Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/De la terre végétale



DE LA TERRE VÉGÉTALE

La terre purement brute, la terre élémentaire, n’est que le verre primitif d’abord réduit en poudre et ensuite atténué, ramolli et converti en argile par l’impression des éléments humides ; une autre terre, un peu moins brute, est la matière calcaire produite originairement par les dépouilles des coquillages, et de même réduite en poudre par les frottements et par le mouvement des eaux ; enfin une troisième terre, plus organique que brute, est la terre végétale composée des détriments des végétaux et des animaux terrestres.

Et ces trois terres simples, qui, par la décomposition des matières vitreuses, calcaires et végétales, avaient d’abord pris la forme d’argile, de craie et de limon, se sont ensuite mêlées les unes avec les autres, et ont subi tous les degrés d’atténuation, de figuration et de transformation qui étaient nécessaires pour pouvoir entrer dans la composition des minéraux et dans la structure organique des végétaux et des animaux.

Les chimistes et les minéralogistes ont tous beaucoup parlé des deux premières terres ; ils ont travaillé, décrit, analysé les argiles et les matières calcaires ; ils en ont fait la base de la plupart des corps mixtes ; mais j’avoue que je suis étonné qu’aucun d’eux n’ait traité de la terre végétale ou limoneuse, qui méritait leur attention, du moins autant que les deux autres terres. On a pris le limon pour de l’argile ; cette erreur capitale a donné lieu à de faux jugements, et a produit une infinité de méprises particulières. Je vais donc tâcher de démontrer l’origine et de suivre la formation de la terre limoneuse, comme je l’ai fait pour l’argile : on verra que ces deux terres sont d’une différente nature, qu’elles n’ont même que très peu de qualités communes, et qu’enfin ni l’argile, ni la terre calcaire, ne peuvent influer autant que la terre végétale sur la production de la plupart des minéraux de seconde formation.

Mais avant d’exposer en détail les degrés ou progrès successifs par lesquels les détriments des végétaux et des animaux se convertissent en terre limoneuse, avant de présenter les productions minérales qui en tirent immédiatement leur origine, il ne sera pas inutile de rappeler ici les notions qu’on doit avoir de la terre considérée comme l’un des quatre éléments. Dans ce sens, on peut dire que l’élément de la terre entre comme partie essentielle dans la composition de tous les corps : non seulement elle se trouve toujours dans tous en plus ou moins grande quantité, mais par son union avec les trois autres éléments, elle prend toutes les formes possibles ; elle se liquéfie, se fixe, se pétrifie, se métallise, se resserre, s’étend, se sublime, se volatilise et s’organise suivant les différents mélanges et les degrés d’activité, de résistance et d’affinité de ces mêmes principes élémentaires.

De même, si l’on ne considère la terre en général que par ses caractères les plus aisés à saisir, elle nous paraîtra, comme on la définit en chimie, une matière sèche, opaque, insipide, friable, qui ne s’enflamme point, que l’eau pénètre, étend et rend ductile, qui s’y délaie et ne se dissout pas comme le sel. Mais ces caractères généraux sont, ainsi que toutes les définitions, plus abstraits que réels ; étant trop absolus, ils ne sont ni relatifs, ni par conséquent applicables à la chose réelle : aussi ne peuvent-ils appartenir qu’à une terre qu’on supposerait être parfaitement pure, ou tout au plus mêlée d’une très petite quantité d’autres substances non comprises dans la définition. Or, cette terre idéale n’existe nulle part, et, tout ce que nous pouvons faire pour nous rapprocher de la réalité, c’est de distinguer les terres les moins composées de celles qui sont les plus mélangées. Sous ce point de vue plus vrai, plus clair et plus réel qu’aucun autre, nous regarderons l’argile, la craie et le limon, comme les terres les plus simples de la nature, quoique aucune des trois ne soit parfaitement simple ; et nous comprendrons dans les terres composées, non seulement celles qui sont mêlées de ces premières matières, mais encore celles qui sont mélangées de substances hétérogènes, telles que les sables, les sels, les bitumes, etc., etc. : toute terre qui ne contient qu’une très petite quantité de ces substances étrangères conserve à peu près toutes ses qualités spécifiques et ses propriétés naturelles ; mais, si le mélange hétérogène domine, elle perd ces mêmes propriétés ; elle en acquiert de nouvelles toujours analogues à la nature du mélange, et devient alors terre combustible ou réfractaire, terre minérale ou métallique, etc., suivant les différentes combinaisons des substances qui sont entrées dans sa composition.

Ce sont en effet ces différents mélanges qui rendent les terres pesantes ou légères, poreuses ou compactes, molles ou dures, rudes ou douces au toucher : leurs couleurs viennent aussi des parties minérales ou métalliques qu’elles renferment ; leur saveur douce, âcre ou astringente, provient des sels, et leur odeur, agréable ou fétide, est due aux particules aromatiques, huileuses et salines dont elles sont pénétrées.

De plus, il y a beaucoup de terres qui s’imbibent d’eau facilement ; il y en a d’autres sur lesquelles l’eau ne fait que glisser ; il y en a de grasses, de tenaces, de très ductiles, et d’autres dont les parties n’ont point d’adhésion, et semblent approcher de la nature du sable ou de la cendre ; elles ont chacune différentes propriétés et servent à différents usages : les terres argileuses les plus ductiles, lorsqu’elles sont fort chargées d’acide, servent au dégraissage des laines ; les terres bitumineuses et végétales, telles que les tourbes el les charbons de terre, sont d’une utilité presque aussi grande que le bois ; les terres calcaires et ferrugineuses s’emploient dans plusieurs arts, et notamment dans la peinture ; plusieurs autres terres servent à polir les métaux, etc. Leurs usages sont aussi multipliés que leurs propriétés sont variées ; et de même, dans les différentes espèces de nos terres cultivées, nous trouverons que telle terre est plus propre qu’une autre à la production de telles ou telles plantes, qu’une terre stérile par elle-même peut fertiliser d’autres terres par son mélange, que celles qui sont les moins propres à la végétation sont ordinairement les plus utiles pour les arts, etc.

Il y a, comme l’on voit, une grande diversité dans les terres composées, et il se trouve aussi quelques différences dans les trois terres que nous regardons comme simples : l’argile, la craie et la terre végétale. Cette dernière terre se présente même dans deux états très différents : le premier sous la forme de terreau, qui est le détriment immédiat des animaux et des végétaux, et le dernier sous la forme de limon, qui est le dernier résidu de leur entière décomposition. Ce limon, comme l’argile et la craie, n’est jamais parfaitement pur, et ces trois terres, quoique les plus simples de toutes, sont presque toujours mêlées de particules hétérogènes et du dépôt des poussières de toute nature répandues dans l’air et dans l’eau.

Sur la grande couche d’argile qui enveloppe le globe, et sur les bancs calcaires auxquels cette même argile sert de base, s’étend la couche universelle de la terre végétale, qui recouvre la surface entière des continents terrestres, et cette même terre n’est peut-être pas en moindre quantité sur le fond de la mer, où les eaux des fleuves la transportent et la déposent de tous les temps et continuellement, sans compter celle qui doit également se former des détriments de tous les animaux et végétaux marins. Mais, pour ne parler ici que de ce qui est sous nos yeux, nous verrons que cette couche de terre, productrice et féconde, est toujours plus épaisse dans les lieux abandonnés à la seule nature que dans les pays habités, parce que cette terre étant le produit des détriments des végétaux et des animaux, sa quantité ne peut qu’augmenter partout où l’homme ou le feu, son ministre de destruction, n’anéantissent pas les êtres vivants et végétants. Dans ces terres indépendantes de nous et où la nature seule règne, rien n’est détruit ni consommé d’avance ; chaque individu vit son âge ; les bois, au lieu d’être abattus au bout de quelques années, s’élèvent en futaies et ne tombent de vétusté que dans la suite des siècles, pendant lesquels leurs feuilles, leurs menus branchages, et tous leurs déchets annuels et superflus, forment à leur pied des couches de terreau, qui bientôt se convertit en terre végétale, dont la quantité devient ensuite bien plus considérable par la chute de ces mêmes arbres trop âgés. Ainsi, d’année en année, et bien plus encore de siècle en siècle, ces dépôts de terre végétale se sont augmentés partout où rien ne s’opposait à leur accumulation.

