Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Des argiles et des glaises



DES ARGILES ET DES GLAISES

L’argile, comme nous venons de l’avancer, doit son origine à la décomposition des matières vitreuses, qui, par l’impression des éléments humides, se sont divisées, atténuées et réduites en terre. Cette vérité est démontrée par les faits : 1o Si l’on examine les cailloux les plus durs et les autres matières vitreuses exposées depuis longtemps à l’air, on verra que leur surface a blanchi, et que dans cette partie extérieure le caillou s’est ramolli et décomposé, tandis que l’intérieur a conservé sa dureté, sa sécheresse et sa couleur ; si l’on recueille cette matière blanche en la raclant, et qu’on la détrempe avec de l’eau, l’on verra que c’est une matière qui a déjà pris le caractère d’une terre spongieuse et ductile, et qui approche de la nature de l’argile ; 2o les laves des volcans et tous nos verres factices, de quelque qualité qu’ils soient, se convertissent en terre argileuse[1] ; nous voyons des granits et des grès, les paillettes du mica, et même les jaspes et les cailloux les plus durs se ramollir, blanchir par l’impression de l’air, et prendre à leur surface tous les caractères de cette terre ; et l’argile, pénétrée par les pluies, et mêlée avec le limon des rosées et avec les débris des végétaux, devient bientôt une terre féconde.

Tous les micas, toutes les exfoliations du quartz, du jaspe, du feldspath et du schorl, tous les détriments des porphyres, des granits et des grès, perdent peu à peu leur sécheresse et leur dureté ; ils s’atténuent et se ramollissent par l’humidité, et leurs molécules deviennent à la fin spongieuses et ductiles par la même impression des éléments humides. Cet effet, qui se passe en petit sous nos yeux, nous représente l’ancienne et grande formation des argiles après la première chute des eaux sur la surface du globe : ce nouvel élément saisit alors toutes les poudres des verres primitifs ; et c’est dans ce temps que se fit la combinaison qui produisit l’acide universel[NdÉ 1] par l’action du feu, dont la terre et l’eau étaient également pénétrées, puisque la terre était encore brûlante et l’eau plus que bouillante.

L’acide se trouve en effet dans toutes les argiles, et ce premier produit de la combinaison du feu, de la terre et de l’eau, indique assez clairement le temps de la chute des eaux, et fixe l’époque de leur premier travail ; car aucune des antiques matières vitreuses en grandes masses, telles que les quartz, les jaspes, ni même les granits, ne contiennent l’acide : par conséquent aucune de ces matières, antérieures aux argiles, n’a été touchée ni travaillée par l’eau, dont le seul contact eût produit l’acide par la combinaison nécessaire de cet élément avec le feu qui embrasait encore la terre[2].

L’argile serait donc par elle-même une terre très pure, si peu de temps après sa formation elle n’eût été mêlée, par le mouvement des eaux, de tous les débris des productions qu’elles firent bientôt éclore ; ensuite, après la retraite des eaux, toutes les argiles dont la surface était découverte reçurent le dépôt des poussières de l’air et du limon des pluies. Il n’est donc resté d’argiles pures que celles qui, dès lors, se trouvaient recouvertes par d’autres couches, qui les ont défendues de ces mélanges étrangers. La plus pure de ces argiles est la blanche[NdÉ 2] : c’est la seule terre de cette espèce qui ne soit pas mélangée de matières hétérogènes, c’est un simple détriment du sable quartzeux, qui est aussi réfractaire au feu que le quartz même, duquel cette argile tire son origine. La belle argile blanche de Limoges, celle de Normandie dont on fait les pipes à fumer, et quelques autres argiles pures, quoiqu’un peu colorées, et dont on fait les creusets et pots de verrerie, doivent être regardées comme des argiles pures, et sont à peu près également réfractaires à l’action du feu : toutes les autres argiles sont mélangées de diverses matières qui les rendent fusibles et leur donnent des qualités différentes de celles de l’argile pure ; et ce sont ces argiles mélangées auxquelles on doit donner le nom de glaises[NdÉ 3].

La nature a suivi pour la formation des argiles les mêmes procédés que pour celle des grès : les grès les plus purs et les plus blancs se sont formés par la simple réunion des sables quartzeux sans mélange, tandis que les grès impurs ont été composés de différentes matières mêlées avec ces sables quartzeux et transportés ensemble par les eaux. De même les argiles blanches et pures ne sont formées que des détriments ultérieurs des sables du quartz, du grès et du mica, dont les molécules, très atténuées dans l’eau, sont devenues spongieuses et ont pris la nature de cette terre, au lieu que les glaises, c’est-à-dire les argiles impures, sont composées de plusieurs matières hétérogènes que l’eau y a mêlées et qu’elle a transportées ensemble pour en former les couches immenses qui recouvrent presque partout la masse intérieure du globe ; ces glaises servent aussi de fondement et de base aux couches horizontales des pierres calcaires. Et de même qu’on ne trouve que peu de grès purs en comparaison des grès mélangés, on ne trouve aussi que rarement des argiles blanches et pures, au lieu que les glaises ou argiles impures sont universellement répandues.

Pour reconnaître par mes yeux dans quel ordre se sont établis les dépôts successifs et les différentes couches de ces glaises, j’ai fait faire une fouille[3] à cinquante pieds de profondeur dans le milieu d’un vallon, surmonté des deux côtés par des collines de même glaise, couronnées de rochers calcaires jusqu’à trois cent cinquante ou quatre cents pieds de hauteur ; et j’ai prié un de nos bons observateurs en ce genre de tenir registre exact de ce que cette fouille présenterait ; il a eu la bonté de le faire avec la plus grande attention, comme on peut le voir par la note qu’il m’en a remise, et qui suffira pour donner une idée de la disposition des différents lits de glaise et de la nature des matières qui s’y trouvent mêlées, ainsi que des concrétions qui se forment entre les couches ou dans les fentes perpendiculaires qui en divisent la masse.

