Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1/Pensées/Article 23

Hachette (tome Ip. 352-359).


ARTICLE XXIII[1]


1.

Commencement. — Les miracles discernent la doctrine, et la doctrine discerne les miracles[2].


2.

Il y en a de faux et de vrais. Il faut une marque pour les connoître ; autrement ils seroient inutiles. Or, ils ne sont pas inutiles, et sont au contraire fondement. Or, il faut que la règle qu’il nous donne soit telle, qu’elle ne détruise pas la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité, qui est la fin principale des miracles.

Moïse en a donné deux : que la prédiction n’arrive pas, Deut., xviii, 22, et qu’ils ne mènent point à l’idolâtrie[3], Deut., xiii, 4 ; et Jésus-Christ une[4].

Si la doctrine règle les miracles, les miracles sont inutiles pour la doctrine. Si les miracles règlent...

... Dans le Vieux Testament, quand on vous détournera de Dieu. Dans le Nouveau, quand on vous détournera de Jésus-Christ. Voilà les occasions d’exclusion à la foi des miracles, marquées. Il ne faut pas y donner d’autres exclusions.

... S’ensuit-il de là qu’ils auroient droit d’exclure tous les prophètes qui leur sont venus ? Non. Ils eussent péché en n’excluant pas ceux qui nioient Dieu, et aussi péché d’exclure ceux qui ne nioient pas Dieu.

D’abord donc qu’on voit un miracle, il faut, ou se soumettre, ou avoir d’étranges marques du contraire. Il faut voir s’ils nient ou un Dieu, ou Jésus-Christ, ou l’Église.

S’il n’y avoit point de faux miracles, il y auroit certitude. S’il n’y avoit point de règle pour les discerner, les miracles seroient inutiles, et il n’y auroit pas de raison de croire. Or, il n’y a pas humainement de certitude humaine, mais raison.


3.

Toute religion est fausse, qui, dans sa foi, n’adore pas un Dieu comme principe de toutes choses, et qui, dans sa morale, n’aime pas un seul Dieu comme objet de toutes choses. Les juifs avoient une doctrine de Dieu comme nous en avons une de Jésus-Christ, et confirmée par miracles ; et défense de croire à tous faiseurs de miracles, et, de plus, ordre de recourir aux grands prêtres, et de s’en tenir à eux. Et ainsi toutes les raisons que nous avons pour refuser de croire les faiseurs de miracles, ils les avoient à l’égard de leurs prophètes. Et cependant ils étoient très-coupables de refuser les prophètes, à cause de leurs miracles, et Jésus-Christ ; et n’eussent pas été coupables s’ils n’eussent point vu les miracles : Nisi fecissem, peccatum non haberent[5]. Donc toute la créance est sur les miracles.

Les preuves que Jésus-Christ et les apôtres tirent de l’Écriture ne sont pas démonstratives ; car ils disent seulement que Moïse a dit qu’un prophète viendroit, mais ils ne prouvent pas par là que ce soit celui-là, et c’étoit toute la question. Ces passages ne servent donc qu’à montrer qu’on n’est pas contraire à l’Écriture, et qu’il n’y paroît point de répugnance, mais non pas qu’il y ait accord Or, cela suffit, exclusion de répugnance, avec miracles.


4.

Jésus-Christ dit que les Écritures témoignent de lui, mais il ne montre pas en quoi.

Même les prophéties ne pouvoient pas prouver Jésus-Christ pendant sa vie. Et ainsi on n’eût pas été coupable de ne pas croire en lui avant sa mort, si lesmiracles n’eussent pas suffi sans la doctrine. Or, ceux qui ne croyoient pas en lui encore vivant étoient pécheurs, comme il le dit lui-même, et sans excuse. Donc il falloit qu’ils eussent une démonstration à laquelle ils résistassent. Or, ils n’avoient pas[6]…, mais seulement les miracles ; donc ils suffisent, quand la doctrine n’est pas contraire, et on doit y croire.