Cette couche de terre végétale est plus mince sur les montagnes que dans les vallons et les plaines, parce que les eaux pluviales dépouillent les sommets et les pentes de ces éminences, et entraînent le limon qu’elles ont délayé ; les ruisseaux, les rivières, le charrient et le déposent dans leur lit, ou le transportent jusqu’à la mer ; et, malgré cette déperdition continuelle des résidus de la nature vivante, sa force productrice est si grande, que la quantité de ce limon végétal augmenterait partout, si nous n’affamions pas la terre par nos jouissances anticipées et presque toujours immodérées. Comparez à cet égard les pays très anciennement habités avec les contrées nouvellement découvertes : tout est forêt, terreau, limon dans celles-ci ; tout est sable aride ou pierre nue dans les autres.

Cette couche de terre la plus extérieure du globe est non seulement composée des détriments des végétaux et des animaux, mais encore des poussières de l’air et du sédiment de l’eau des pluies et des rosées : dès lors elle se trouve mêlée des particules calcaires ou vitreuses, dont ces deux éléments sont toujours plus ou moins chargés ; elle se trouve aussi plus grossièrement mélangée de sable vitreux ou de graviers calcaires dans les contrées cultivées par la main de l’homme ; car le soc de la charrue mêle avec cette terre les fragments qu’il détache de la couche inférieure, et, loin de prolonger la durée de sa fécondité, souvent la culture amène la stérilité. On le voit dans ces champs en montagnes où la terre est si mêlée, si couverte de fragments et de débris de pierres, que le laboureur est obligé de les abandonner ; on le voit aussi dans ces terres légères qui portent sur le sable ou la craie, et dont, après quelques années, la fécondité cesse par la trop grande quantité de ces matières stériles que le labour y mêle : on ne peut leur rendre ni leur conserver de la fertilité qu’en y portant des fumiers et d’autres amendements de matières analogues à leur première nature. Ainsi cette couche de terre végétale n’est presque nulle part un limon vierge, ni même une terre simple et pure : elle serait telle si elle ne contenait que les détriments des corps organisés ; mais comme elle recueille en même temps tous les débris de la matière brute, on doit la regarder comme un composé mi-parti de brut et d’organique, qui participe de l’inertie de l’un et de l’activité de l’autre, et qui, par cette dernière propriété et par le nombre infini de ses combinaisons, sert non seulement à l’entretien des animaux et des végétaux, mais produit aussi la plus grande partie des minéraux, et particulièrement les minéraux figurés, comme nous le démontrerons dans la suite par différents exemples.

Mais auparavant il est bon de suivre de près la marche de la nature dans la production et la formation successive de cette terre végétale. D’abord composée des seuls détriments des animaux et des végétaux, elle n’est encore, après un grand nombre d’années, qu’une poussière noirâtre, sèche, très légère, sans ductilité, sans cohésion, qui brûle et s’enflamme à peu près comme la tourbe. On peut distinguer encore dans ce terreau les fibres ligneuses et les parties solides des végétaux ; mais avec le temps, et par l’action et l’intermède de l’air et de l’eau, ces particules arides de terreau acquièrent de la ductilité et se convertissent en terre limoneuse : je me suis assuré de cette réduction ou transformation par mes propres observations.

Je fis sonder en 1734, par plusieurs coups de tarière, un terrain d’environ soixante-dix arpents d’étendue, dont je voulais connaître l’épaisseur de bonne terre, et où j’ai fait une plantation de bois qui a bien réussi : j’avais divisé ce terrain par arpents, et l’ayant fait sonder aux quatre angles de chacun de ces arpents, j’ai retenu la note des différentes épaisseurs de terre, dont la moindre était de deux pieds, et la plus forte de trois pieds et demi. J’étais jeune alors, et mon projet était de reconnaître au bout de trente ans la différence que produirait sur mon bois semé l’épaisseur plus ou moins grande de cette terre, qui partout était franche et de bonne qualité. J’observai, par le moyen de ces sondes, que, dans toute l’étendue de ce terrain, la composition des lits de terre était à très peu près la même, et j’y reconnus clairement le changement successif du terreau en terre limoneuse. Ce terrain est situé dans une plaine au-dessus de nos plus hautes collines de Bourgogne : il était pour la plus grande partie en friche de temps immémorial, et comme il n’est dominé par aucune éminence, la terre est sans mélange apparent de craie ni d’argile ; elle porte partout sur une couche horizontale de pierre calcaire dure.

Sous le gazon, ou plutôt sous la vieille mousse qui couvrait la surface de ce terrain, il y avait partout un petit lit de terre noire et friable, formée du produit des feuilles et des herbes pourries des années précédentes ; la terre du lit suivant n’était que brune et sans adhésion ; mais les lits au-dessous de ces deux premiers prenaient par degrés de la consistance et une couleur jaunâtre, et cela d’autant plus qu’ils s’éloignaient davantage de la superficie du terrain. Le lit le plus bas, qui était à trois pieds ou trois pieds et demi de profondeur, était d’un orangé rougeâtre, et la terre en était très grasse, très ductile, et s’attachait à la langue comme un véritable bol[1]

Je remarquai dans cette terre jaune plusieurs grains de mine de fer ; ils étaient noirs et durs dans le lit inférieur, et n’étaient que bruns et encore friables dans les lits supérieurs de cette même terre. Il est donc évident que les détriments des animaux et des végétaux, qui d’abord se réduisent en terreau, forment avec le temps et le secours de l’air et de l’eau, la terre jaune ou rougeâtre, qui est la vraie terre limoneuse dont il est ici question ; et de même on ne peut douter que le fer contenu dans les végétaux ne se retrouve dans cette terre et ne s’y réunisse en grains, et comme cette terre végétale contient une grande quantité de substance organique, puisqu’elle n’est produite que par la décomposition des êtres organisés, on ne doit pas être étonné qu’elle ait quelques propriétés communes avec les végétaux : comme eux elle contient des parties volatiles et combustibles ; elle brûle en partie ou se consume au feu ; elle y diminue de volume, et y perd considérablement de son poids ; enfin elle se fond et se vitrifie au même degré de feu auquel l’argile ne fait que se durcir[2]. Cette terre limoneuse a encore la propriété de s’imbiber d’eau plus facilement que l’argile, et d’en absorber une plus grande quantité ; et comme elle s’attache fortement à la langue, il paraît que la plupart des bols ne sont que cette même terre aussi pure et aussi atténuée qu’elle peut l’être, car on trouve ces bols en pelotes ou en petits lits dans les fentes et cavités, où l’eau, qui a pénétré la couche de terre limoneuse, s’est en même temps chargée des molécules les plus fines de cette même terre, et les a déposées sous cette forme de bol.

On a vu, à l’article de l’argile, le détail de la fouille que je fis faire, en 1748, pour reconnaître les différentes couches d’un terrain argileux jusqu’à cinquante pieds de profondeur : la première couche de ce terrain était d’une terre limoneuse d’environ trois pieds d’épaisseur. En suivant les travaux de cette fouille et en observant avec soin les différentes matières qui en ont été tirées, j’ai reconnu, à n’en pouvoir douter, que cette terre limoneuse était entraînée par l’infiltration des eaux à de grandes profondeurs dans les joints et les délits des couches inférieures, qui toutes étaient d’argile ; j’en ai suivi la trace jusqu’à trente-deux pieds : la première couche argileuse la plus voisine de la terre limoneuse était mi-partie d’argile et de limon, marbrée des couleurs de l’un et de l’autre, c’est-à-dire de jaune et de gris d’ardoise ; les couches suivantes d’argile étaient moins mélangées, et dans les plus basses, qui étaient aussi les plus compactes et les plus dures, la terre jaune, c’est-à-dire le limon, ne pénétrait que dans les petites fentes perpendiculaires, et quelquefois aussi dans les délits horizontaux des couches de l’argile. Cette terre limoneuse incrustait la superficie des glèbes argileuses ; et lorsqu’elle avait pu s’introduire dans l’intérieur de la couche, il s’y trouvait ordinairement des concrétions pyriteuses, aplaties et de figure orbiculaire, qui se joignaient par une espèce de cordon cylindrique de même substance pyriteuse, et ce cordon pyriteux aboutissait toujours à un joint ou à une fente remplie de terre limoneuse : je fus dès lors persuadé que cette terre contribuait plus que toute autre à la formation des pyrites martiales, lesquelles, par succession de temps, s’accumulent et forment souvent des lits qu’on peut regarder comme les mines du vitriol ferrugineux.