On voit que je n’admets ici que deux sortes d’argiles, l’une pure et l’autre impure, à laquelle j’applique spécialement le nom de glaise, pour qu’on ne puisse la confondre avec la première ; et de même qu’il faut distinguer les argiles simples et pures des glaises ou argiles mélangées, l’on ne doit pas confondre, comme on l’a fait souvent, l’argile blanche avec la marne, qui en diffère essentiellement, en ce qu’elle est toujours plus ou moins mélangée de matière calcaire, ce qui la rend plus ou moins susceptible de calcination et d’effervescence avec les acides, au lieu que l’argile blanche résiste à leur action, et que, loin de se calciner, elle se durcit au feu. Au reste, il ne faut pas prendre dans un sens absolu la distinction que je fais ici de l’argile pure et de la glaise ou argile impure ; car dans la réalité il n’y a aucune argile qui soit absolument pure, c’est-à-dire parfaitement uniforme et homogène dans toutes ses parties ; l’argile la plus ductile, et qui paraît la plus simple, est encore mêlée de particules quartzeuses, ou d’autres sables vitreux qui n’ont pas subi toutes les altérations qu’ils doivent éprouver pour se convertir en argile : ainsi la plus pure des argiles sera seulement celle qui contiendra le moins de ces sables ; mais comme la substance de l’argile et celle de ces sables vitreux est au fond la même, on doit distinguer, comme nous le faisons ici, ces argiles, dont la substance est simple, de toutes les glaises, qui toujours sont mêlées de matières étrangères. Ainsi, toutes les fois qu’une argile ne sera mêlée que d’une petite quantité de particules de quartz, de jaspe, de feldspath, de schorl et de mica, on peut la regarder comme pure, parce qu’elle ne contient que des matières qui sont de sa même essence, et au contraire toutes les argiles mêlées de matière d’essence différente, telles que les substances calcaires, pyriteuses et métalliques, seront des glaises ou argiles impures.

On trouve les argiles pures dans les lieux dont le fond du terrain est de sable vitreux, de quartz, de grès, etc. On trouve aussi de cette argile en petite quantité dans quelques glaises, mais l’origine des argiles blanches qui gisent en grandes masses ou en couches doit être attribuée à la décomposition immédiate des sables quartzeux, au lieu que les petites masses de cette argile qu’on trouve dans la glaise ne sont que des sécrétions de ces mêmes sables décomposés qui étaient contenus et mêlés avec les autres matières dans cette glaise, et qui s’en sont séparés par la filtration des eaux.

Il n’y a point de coquilles ni d’autres productions marines dans les masses d’argile blanche, tandis que toutes les couches de glaise en contiennent en grande quantité, ce qui nous démontre encore pour les argiles les mêmes procédés de formation que pour les grès : l’argile et le grès pur ont donc également été formés par la simple agrégation ou par la décomposition des sables quartzeux, tandis que les grès impurs et les glaises ont été composés de matières mélangées, transportées et déposées par le mouvement des eaux.

Et ce qui prouve encore que l’argile blanche est une terre dont l’essence est simple et que la glaise est une terre mélangée de matières d’essences différentes, c’est que la première résiste à tous nos feux sans éprouver aucune altération, et même sans prendre de la couleur, au lieu que toutes les glaises deviennent rouges par l’impression d’un premier feu, et peuvent se fondre dans nos fourneaux : de plus, les glaises se trouvent également dans les terrains calcaires et dans les terrains vitreux, au lieu que les argiles pures ne se rencontrent qu’avec les matières vitreuses ; elles sont donc formées de leurs détriments sans autre mélange, et il paraît qu’elles n’ont pas été transportées par les eaux, mais produites dans la place même où elles se trouvent, au lieu que toutes les glaises ont subi les altérations que le mélange et le transport n’ont pu manquer d’occasionner.

De la même manière qu’il ne faut pas confondre la marne ni la craie avec l’argile blanche, on ne doit pas prendre pour des glaises les terres limoneuses, qui, quoique grasses et ductiles, ont une autre origine et des qualités différentes de la glaise ; car ces terres limoneuses proviennent de la couche universelle de la terre végétale qui s’est formée des résidus ultérieurs des animaux et des végétaux : leurs détriments se convertissent d’abord en terreau ou terre de jardin, et ensuite en limon aussi ductile que l’argile ; mais cette terre limoneuse se boursoufle au feu, au lieu que l’argile s’y resserre, et de plus cette terre limoneuse fond bien plus aisément que la glaise même la plus impure.

Il est évident, par le grand nombre de coquilles et autres productions marines qui se trouvent dans toutes les glaises, qu’elles ont été transportées avec les dépouilles des animaux marins, et qu’elles ont été déposées et stratifiées ensemble par couches horizontales dans presque tous les lieux de la terre par les eaux de la mer ; leurs couleurs indiquent assez qu’elles sont imprégnées de parties minérales et particulièrement de fer, qui paraît leur donner toutes leurs différentes couleurs. D’ailleurs on trouve presque toujours entre les lits de glaise des pyrites martiales, dont les parties constituantes ont été entraînées de la couche de terre végétale par l’infiltration des eaux, et se sont réunies sous cette forme de pyrites entre les lits de ces argiles impures.

Le fer, en plus ou moins grande quantité, donne toutes les couleurs aux terres qu’il pénètre. La plus noire de toutes les argiles est celle qu’on a improprement appelée creta nigra fabrilis, et que les ouvriers connaissent sous le nom de pierre noire ; elle contient plus de parties ferrugineuses qu’aucune autre argile[4], et la teinte rouge ou rougeâtre qu’elle prend, ainsi que toutes les glaises, à un certain degré de feu, achève de démontrer que le fer est le principe de leurs différentes couleurs.

