances et la progression de cette nouvelle formation, et, ce qui est bien remarquable, cette substance vitrée ne paraît et ne se trouve que sur les faces entamées des blocs, encore engagés par leur base dans la minière sableuse qui doit être regardée comme leur matrice et le vrai lieu de leur génération[2]. »

Cette observation établit, comme l’on voit, l’existence réelle d’un ciment pierreux, qui même forme en s’accumulant un émail silicé d’une épaisseur considérable ; mais je dois remarquer que cet émail se produit non seulement sur les blocs encore attachés ou enfouis par leur base, comme le dit M. de Lassone, mais même sur ceux qui en sont séparés ; car on m’a fait voir nouvellement quelques morceaux de grès qui étaient revêtus de cet émail sur toutes leurs faces : voilà donc le climat quartzeux ou silicé clairement démontré, soit qu’il ait transsudé de l’intérieur de la pierre, soit que l’eau ou les vapeurs aient étendu cette couche à la superficie de ces morceaux de grès. On en a des exemples tout aussi frappants sur le quartz, dans lequel il se forme de même une matière silicée par la stillation des eaux et par la condensation des vapeurs[3].

Mais si nous considérons en général les ciments naturels, il s’en faut bien qu’ils soient toujours, ni partout les mêmes ; il faut d’abord en distinguer de deux sortes, l’un qui paraît homogène avec la matière dont il remplit les interstices, comme dans les nouveaux quartz et les grès où il est plus apparent à la surface qu’à l’intérieur, l’autre qu’on peut dire hétérogène, parce qu’il est d’une substance plus ou moins différente de celle dont il remplit les interstices, comme dans les poudingues et les brèches : ce dernier ciment est ordinairement moins dur que les grains qu’il réunit. Nous connaissons d’ailleurs plusieurs espèces de ciments naturels, et nous en traiterons dans un article particulier : ces ciments se mêlent et se combinent quelquefois dans la même matière, et souvent semblent faire le fond des substances solides. Mais ces ciments, de quelque nature qu’ils soient, peuvent avoir, comme nous venons de le dire, une double origine ; la première est due aux vapeurs ou exhalaisons qui s’élèvent du fond de la terre au moyen de la chaleur intérieure du globe ; la seconde à l’infiltration des eaux qui détachent avec le temps les parties les plus ténues des masses qu’elles lavent ou pénètrent ; elles entraînent donc ces particules détachées, et les déposent dans les interstices des autres matières ; elles forment même des concrétions qui sont très dures, telles que les cristaux de roche et autres stalactites du genre vitreux, et cette seconde source des extraits ou ciments pierreux, quoique très abondante, ne l’est peut-être pas autant que la première qui provient des vapeurs de la terre, parce que cette dernière cause agit à tout instant et dans toute l’étendue des couches extérieures du globe, au lieu que l’autre, étant bornée par des circonstances locales à des effets particuliers, ne peut agir que sur des masses particulières de matière.

On doit se rappeler ici que, dans le temps de la consolidation du globe, toutes les matières s’étant durcies et resserrées en se refroidissant, elles n’auront pu faire retraite sur elles-mêmes, sans se séparer et se diviser par des fentes perpendiculaires en plusieurs endroits. Ces fentes, dont quelques-unes descendent à plusieurs centaines de toises, sont les grands soupiraux par où s’échappent les vapeurs grossières chargées de parties denses et métalliques ; les émanations plus subtiles, telles que celles du ciment silicé, sont les seules qui s’échappent partout, et qui aient pu pénétrer les masses entières du grès pur : aussi n’entre-t-il que peu ou point de substances métalliques dans leur composition, tandis que les fentes perpendiculaires qui séparent les masses du quartz, des granits et autres rochers vitreux, sont remplies de métaux et de minéraux produits par les exhalaisons les plus denses, c’est-à-dire par les vapeurs chargées de parties métalliques. Ces émanations minérales, qui étaient très abondantes lors de la grande chaleur de la terre, ne laissent pas de s’élever, mais en moindre quantité, dans son état actuel d’attiédissement : il peut donc se former encore tous les jours des métaux, et ce travail de la nature ne cessera que quand la chaleur intérieure du globe sera si diminuée qu’elle ne pourra plus enlever ces vapeurs pesantes et métalliques. Ainsi le produit de ce travail, déjà petit aujourd’hui, sera peut-être nul dans quelques milliers d’années, tandis que les vapeurs plus subtiles et plus légères, qui n’ont besoin que d’une chaleur très médiocre pour être sublimées, continueront à s’élever et à revêtir la surface, ou même pénétrer l’intérieur des matières qui leur sont analogues.