Mais lorsque les couches de terre végétale se trouvent posées sur des bancs de pierres solides et dures, les stillations des eaux pluviales chargées des molécules de cette terre, étant alors retenues et ne pouvant descendre en ligne droite, serpentent entre les joints et les délits de la pierre, et y déposent cette matière limoneuse ; et comme l’eau s’insinue avec le temps dans les matières pierreuses, les parties les plus fines du limon pénètrent avec elle dans tous les pores de la pierre et la colorent souvent de jaune ou de roux ; d’autres fois l’eau chargée de limon ne produit dans la pierre que des veines ou des taches.

D’après ces observations, je demeurai persuadé que cette terre limoneuse, produite par l’entière décomposition des animaux et des végétaux, est la première matrice des mines de fer en grains, et qu’elle fournit aussi la plus grande partie des éléments nécessaires à la formation des pyrites. Les derniers résidus du détriment ultérieur des êtres organisés prennent donc la forme de bol, de fer en grains et de pyrite ; mais lorsqu’au contraire les substances végétales n’ont subi qu’une légère décomposition, et qu’au lieu de se convertir en terreau et ensuite en limon à la surface de la terre, elles se sont accumulées sous les eaux, elles ont alors conservé très longtemps leur essence, et, s’étant ensuite bituminisées par le mélange de leurs huiles avec l’acide, elles ont formé les tourbes et les charbons de terre.

Il y a en effet une très grande différence dans la manière dont s’opère la décomposition des végétaux à l’air ou dans l’eau : tous ceux qui périssent et sont gisants à la surface de la terre, étant alternativement humectés et desséchés, fermentent et perdent par une prompte effervescence la plus grande partie de leurs principes inflammables ; la pourriture succède à cette effervescence, et, suivant les degrés de la putréfaction, le végétal se désorganise, se dénature, et cesse d’être combustible dès qu’il est entièrement pourri : aussi le terreau et le limon, quoique provenant des végétaux, ne peuvent pas être mis au nombre des matières vraiment combustibles ; ils se consument ou se fondent au feu plutôt qu’ils ne brûlent ; la plus grande partie de leurs principes inflammables s’étant dissipée par la fermentation, il ne leur reste que la terre, le fer et les autres parties fixes qui étaient entrées dans la composition du végétal.

Mais lorsque les végétaux, au lieu de pourrir sur la terre, tombent au fond des eaux ou y sont entraînés, comme cela arrive dans les marais et sur le fond des mers, où les fleuves amènent et déposent des arbres par milliers, alors toute cette substance végétale conserve pour ainsi dire à jamais sa première essence : au lieu de perdre ses principes combustibles par une prompte et forte effervescence, elle ne subit qu’une fermentation lente, et dont l’effet se borne à la conversion de son huile en bitume ; elle prend donc sous l’eau la forme de tourbe ou de charbon de terre, tandis qu’à l’air elle n’aurait formé que du terreau et du limon.

La quantité de fer contenue dans la terre limoneuse est quelquefois si considérable qu’on pourrait lui donner le nom de terre ferrugineuse, et même la regarder comme une mine métallique ; mais quoique cette terre limoneuse produise ou plutôt régénère par sécrétion le fer en grains, et que l’origine primordiale de toutes les mines de cette espèce appartienne à cette terre limoneuse, néanmoins les minières de fer en grains dont nous tirons le fer aujourd’hui ont presque toutes été transportées et amenées par alluvion, après avoir été lavées par les eaux de la mer, c’est-à-dire séparées de la terre limoneuse où elles s’étaient anciennement formées.

La matière ferrugineuse, soit en grains, soit en rouille, se trouve presque à la superficie de la terre en lits ou couches peu épaisses ; il semble donc que ces mines de fer devraient être épuisées, dans toutes les contrées habitées, par l’extraction continuelle qu’on en fait depuis tant de siècles[3]. Et en effet le fer pourra bien devenir moins commun dans la suite des temps, car la quantité qui s’en reproduit dans la terre végétale ne peut pas, à beaucoup près, compenser la consommation qui s’en fait chaque jour.

On observe, dans ces mines de fer, que les grains sont tous ronds ou un peu oblongs, que leur grosseur est la même dans chaque mine, et que cependant cette grosseur varie beaucoup d’une minière à une autre : cette différence dépend de l’épaisseur de la couche de terre végétale où ces grains de fer se sont anciennement formés, car on voit que plus l’épaisseur de la terre est grande, plus les grains de mine de fer qui s’y forment sont gros, quoique toujours assez petits.

Nous remarquerons aussi que ces terres dans lesquelles se forment les grains de la mine de fer paraissent être de la même nature que les autres terres limoneuses où cette formation n’a pas lieu ; les unes et les autres sont d’abord, dans leurs premières couches, noirâtres, arides et sans cohésion, mais leur couleur noire se change en brun dans les couches inférieures et ensuite en un jaune foncé ; la substance de cette terre devient ductile ; elle s’imbibe facilement d’eau et s’attache à la langue. Toutes les propriétés de ces terres limoneuses et ferrugineuses sont les mêmes, et la mine de fer en grains, après avoir été broyée et détrempée dans l’eau, semble reprendre les caractères de ces mêmes terres au point de ne pouvoir distinguer la poudre du minerai de celle de la terre limoneuse. Le fer, décomposé et réduit en rouille, paraît reprendre aussi la forme et les qualités de sa terre matrice. Ainsi la terre ferrugineuse et la terre limoneuse ne diffèrent que par la plus ou moins grande quantité de fer qu’elles contiennent, et la mine de fer en grains n’est qu’une sécrétion qui se fait dans cette même terre d’autant plus abondamment qu’elle contient une plus grande quantité de fer décomposé : on sait que chaque pierre et chaque terre ont leurs stalactites particulières et différentes entre elles, et que ces stalactites conservent toujours les caractères propres des matières qui les ont produites ; la mine de fer en grains est dans ce sens une vraie stalactite de la terre limoneuse ; ce n’est d’abord qu’une concrétion terreuse qui peu à peu prend de la dureté par la seule force de l’affinité de ses parties constituantes, et qui n’a encore aucune des propriétés essentielles du fer.

Mais comment cette matière minérale peut-elle se séparer de la masse de terre limoneuse pour se former si régulièrement en grains aussi petits, en aussi grande quantité, et d’une manière si achevée qu’il n’y en a pas un seul qui ne présente à sa surface le brillant métallique ? Je crois pouvoir satisfaire à cette question par les simples faits que m’a fournis l’observation. L’eau pluviale s’infiltre dans la terre végétale et crible d’abord avec facilité à travers les premières couches, qui ne sont encore que la poussière aride des parties de végétaux à demi décomposés ; trouvant ensuite des couches plus denses, l’eau les pénètre aussi, mais avec plus de lenteur, et lorsqu’elle est parvenue au banc de pierre qui sert de base à ces couches terreuses, elle devient nécessairement stagnante, et ne peut plus s’écouler qu’avec beaucoup de temps ; elle produit alors, par son séjour dans ces terres grasses, une sorte d’effervescence ; l’air qui y était contenu s’en dégage et forme dans toute l’étendue de la couche une infinité de bulles qui soulèvent et pressent la terre en tous sens, et y produisent un égal nombre de petites cavités dans lesquelles la mine de fer vient se mouler. Ceci n’est point une supposition précaire, mais un fait qu’on peut démontrer par une expérience très aisée à répéter : en mettant dans un vase transparent une quantité de terre limoneuse bien détrempée avec de l’eau et la laissant exposée à l’air dans un temps chaud, on verra quelques jours après cette terre en effervescence se boursoufler et produire des bulles d’air, tant à sa partie supérieure que contre les parois du verre qui la contient ; on verra le nombre de ces bulles s’augmenter de jour en jour, au point que la masse entière de la terre paraît en être criblée. Et c’est là précisément ce qui doit arriver dans les couches des terres limoneuses ; car elles sont alternativement humectées par les eaux pluviales et desséchées selon les saisons. L’eau, chargée des molécules ferrugineuses, s’insinue par stillation dans toutes ces petites cavités, et en s’écoulant elle y dépose la matière ferrugineuse dont elle s’était chargée en parcourant les couches supérieures, et elle en remplit ainsi toutes les petites cavités, dont les parois lisses et polies donnent à chaque grain le brillant ou le luisant que présente leur surface.