Toutes les glaises se durcissent au feu, et peuvent même y acquérir une si grande dureté qu’elles étincellent par le choc de l’acier : dans cet état, elles sont plus voisines de celui de la liquéfaction, car on peut les fondre et les vitrifier d’autant plus aisément qu’elles sont plus recuites au feu. Leur densité augmente à mesure qu’elles éprouvent une chaleur plus grande, et, lorsqu’on les a bien fait sécher au soleil, elles ne perdent ensuite que très peu de leur poids spécifique, au feu même le plus violent. On a observé, en réduisant en poudre une masse d’argile cuite, que ses molécules avaient perdu leur qualité spongieuse, et qu’elles ne peuvent reprendre leur première ductilité.

Les hommes ont très anciennement employé l’argile cuite en briques plates pour bâtir, et en vaisseaux creux pour contenir l’eau et les autres liqueurs ; et il paraît, par la comparaison des édifices antiques, que l’usage de l’argile cuite a précédé celui des pierres calcaires ou des matières vitreuses, qui, demandant plus de temps et de travail pour être mises en œuvre, n’auront été employées que plus tard, et moins généralement que l’argile et la glaise, qui se trouvent partout, et qui se prêtent à tout ce qu’on veut en faire.

La glaise forme l’enveloppe de la masse entière du globe ; les premiers lits se trouvent immédiatement sous la couche de terre végétale, comme sous les bancs calcaires auxquels elle sert de base : c’est sur cette terre ferme et compacte que se rassemblent tous les filets d’eau qui descendent par les fentes des rochers ou qui se filtrent à travers la terre végétale. Les couches de glaise, comprimées par le poids des couches supérieures et étant elles-mêmes d’une grande épaisseur, deviennent impénétrables à l’eau, qui ne peut qu’humecter leur première surface ; toutes les eaux qui arrivent à cette couche argileuse, ne pouvant la pénétrer, suivent la première pente qui se présente, et sortent en forme de sources entre le dernier banc des rochers et le premier lit de glaise ; toutes les fontaines proviennent des eaux pluviales infiltrées et rassemblées sur la glaise, et j’ai souvent observé que l’humidité retenue par cette terre est infiniment favorable à la végétation. Dans les étés les plus secs, comme celui de cette année 1778, les plantes agrestes et surtout les arbres avaient perdu presque toutes leurs feuilles, dès les premiers jours de septembre, dans toutes les contrées dont les terrains sont de sable, de craie, de tuf ou de ces matières mélangées, tandis que dans les pays dont le fond est de glaise, ils ont conservé leur verdure et leurs feuilles. Il n’est pas même nécessaire que la glaise soit immédiatement sous la terre végétale pour qu’elle puisse produire ce bon effet, car dans mon jardin, dont la terre végétale n’a que trois ou quatre pieds de profondeur, et se trouve posée sur un plateau de pierre calcaire de cinquante-quatre pieds d’épaisseur, les charmilles élevées de vingt pieds, et les arbres hauts de quarante, étaient aussi verts que ceux du vallon après deux mois de sécheresse, parce que ces rochers de cinquante-quatre pieds d’épaisseur, portant sur la glaise, en laissent passer par leurs fentes perpendiculaires les émanations humides qui rafraîchissent continuellement la terre végétale où ces arbres sont plantés.

La glaise retient donc constamment à sa superficie une partie des eaux infiltrées dans les terres supérieures ou tombées par les fentes des rochers, et ce n’est que du superflu de ces eaux que se forment les sources et les fontaines qui sourdissent au pied des collines ; toute l’eau que la glaise peut admettre dans sa propre substance, toute celle qui peut descendre des couches supérieures aux couches inférieures, par les petites fentes qui les divisent perpendiculairement, sont retenues et contenues en stagnation, presque sans mouvement, entre les différents lits de cette glaise ; et c’est dans cet état de repos que l’eau donne naissance aux productions hétérogènes qu’on trouve dans la glaise et que nous devons indiquer ici.

1o Comme il y a dans toutes les argiles transportées et déposées par les eaux de la mer un très grand nombre de coquilles, telles que cornes d’Ammon, bélemnites et plusieurs autres dépouilles des animaux testacés et crustacés, l’eau les décompose et même les dissout peu à peu ; elle se charge de ces molécules dissoutes, les entraîne et les dépose dans les petits vides ou cavités qu’elle rencontre entre les lits d’argile ; ce dépôt de matière calcaire devient bientôt une pierre plus ou moins solide, ordinairement plate et en petit volume ; cette pierre, quoique formée de substance calcaire, ne contient jamais de coquilles, parce qu’elle n’est composée que de leurs détriments, trop divisés pour qu’on puisse reconnaître les vestiges de leur forme. D’ailleurs les eaux pluviales, en s’infiltrant dans les rochers calcaires et dans les terres qui surmontent les glaises, entraînent un sable de la même nature que ces rochers ou ces terres, et ce sablon calcaire, en se mêlant avec l’argile délayée par l’eau, forme souvent des pierres mi-parties de ces deux substances. On reconnaît ces pierres argilo-calcaires à leur couleur, qui est ordinairement bleue, brune ou noire, et comme elles se forment entre les lits de la glaise, elles sont plates et n’ont guère qu’un pouce ou deux d’épaisseur ; elles ne sont séparées les unes des autres que par de petites fentes verticales, et elles forment une couche mince et horizontale entre les lits de glaise. Ces pierres mixtes sont presque toujours plus dures que les pierres calcaires pures ; elles se calcinent plus difficilement et résistent à l’action des acides, d’autant plus qu’elles contiennent moins de matières calcaires.

