Œuvres complètes de Béranger/Le Convoi de David
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LE CONVOI DE DAVID o
Non, non, vous ne passerez pas,
Crie un soldat sur la frontière,
À ceux qui de David, hélas !
Rapportaient chez nous la poussière.
— Soldat, disent-ils dans leur deuil,
Proscrit-on aussi sa mémoire ?
Quoi ! vous repoussez son cercueil,
Et vous héritez de sa gloire !
chœur.
Fût-il privé de tous les biens,
Eût-il à trembler sous un maître,
Heureux qui meurt parmi les siens
Aux bords sacrés (bis.) qui l’ont vu naître ! (bis.)
Non, non, vous ne passerez pas,
Dit le soldat avec furie.
— Soldat, ses yeux jusqu’au trépas
Se sont tournés vers la patrie.
Il en soutenait la splendeur
Du fond d’un exil qui l’honore ;
C’est par lui que notre grandeur
Sur la toile respire encore.
chœur.
Fût-il privé de tous les biens,
Eût-il à trembler sous un maître,
Heureux qui meurt parmi les siens
Aux bords sacrés qui l’ont vu naître !
Non, non, vous ne passerez pas,
Redit plus bas la sentinelle.
— Le peintre de Léonidas
Dans la liberté n’a vu qu’elle.
On lui dut le noble appareil p
Des jours de joie et d’espérance,
Où les beaux-arts à leur réveil
Fêtaient le réveil de la France.
chœur.
Fût-il privé de tous les biens,
Eût-il à trembler sous un maître,
Heureux qui meurt parmi les siens
Aux bords sacrés qui l’ont vu naître !
Non, non, vous ne passerez pas,
Dit le soldat ; c’est ma consigne.
— Du plus grand de tous les soldats
Il fut le peintre le plus digne.
À l’aspect de l’aigle si fier,
Plein d’Homère et l’âme exaltée,
David crut peindre Jupiter,
Hélas ! il peignait Prométhée.
chœur.
Fût-il privé de tous les biens,
Eût-il à trembler sous un maître,
Heureux qui meurt parmi les siens
Aux bords sacrés qui l’ont vu naître !
Non, non, vous ne passerez pas,
Dit le soldat, devenu triste.
— Le héros après cent combats
Succombe, et l’on proscrit l’artiste.
Chez l’étranger la mort l’atteint :
Qu’il dut trouver sa coupe amère !
Aux cendres d’un génie éteint,
France, tends les bras d’une mère.
chœur.
Fût-il privé de tous les biens,
Eût-il à trembler sous un maître,
Heureux qui meurt parmi les siens
Aux bords sacrés qui l’ont vu naître !
Non, non, vous ne passerez pas,
Dit la sentinelle attendrie.
— Eh bien ! retournons sur nos pas.
Adieu, terre qu’il a chérie !
Les arts ont perdu le flambeau
Qui fit pâlir l’éclat de Rome.
Allons mendier un tombeau
Pour les restes de ce grand homme.
chœur.
Fût-il privé de tous les biens,
Eût-il à trembler sous un maître,
Heureux qui meurt parmi les siens
Aux bords sacrés qui l’ont vu naître !
o. Les enfants de ce grand peintre, ayant sollicité en vain l’autorisation de rapporter sa dépouille en France, ont été obligés de le faire inhumer dans une église de Bruxelles, après en avoir obtenu la permission du roi des Pays-Bas.
p. On lui dut le noble appareil.
On sait que David fut l’ordonnateur des cérémonies publiques qui eurent lieu au commencement de la révolution. Il faut ajouter qu’il eut la plus grande influence sur le mouvement imprimé aux arts par la révolution française.
Comme tous les réformateurs, David a dû pousser à l’exagération des principes avec lesquels il combattit l’école des Vanloo et des Boucher ; mais, malgré cette exagération, il n’en restera pas moins une de nos plus grandes gloires dans les arts.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
LE CONVOI DE DAVID.
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