Lorsque le grès est pur, il ne contient que du quartz réduit en grains plus ou moins menus, et souvent si petits qu’on ne peut les distinguer qu’à la loupe. Les grès impurs sont au contraire mélangés d’autres substances vitreuses ou métalliques[4], et plus souvent encore de matières calcaires, et ces grès impurs sont d’une formation postérieure à celle des grès purs ; en général, il y a plus de grès mélangés de substance calcaire, que de grès simples et purs[5], et ils sont rarement teints d’autres couleurs métalliques que de celles du fer ; on les trouve par collines, par bancs et en très grandes masses, quelquefois séparés en gros blocs isolés, et seulement environnés du sable qui semble leur servir de matrice[6] ; et comme ces amas ou couches de sable sont dans toute leur épaisseur perméables à l’eau, les grès sont toujours humectés par ces eaux filtrées ; l’humidité pénètre et réside dans leurs pores, car tous les grès sont humides au sortir de la carrière, et ce n’est qu’après avoir été exposés pendant quelques années à l’air, qu’ils perdent cette humidité dont ils étaient imbus.

Les grès les plus purs, c’est-à-dire ceux dont le sable qui les compose n’a été ni transporté ni mélangé, sont entassés en gros blocs isolés ; mais il y en a beaucoup d’autres qui sont étendus en bancs continus et même en couches horizontales, à peu près disposées comme celles des pierres calcaires[7]. Cette différence de position dans les grandes masses de grès paraît nous indiquer qu’elles ont été formées dans des temps différents, et que la formation des grès qui sont en bancs horizontaux, est postérieure à la production de ceux qui se présentent en blocs isolés ; car celle-ci ne suppose que la simple agrégation du sable quartzeux, dans le lieu même où il s’est trouvé après la vitrification générale, au lieu que la position des autres grès par couches horizontales suppose le transport de ces mêmes sables par le mouvement des eaux ; et le mélange des matières étrangères qui se trouvent dans ces grès semble prouver aussi qu’ils sont d’une formation moins ancienne que celle des grès purs.

Si l’on voulait douter que l’eau pût former le grès par la seule réunion des molécules du quartz, il serait aisé de le démontrer par la formation du cristal de roche, qui est aussi dur que le grès le plus pur, et qui néanmoins n’est formé que des mêmes molécules par la stillation des eaux ; et d’ailleurs on voit un commencement de cette réunion des particules quartzeuses dans la consistance que prend le sable lorsqu’il est mouillé : plus ce sable est sec et plus il est pulvérulent ; et dans les lieux où les sables de grès couvrent la surface du terrain, les chemins ne sont jamais plus praticables que quand il a beaucoup plu, parce que l’eau consolide un peu ces sables en rapprochant leurs grains.

Les grès ne se trouvent communément que près des contrées de quartz, de granit, et d’autres matières vitreuses[8], et rarement au milieu des terres où il y a des marbres, des pierres calcaires ou des craies ; cependant le grès, quoique voisin quelquefois du granit par sa situation, en diffère trop par sa composition, pour qu’on puisse leur appliquer quelque dénomination commune, et plusieurs observateurs sont tombés dans l’erreur en appelant granit du grès à gros grains : la composition de ces deux matières est différente, en ce que, dans ces grès composés des détriments du granit, jamais les molécules du feldspath n’ont repris une cristallisation distincte, ni celles du quartz un empâtement commun avec elles, non plus qu’avec les particules du mica ; ces dernières sont comme semées sur les autres, et toute la couche, par sa disposition comme par sa texture, ne montre qu’un amas de sables grossièrement agglutinés par une voie bien différente de la fusion intime des grandes masses vitreuses ; et l’on peut encore remarquer que ces grès composés de plusieurs espèces de sables sont généralement plus grossiers, moins compactes, et d’un grain plus gros que le grès pur, qui toujours est plus solide et plus dur, et dont le grain plus fin porte évidemment tous les caractères d’une poudre de quartz.