Si l’on divise ces grains de mine de fer en deux portions de sphère, on reconnaîtra qu’ils sont tous composés de plusieurs petites couches concentriques, et que dans les plus gros il y a souvent une cavité sensible, ordinairement remplie de la même substance ferrugineuse, mais qui n’a pas encore acquis sa solidité, et qui s’écrase aisément comme les grains de mine eux-mêmes, qui commencent à se former dans les premières couches de la terre limoneuse : ainsi dans chaque grain la couche la plus extérieure qui a le brillant métallique est la plus solide de toutes et la plus métallisée, parce qu’ayant été formée la première, elle a reçu par infiltration et retenu les molécules ferrugineuses les plus pures, et a laissé passer celles qui l’étaient moins pour former la seconde couche du grain, et il en est de même de la troisième et de la quatrième couche, jusqu’au centre qui ne contient que la matière la plus terreuse et la moins métallique. Les œtites ou géodes ferrugineuses ne sont que de très gros grains de mine de fer, dans lesquels on peut voir et suivre plus aisément ce procédé de la nature.

Au reste, cette formation de la mine de fer en grains, qui se fait par sécrétion dans la terre limoneuse, ne doit pas nous induire à penser qu’on puisse attribuer à cette cause la première origine de ce fer, car il existait dans le végétal et l’animal avant leur décomposition ; l’eau ne fait que rassembler les molécules du métal et les réunir sous la forme de grains ; on sait que les cendres contiennent une grande quantité de particules de fer ; c’est ce même fer contenu dans les végétaux que nous retrouvons en forme de grains dans les couches de la terre limoneuse. Le mâchefer qui, comme je l’ai prouvé, n’est que le résidu des végétaux brûlés, se convertit presque entièrement en rouille ferrugineuse ; ainsi les végétaux, soit qu’ils soient consumés par le feu ou consommés par la pourriture, rendent également à la terre une quantité de fer peut-être beaucoup plus grande que celle qu’ils en ont tirée par leurs racines, puisqu’ils reçoivent autant et plus de nourriture de l’air et de l’eau que de la terre[NdÉ 1].

Les observations, rapportées ci-dessus, démontrent en effet que les grains de la mine fer se forment dans la terre végétale par la réunion de toutes les particules ferrugineuses que l’on sait être contenues dans les détriments des végétaux et des animaux dont cette terre est composée ; mais il faut encore y ajouter tous les débris et toutes les poudres des fers usés par les frottements, dont la quantité est immense : elles se trouvent disséminées dans cette terre végétale et s’y réunissent de même en grains ; et comme rien n’est perdu dans la nature, ce fer, qui se régénère pour ainsi dire sous nos yeux, semblerait devoir augmenter la quantité de celui que nous consommons ; mais ces grains de fer, qui sont nouvellement formés dans nos terres végétales, y sont rarement en assez grande quantité pour qu’on puisse les recueillir avec profit ; il faudrait pour cela que la nature, par une seconde opération, eût séparé ces grains de fer du reste de la terre où ils ont été produits, comme elle l’a fait pour l’établissement de nos mines de fer en grains, qui presque toutes ont jadis été amenées et déposées par alluvion sur les terrains où nous les trouvons aujourd’hui.

Le fer en lui-même, et dans sa première origine, est une matière qui, comme les autres substances primitives, a été produite par le feu et se trouve en grandes masses et en roches dans plusieurs parties du globe, et particulièrement dans les pays du Nord[4] ; c’est du détriment et des exfoliations de ces premières masses ferrugineuses que proviennent originairement toutes les particules de fer répandues à la surface de la terre, et qui sont entrées dans la composition des végétaux et des animaux. C’est de même par les exsudations de ces grandes roches de fer que se sont formées, par l’intermède de l’eau, toutes les mines spathiques de ce métal, qui ne sont que des stalactites de ces masses primordiales : tous les débris des roches primitives ont été dès les premiers temps transportés et déposés avec ceux des matières vitreuses, dans toute l’étendue de la surface et des couches extérieures du globe.

Les premières terres limoneuses ayant été délayées et entraînées par les eaux, ce grand lavage aura fait la séparation de tous les grains de fer contenus dans cette terre ; le mouvement de la mer aura ensuite transporté ces grains avec les matières qui se sont trouvées d’un poids et d’un volume à peu près égal, en sorte qu’après avoir séparé les grains de fer de la terre où ils s’étaient formés, ce même mouvement des eaux les aura mêlés avec d’autres matières qui n’ont aucun rapport à leur formation : aussi ces mines d’alluvion offrent-elles de grandes différences non seulement dans leur mélange, mais même dans leur gisement et leur accumulation.

On appelle mines dilatées ou mines en nappes, les minières de fer en grains qui sont étendues sur une grande surface plane, et qui souvent forment des couches qu’on peut suivre très loin ; ces mines sont ordinairement en très petits grains, et presque toujours mélangées, les unes de sable vitreux ou d’argile, les autres de petits graviers calcaires et de débris de coquilles. On nomme mines en nids ou en sacs celles qui sont accumulées dans les fentes et dans les intervalles qui se trouvent entre les rochers ou les bancs de pierre ; et ces mines en nids sont communément plus pures et en grains plus gros que les mines en nappes ; elles sont souvent mêlées de sable vitreux et de petits cailloux, et, quoique situées dans les fentes des rochers calcaires, elles ne contiennent ni sable calcaire ni coquilles : leurs grains étant spécifiquement plus pesants que ces matières, n’ont été transportés qu’avec des substances d’égale pesanteur, telles que les petits cailloux, les calcédoines, etc.

Toutes ces mines de fer en grains ont également été déposées par les eaux de la mer ; on les trouve plus souvent et on les découvre plus aisément au-dessus des collines que dans le fond des vallons, parce que l’épaisseur de la terre qui les couvre n’est pas aussi grande : souvent même les grains de fer se présentent à la surface du terrain, ou se montrent par le labour à quelques pouces de profondeur.

Il résulte de nos observations que la terre végétale ou limoneuse est la première matrice de toutes les mines de fer en grains, et il me semble qu’il en est de même de la pyrite martiale ; ce minéral, quoique de formes variées et différentes, est néanmoins toujours régulièrement figuré ; or, je crois pouvoir avancer que c’est du détriment des substances organisées que la pyrite tire en partie son origine ; car elle se forme ou dans la couche même de la terre végétale, ou dans les dépôts de cette même terre, entre les joints des pierres calcaires et les délits des argiles, où l’eau chargée de particules limoneuses s’est insinuée par infiltration, et a déposé avec ces particules les éléments nécessaires à la composition de la pyrite.

Car quels sont en effet les éléments de sa composition ? du feu fixe[NdÉ 2], de l’acide et de la terre ferrugineuse, tous trois intimement réunis par leur affinité[NdÉ 3]. Or, cette matière du feu fixe ne vient-elle pas du détriment des corps organisés et des substances inflammables qu’ils contiennent ? Le fer se trouve également dans ces mêmes détriments, puisque tous les animaux et végétaux en recèlent, même de leur vivant, une assez considérable quantité ; et, comme l’acide vitriolique abonde dans l’argile, on ne doit pas être étonné de voir des pyrites partout où la terre végétale s’est insinuée dans les argiles, puisque tous les principes de leur composition se trouvent alors réunis. Il est vrai qu’on trouve aussi des pyrites, et quelquefois en grande quantité, dans les masses d’argile, où il ne paraît pas que la terre limoneuse ait pénétré ; mais ces mêmes argiles contenant un nombre immense de coquilles et de débris de végétaux et d’animaux, les pyrites s’y seront formées de même par l’union des principes renfermés dans tous ces corps organisés.

La mine de fer en grains et la pyrite sont donc des produits de la terre végétale. Plusieurs sels se forment de même dans cette terre par les acides et les alcalis qui peuvent y saisir des bases différentes, et enfin les bitumes s’y produisent aussi par le mélange de l’acide avec les huiles végétales ou les graisses animales ; et comme cette couche extérieure du globe reçoit encore les déchets de tout ce qui sert à l’usage de l’homme, les particules de l’or et de l’argent, et de tous les autres métaux et matières de toute nature qui s’usent par les frottements, on doit par conséquent y trouver une petite quantité d’or ou de tout autre métal.

C’est donc de cette terre, de cette poussière que nous foulons aux pieds, que la nature sait tirer ou régénérer la plupart de ses productions en tous genres ; et cela serait-il possible si cette même terre n’était pas mélangée de tous les principes organiques et actifs qui doivent entrer dans la composition des êtres organisés et des corps figurés ?