Jésus-Christ a vérifié qu’il étoit le Messie, jamais en vérifiant sa doctrine sur l’Écriture et les prophéties, et toujours par ses miracles. Il prouve qu’il remet les péchés, par un miracle.

Nicodème reconnoît par ses miracles[7], que sa doctrine est de Dieu : Scimus quia a Deo venisti, magister ; nemo enim potest hæc signa facere quæ tu facis, nisi fuerit Deus cum eo[8]. Il ne juge pas des miracles par la doctrine, mais de la doctrine par les miracles.

Il y a un devoir réciproque entre Dieu et les hommes. Quid debui[9]? « Accusez-moi, dit Dieu dans Isaïe. Dieu doit accomplir ses promesses, » etc.

Les hommes doivent à Dieu de recevoir la religion qu’il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur. Or, ils croient induits en erreur, si les faiseurs de miracles annoncoient une doctrine qui ne parût pas visiblement fausse aux lumières du sens commun, et si un plus grand faiseur de miracles n’avoit déjà averti de ne les pas croire. Ainsi, s’il y avoit division dans l’Église, et que les ariens, par exemple, qui se disoient fondés en l’Écriture comme les catholiques, eussent fait des miracles, et non les catholiques, on eût été induit en erreur. Car, comme un homme qui nous annonce les secrets de Dieu n’est pas digne d’être cru sur son autorité privée, et que c’est pour cela que les impies en doutent : aussi un homme qui, pour marque de la communication qu’il a avec Dieu, ressuscite les morts, prédit l’avenir, transporte les mers, guérit les maladies, il n’y a point d’impie qui ne s’y rende, et l’incrédulité de Pharao et des pharisiens est l’effet d’un endurcissement surnaturel. Quand donc on voit les miracles et la doctrine non suspecte tout ensemble d’un côté, il n’y a pas de difficulté. Mais quand on voit les miracles et la doctrine suspecte d’un même côté, alors il faut voir quel est le plus clair. Jésus-Christ étoit suspect.

Il y a bien de la différence entre tenter, et induire en erreur. Diet tente,mais il n’induit pas en erreur. Tenter est procurer les occasions, qui n’imposant point de nécessité, si on n’aime pas Dieu, on fera une certaine chose. Induire en erreur est mettre l’homme dans la nécessité de conclure et suivre une fausseté.

Il est impossible, par le devoir de Dieu, qu’un homme cachant sa mauvaise doctrine, et n’en faisant paroître qu’une bonne, et se disant conforme à Dieu et à l’Église, fasse des miracles pour couler insensiblement une doctrine fausse et subtile : cela ne se peut. Et encore moins que Dieu, qui connoît les cœurs, fasse des miracles en faveur d’un tel[10].


5.

Il y a bien de la différence entre n’être pas pour Jésus-Christ, et le dire ; ou n’être pas pour Jésus-Christ, et feindre d’en être. Les uns peuvent faire des miracles, non les autres ; car il est clair des uns qu’ils sont contre la vérité, non des autres ; et ainsi les miracles sont plus clairs.

Les miracles discernent aux choses douteuses : entre les peuples juif et païen ; juif et chrétien ; catholique, hérétique ; calomniés, calomniateurs ; entre les deux croix[11]. Mais aux hérétiques les miracles seroient inutiles ; car l’Église, autorisée par les miracles qui ont préoccupé la créance, nous dit qu’ils n’ont pas la vraie foi. Il n’y a pas de doute qu’ils n’y sont pas, puisque les premiers miracles de l’Église excluent la foi des leurs. Il y a ainsi miracle contre miracle, et premiers et plus grands du côté de l’Église.

Contestation. — Abel, Caïn[12]. Moïse, magiciens. Élie, faux prophètes. Jérémie, Ananias. Michée, faux prophètes. Jésus-Christ, pharisien. Saint Paul, Barjésu[13]. Apôtres, exorcistes[14]. Les chrétiens et les infidèles. Les catholiques, les hérétiques. Élie, Énoch, Antechrist. Toujours le vrai prévaut en miracles. Les deux croix.