Le grès pur est donc le produit immédiat des détriments du quartz ; et lorsqu’il se trouve réduit en poudre impalpable, cette poudre quartzeuse est si subtile, qu’elle pénètre les autres matières solides, et même l’on prétend s’être assuré qu’elle passe à travers le verre. MM. Le Blanc et Clozier ayant placé une bouteille de verre vide et bien bouchée dans une carrière de grès des environs d’Étampes, ils s’aperçurent, au bout de quelques mois, qu’il y avait au dedans de cette bouteille une espèce de poussière, qui était un sable très fin de la même nature que la poudre de grès[9].

Il n’y a peut-être aucune matière vitreuse dont les qualités apparentes varient autant que celles des grès : « On en rencontre de si tendres, dit M. de Lassone, que leurs grains à peine liés se séparent aisément par la simple compression et deviennent pulvérulents ; d’autres dont la concrétion est plus ferme et qui commencent à résister davantage aux coups redoublés des instruments de fer ; d’autres enfin dont la masse plus dure et plus lisse est comme sonore, et ne se casse que très difficilement ; et ces variétés ont plusieurs degrés intermédiaires[10]. »

Le grès que les ouvriers appellent grisar est si dur et si difficile à travailler qu’ils le rebutent même pour n’en faire que des pavés, tandis qu’il y a d’autres grès si tendres et si poreux que l’eau crible aisément à travers leurs masses ; ce sont ceux dont on se sert pour faire les pierres à filtrer. Il y en a de si grossiers et de si terreux, qu’au lieu de se durcir à l’air, ils s’y décomposent en assez peu de temps : en général, les grès les plus purs et les plus durables sont aussi ceux qui ont le grain le plus fin et le tissu le plus serré.

Les grès qu’emploient les paveurs à Paris sont, après le grès grisar, les plus durs de tous ; les grès dont on se sert pour aiguiser ou donner du tranchant au fer et à l’acier sont d’un grain fin, mais moins durs que les premiers, et néanmoins ils jettent de même des étincelles en faisant tourner à sec ces meules de grès contre le fer et l’acier ; le grès de Turquie[11], qu’on appelle pierre à rasoir, à laquelle on donne sa qualité en la tenant pendant quelques mois dans l’huile, et qui sert à repasser et à affiler les rasoirs et autres instruments très tranchants, n’a qu’un certain degré de dureté, quoique le grain en soit très fin et la substance très uniforme et sans mélange d’aucune matière étrangère.

Au reste, le grès pur n’étant composé que des détriments du quartz, il en a toutes les propriétés : il est aussi réfractaire au feu ; il résiste de même à l’action de tous les acides, et quelquefois il acquiert le même degré de dureté ; enfin le quartz ou le grès, réduits en sable, servent également de base à tous nos verres factices, et entrent en plus ou moins grande quantité dans leur composition.

Les grès sont assez rarement colorés, et ceux qui ont une nuance de jaune, de rouge ou de brun ne doivent cette teinte qu’à l’infiltration de l’eau chargée des molécules ferrugineuses de la terre végétale qui couvre la superficie du terrain où l’on trouve ces grès colorés ; la plupart des jaspes sont au contraire très colorés, et semblent avoir reçu leurs couleurs par la sublimation des matières métalliques dès le premier temps de leur formation : il se peut aussi que quelques grès des plus anciens doivent leur couleur à ces mêmes émanations métalliques ; l’une des causes n’exclut pas l’autre, et les effets de toutes deux paraissent constatés par l’observation. « Il n’y a presque point de ces blocs gréseux de Fontainebleau, dit M. de Lassone, où l’on n’aperçoive quelques marques d’un principe ferrugineux : en général, ceux dont les grains sableux sont les moins liés sont aussi ceux où le principe ferrugineux est le plus apparent ; les portions les plus externes des blocs, celles par conséquent dont la formation ou la condensation est moins ancienne, ont souvent une teinte jaunâtre de couleur d’ocre ou de rouille de fer, tandis que les couches plus intérieures ne sont nullement colorées. Il semble donc que, dans certains grès, cette teinte disparaisse à mesure que leur densité ou que la concrétion de leurs grains augmente ; cependant on remarque des blocs très durs dont la masse entière est pénétrée uniformément de cette couleur ferrugineuse plus ou moins intense ; il y en a parmi ceux-ci quelques-uns où le principe ferrugineux est si apparent qu’ils ont une teinte rougeâtre très foncée. Le sable, même pulvérulent, et n’ayant encore éprouvé aucune condensation, coloré en plusieurs endroits par les mêmes teintes, semble aussi participer du fer, si l’on en juge simplement par la couleur ; mais l’aimant n’en attire aucune parcelle de métal, non plus que du détritus des grès rougeâtres[12]. »