2o L’on trouve aussi de petites couches de plâtre entre les lits de glaise ; or, le plâtre n’est qu’une matière calcaire pénétrée d’acides[NdÉ 5], et comme il y a dans toutes les glaises, indépendamment des coquilles, une quantité plus ou moins grande de sable calcaire infiltrée par les eaux, et qu’en même temps on ne peut douter que l’acide n’y soit aussi très abondamment répandu, puisqu’on trouve communément des pyrites martiales dans ces mêmes glaises, il paraît clair que c’est par la réunion de la matière calcaire à l’acide que se produisent les premières molécules gypseuses, qui, étant ensuite entraînées et déposées par la stillation des eaux, forment ces petites couches de plâtre qui se trouvent entre les lits des glaises.

3o Les pyrites qu’on trouve dans ces glaises sont ordinairement en forme aplatie, et toutes séparées les unes des autres, quoique disposées sur un même niveau entre les lits de glaise ; et comme ces pyrites sont composées de la matière du feu fixe, de terre ferrugineuse et d’acide, elles démontrent dans les glaises, non seulement la présence de l’acide, mais encore celle du fer ; et en effet, les eaux, en s’infiltrant, entraînent les molécules de la terre limoneuse qui contient la matière du feu fixe, ainsi que celle du fer, et ces molécules, saisies par l’acide, ont produit des pyrites dont l’établissement s’est fait de la même manière que celui des petites couches de plâtre ou de pierre calcaire entre les lits de glaise. La seule différence est que ces dernières matières sont en petites couches continues et d’égale épaisseur, au lieu que les pyrites sont pelotonnées sur un centre ou aplaties en forme de galets, et qu’elles n’ont entre elles ni continuité ni contiguïté que par un petit cordon de matière pyriteuse, qui souvent communique d’une pyrite à l’autre.

4o L’on trouve aussi dans les glaises de petites masses de charbon de terre et de jayet, et de plus il me paraît qu’elles contiennent une matière grasse qui les rend imperméables à l’eau[5]. Or, ces matières huileuses ou bitumineuses, ainsi que le jayet et le charbon de terre, ne proviennent que des détriments des animaux et des végétaux, et ne se trouvent dans la glaise que parce qu’originairement, lorsqu’elle a été transportée et déposée par les eaux de la mer, ces eaux étaient mêlées de terres limoneuses, et déjà fortement imprégnées des huiles végétales et animales, produites par la pourriture et la décomposition des êtres organisés : aussi, plus on descend dans la glaise, plus les couches paraissent être bitumineuses ; et ces couches inférieures de la glaise se sont formées en même temps que les couches de charbon de ferre ; toutes ont été établies par le mouvement et par les sédiments des eaux qui ont transporté et mêlé les glaises avec les débris des coquilles et les détriments des végétaux.

Les glaises ont communément une couleur grise, bleue, brune ou noire, qui devient d’autant plus foncée qu’on descend plus profondément[6] ; elles exhalent en même temps une odeur bitumineuse, et, lorsqu’on les cuit au feu, elles répandent au loin l’odeur de l’acide vitriolique. Ces indices prouvent encore qu’elles doivent leur couleur au fer, et que, les couches inférieures recevant les égouts des couches supérieures, la teinture du fer y est plus forte et la quantité des acides plus grande : aussi cette glaise des couches les plus basses est-elle non seulement plus brune ou plus noire, mais encore plus compacte, au point de devenir presque aussi dure que la pierre. Dans cet état, la glaise prend les noms de schiste et d’ardoise ; et quoique ces deux matières ne soient vraiment que des argiles durcies, comme elles en ont dépouillé la ductilité, qu’elles semblent aussi avoir acquis de nouvelles qualités, nous avons cru devoir les séparer des argiles et des glaises, et en traiter dans l’article suivant.


Notes de Buffon
  1. « Une partie des laves de la Solfatare (près de Naples) est convertie en argile ; il y a des morceaux dont une partie est encore lave et l’autre partie est changée en argile… On y voit encore des schorls blancs en forme de grenat, dont quelques-uns sont également convertis en argile… Ce changement des matières vitreuses en argile, par l’intermède de l’acide sulfureux (ou vitriolique) qui les a pénétrées, en quelque façon dissoutes, est sans doute un phénomène remarquable et très intéressant pour l’histoire naturelle. » Lettres de M. Ferber sur la minéralogie, p. 259.

    M. Ferber ajoute qu’une partie de cette argile est molle comme une terre, et que l’autre est dure, pierreuse et assez semblable à une pierre à chaux blanche : c’est vraisemblablement cette fausse apparence qui a fait dire à M. de Fougeroux de Bondaroy (Mémoires de l’Académie des sciences, année 1765) que les pierres de la Solfatare étaient calcaires. M. Hamilton a fait la même méprise ; mais il paraît certain, dit le savant traducteur des Lettres de Ferber, que le plancher de la Solfatare et les collines qui l’environnent ne sont composés que de produits volcaniques convertis par les vapeurs du soufre en terre argileuse : « Je possède moi-même, ajoute M. le baron de Dietrich, un de ces morceaux moitié lave et moitié argile ; et cette argile, étant travaillée, a souffert les mêmes épreuves que l’argile ordinaire… On trouve dans la montagne de Poligni, à deux lieues de Rennes en Bretagne, une terre argileuse blanche ou colorée qui ne diffère en rien de celle de la Solfatare ; on la nomme mal à propos craie dans le pays… Aux endroits où les vapeurs sulfureuses sortent encore, cette argile est aussi molle que de la farine ; on peut y enfoncer un bâton sans trouver de fond, et à mesure que l’on s’éloigne de l’endroit des vapeurs, la terre est plus raffermie. » Note de M. le baron de Dietrich, p. 257 des Lettres de M. Ferber.