Jamais en la contention du vrai Dieu, de la vérité de la religion, il n’est arrivé miracle du côté de l’erreur, et non de la vérité.

Jean, vii, 40. Contestation entre les juifs, comme entre les chrétiens aujourd’hui. Les uns croyoient en Jésus-Christ, les autres ne le croyoient pas, à cause des prophéties qui disoient qu’il devoit naître de Bethléem. Ils devoient mieux prendre garde s’il n’en étoit pas. Car ces miracles étant convaincans, ils devoient s’assurer de ces prétendues contradictions de sa doctrine à l’Écriture ; et cette obscurité ne les excusoit pas, mais les aveugloit. Ainsi ceux qui refusent de croire les miracles d’aujourd’hui, par une prétendue contradiction chimérique, ne sont pas excusés.

Jésus-Christ guérit l’aveugle-né, et fit quantité de miracles, au jour du sabbat. Par où il aveugloit les pharisiens, qui disoient qu’il falloit juger des miracles par la doctrine.

« Nous avons Moïse : mais celui-là, nous ne savons d’où il est[15]. » C’est ce qui est admirable, que vous ne savez d’où il est, et cependant il fait de tels miracles.

Jésus-Christ ne parloit ni contre Dieu, ni contre Moïse. L’Antéchrist et les faux prophètes, prédits par l’un et l’autre Testament, parleront ouvertement contre Dieu et contre Jésus-Christ. Qui seroit ennemi couvert, Dieu ne permettrait pas qu’il fît des miracles ouvertement.

[16]S’il y a un Dieu, il falloit que la foi de Dieu fût sur la terre. Or les miracles de Jésus-Christ ne sont pas prédits par l’Antechrist, mais les miracles de l’Antéchrist sont prédits par Jésus-Christ ; et ainsi, si Jésus-Christ n’étoit pas le Messie, il auroit bien induit en erreur[17] ; mais l’Antechrist ne peut bien induire en erreur. Quand Jésus-Christ a prédit les miracles de l’Antechrist, a-t-il cru détruire la foi de ses propres miracles ? Moïse a prédit Jésus-Christ, et ordonné de le suivre ; Jésus-Christ a prédit l’Antechrist, et défendu de le suivre.

Il étoit impossible qu’au temps de Moïse on réservât sa croyance à l’Antechrist, qui leur étoit inconnu ; mais il est bien aisé, au temps de l’Antechrist, de croire en Jésus-Christ, déjà connu.

Il n’y a nulle raison de croire en l’Antechrist, qui ne soit à croire en Jésus-Christ ; mais il y en a en Jésus-Christ, qui ne sont pas en l’autre.


6.

Les miracles sont plus importans que vous ne pensez : ils ont servi à la fondation, et serviront à la continuation de l’Église, jusqu’à l’Antechrist, jusqu’à la fin.

Ou Dieu a confondu les faux miracles, ou il les a prédits ; et par l’un et l’autre il s’est élevé au-dessus de ce qui est surnaturel à notre égard, et nous y a élevés nous-mêmes.

Les miracles ont une telle force, qu’il a fallu que Dieu ait averti qu’on n’y pense point contre lui, tout clair qu’il soit qu’il y a un Dieu ; sans quoi ils eussent été capables de troubler.

Et ainsi tant s’en faut que ces passages, Deut., xiii, fassent contre l’autorité des miracles, que rien n’en marque davantage la force. Et de même pour l’Antechrist : « Jusqu’à séduire les élus, s’il étoit possible. »


7.

Raisons pourquoi on ne croit point. — Ce qui fait qu’on ne croit pas les vrais miracles, est le manque de charité. Joh. : Sed vos non creditis, quia non estis ex ovibus[18]. Ce qui fait croire les faux est le manque de charité, II Thess., ii, 10.