Cette observation de M. de Lassone me semble prouver assez que les grès sont colorés par le fer, et plus souvent au moyen de l’infiltration des eaux que par la sublimation des vapeurs souterraines : j’ai vu moi-même, dans plusieurs blocs d’un grès très blanc, de ces petits nœuds ou clous ferrugineux dont j’ai parlé[13], et qui sont d’une si grande dureté qu’ils résistaient à la lime. On doit conclure de ces remarques que l’eau a beaucoup plus que le feu travaillé sur le grès : ce dernier élément n’a fourni que la première matière, c’est-à-dire le quartz, au lieu que l’eau a porté dans la plupart des grès non seulement des parties ferrugineuses, mais encore une très grande quantité d’autres matières hétérogènes qui en altèrent la nature ou la forme en leur donnant une figuration qu’ils ne prendraient pas d’eux-mêmes, ce qu’on ne doit attribuer qu’aux substances hétérogènes dont ils sont mélangés.

On trouve, dans quelques sables de grès, des morceaux arrondis, isolés et de différentes grosseurs, les uns entièrement solides et massifs, les autres creux en dedans comme des géodes ; mais ce ne sont que des concrétions, des sablons agglutinés par le ciment dont nous avons parlé : ces concrétions se forment dans les petites cavités de la grande masse de sable qui environne les autres blocs de grès, et elles sont de la même nature que ces sables[14]. Mais les grès disposés par bancs ou par couches sont presque tous plus ou moins mêlés d’autres matières ; il y a des grès mélangés de terre limoneuse, d’autres sont entremêlés d’argile, et plusieurs autres qui ne paraissent pas terreux contiennent une grande quantité de matière calcaire : tous ces grès ont évidemment été formés dans les sables transportés et déposés par les eaux, et c’est par cette raison qu’on les trouve en couches horizontales, au lieu que les grès purs produits par la seule décomposition du quartz se présentent en blocs irréguliers et tels qu’ils se sont formés dans le lieu même sans avoir subi ni transport, ni mélange ; aussi ces grès purs, ne contenant aucune matière calcaire, ne font point effervescence avec les acides, et sont les seuls qu’on doive regarder comme de vrais grès ; cette distinction est plus importante qu’elle ne le paraît d’abord, et peut nous conduire à l’explication d’un fait reconnu depuis peu : quelques observateurs ont trouvé plusieurs morceaux de grès à Bourbonne-les-Bains[15], à Nemours[16], à Fontainebleau et ailleurs, qui affectaient une figure quadrangulaire et qui étaient pour ainsi dire cristallisés en rhombes ; or, cette espèce de cristallisation ou de figuration n’est pas une des propriétés du grès pur[17] ; c’est un effet accidentel qui n’est dû qu’au mélange de la matière calcaire avec celle du grès ; car ayant fait dissoudre par un acide ces morceaux figurés en rhombes, il s’est trouvé qu’ils contenaient au moins un tiers de substance calcaire sur deux tiers de vrai grès, et qu’aucun des grès, qui n’étaient que peu ou point mélangé de cette matière calcaire, n’a pris cette figure rhomboïdale.