La terre limoneuse, ayant été entraînée par les eaux courantes et déposée au fond des mers, accompagne souvent les matières végétales qui se sont converties en charbon de terre ; elle indique par sa couleur les affleurements extérieurs des veines de ce charbon. « Nous observerons, dit M. de Gensane, que dans tous les endroits où il se trouve des charbons de terre ou d’autres substances bitumineuses, on aperçoit des terres fauves plus ou moins foncées, qui, dans les Cévennes surtout, forment un indice certain du voisinage de ces charbons. Ces terres, bien examinées, ne sont autre chose que des roches calcaires, dissoutes par un acide qui leur fait contracter une qualité ferrugineuse, et conséquemment cette couleur ocreuse : lorsque la dissolution de ces pierres est en quelque sorte parfaite, les terres rouges qui en proviennent prennent une consistance argileuse, et forment de véritables bols ou des ocres naturelles[5]. » J’avoue que je ne puis être ici du sentiment de cet habile minéralogiste : ces terres fauves, qui se trouvent toujours dans le voisinage des charbons de terre, ne sont que des couches de terre limoneuse ; elles peuvent être mêlées de matière calcaire, mais elles sont en elles-mêmes le produit de la décomposition des végétaux ; le fer qu’elles contenaient se change en rouille par l’humidité, et le bol, comme je l’ai dit, n’est que la partie la plus fine et la plus atténuée de cette terre limoneuse, qui n’a de commun avec l’argile que d’être, comme elle, ductile et grasse.

De la même manière que la matière végétale plus ou moins décomposée a été anciennement transportée par les eaux et a formé les veines de charbon, de même la matière ferrugineuse, contenue dans la terre limoneuse, a été transportée, soit dans son état de mine en grains, soit dans celui de rouille ; nous venons de parler de ces mines de fer en grains, transportées par alluvion et déposées dans les fentes des rochers calcaires, les rouilles de fer et les ocres ont été transportées et déposées de même par les eaux de la mer. M. Le Monnier, premier médecin ordinaire du roi, décrit une mine d’ocre qui se trouve dans le Berry près de Vierzon, entre deux lits de sable[6]. M. Guettard en a observé une autre à Bitry, lieu qui n’est pas éloigné de Donzy en Nivernais ; elle est à trente pieds de profondeur, et porte, comme celle de Vierzon, sur un lit de sable qui n’est point mêlé d’ocre[7] : une autre à Saint-George-sur-la-Prée, dans le Berry, qui est à cinquante ou soixante pieds de profondeur[8], la veine d’ocre portant également sur le sable ; une troisième à Tanay, en Brie, qui n’est qu’à dix-sept à dix-huit pieds de profondeur, et appuyée de même sur un banc de sable[9]. « L’ocre, dit très bien M. Guettard, est douce au toucher, s’attache à la langue, devient rouge au feu, s’y durcit, y devient un mauvais verre si le feu est violent, donne beaucoup de fer avec le phlogistique, et ne se dissout pas aux acides minéraux, mais à l’eau commune. » Et il ajoute, avec raison, que toutes les terres qui ont ces qualités peuvent être regardées comme de véritables ocres ; mais je ne puis m’empêcher de m’écarter de son sentiment, en ce qu’il pense que les ocres sont des glaises ; car je crois avoir prouvé ci-devant que ce sont des terres ferrugineuses, qui ne proviennent pas des glaises ou argiles, mais de la terre végétale ou limoneuse, laquelle contient beaucoup de fer, tandis que les glaises n’en contiennent que très peu.

On trouve aussi des mines de fer en ocre ou rouille dans le fond des marécages et des autres eaux stagnantes. Le limon des eaux des pluies et des rosées est une sorte de terre végétale qui contient du fer dont les molécules peuvent se rassembler dans cette terre limoneuse au-dessous de l’eau comme au-dessous de la surface de la terre : c’est cette espèce de mine de fer que les minéralogistes ont appelée vena palustris ; elle a les mêmes propriétés et sert au même usage que les autres mines de fer en grains, et son origine primordiale est la même ; ce sont les roseaux, les joncs et les autres végétaux aquatiques, dont les débris, accumulés au fond des marais, y forment les couches de cette terre limoneuse dans laquelle le fer se trouve sous la forme de rouille. Souvent ces mines de marais sont plus épaisses et plus abondantes que les mines terrestres, parce que les couches de terres limoneuses y sont elles-mêmes plus épaisses, par la raison que toutes les plantes qui croissent dans ces eaux y retombent en pourriture, et qu’il ne s’en fait aucune consommation, au lieu que, sur la terre, l’homme et le feu en détruisent plus que la pourriture.

Je ne puis répéter assez que cette couche de terre végétale qui couvre la surface du globe est non seulement le trésor des richesses de la nature vivante, le dépôt des molécules organiques qui servent à l’entretien des animaux et des végétaux, mais encore le magasin universel des éléments qui entrent dans la composition de la plupart des minéraux : on vient de voir que les bitumes, les charbons de terre, les bols, les ocres, les mines de fer en grains et les pyrites en tirent leur première origine, et nous prouverons de même que le diamant et plusieurs autres minéraux régulièrement figurés se forment dans cette même terre, matrice de tous les êtres.

Comme cette dernière assertion pourrait paraître hasardée, je dois rappeler ici ce que j’ai écrit en 1772 sur la nature du diamant, quelques années avant qu’on eût fait les expériences par lesquelles on a démontré que c’était une substance inflammable ; je l’avais présumé par l’analogie de sa puissance de réfraction, qui, comme celle de toutes les huiles et autres substances inflammables, est proportionnellement beaucoup plus grande que leur densité. Cet indice, comme l’on voit, ne m’avait pas trompé, puisque deux ou trois ans après on a vu des diamants s’enflammer et brûler au foyer du miroir ardent. Or, je prétends que le diamant qui prend une figure régulière et se cristallise en octaèdre, est un produit immédiat de la terre végétale ; et voici la raison que je puis en donner d’avance, en attendant les preuves plus particulières que je réserve pour l’article où je traiterai de cette brillante production de la terre. On sait que les diamants, ainsi que plusieurs autres pierres précieuses, ne se trouvent que dans les climats du Midi, et qu’on n’a jamais trouvé de diamants dans le Nord, ni même dans les terres des zones tempérées ; leur formation dépend donc évidemment de l’influence du soleil sur les premières couches de la terre, car la chaleur propre du globe est à très peu près la même à une petite profondeur dans tous les climats froids ou chauds : ainsi, ce ne peut être que par cette plus grande influence du soleil sur les terres des climats méridionaux que le diamant s’y forme à l’exclusion de tous les autres climats ; et comme cette influence agit principalement sur la couche la plus extérieure du globe, c’est-à-dire sur celle de la terre végétale, et qu’elle n’a nulle action sur les couches intérieures, on ne peut attribuer qu’à cette même terre végétale la formation du diamant et des autres pierres précieuses qui ne se trouvent que dans les contrées du Midi ; d’ailleurs l’inspection nous a démontré que la gangue du diamant est une terre rouge semblable à la terre limoneuse. Ces considérations seules suffiraient pour prouver en général que tous les minéraux qui ne se trouvent que sous les climats les plus chauds, et le diamant en particulier, ne sont formés que par les éléments contenus dans la terre végétale[NdÉ 4] et combinés avec la lumière et la chaleur que le soleil y verse en plus grande quantité que partout ailleurs.

Nous avons dit qu’il n’y a rien de combustible dans la nature que ce qui provient des êtres organisés ; nous pouvons avancer de même qu’il n’y a rien de régulièrement figuré dans la matière que ce qui a été travaillé par les molécules organiques, soit avant, soit après la naissance de ces mêmes êtres organisés : c’est par la grande quantité de ces molécules organiques contenues dans la terre végétale que se fait la production de tous les végétaux et l’entretien des animaux ; leur développement, leur accroissement ne s’opèrent que par la susception de ces mêmes molécules qui pénètrent aisément toutes les substances ductiles ; mais lorsque ces molécules actives ne rencontrent que des matières dures et trop résistantes, elles ne peuvent les pénétrer, et tracent seulement à leur superficie les premiers linéaments de l’organisation qui forment les traits de leur figuration.