  2. Cette origine peut seule expliquer la triple affinité de l’acide avec le feu, la terre et l’eau, et sa formation par la combinaison de ces trois éléments, l’eau n’ayant pu s’unir à la terre vitreuse sans se joindre en même temps à la portion de feu dont cette terre était empreinte ; j’observerai de plus l’affinité marquée et subsistante entre les matières vitrescibles et l’acide argileux ou vitriolique, qui, de tous les acides, est le seul qui ait quelque prise sur ces substances : on a tenté leur analyse au moyen de cet acide ; mais cette analyse ne prouvera rien de plus que la grande analogie établie entre le principe acide et la terre vitrescible dès le temps où il fut universellement engendré dans cette terre à la première chute des eaux. Ces grandes vues de l’Histoire naturelle confirment admirablement les idées de l’illustre Stahl, qui de la seule force des analogies et du nombre des combinaisons où il avait vu l’acide vitriolique se travestir et prendre la forme de presque tous les autres acides, avait déjà conclu qu’il était le principe salin primitif, principal, universel. Remarque de M. l’abbé Bexon.
  3. La ville de Monthard est située au milieu d’un vallon sur une montagne isolée de toutes parts, et ce monticule forme entre les deux chaînes de montagnes qui bornent ce vallon dans sa longueur deux espèces de gorges : ce fut dans l’une de ces gorges qui est du côté du midi, qu’au mois d’août 1774, M. de Buffon fit faire une fouille de cinquante pieds de profondeur et de six pieds de large en carré. Le terrain où l’on creusa est inculte de temps immémorial ; c’est un espace vague qui sert de pâturage, et quoique ce terrain paraisse à l’œil à peu près au niveau du vallon, il est cependant plus élevé que la rivière qui l’arrose d’environ trente pieds, et de huit pieds seulement plus qu’un petit étang qui n’est éloigné de cette fouille que de cinquante pas.

    Après qu’on eut enlevé le gazon, on trouva une couche de terre brune, d’un pied d’épaisseur, sous laquelle était une autre couche de terre grasse, ductile, d’un jaune foncé et rougeâtre, presque sans aucun gravier, qui était épaisse d’environ trois pieds.

    L’argile était stratifiée immédiatement sous ces couches limoneuses, et les premiers lits, qui n’avaient que deux ou trois pouces d’épaisseur, étaient formés d’une terre grasse d’un gris bleuâtre, mais marbré d’un jaune foncé, de la couleur de la couche supérieure ; ces lits paraissaient exactement horizontaux, et étaient coupés, comme ceux des carrières, par des fentes perpendiculaires qui étaient si près les unes des autres qu’il n’y avait pas entre les plus éloignées un demi-pouce de distance ; cette terre était très-humide et molle ; on y trouva des bélemnites et une très grande quantité de petits peignes ou coquilles de Saint-Jacques, qui n’avaient guère plus d’épaisseur qu’une feuille de papier et pas plus de quatre ou cinq lignes de diamètre ; ces coquilles étaient cependant toutes très entières et bien conservées, et la plus grande partie était adhérente à une matière terreuse qui augmentait leur épaisseur d’environ une ligne ; mais cette croûte terreuse, qui n’était qu’à la partie convexe de la coquille, s’en séparait en se desséchant, et on la distinguait alors facilement de la vraie coquille : on y trouva encore de petits pétoncles, de l’espèce de ceux qu’on nomme cunei, et ces coquilles étaient placées, non pas dans les fentes horizontales des couches, mais entre leurs petites stratifications, et elles étaient toutes à plat et dans une situation parallèle aux couches. Il y avait aussi dans ces mêmes couches des pyrites vitrioliques ferrugineuses qui étaient aplaties et terminées irrégulièrement, et qui n’étaient point formées intérieurement par des rayons tendant au centre comme elles le sont ordinairement : la coupe de ces terres s’étant ensuite desséchée, les couches limoneuses se séparèrent par une grande gerçure des couches argileuses.

    À huit pieds de profondeur, on s’aperçut d’une petite source d’eau qui avait son issue du côté de l’étang dont on a parlé, mais qui disparut le lendemain ; on remarqua qu’à cette profondeur les couches commençaient à avoir une plus grande épaisseur, que leur couleur était plus brune, et qu’elles n’étaient plus marbrées de jaune intérieurement comme les premières : cette couleur ne paraissait plus qu’à la superficie, et ne pénétrait dans les couches que de l’épaisseur de quelques lignes, et les fentes perpendiculaires étaient plus éloignées les unes des autres ; la superficie des couches parut à cette profondeur toute parsemée de paillettes brillantes, transparentes et séléniteuses ; ces paillettes, à la chaleur du soleil, devenaient presque dans l’instant blanches et opaques : ces couches contenaient les mêmes espèces de coquillages que les précédentes, et à peu près dans la même quantité. On y trouva aussi un grand nombre de racines d’arbres aplaties et pourries, dans lesquelles les fibres ligneuses étaient encore très apparentes, quoiqu’il n’y ait point actuellement d’arbres dans ce terrain, et jusque-là on n’aperçut dans ces couches ni sable, ni gravier, ni aucune sorte de terre.

    Depuis huit pieds jusqu’à douze, les couches d’argile se trouvèrent encore un peu plus brunes, plus épaisses et plus dures : outre les coquilles des couches supérieures dont on a parié, il y avait une grande quantité de petits pétoncles à stries demi-circulaires, que les naturalistes nomment fasciati, dont les plus grands n’avaient qu’un pouce de diamètre, et qui étaient parfaitement conservés entre ces couches ; et à dix pieds de profondeur on trouva un lit de pierre très mince coupé par un grand nombre de fentes perpendiculaires, et cette pierre, semblable à la plupart des pierres argileuses, était brune, dure, aigre et d’un grain très fin.