D’où vient qu’on croit tant de menteurs qui disent qu’ils ont vu des miracles, et qu’on ne croit aucun de ceux qui disent qu’ils ont des secrets pour rendre l’homme immortel ou pour rajeunir. — Ayant considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes, jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il yen a de vrais ; car il ne seroit pas possible qu’il y en eût tant de faux, et qu’on y donnât tant de créance, s’il n’y en avoit de véritables. Si jamais il n’y eût eu remède à aucun mal, et que tous les maux eussent été incurables, il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu’ils en pourraient donner ; et encore plus que tant d’autres eussent donné croyance à ceux qui se fussent vantés d’en avoir : de même que, si un homme se vantoit d’empêcher de mourir, personne ne le croiroit, parce qu’il n’y a aucun exemple de cela. Mais comme il y a eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables, par la connoissance même des plus grands hommes, la créance des hommes s’est pliée par là ; et cela s’étant connu possible, on a conclu de là que cela étoit. Car le peuple raisonne ordinairement ainsi : Une chose est possible, donc elle est ; parce que la chose ne pouvant être niée en général, puisqu’il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple, qui ne peut pas discerner quels d’entre ces effets particuliers sont les véritables, les croit tous. De même, ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune, c’est qu’il y en a de vrais, comme le flux de la mer.

Il en est de même des prophéties, des miracles, des divinations par les songes, des sortiléges, etc. Car si de tout cela il n’y avoit jamais eu rien de véritable, on n’en auroit jamais rien cru : et ainsi au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles parce qu’il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu’il y a certainement de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, et qu’il n’yen a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais.

Il faut raisonner de la même sorte pour la religion ; car il ne seroit pas possible que les hommes se fussent imaginé tant de fausses religions, s’il n’yen avoit une véritable. L’objection à cela, c’est que les sauvages ont une religion : mais on répond à cela que c’est qu’ils en ont ouï parler, comme il paroît par le déluge, la circoncision, la croix de saint André, etc.


8.

Il est dit : « Croyez à l’Église, » mais il n’est pas dit : « Croyez aux miracles, » à cause que le dernier est naturel, et non pas le premier. L’un avoit besoin de précepte, non pas l’autre.


9.

Ces filles[19], étonnées de ce qu’on dit, qu’elles sont dans la voie de perdition ; que leurs confesseurs les mènent à Genève ; qu’ils leur inspirent que Jésus-Christ n’est point en l’eucharistie, ni en la droite du Père ; elles savent que tout cela est faux, elles s’offrent donc à Dieu en cet état : Vide si via iniquitatis in me est[20]. Qu’arrive-t-il là-dessus ? Ce lieu, qu’on dit être le temple du diable, Dieu en fait son temple. On dit qu’il faut en ôter les enfans : Dieu les y guérit[21]. On dit que c’est l’arsenal de l’enfer : Dieu en fait le sanctuaire de ses grâces. Enfin on les menace de toutes les fureurs et de toutes les vengeances du ciel ; et Dieu les comble de ses faveurs. Il faudroit avoir perdu le sens pour en conclure qu’elles sont dans la voie de perdition.

Pour affoiblir vos adversaires, vous désarmez toute l’Église.

.... S’ils disent[22] que notre salut dépend de Dieu, ce sont des hérétiques. S’ils disent qu’ils sont soumis au pape, c’est une hypocrisie. Ils sont prêts à souscrire toutes ses constitutions, cela ne suffit pas. S’ils disent qu’il ne faut pas tuer pour une pomme, ils combattent la morale des catholiques. S’il se fait des miracles parmi eux, ce n’est plus une marque de sainteté, et c’est au contraire un soupçon d’hérésie.

... Les trois marques de la religion : la perpétuité, la bonne vie, les miracles. Ils détruisent la perpétuité par la probabilité[23], la bonne vie par leur morale ; les miracles, en détruisant ou leur vérité, ou leur conséquence.

Si on les croit, l’Église n’aura que faire de perpétuité, sainte vie, miracles. Les hérétiques les nient, ou en nient la conséquence ; eux de même. Mais il faudroit n’avoir point de sincérité pour les nier, ou encore perdre le sens pour nier la conséquence.