Mais revenons à la terre végétale prise en masse, et considérée comme la première couche qui enveloppe le globe. Il n’y a que très peu d’endroits sur la terre qui ne soient pas couverts de cette terre : les sables brûlants de l’Afrique et de l’Arabie, les sommets nus des montagnes composées de quartz ou de granit, les régions polaires, telles que Spitzberg et Sandwich, sont les seules terres où la végétation ne peut exercer sa puissance, les seules qui soient dénuées de cette couche de terre végétale, qui fait la couverture et produit la parure du globe. « Les roches pelées et stériles de la terre de Sandwich, dit M. Forster, ne paraissent pas couvertes du moindre grain de terreau, et on n’y remarque aucune trace de végétation… Dans la baie de Possession, nous avons vu deux rochers où la nature commence son grand travail de la végétation[10] ; elle a déjà formé une légère enveloppe de sol au sommet des rochers, mais son ouvrage avance si lentement qu’il n’y a encore que deux plantes, un gramen et une espèce de pimprenelle… À la terre de Feu, vers l’ouest, et à la terre des États, dans les cavités et les crevasses des piles énormes de rochers qui composent ces terres, il se conserve un peu d’humidité, et le frottement continuel des morceaux de roc détachés, précipités le long des flancs de ces masses grossières, produit de petites particules d’une espèce de sable : là, dans une eau stagnante, croissent peu à peu quelques plantes du genre des algues, dont les graines y ont été portées par les oiseaux : ces plantes créent à la fin de chaque saison des atomes de terreau, qui s’accroît d’une année à l’autre ; les oiseaux, la mer et le vent apportent d’une île voisine sur ce commencement de terreau les graines de quelques-unes des plantes à mousse qui y végètent durant la belle saison. Quoique ces plantes ne soient pas véritablement des mousses, elles leur ressemblent beaucoup… Toutes, ou du moins la plus grande partie, croissent d’une manière analogue à ces régions, et propre à former du terreau et du sol sur les rochers stériles. À mesure que ces plantes s’élèvent, elles se répandent en tiges et en branches qui se tiennent aussi près l’une de l’autre que cela est possible ; elles dispersent ainsi de nouvelles graines, et enfin elles couvrent un large canton ; les fibres, les racines, les tuyaux et les feuilles les plus inférieures tombent peu à peu en putréfaction, produisent une espèce de tourbe ou de gazon, qui insensiblement se convertit en terreau et en sol ; le tissu serré de ces plantes empêche l’humidité qui est au-dessous de s’évaporer, fournit ainsi à la nutrition de la partie supérieure, et revêt à la longue tout l’espace d’une verdure constante… Je ne puis pas oublier, ajoute ce naturaliste voyageur, la manière particulière dont croît une espèce de gramen dans l’île du Nouvel-An, près de la terre des États, et à la Géorgie australe. Ce gramen est perpétuel, et il affronte les hivers les plus froids ; il vient toujours en touffes ou panaches à quelque distance l’un de l’autre : chaque année les bourgeons prennent une nouvelle tête, et élargissent le panache jusqu’à ce qu’il ait quatre ou cinq pieds de haut, et qu’il soit deux ou trois fois plus large au sommet qu’au pied. Les feuilles et les tiges de ce gramen sont fortes et souvent de trois à quatre pieds de long. Les phoques et les pingouins se réfugient sous ces touffes, et comme ils sortent souvent de la mer tout mouillés, ils rendent si sales et si boueux les sentiers entre les panaches, qu’un homme ne peut y marcher qu’en sautant de la cime d’une touffe à l’autre. Ailleurs les oiseaux appelés nigauds s’emparent de ces touffes et y font leurs nids : ce gramen et les éjections des phoques, des pingouins et des nigauds donnent peu à peu une élévation plus considérable au sol du pays[11]. »

On voit, par ce récit, que la nature se sert de tous les moyens possibles pour donner à la terre les germes de sa fécondité, et pour la couvrir de ce terreau ou terre végétale qui est la base et la matrice de toutes ses productions. Nous avons déjà exposé, à l’article des volcans[12], comment les laves et toutes les autres matières volcanisées se convertissent avec le temps en terre féconde ; nous avons démontré la conversion du verre primitif en argile par l’intermède de l’eau : cette argile, mêlée des détriments des animaux marins, n’a pas été longtemps stérile ; elle a bientôt produit et nourri des plantes, dont la décomposition a commencé de former les couches de terre végétale, qui n’ont pu qu’augmenter partout où ce travail successif de la nature n’a point trouvé d’obstacle ou souffert de déchet.

On a vu ci-devant que l’argile et le limon, ou, si l’on veut, la terre argileuse et la terre limoneuse, sont deux matières fort différentes, surtout si l’on compare l’argile pure au limon pur, l’une ne provenant que du verre primitif décomposé par les éléments humides, et l’autre n’étant au contraire que le résidu ou produit ultérieur de la décomposition des corps organisés ; mais dès que les couches extérieures de l’argile ont reçu les bénignes impressions du soleil, elles ont acquis peu à peu tous les principes de la fécondité par le mélange des poussières de l’air et du sédiment des pluies ; et bientôt les argiles couvertes ou mêlées de ces limons terreux sont devenues presque aussi fécondes que la terre limoneuse ; toutes deux sont également spongieuses, grasses, douces au toucher, et de concourir à la végétation par leur ductilité : ces caractères communs sont cause que ni les minéralogistes, ni même les chimistes, ne les ont pas assez distinguées, et que l’on trouve en plusieurs endroits de leurs écrits le nom de terre argileuse, au lieu de celui de terre limoneuse. Cependant il est très essentiel de ne les pas confondre, et de convenir avec nous que les terres primitives et simples peuvent se réduire à trois : l’argile, la craie et la terre limoneuse, qui toutes trois diffèrent par leur essence autant que par leur origine.

Et quoique la craie ou terre calcaire puisse être regardée comme une terre animale, puisqu’elle n’a été produite que par les détriments des coquilles, elle est néanmoins plus éloignée que l’argile de la nature de la terre végétale ; car cette terre calcaire ne devient jamais aussi ductile : elle se refuse longtemps à toute fécondation ; la sécheresse de ses molécules est si grande, et les principes organiques qu’elle contient sont en si petite quantité, que par elle-même elle demeurerait stérile à jamais, si le mélange de la terre végétale ou de l’argile ne lui communiquait pas les éléments de la fécondation. Nous avons déjà eu occasion d’observer que les pays de craie et de pierre calcaire sont beaucoup moins fertiles que ceux d’argile et de cailloux vitreux : ces mêmes cailloux, loin de nuire à la fécondité, y contribuent en se décomposant ; leur surface blanchit à l’air, et s’exfolie avec le temps en poussière douce et ductile ; et comme cette poussière se trouve en même temps imprégnée du limon des rosées et des pluies, elle forme bientôt une excellente terre végétale, au lieu que la pierre calcaire, quoique réduite en poudre, ne devient pas ductile, mais demeure aride, et n’acquiert jamais autant d’affinité que l’argile avec la terre végétale : il lui faut donc beaucoup plus de temps qu’à l’argile pour s’atténuer au point de devenir féconde. Au reste, toute terre purement calcaire, et tout sable encore aigre et purement vitreux, sont à peu près également impropres à la végétation, parce que le sable vitreux et la craie ne sont pas encore assez décomposés, et n’ont pas acquis le degré de ductilité nécessaire pour entrer seuls dans la composition des êtres organisés.

Et comme l’air et l’eau contribuent beaucoup plus que la terre à l’accroissement des végétaux, et que des expériences bien faites nous ont démontré que dans un arbre, quelque solide qu’il soit, la quantité de terre qu’il a consommée pour son accroissement ne fait qu’une très petite portion de son poids et de son volume, il est nécessaire que la majeure et très majeure partie de sa masse entière ait été formée par les trois autres éléments, l’air, l’eau et le feu : les particules de la lumière et de la chaleur se sont fixées avec les parties aériennes et aqueuses pendant tout le temps du développement de toutes les parties du végétal. Le terreau et le limon sont donc produits originairement par ces trois premiers éléments combinés avec une très petite portion de terre : aussi la terre végétale contient-elle très abondamment et très évidemment tous les principes des quatre éléments réunis aux molécules organiques, et c’est par cette raison qu’elle devient la mère de tous les êtres organisés et la matrice de tous les corps figurés.