Après avoir considéré les principales matières solides et dures qui se présentent en grandes masses dans le sein ou à la surface de la terre, et qui, comme nous venons de l’exposer, sont ou des verres primitifs ou des agrégats de leurs parties divisées et réduites en grains, nous devons examiner de même les matières en grandes masses qui en tirent leur origine et qui en sont les détriments ultérieurs, tels que les argiles, les schistes et les ardoises, qui ne diffèrent des sables vitreux que par une plus grande décomposition de leurs parties intégrantes, mais qui, pour le premier fonds de leur substance, sont de même nature.


Notes de Buffon

    sable ; il y a des fentes perpendiculaires qui séparent ces roches ainsi que le quartz. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 179, 180 {lié|expl=pages}}.

    La grande quantité de cailloux de granit, dont le terrain sablonneux de la Pologne est rempli, est, après le sable, ce qu’il y a de plus frappant… ils dominent dans la plupart des terrains qui ont des cailloux, c’est le quartz dans d’autres… Les villes et villages de Pologne, situés dans les endroits où la surface du terrain n’en est point parsemé, ont quelquefois un pavé de ces cailloux ; tous ceux de la Prusse ducale en sont pavés…

    La couleur de ces cailloux varie beaucoup : les uns sont gris-blancs et rouges ou couleur de cerise, parsemés de points noirâtres et de verdâtres ; d’autres sont gris terreux ou lie de vin avec des points gris ; le fond de la couleur est dans d’autres vert avec des points blancs ; la plupart sont très durs, les grains en sont fins et bien liés, souvent même leur liaison est telle qu’on ne peut les distinguer les uns des autres ; ceux-ci approchent beaucoup des porphyres, s’ils n’en sont pas réellement : beaucoup ont des grains plus gros, mélangés avec des lames quartzeuses de plusieurs lignes de large, d’un blanc plus ou moins vif, teint de rouge ou de couleur de cerise ; quelques-uns sont intérieurement colorés de gris de fer luisant, ce qui paraît réellement être une matière ferrugineuse, quelques-uns enfin sont veinés de couleur de cerise, de noirâtre et de gris…

    Il n’est pas rare de trouver parmi ces cailloux graniteux, d’autres cailloux qui sont de quartz, d’agate ou de jaspe ; ceux de quartz sont communément blancs… On en voit de gris, de rouges et de quelques autres couleurs : les agates sont assez ordinairement blanches… cependant j’en ai vu de brunes et de blanches, de rougeâtres, de jaunâtres, de roussâtres et de blanc sale, de grises avec des taches de gris de lin pâle, et de plusieurs autres nuances et variétés. Les jaspes ne sont pas moins diversifiés : il y en a qui sont d’un très beau rouge, d’autres sont verts, verdâtres, fleuris ou marbrés. Guettard, Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 241 et suiv.

  1. Par ces mots de ciment ou gluten, je n’entends pas, comme l’on fait ordinairement, une matière qui a la propriété particulière de réunir des substances dissemblables et pour ainsi dire d’une autre nature, en faisant un seul volume de plusieurs corps isolés ou séparés, comme la colle qui s’emploie pour le bois, le mortier pour la pierre, etc. : l’habitude de cette acception du mot ciment pourrait en imposer ici. Je dois donc avertir que je prends ce mot dans un sens plus général, qui ne suppose ni une matière différente de celle de la masse, ni une force attractive particulière, ni même la séparation absolue des parties avant l’interposition du ciment, mais qui consiste dans leur union encore plus intime, par l’accession de molécules de même nature, qui augmentent la densité de la masse, en sorte que la seule condition essentielle qui fera distinguer ce ciment des matières sera le plus souvent la différence des temps où ce ciment y sera survenu, et où elles auront acquis par là leur plus grande solidité.
  2. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1774, p. 207 et suiv.
  3. M. de Gensane, savant physicien et minéralogiste très expérimenté, que j’ai eu souvent occasion de citer avec éloge, a fait des observations que j’ai déjà indiquées, et qui me paraissent ne laisser aucun doute sur cette formation de la matière silicée ou quartzeuse, par la seule condensation des vapeurs de la terre. « Étant descendu, dit-il, dans une galerie de mine (de plomb) de Pont-Pean, près de Rennes en Bretagne, dont les travaux étaient abandonnés, je vis au fond de cette galerie toutes les inégalités du roc presque remplies d’une matière très blanche, semblable à de la céruse délayée, que je reconnus être un véritable guhr ou sinter… C’est une vapeur condensée qui, en se cristallisant, donne un véritable quartz. » M. de Gensane voulut reconnaître si cette matière provenait de la circulation de l’air dans les travaux, ou si elle transpirait au travers du roc sur lequel elle se formait ; pour cela il commença par bien laver la surface du rocher avec une éponge pour ôter le guhr qui s’y trouvait. « Ensuite, dit-il, je pris quatre écuelles neuves de terre vernissée, que j’appliquai aux endroits du rocher où j’avais aperçu le plus de guhr, et, avec de la bonne glaise bien pétrie, je les cimentai bien tout à l’entour de deux bons pouces d’épaisseur, après quoi je plaçai des travers de bois vis-à-vis mes écuelles, qui formaient presque les quatre angles d’un carré. »

