Œuvres complètes de Béranger/L’Ombre d’Anacréon
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L’OMBRE D’ANACRÉON
Un jeune Grec sourit à des tombeaux :
Victoire ! il dit ; l’écho redit : Victoire !
Ô demi-dieux ! vous nos premiers flambeaux,
Trompez le styx, revoyez votre gloire !
Soudain sous un ciel enchanté
Une ombre apparaît et s’écrie :
« Doux enfant de la Liberté, (bis.)
« Le plaisir veut une patrie !
« Une patrie !
« Ô peuple grec ! c’est moi dont les destins
« Furent si doux chez tes aïeux si braves ;
« Quand ils chantaient l’amour dans leurs festins,
« Anacréon en chassait les esclaves.
« Jamais la tendre Volupté
« N’approcha d’une âme flétrie.
« Doux enfant de la Liberté,
« Le Plaisir veut une patrie !
« Une patrie !
« De l’aigle encor l’aile rase les cieux,
« Du rossignol les chants sont toujours tendres ;
« Toi, peuple grec, tes arts, tes lois, tes dieux,
« Qu’en as-tu fait ? qu’as-tu fait de nos cendres ?
« Tes fêtes passent sans gaîté
« Sur une rive encor fleurie.
« Doux enfant de la Liberté,
« Le Plaisir veut une patrie !
« Une patrie !
« Déja vainqueur, chante et vole au danger ;
« Brise tes fers : tu le peux, si tu l’oses.
« Sur nos débris, quoi ! le vil étranger
« Dort enivré du parfum de tes roses.
« Quoi ! payer avec la beauté
« Un tribut à la barbarie !
« Doux enfant de la Liberté,
« Le Plaisir veut une patrie !
« Une patrie !
« C’est trop rougir aux yeux du voyageur
« Qui d’Olympie évoque la mémoire.
« Frappe ! et ces bords, au gré d’un ciel vengeur,
« Reverdiront d’abondance et de gloire.
« Des tyrans le sang détesté
« Réchauffe une terre appauvrie.
« Doux enfant de la Liberté,
« Le Plaisir veut une patrie !
« Une patrie !
« À tes voisins n’emprunte que du fer :
« Tout peuple esclave est allié perfide.
« Mars va t’armer des feux de Jupiter ;
« Cher à Vénus, son étoile te guide[1] :
« Bacchus, dieu toujours indompté,
« Remplira ta coupe tarie.
« Doux enfant de la Liberté,
« Le Plaisir veut une patrie !
« Une patrie ! »
Il se rendort le sage de Téos.
La Grèce enfin suspend ses funérailles.
Thèbes, Corinthe, Athènes, Sparte, Argos,
Ivres d’espoir, exhumez vos murailles !
Vos vierges même ont répété
Ces mots d’une voix attendrie :
« Doux enfant de la Liberté,
« Le Plaisir veut une patrie !
« Une patrie ! »
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
↑ Haut
- ↑ Suivant M. Puqueville, les Grecs ont encore en adoration l’étoile de Vénus.