J’ai rapporté, dans mon Mémoire sur la force du bois[13], des essais sur différentes terres dont j’avais fait remplir de grandes caisses, et dans lesquelles j’ai semé des graines de plusieurs arbres : ces épreuves suffisent pour démontrer que ni les sables calcaires, ni les argiles, ni les terreaux trop nouveaux, ni les fumiers, tous pris séparément, ne sont propres à la végétation ; que les graines les plus fortes, telles que les glands, ne poussent que de très faibles racines dans toutes ces matières, où ils ne font que languir et périssent bientôt : la terre végétale elle-même, lorsqu’elle est réduite en parfait limon et en bol, est alors trop compacte pour que les racines des plantes délicates puissent y pénétrer ; la meilleure terre, après la terre de jardin, est celle qu’on appelle terre franche, qui n’est ni trop massive, ni trop légère, ni trop grasse, ni trop maigre, qui peut admettre l’eau des pluies, sans la laisser trop promptement cribler, et qui néanmoins ne la retient pas assez pour qu’elle y croupisse. Mais c’est au grand art de l’agriculture que l’histoire naturelle doit renvoyer l’examen particulier des propriétés et qualités des différentes terres soumises à la culture : l’expérience du laboureur donnera souvent des résultats que la vue du naturaliste n’aura pas aperçus.

Dans les pays habités, et surtout dans ceux où la population est nombreuse et où presque toutes les terres sont en culture, la quantité de terre végétale diminue de siècle en siècle, non seulement parce que les engrais qu’on fournit à la terre ne peuvent équivaloir à la quantité des productions qu’on en tire, et qu’ordinairement le fermier avide ou le propriétaire passager, plus pressés de jouir que de conserver, effruitent, affament leurs terres en les faisant porter au delà de leurs forces, mais encore parce que cette culture donnant d’autant plus de produit que la terre est plus travaillée, plus divisée, elle fait qu’en même temps la terre est plus aisément entraînée par les eaux : ses parties les plus fines et les plus substantielles, dissoutes ou délayées, descendent par les ruisseaux dans les rivières, et des rivières à la mer ; chaque orage en été, chaque grande pluie d’hiver, charge toutes les eaux courantes d’un limon jaune, dont la quantité est trop considérable pour que toutes les forces et tous les soins de l’homme puissent jamais en réparer la perte par de nouveaux amendements : cette déperdition est si grande et se renouvelle si souvent qu’on ne peut même s’empêcher d’être étonné que la stérilité n’arrive pas plus tôt, surtout dans les terrains qui sont en pente sur les coteaux. Les terres qui les couvraient étaient autrefois grasses, et sont déjà devenues maigres à force de culture ; elles le deviendront toujours de plus en plus, jusqu’à ce qu’étant abandonnées à cause de leur stérilité, elles puissent reprendre, sous la forme de friche, les poussières de l’air et des eaux, le limon des rosées et pluies, et les autres secours de la nature bienfaisante, qui toujours travaille à rétablir ce que l’homme ne cesse de détruire.


Notes de Buffon
  1. M. Nadault, ayant fait quelques expériences sur cette terre limoneuse la plus grasse, m’a communiqué la note suivante : « Cette terre étant très ductile et pétrissable, j’en ai, dit-il, formé sans peine de petits gâteaux qui se sont promptement imbibés d’eau et renflés, et qui, en se desséchant, se sont raccourcis selon leurs dimensions : l’eau-forte avec cette terre n’a produit ni ébullition ni effervescence ; elle est tombée au fond de la liqueur sans s’y dissoudre, comme l’argile la plus pure. J’en ai mis dans un creuset à un feu de charbon assez modéré avec de l’argile : celle-ci s’y est durcie à l’ordinaire jusqu’à un certain point ; mais l’autre au contraire, quoique avec toutes les qualités apparentes de l’argile, s’est extrêmement raréfiée, et a perdu beaucoup de son poids ; elle a acquis, à la vérité, un peu de consistance et de solidité à sa superficie, mais cependant si peu de dureté qu’elle s’est réduite en poussière entre mes doigts. J’ai fait ensuite éprouver à cette terre le degré de chaleur nécessaire pour la parfaite cuisson de la brique : les gâteaux se sont alors déformés ; ils ont beaucoup diminué de volume, se sont durcis au point de résister au burin, et leur superficie devenue noire, au lieu d’avoir rougi comme l’argile, s’est émaillée, de sorte que cette terre en cet état approchait déjà de la vitrification ; ces mêmes gâteaux, remis une seconde fois au fourneau et au même degré de chaleur, se sont convertis en un véritable verre d’une couleur obscure, tandis qu’une semblable cuisson a seulement changé en bleu foncé la couleur rouge de l’argile, en lui procurant un peu plus de dureté ; et j’ai en effet éprouvé qu’il n’y avait qu’un feu de forge qui pût vitrifier celle-ci. » Note remise par M. Nadault à M. de Buffon, en 1774.
  2. « La terre limoneuse, que l’on nomme communément herbue parce qu’elle gît sous l’herbe ou le gazon, étant appliquée sur le fer que l’on chauffe au degré de feu pour le souder, se gonfle et se réduit en un mâchefer noir vitreux et sonore. » Remarque de M. de Grignon.
  3. « On peut se faire une idée de la quantité de mines de fer qu’on tire de la terre, dans le seul royaume de France, par le calcul suivant :
    » Les mines
    de Dauphiné 40 livres
    de fonte pour cent livres de mine.
    de Bretagne 43
    de Bourgogne 30
    de Champagne 33
    de Normandie 30
    de Franche-Comté 36
    de Berry 34

    » Ce produit est le terme moyen dans chacune de ces provinces : la variété générale est de 16 à 50 pour cent.

    » L’on peut regarder, pour terme moyen du produit des mines de France, 33 pour cent, qui est aussi le plus général.

    » Le poids commun des mines lavées et préparées pour être fondues est de 115 livres le pied cube.

    » Il faut, sur ce pied, 22 1/2 pieds cubes de mine pour produire un mille de fonte, qui rend communément 667 livres de fer forgé.

    » Il y a en France environ cinq cents fourneaux de fonderie qui produisent annuellement 300 millions de fonte, dont 1/6 passe dans le commerce en fonte moulée ; les 5/6 restants sont convertis en fer, et en produisent 168 millions, qui est le produit annuel, à peu de chose près, de la fabrication des forges françaises.

    » 300 millions de fonte, à raison de 22 1/2 pieds cubes de minerai par mille, donnent 7 millions 950 000 pieds cubes de minerai, équivalant à 36 805 toises 120 pieds cubes.

    » Or, comme le minerai de fer, surtout celui qui se retire de minières formées par alluvion, telles que sont celles de la majeure partie de nos provinces, est mélangé de terre, de sable, de pierres et de coquilles fossiles, qui sont des matières étrangères que l’on en sépare par le lavage ; que ces matières excèdent deux, trois, et souvent quatre fois le volume du minerai, qui en est séparé par le lavage, le crible et l’égrappoir, on peut donc tripler la masse générale du minerai extrait annuellement en France des minières, et la porter à 110 416 toises cubes, qui est le total de l’extraction annuelle des mines, non compris les déblais qui les recouvrent. » Note communiquée par M. de Grignon.

    En prenant 1 pied d’épaisseur pour mesure moyenne des mines en grains que l’on exploite en France, on a remué pour cela 662 496 toises d’étendue sur 1 pied d’épaisseur, ce qui fait 736 arpents de 900 toises chacun, et 96 toises de plus de terrain qu’on épuise de minerai chaque année, et pendant un siècle 73 160 arpents.

  4. On connaît les grandes roches de fer qui se trouvent en Suède, en Russie et en Sibérie, et quelques voyageurs m’ont assuré que la plus grande partie du haut terrain de la Laponie n’est pour ainsi dire qu’une masse ferrugineuse.
  5. Hist. naturelle du Languedoc, t. Ier, p. 189.
  6. « Les herborisations que j’ai faites, dit-il, dans la forêt de Vierzon, m’ont conduit si près d’une mine d’ocre que je n’ai pu me dispenser d’aller l’examiner. On n’en voit pas beaucoup de cette espèce, et j’ai même ouï dire que c’était la seule qui fût en France : elle appartient à un marchand de Tours, qui la fait exploiter ; elle est située dans la seigneurie de la Beuvrière, paroisse de Saint-George, à deux lieues de Vierzon, sur les bords du Cher. Lorsque j’y suis arrivé, les puits étaient remplis d’eau, à l’exception d’un seul dans lequel je suis descendu : il est au milieu d’un champ dont la superficie est un peu sablonneuse, blanchâtre, sans que la terre soit cependant trop maigre. L’ouverture de ce puits est un carré, dont chacun des côtés peut avoir une toise et demie ; sa profondeur est de dix-huit ou vingt toises ; ce ne sont d’abord que différents lits de terre commune et d’un sable rougeâtre : on traverse ensuite un massif de grès fort tendre, dont le grain est fin et se durcit beaucoup à l’air ; cette masse est épaisse d’environ vingt-quatre pieds ; suivent ensuite différents lits de terre argileuse et de cailloutage ; enfin vient un banc de sablon très fin, blanc et de l’épaisseur d’un pied : c’est immédiatement au-dessous de ce banc de sable que se trouve la première veine d’ocre. Cette veine a la même épaisseur que le banc de sablon : elle est horizontale autant que j’en ai pu juger ; et, comme on l’aperçoit tout autour du puits, je n’ai pu décider si elle court du midi au nord, ou si elle suit une autre direction.