    À la profondeur de douze pieds jusqu’à seize, l’argile était à peu près de la même qualité ; mais il y avait plus d’humidité dans les fentes horizontales, et la superficie était hérissée de petits grains un peu allongés, brillants et transparents, qui, dans un certain sens, s’exfoliaient comme le gypse, et qui, vus à la loupe, paraissaient avoir six faces, comme les aiguilles de cristal de roche, mais dont les extrémités étaient coupées obliquement et dans le même sens : après avoir lavé une certaine quantité de ces concrétions et leur avoir fait éprouver une chaleur modérée, elles devinrent très blanches ; broyées et détrempées dans l’eau, elles se durcirent promptement comme le plâtre, et on reconnut évidemment que cette matière était de véritable pierre spéculaire, le germe pour ainsi dire de la pierre à plâtre. Comme j’examinais un jour les différentes matières qu’on tirait de cette fouille, un troupeau de cochons, que le pâtre ramenait de la campagne, passa près de là, et je ne fus pas peu surpris de voir tout à coup ces animaux se jeter brusquement sur la terre de cette fouille la plus nouvellement tirée et la plus molle, et la dévorer avec avidité ; ce qui arriva encore en ma présence plusieurs fois de suite : outre les coquillages des premières couches, celle-ci contenait des limas de mer lisses, d’autres limas hérissés de petits tubercules, des tellines, des cornes d’Ammon de la plus petite espèce, et quelques autres plus grandes qui avaient environ quatre pouces de diamètre : elles étaient toutes extrêmement minces et aplaties, et cependant très entières malgré leur extrême délicatesse ; il y avait surtout une grande quantité de bélemnites, toutes conoïdes, dont les plus grandes avaient jusqu’à sept et huit pouces de longueur ; elles étaient pointues comme un dard à l’une des extrémités, et l’extrémité opposée à leur base était terminée irrégulièrement et aplatie comme si elle eût été écrasée ; elles étaient brunes au dehors et au dedans, et formées d’une matière disposée intérieurement en forme de stries transversales ou rayons qui se réunissaient à l’axe de la bélemnite. Cet axe était dans toutes un peu excentrique, et marqué d’une extrémité à l’autre par une ligne blanche presque imperceptible, et lorsque la bélemnite était d’une certaine grosseur, la base renfermait un petit cône plus ou moins long, composé d’alvéoles en forme de plateaux, emboîtés les uns dans les autres comme les nautiles, au sommet duquel se terminait alors la ligne blanche : ce petit cône était revêtu dans toute sa longueur d’une pellicule crustacée, jaunâtre et très mince, quoique formée de plusieurs petites couches, et le corps de la bélemnite, disposé en rayons qui recouvraient le tout, devenait d’autant plus mince que le petit cône acquérait un plus grand diamètre ; telles étaient à peu près toutes les bélemnites que l’on trouva éparses dans la terre que l’on avait tirée de la fouille, ce qui est commun à toutes celles de cette espèce.

    Pour savoir dans quelle situation ces bélemnites étaient placées dans les couches de la terre, on en délita plusieurs morceaux avec précaution, et on reconnut qu’elles étaient toutes couchées à plat et parallèlement aux différents lits ; mais ce qui nous surprit, et ce qui n’a pas encore été observé, c’est qu’on s’aperçut alors que l’extrémité de la base de toutes ces bélemnites, était toujours adhérente à une sorte d’appendice de couleur jaunâtre, d’une substance semblable à celle des coquilles, et qui avait la forme de la partie évasée d’un entonnoir qui aurait été aplatie, dont plusieurs avaient près de deux pouces de longueur, un pouce de largeur à la partie supérieure, et environ six lignes à l’endroit où ils étaient adhérents à la base de la bélemnite ; et en examinant de près ce prolongement testacé ou crustacé, qui est si fragile qu’on ne peut presque le toucher sans le rompre, je remarquai que cette partie de la bélemnite qu’on n’a pas jusqu’ici connue, n’est autre chose que la continuation de la coquille mince ou du têt qui couvre le petit cône chambré dont j’ai parlé, en sorte qu’on peut dire que toutes les bélemnites qui sont actuellement dans les cabinets d’histoire naturelle ne sont point entières, et que ce que l’on en connaît n’est en quelque façon que l’étui ou l’enveloppe d’une partie de la coquille, ou du têt qui renfermait autrefois l’animal.

    Jusqu’à présent, les auteurs n’ont pu se concilier sur la nature des bélemnites : les uns, tels que Woodward (Histoire naturelle de la terre), les ont regardées comme une matière minérale du genre des talcs ; M. Bourguet (Lettres philosophiques) a prétendu qu’elles n’étaient autre chose que des dents de ces poissons qu’on nomme souffleurs, et d’autres les ont prises pour des cornes d’animaux pétrifiées ; mais la vraie forme de la bélemnite mieux connue, et surtout cette partie crustacée qui est à sa base lorsqu’elle est entière, pourront peut-être contribuer à fixer les doutes des naturalistes et à la faire mettre au rang des crustacés ou des coquilles fossiles[NdÉ 4] ; ce qui me paraît d’autant plus évident qu’elle est calcinable dans toutes ses parties, comme le têt des oursins et les coquilles, et au même degré de feu.

    Depuis seize pieds jusqu’à vingt, les lits d’argile avaient jusqu’à dix pouces d’épaisseur, ils étaient beaucoup plus durs que les précédents, d’une couleur encore plus brune, et toujours coupés par des fentes perpendiculaires, mais plus éloignées les unes des autres que dans les lits supérieurs ; leur superficie était d’un jaune couleur de rouille, qui ne pénétrait pas ordinairement dans l’intérieur des couches ; mais lorsque les stillations des eaux avaient pu y introduire cette terre jaune qui avait coloré leur superficie, on trouvait souvent entre leurs stratifications des espèces de concrétions pyriteuses plates, rondes, d’un jaune brun, d’environ un pouce ou un pouce et demi de diamètre, et qui n’avaient pas un quart de pouce d’épaisseur : ces sortes de pyrites étaient placées dans les couches, sur la même ligne, à un pouce ou deux de distance, et se communiquaient par un cordon cylindrique de même matière, un peu aplati, et de deux à trois lignes d’épaisseur.