    Au bout de huit mois, M. de Gensane leva une de ces écuelles, et il fut fort surpris de voir que le guhr qui s’était formé dessous avait près d’un demi-pouce d’épaisseur, et formait un rond sur la surface du rocher de la grandeur de l’écuelle ; il était très blanc et avait à peu près la consistance du beurre frais ou de la cire molle ; il en prit de la grosseur d’une noix, et remit l’écuelle, comme auparavant, sans toucher les autres… il laissa sécher cette matière à l’ombre, elle prit une consistance grenue et friable, et ressemblait parfaitement à une matière semblable, mais ordinairement tachetée, qu’on trouve dans les filons de différents minéraux, surtout dans ceux de plomb, et à laquelle les mineurs allemands donnent le nom de leten. Il y en a quantité dans celui de Pont-Pean, et le minéral y est répandu par grains, la plupart cubiques, et souvent accompagnés de grains de pyrite. « Toute la différence que je trouvais, dit M. de Gensane, entre ma matière et celle du filon, c’est que la matière était très blanche, et que celle du filon était parsemée de taches violettes et roussâtres ; je pris de celle du filon qui ne contenait assurément aucun minéral, et la plus blanche que je pus trouver, j’en pris également de la mienne, et fondis poids égal de ces deux matières dans deux creusets séparés et au même feu ; elles me parurent également fusibles et me donnèrent des scories entièrement semblables… Je soupçonnai dès lors que ces matières étaient absolument les mêmes… Quatorze mois se passèrent depuis le jour que j’avais visité la première écuelle jusqu’au temps de mon départ de ces travaux ; je fus voir alors mon petit équipage ; je trouvai que le guhr n’avait pas sensiblement augmenté sur la partie du roc qui était à découvert ; et, ayant visité l’écuelle que j’avais visitée précédemment, j’aperçus l’endroit où j’avais enlevé le guhr recouvert de la même matière, mais fort mince et très blanche, au lieu que la partie que je n’avais pas touchée, ainsi que toute la matière qui était sous les écuelles que je n’avais pas remuées, était toute parsemée de taches roussâtres et violettes, et absolument semblables à celles qu’on trouve dans le filon de cette mine, avec cette différence que cette dernière renferme quantité de grains de mine de plomb dispersés dans les taches violettes, et qui n’avaient pas eu le temps de se former dans la première.

    » Il résulte de cette observation que les guhrs se forment par une espèce de transpiration au travers des rochers même les plus compacts, et qu’ils proviennent de certaines exhalaisons ou vapeurs qui circulent dans l’intérieur de la terre, et qui se condensent et se fixent dans les endroits où la température et les cavités leur permettent de s’accumuler… Cette matière est une véritable vapeur condensée qui se trouve, dans une infinité d’endroits, renfermée dans des roches inaccessibles à l’eau. Lorsque le guhr est dissous et chassé par l’eau, il se cristallise très facilement et forme un vrai quartz. » Histoire naturelle du Languedoc, t. II, p. 22 et suiv.

  4. Il y a des grès mêlés de mica, et d’autres en plus grand nombre contiennent de petites masses ferrugineuses très dures, que les ouvriers appellent des clous.