    » Ce lit d’ocre est suivi par un autre banc de sablon, et celui-ci par une autre veine d’ocre, et le mineur m’a assuré qu’en creusant davantage, on voit aussi différents lits d’ocre et de sable se succéder les uns aux autres ; je n’en ai vu que deux lits de chacun, parce que le puits où je suis descendu était tout nouvellement fait. L’ocre est molle, grasse et parfaitement homogène ; c’est une chose assez singulière que la nature ait ainsi réuni les deux contraires, le sable et l’ocre, savoir la matière la moins liante avec celle qui paraît avoir le plus de ductilité, et cela sans le moindre mélange ; car la séparation des veines de sable et d’ocre est parfaite, et n’est pour ainsi dire qu’une ligne géométrique. Quand je dis que les veines d’ocre sont si pures, j’entends qu’il n’y a aucun mélange de sable, et je ne parle pas de quelques noyaux durs, ferrugineux et de la grosseur du poing, qui sont de véritables pierres œtites, car on en trouve assez fréquemment dans l’ocre ; leur surface est à peu près ronde, et l’épaisseur de la croûte d’environ deux lignes : elles contiennent un peu d’ocre mêlée d’une terre ferrugineuse et friable. On n’emploie point d’autre machine pour tirer l’ocre de la carrière que le tourniquet simple dont se servent nos potiers de terre des environs de Paris ; elle est pâle et presque blanche dans la veine, et jaunit à mesure qu’elle sèche, mais elle devient rouge quand on la calcine : le sablon qui l’environne n’a de particulier que quelques brillants talqueux, dont il est semé, et son goût vitriolique assez considérable. Toute cette mine est fort humide, et, malgré la largeur de l’ouverture, l’eau qui distillait des côtés formait an bas une pluie fort incommode : cette eau sentait aussi le vitriol, et rougissait avec l’infusion de noix de galle. » Observations d’histoire naturelle ; Paris, 1739, p. 118.

  7. Les trous que l’on ouvre pour tirer l’ocre n’ont au plus que trente pieds de profondeur… Les matières qui précèdent l’ocre sont : 1o  un banc de sable terreux ; 2o  un banc de glaise qui est d’un blanc cendré ou d’un bleuâtre tirant sur le noir, qui sert à faire de la poterie : ce banc est fort épais ; 3o  un autre banc de glaise de couleur tirant sur le violet : il est tantôt plus violet que rouge, tantôt plus rouge que violet ; 4o  un petit banc, ou plutôt un lit d’une espèce de grès jaune ou d’un brun jaunâtre ; 5o  le banc d’ocre, dont l’épaisseur fait au moins le tiers de la hauteur de l’excavation ; et 6o  un banc de sable qui est sous l’ocre et qu’on ne perce jamais… L’ocre est très jaune lorsqu’on la tire de la terre ; elle est toujours alors un peu mouillée ; elle prend à la superficie, en se desséchant, une couleur légèrement cendrée. Pour la tirer, on la détache du banc en assez gros quartiers avec des coins de bois coniques, que l’on frappe d’un maillet de bois. Mémoire de l’Académie des sciences, année 1762, p. 155 et suiv.
  8. On trouve au-dessus de cette mine d’ocre : 1o  quatre à cinq pieds de terre commune ; 2o  quinze à seize pieds d’une terre argileuse mêlée de cailloutage ; 3o  trois et quatre pieds de gros sable rouge ; 4o  cinq à six pieds d’un grès gris et luisant, quelquefois si dur qu’on est obligé d’employer la poudre pour le rompre ; 3o  dix à vingt pieds d’une terre brune plus ferme et plus solide que l’argile ; 6o  deux ou trois pieds d’une terre jaunâtre aussi fort dure ; 7o  le banc d’ocre qui n’a tout au plus que huit à neuf pouces d’épaisseur ; 8o  un sable passablement fin dont on ne connaît pas la profondeur… Ici l’ocre ne se trouve point par quartiers séparés, elle forme un lit continu dans toute sa longueur, et conserve presque partout son épaisseur ; elle est tendre dans la mine, et on la coupe aisément avec la bêche ; elle est originairement d’un jaune foncé, mais elle pâlit un peu, et durcit en se séchant. L’ocre n’est point mélangée de glaise d’aucune couleur… et elle ne renferme aucun caillou dans son intérieur ; seulement il y a par-dessous une espèce de gravier de l’épaisseur de deux à trois doigts. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 153 et suiv.
  9. Cette carrière est ouverte : 1o  dans une terre labourable : cette terre est maigre, blanchâtre et a peu de consistance ; elle peut avoir environ trois pieds d’épaisseur ; 2o  cinq à six pieds d’une terre grise propre à faire de la poterie ; 3o  huit à neuf pieds d’une autre terre (l’auteur n’en dit pas la nature, mais il est à présumer que c’est aussi une espèce de glaise) ; 4o  environ un pouce d’une terre couleur de lie de vin ; 5o  environ un pouce d’une matière pyriteuse qui ressemble à du potin ; 6o  le banc d’ocre, qui a huit ou neuf pouces et quelquefois un pied d’épaisseur ; 7o  un sable verdâtre qu’on ne perce pas. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 153 et suiv.
  10. C’est plutôt que le travail de la nature expire sur ces extrémités polaires ensevelies déjà par les progrès du refroidissement, et qui sont à jamais perdues pour la nature vivante.
  11. Voyez les Observations de M. Forster, à la suite du Second Voyage de Cook, t. V, p. 30 et suiv.
  12. Voyez les Époques de la Nature, article des laves, t. II.
  13. Voyez t. XI de cette édition.
Notes de l’éditeur
  1. Buffon paraît commettre une erreur quand il dit que les végétaux rendent à la terre une quantité de fer plus grande que celle qu’ils ont puisée dans la terre elle-même, mais il attribue évidemment cet excédent à l’eau, car il ajoute : « Ils reçoivent autant et plus de nourriture de l’air et de l’eau que de la terre. »
  2. Carbone.
  3. La composition chimique de la terre végétale est beaucoup plus complexe que ne paraît le croire Buffon. [Note de Wikisource : L’éditeur se trompe en croyant que Buffon donne ici la composition de la terre végétale ; il décrit plutôt la composition des pyrites. Celles-ci sont des cristaux métalliques légèrement dorés, formés de disulfure de fer FeS2 : Buffon se trompe donc essentiellement en faisant entrer dans leur composition du carbone, et commet une légère erreur en parlant d’acide (entendez : acide sulfurique) et de terre ferrugineuse mêlés, au lieu de soufre et de fer. Ses vues sur la formation des pyrites sont globalement justes : dans les schistes et les argiles, les pyrites sont formées à partir du soufre produit par la dégradation de protéines organiques riches en soufre et à partir des ions ferreux issus principalement de la roche, et en plus petite partie de la décomposition de la matière organique. La dégradation des protéines et la libération du fer organique sont cependant dues non pas au travail de l’air et de l’eau, comme le pense Buffon, mais à la décomposition de la matière organique par des bactéries pouvant vivre en l’absence d’oxygène. De manière générale, Buffon ignore le rôle des micro-organismes anaérobies dans la minéralisation des matières organiques (qui conduit à la formation de la terre végétale et de la tourbe, puis, dans des conditions géologiques favorables, du charbon, du pétrole, etc.), attribuant leur action à l’érosion aérienne ou à l’infiltration des eaux.]
  4. Le diamant est du carbone pur. [Note de Wikisource : Tout le passage sur la formation du diamant est erroné. Voyez les notes à l’article du diamant.]