... Quoi qu’il en soit, l’Église est sans preuves, s’ils ont raison. L’Église a trois sortes d’ennemis : les juifs, qui n’ont jamais été de son corps ; les hérétiques, qui s’en sont retirés ; et les mauvais chrétiens, qui la déchirent au dedans.

Ces trois sortes de différens adversaires la combattent d’ordinaire diversement.

Mais ici ils la combattent d’une même sorte. Comme ils sont tous sans miracles, et que l’Église a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le même intérêt à les éluder, et se sont tous servis de cette défaite : qu’il ne faut pas juger de la doctrine par les miracles. mais des miracles par la doctrine. Il y avoit deux partis entre ceux qui écoutoient Jésus-Christ : les uns qui suivoient sa doctrine par ses miracles ; les autres qui disoient... Il y avoit deux partis au temps de Calvin. Il y a maintenant les jésuites..., etc.

Ce n’étoit point ici le pays de la vérité : elle erre inconnue parmi les hommes. Dieu l’a couverte d’un voile, qui la laisse méconnoître à ceux qui n’entendent pas sa voix. Le lieu est ouvert au blasphème, et même sur des vérités au moins bien apparentes. Si l’on publie les vérités de l’Évangile, on en publie de contraires, et on obscurcit les questions en sorte que le peuple ne peut discerner. Et on demande : « Qu’avez-vous pour vous faire plutôt croire que les autres ? Quel signe faites-vous ? Vous n’avez que des paroles, et nous aussi. Si vous aviez des miracles, bien. » Cela est une vérité, que la doctrine doit être soutenue par les miracles, dont on abuse pour blasphémer la doctrine. Et si les miracles arrivent, on dit que les miracles ne suffisent pas sans la doctrine ; et c’est une autre vérité, pour blasphémer les miracles.

Que vous êtes aise de savoir les règles générales, pensant par là jeter le trouble, et rendre tout inutile ! On vous en empêchera, mon père : la vérité est une et ferme.


10.

Un miracle parmi les schismatiques n’est pas tant à craindre ; car le schisme, qui est plus visible que le miracle, marque visiblement leur erreur. Mais quand il n’y a point de schisme, et que l’erreur est en dispute, le miracle discerne.

Jean, ix,[24] : Non est hic homo a Deo, qui sabbatum non custodit. Alii : Quomodo potest homo peccator haec signa facere ? Lequel est le plus clair ?

« Cette maison n’est pas de Dieu ; car on n’y croit pas que les cinq propositions soient dans Jansénius. » Les autres : « Cette maison est de Dieu ; car il y fait d’étranges miracles. » Lequel est le plus clair ?

Tu quid dicis ? Dico quia propheta est.Nisi esset hic a Deo, non poterat facere quidquam[25].

« Si vous ne croyez en moi, croyez au moins aux miracles. » Il les renvoie comme au plus fort.

Il avoit été dit aux juifs, aussi bien qu’aux chrétiens, qu’ils ne crussent pas toujours les prophètes. Mais néanmoins les pharisiens et les scribes font grand état de ses miracles, et essayent de montrer qu’ils sont faux, ou faits par le diable : étant nécessités d’être convaincus, s’ils reconnoissent qu’ils sont de Dieu.

Nous ne sommes pas aujourd’hui dans la peine de faire ce discernement. Il est pourtant bien facile à faire : ceux qui ne nient ni Dieu, ni Jésus-Christ, ne font point de miracles qui ne soient sûrs : Nemo faciat virtutem in nomine meo, et cito possit de me male loqui[26]. Mais nous n’avons point à faire ce discernement. Voici une relique sacrée. Voici une épine de la couronne du Sauveur du monde, en qui le prince de ce monde[27] n’a point puissance, qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous. Voici que Dieu choisit lui-même cette maison poury faire éclater sa puissance.

Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue et douteuse, qui nous obligeà un difficile discernement. C’est Dieu même ; c’est l’instrument de la passion de son Fils unique, qui, étant en plusieurs lieux, choisit celui-ci, et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs.