    « J’ai vu au bas des Vosges, dit M. l’abbé Bexon, des grès mélangés ou semés de mica : ces grès, dont on peut suivre la bande tout le long du pied de la chaîne des montagnes, et qui forme comme la dernière lisière entre le pays élevé de granit et le bassin de la plaine calcaire, sont généralement déposés en couches, dont les plus épaisses fournissent la pierre de taille du pays, et dont les plus minces, qui sont feuilletées et se lèvent en tables, telles qu’on les exploite sur les hauteurs de Plombières, de Valdajol et ailleurs, servent à couvrir les toits des maisons. Chacune de ces feuilles ou tables a sa surface saupoudrée et brillante de mica : il paraît même que c’est à cette poudre de mica semée entre les tables du grès que la carrière doit sa structure en couches feuilletées ; car on peut concevoir qu’à mesure que les eaux charriaient ensemble le sable quartzeux et la poudre de mica mélangés, le sable, comme le plus pesant, tombait le premier et formait sa couche, sur laquelle le mica flottant venait ensuite se déposer, et marquait ainsi le trait d’une seconde feuille. » Mémoires sur l’Histoire naturelle de la Lorraine.

  5. « En considérant les blocs de grès à Fontainebleau dans leur disposition naturelle, et tels qu’ils ont été formés, nous les voyons constamment dispersés dans le sable où ils sont enfouis, et qui est comme leur matrice ; ils y sont solitaires et isolés, de même que les silex ou cailloux le sont dans des bancs de marne ou de craie, où ils ont pris naissance : c’est exactement la même disposition, le même arrangement, et la parité est encore établie par la forme à peu près arrondie que chaque bloc affecte ordinairement dans ses contours ; mais ceci n’a lieu en général que pour les grès purs et homogènes, tels que ceux de Fontainebleau car nous observons que d’autres, qui sont mixtes ou mélangés, se comportent différemment, à cause sans doute de leur composition plus compliquée.

    » Et même les grès purs de Fontainebleau, quoique formant presque toujours des blocs séparés, paraissent néanmoins en quelques endroits disposés en bancs ou en masses continues et horizontales, parce qu’ici les masses sont plus rapprochées, et qu’elles ont une épaisseur et une étendue plus considérable…

    » J’ai déjà fait remarquer que les grès de Fontainebleau étaient au rang des plus purs et des plus homogènes ; à la vue simple et sans être armée, on reconnaît et on distingue, malgré leur petitesse et leur ténuité, les grains sableux rapprochés et réunis en une masse compacte, et formant les blocs d’une manière uniforme : sans doute l’adhérence et l’union réciproque de ces premières molécules sableuses sont procurées par un fluide subtil et affiné qui, en les agglutinant, se condense avec elles ; la subtilité de ce gluten particulier est telle que, quoique universellement répandu dans la masse comme un moyen unissant entre tous les corpuscules, il ne masque et ne fait disparaître que très faiblement l’apparence et la forme des grains sableux, de sorte que l’on jugerait qu’ils n’adhèrent entre eux que par le contact immédiat, sans mélange d’autre matière interposée.

    » Cependant plusieurs remarques semblent établir l’existence réelle de ce gluten pierreux, et peuvent même servir à déterminer sa nature et son caractère.

    » En effet, parmi les différents blocs de ce grès, il en est dont les molécules sableuses ont une agrégation sensiblement plus dense et plus compacte ; les fragments de ces blocs les plus durs laissent à peine apercevoir sur les surfaces de leurs cassures les petits grains arénacés, qui sont ici beaucoup plus serrés et plus fins, et comme fondus avec la matière qui paraît les lier. » Mémoire sur les grès de Fontainebleau, par M. de Lassone, dans ceux de l’Académie des Sciences, année 1774.

  6. « En examinant les blocs encore enfouis dans leurs minières sableuses, on voit en les cassant leur masse intérieure sensiblement imbue et pénétrée d’une humidité qui s’y est insinuée uniformément par toutes les porosités…

    » Il est probable que cette humectation intérieure est cause aussi que les grès, dans leur minière, sont toujours moins durs, et qu’ils n’achèvent de se durcir que quand ils ont sué longtemps en plein air. » Idem, ibidem.