    À cette profondeur, on continua d’en trouver entre les couches du gypse ou pierre spéculaire, dont les grains étaient plus gros, plus transparents et plus réguliers ; il s’en trouva même des morceaux de la longueur d’un écu, qui étaient formés par des rayons tendant au centre ; on commença aussi à apercevoir entre ces couches et dans leurs fentes perpendiculaires, quelques concrétions de charbon de terre, ou plutôt de véritable jayet, sous la forme de petites lames minces, dures, cassantes, très noires et très luisantes ; ces couches contenaient encore à peu près les mêmes espèces de coquilles que les couches supérieures, et on trouva de plus, dans celles-ci, quantité de petites pinnes et de petits buccins : à la profondeur de seize pieds, l’eau se répandit dans la fouille, et elle paraissait sortir de toute sa circonférence, par de petites sources qui fournissaient dix à onze pouces d’eau pendant la nuit.

    À vingt pieds, même quantité d’argile, dont les couches avaient augmenté encore en épaisseur et en dureté, et dont la couleur était plus foncée ; elles contenaient les mêmes espèces de coquilles et toujours des concrétions de plâtre.

    À vingt-quatre pieds, mêmes matières, sans aucun changement apparent ; on trouva à cette profondeur une pinne de près d’un pied de longueur, à vingt-huit pieds la terre était presque aussi dure que la pierre, et on n’aperçut presque plus de gypse ou pierre spéculaire ; on en trouva cependant encore un morceau de la longueur de la main ; ces couches contenaient une grande quantité de coquilles fossiles, et surtout différentes espèces de cornes d’Ammon, dont les plus grandes avaient près d’un pied de diamètre.

    De vingt-huit pieds à trente-six, mêmes matières et de même qualité : à cette profondeur on trouva un lit de pierres argileuses très bonnes et de la couleur des couches terreuses, dans lesquelles on cessa absolument d’apercevoir du gypse ; il y en avait cependant encore quelques veines dans l’intérieur de cette pierre, mais qui n’avait plus la transparence de la sélénite ou pierre spéculaire : cette pierre contenait aussi d’autres petites veines de charbon de terre ; il s’en sépara même, en la cassant, quelques morceaux de la grandeur d’environ cinq ou six pouces en carré et d’un doigt d’épaisseur, parmi lesquels il y en avait plusieurs qui étaient traversés de quelques filets d’un jaune brillant. Ce lit de pierre avait trois ou quatre pouces d’épaisseur, il couvrait toute la fouille, et était coupé comme les couches terreuses, par des fentes perpendiculaires : la terre qui était dessous, dans l’espace de quelques pieds de profondeur, était un peu moins brune que celle des couches précédentes, et on y apercevait quelques veines jaunâtres : on trouva ensuite un autre lit de la même espèce de pierre, sous lequel l’argile était très noire, très dure et remplie de coquilles comme les couches supérieures ; plusieurs de ces coquilles étaient revêtues d’un côté par une incrustation terreuse, disposée par rayons ou filets brillants, et les coquilles elles-mêmes brillaient d’une belle couleur d’or, surtout les bélemnites qui étaient aussi la plupart bronzées, particulièrement d’un côté ; cette couleur métallique, que les naturalistes ont nommée armature, est produite, à mon avis, sur la superficie des coquilles fossiles, par des sucs pyriteux, dont les stillations des eaux se trouvent chargées, et l’acide vitriolique ou alumineux qui entre toujours dans la composition des pyrites y fixe la terre métallique qui sert de base à ces concrétions, comme l’alun dans les teintures attache la matière colorante sur les étoffes, de sorte que la dissolution d’une pyrite ferrugineuse, communique une couleur de rouille ou quelquefois de fer poli aux matières qui en sont imprégnées ; une pyrite cuivreuse, en se décomposant, teint en jaune brillant et couleur d’or la surface de ces mêmes matières, et la couleur des talcs dorés peut être attribuée à la même cause.

    On n’aperçut plus dans la suite ni plâtre, ni charbon de terre : l’eau continuait toujours à se répandre, et l’ouvrage ayant été discontinué pendant huit jours, la fouille étant alors profonde de trente-six pieds, elle s’éleva à la hauteur de dix, et lorsqu’on l’eut épuisée pour continuer le travail, les ouvriers en trouvaient le matin un peu plus d’un pied, qui tombait pendant la nuit au fond de la fouille, de différentes petites sources.

    À quarante pieds de profondeur, on trouva une couche de terre d’environ un pied d’épaisseur, à peu près de la couleur des couches précédentes, mais beaucoup moins dure, sur laquelle, au premier coup d’œil, on croyait apercevoir une infinité d’impressions de feuilles de plantes du genre des capillaires, qui paraissaient former sur cette terre une espèce de broderie d’une couleur moins brune que celle du fond de la couche, dont toutes les feuilles ou petites stratifications portaient de pareilles impressions, en quelque nombre de lames qu’on les divisât ; mais en examinant avec attention cette espèce de schiste, il me parut que ce que je prenais d’abord pour des impressions de feuilles de plantes n’était qu’une sorte de végétation minérale, qui n’avait pas la régularité que laisse l’impression des plantes sur les terres molles ; cette matière s’enflammait dans le feu et exhalait une odeur bitumineuse très pénétrante ; aussi la regarde-t-on ordinairement comme une annonce de la mine de charbon de terre.