Les miracles ne sont plus nécessaires, à cause qu’on en a déjà. Mais quand on n’écoute plus la tradition, quand on ne propose plus que le pape, quand on l’a surpris, et qu’ainsi ayant exclu la vrai source de la vérité, qui est la tradition, et ayant prévenu le pape, qui en est le dépositaire, la vérité n’a plus de liberté de paroître : alors les hommes ne parlant plus de la vérité, la vérité doit parler elle-même aux hommes. C’est ce qui arriva au temps d’Arius.

Joh., vi, 26 : Non quia vidistis signa, sed saturati estis[28].

Ceux qui suivent Jésus-Christ à cause de ses miracles honorent sa puissance dans tous les miracles qu’elle produit ; mais ceux qui, en faisant profession de le suivre pour ses miracles, ne le suivent en effet que parce qu’il les console et les rassasie des biens du monde, ils déshonorent ses miracles, quand ils sont contraires à leurs commodités.

Juges injustes, ne faites pas des lois sur l’heure ; jugez par celles qui sont établies par vous-mêmes : Væ qui conditis leges iniquas[29].

La manière dont l’Église a subsisté est que la vérité a été sans contestation ; ou, si elle a été contestée, il y a eu le pape, et sinon, il y a eu l’Église.

Miracle. C’est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu’on y emploie ; et non-miracle est un effet qui n’excède pas la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Ainsi ceux qui guérissent par l’invocation du diable ne font pas un miracle ; car cela n’excède pas la force naturelle du diable. Mais...

Les miracles prouvent le pouvoir que Dieu a sur les cœurs par celui qu’il exerce sur les corps.

Il importe aux rois, aux princes, d’être en estime de piété ; et pour cela, il faut qu’ils se confessent à vous[30]. Les jansénistes ressemblent aux hérétiques par la réformation des mœurs ; mais vousleur ressemblez en mal.



  1. Article XVI de la seconde partie, dans Bossut.
  2. On lit encore à la page 475 du manuscrit : « Règle. Il faut juger de la doctrine par les miracles, il faut juger des miracles par la doctrine. Tout cela est vrai, mais cela ne se contredit pas. »
  3. La phrase serait plus claire s’il y avait : « Et qu’ils mènent à l’idolâtrie. »
  4. Marc, IX, 38 : « Il n’est pas possible qu’un homme fasse un miracle en mon nom, et qu’en même temps il parle mal de moi. »
  5. Jean, xv, 24.
  6. Ici un mot illisible. La Copie a lu, l’exposition.
  7. Par les miracles de Jésus-Christ.
  8. Jean, iii, 2.
  9. Isaïe, v, 4.
  10. D’un tel homme.
  11. Celle de Dieu et celle du larron.
  12. C’est le développement de la phrase qui commence le paragraphe précédent : «Les miracles discernent, etc.
  13. Saint Paul rendit Barjésu aveugle.
  14. Des exorcistes juifs voulurent lutter contre les apôtres.
  15. Jean, ix, 29.
  16. Avant ces mots, on lit dans le manuscrit : « Fondement de la religion. C’est les miracles. Quoi donc ! Dieu parle-t-il contre les fondemens de la foi qu’on a en lui ? »
  17. Bien induit, c’est-à-dire, induit par bonnes et justes raisons.
  18. Jean, x, 26.
  19. Les religieuses de Port-Royal.
  20. Ps. cxxxviii, 24.
  21. Allusion au miracle de la sainte épine.
  22. Si les jansénistes disent, on les traite d’hérétiques.
  23. Selon Pascal, les jésuites soutenaient qu’une opinion nouvelle, soutenue par un auteur grave, devenait probable.
  24. Verset 16.
  25. Jean, ix, 17 et 33.
  26. Marc, ix, 38.
  27. Le diable.
  28. « Vous me suivez, non pour le miracle que vous avez vu (le miracle des cinq pains), mais parce que vous avez été rassasiés. »
  29. Is., x, 1.
  30. Aux jésuites.