  7. La Bonne-Ville, capitale de Faucigny, paraît être assise sur un rocher de grès : ce rocher, qui sort de terre sous la porte de la ville qui regarde Genève, est formé d’une pierre de sable mélangée de mica, et disposée par bancs inclinés de trente-huit à quarante degrés ; ces bancs ne passent point par-dessous les bases des montagnes voisines, ils sont d’une date beaucoup plus récente. Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 366.
  8. « C’est un fait bien important, à ce que je crois, pour la théorie de la terre, et qui pourtant n’avait point encore été observé, que presque toujours, entre les dernières couches secondaires et les premières primitives, on trouve des bancs de grès ou de poudingues : j’ai observé ce phénomène non seulement dans un grand nombre de montagnes des Alpes, mais encore dans les Vosges, dans les montagnes des Cévennes, de la Bourgogne et du Forez. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 528.
  9. Histoire de l’Académie de Dijon, t. II, p. 29.
  10. Mémoire sur les grès, par M. de Lassone, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1774, p. 210.
  11. M. Valmont de Bomare, dans son ouvrage sur la minéralogie, nous assure qu’il a trouvé un quartier de ce grès de Turquie, en France, près de Morlaix, dans la province de Bretagne, et je suis d’ailleurs très persuadé que cette espèce de grès n’appartient pas exclusivement à la Turquie, comme son nom semble l’indiquer.
  12. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1774.
  13. Tome Ier de cette Histoire naturelle, p. 174.
  14. Sur la montagne du Camp de César (près de Compiègne), et dans plusieurs autres lieux où le sable abonde, on rencontre aussi certains corps pierreux isolés, de différentes grosseurs, et presque toujours de forme à peu près arrondie : c’est ce que M. de Réaumur appelle marrons de sable (Mémoires de l’Académie des sciences, année 1723). On les a regardés comme des rudiments de silex ; mais par leur forme, et surtout par l’apparence encore un peu sensible des grains sableux dans leur texture, ils se rapprochent bien plutôt des grès moins purs ; ils fermentent avec l’acide nitreux. De semblables marrons de sable existent aussi dans d’autres terrains où le sable est beaucoup plus pur et moins mélangé, mais ils ont un caractère particulier : ce sont des espèces de géodes sableux ; quand on les casse, on trouve un vide en partie occupé par un amas de cristaux assez purs, adhérents à toute la voûte intérieure, et produits sans doute par le suc lapidifique, plus abondant et dégagé de toute autre matière. J’ai, dans mon cabinet, quelques-uns de ces géodes sableux que l’on peut regarder comme une espèce de grès ; l’eau-forte n’y fait aucune impression apparente. Mémoire sur le grès, par M. de Lassone, Académie des sciences, année 1774, p. 221 et 222.
  15. Mémoires de physique, par M. Grignon, in-4o, p. 353.
  16. M. Bezout, savant géomètre de l’Académie des sciences, a reconnu le premier ces grès figurés dans les carrières de Nemours.
  17. Une autre espèce de grès découvert depuis peu dans la forêt de Fontainebleau, du côté de la Belle-Croix, est composé d’un amas de vrais cristaux réguliers, de forme rhomboïdale… On trouve ce grès indiqué et décrit pour la première fois dans un catalogue imprimé (chez Claude Hérissant, et composé par M. Romé de Lille) d’un riche cabinet d’histoire naturelle, exposé en vente à Paris, dans le mois de juillet de cette année 1774 : dans une note relative à cette indication, on observe que cette espèce de grès n’est pas pure, que l’acide nitreux l’attaque à raison d’une substance calcaire qui entre dans sa mixtion en proportion d’un peu plus d’un tiers sur le total ; et l’on ajoute que peut-être la cristallisation de cette pierre sableuse n’a été déterminée que par le mélange et le concours de la matière qui paraît servir de ciment… Dans ce canton de la Belle-Croix, les blocs y sont moins isolés et paraissent former des chaînes ou des bancs plus réguliers. Mémoire sur les grès, par M. de Lassone, Académie des sciences, année 1774.