    De quarante à cinquante pieds, on ne trouva plus de cette sorte de terre, mais une argile noire beaucoup plus dure encore que celle des lits supérieurs, qu’on ne pouvait arracher qu’à l’aide des coins et de la masse, et qui se levait en très grandes lames : cette terre contenait beaucoup moins de coquilles que les autres couches, et malgré sa grande dureté elle s’amollissait assez promptement à l’air et s’exfoliait comme de l’ardoise pourrie ; en ayant mis un morceau dans le feu, elle y pétilla jusqu’à ce qu’elle eût été réduite en poussière, et elle exhala une odeur bitumineuse très forte, mais elle ne produisit cependant qu’une flamme très faible ; à cette profondeur on cessa de creuser, et l’eau s’éleva peu à peu à la hauteur de trente pieds. (Mémoire rédigé par M. Nadault.)

  4. « Lorsque la pierre noire a été exposée pendant quelque temps à l’air, elle s’exfolie en lames minces et se couvre d’une efflorescence d’un jaune verdâtre, qui n’est autre chose que du vitriol ferrugineux, et si on fait éprouver à cette argile, ainsi couverte de cette matière, la chaleur d’un feu modéré, seulement pendant quelques instants, elle devient bientôt rouge extérieurement et blanche à l’intérieur, parce que le vitriol s’en est séparé, et que les parties les plus fixes de ce sel se sont ramassées sur la superficie et s’y sont converties en colcotar, ce qui paraît prouver que cette argile aurait été blanche si elle n’eût été mêlée avec aucune autre matière, et que la matière qui la colorait était le vitriol. » Note communiquée par M. Nadault.
  5. C’est probablement par l’affinité de son huile avec les autres huiles ou graisses, que la glaise peut s’en imbiber et les enlever sur les étoffes ; c’est cette huile qui la rend pétrissable et douce au toucher, et lorsque cette huile se trouve mêlée avec des sels, elle forme une terre savonneuse telle que la terre à foulon.
  6. Il y a des différences très marquées, entre une couche de glaise et une autre couche : celles qui se trouvent immédiatement sous la terre végétale sont un peu jaunâtres et marbrées de jaune et de gris ; celles qui suivent sont ordinairement d’un gris bleuâtre qui devient d’autant plus foncé et plus brun qu’elles s’éloignent davantage de la superficie de la terre, et la plupart des couches les plus profondes sont presque noires, et elles brûlent quelquefois, s’enflamment et répandent une odeur bitumineuse comme le charbon de terre ; la cause de ces différences me paraît assez évidente, car les premières couches de glaise, étant continuellement humectées par les eaux pluviales, qui ne font que cribler à travers la couche de terre végétale sans s’y arrêter, ne sont molles que parce qu’elles sont toujours imbibées d’eau qui ne peut s’écouler dans cette terre qu’avec lenteur, et les couches inférieures, au contraire, étant d’autant plus comprimées par les couches supérieures qu’elles sont plus profondes, et l’eau y pénétrant plus difficilement, sont aussi d’autant plus compactes et d’autant plus dures.

    Les couches d’argile les plus superficielles sont jaunâtres ou mêlées de jaune et de gris, parce que les eaux pluviales en s’infiltrant dans la couche de terre végétale, qui est toujours d’un jaune plus ou moins foncé, entraînent les molécules de cette terre les plus atténuées, et en s’écoulant dans les couches de glaise les plus proches y déposent cette terre jaune, et leur communiquent ainsi cette couleur ; ces eaux arrivant encore chargées de cette même terre à des couches trop compactes et trop dures pour pouvoir s’y infiltrer, elles serpentent entre les fentes et les joints de ces couches, et abandonnent peu à peu cette terre jaune dont on peut suivre la trace à de grandes profondeurs. (Suite de la Note communiquée par M. Nadault.)

Notes de l’éditeur
  1. Il est difficile de savoir ce que Buffon entend par « l’acide universel ». On pourrait croire qu’il veut parler de l’acide silicique, qui entre dans la composition de toutes les roches primitives [Note de Wikisource : sur l’acide silicique, voyez notre note à l’article des verres primitifs], mais il dit un peu plus loin qu’aucune des « antiques matières vitreuses en grandes masses ne contiennent de l’acide ». Il y a donc simplement une erreur à ajouter à toutes celles qu’il commet quand il traite de chimie.

    [Note de Wikisource : On peut affirmer sans crainte de se tromper, au vu de la note suivante, que Buffon désigne sous le nom d’acide « universel » l’acide sulfurique (ou vitriolique, suivant la terminologie de l’époque), qui était considéré par Stahl comme le premier des acides, à la base de la formation de tous les autres. Buffon faisait de ce premier des acides un produit de la combinaison du feu, de la terre et de l’eau. Il est inutile de dire que les conceptions de Buffon et de Stahl sont absolument dépassées ; ce n’est qu’à la fin du xixe siècle, avec les travaux d’Arrhenius, que les chimistes donneront une définition satisfaisante de l’acidité, au moins en solution aqueuse.]

  2. Le kaolin, qui est formé par du feldspath décomposé par l’eau. Le feldspath est un silicate double d’alumine et de potasse ; l’eau le dédouble lentement en silicate de potasse qui est soluble et qu’elle entraîne et en silicate d’alumine insoluble qui constitue le kaolin.
  3. Les glaises ou argiles impures de Buffon sont des matières terreuses formées de silicates d’alumine et d’autres bases.
  4. Les bélemnites ne sont pas des crustacés, mais des mollusques fossiles voisins de nos calmars.
  5. Le plâtre est le produit de la calcination du gypse, qui est lui-même du sulfate de chaux hydraté. Quand on calcine le gypse il se transforme, par la perte de son eau, en sulfate de chaux anhydre qui constitue le plâtre.