Œuvres complètes d’Hippocrate (trad. Littré)/tome 1/09

Traduction par Émile Littré.
Baillière (Tome premierp. 200-241).


CHAPITRE IX.

DE QUELQUES POINTS DE CHRONOLOGIE MÉDICALE.


Séparateur


Les deux chapitres précédents ont été consacrés à l’examen des faits et des principes qui ont servi de règle aux critiques tant anciens que modernes. J’ai montré les ressources que les premiers avaient possédées ; et, dans l’absence de leurs travaux spéciaux, j’ai cherché à réunir quelques motifs qui ont été donnés de leurs jugements, et qui sont disséminés çà et là, particulièrement dans les ouvrages de Galien. L’ensemble manque, il est vrai ; néanmoins il en résulte certains renseignements utiles, soit sur les auteurs auxquels ils attribuaient une collaboration dans la Collection hippocratique, soit sur les remarques particulières d’après lesquelles ils essayaient de motiver leurs décisions.

Les critiques modernes ont ouvert des aperçus nouveaux. J’ai discuté incidemment avec M. Link ce qui, dans les livres hippocratiques, a rapport aux doctrines physiologiques ou philosophiques ; il est resté positif que ces doctrines étaient plus vieilles qu’il ne l’avait supposé ; et, de cette façon encore, j’ai pu rattacher les systèmes généraux de la Collection aux systèmes qui avaient régné antérieurement, et dont j’ai présenté une esquisse dans le chapitre premier de cette Introduction. L’espèce de chronologie que des critiques modernes ont voulu établir entre les écrits hippocratiques, à l’aide de certaines découvertes anatomiques dont ils croyaient la date fixée, mérite une grande attention. Les bases en ont été, il est vrai, posées par eux ; mais elles m’ont paru avoir besoin et de rectification et d’extension ; et je me suis engagé dans des recherches dont j’expose ici au lecteur le résultat.

Les hippocratiques ont-ils distingué les veines des artères ? en quel point du corps ont-ils placé le commencement des vaisseaux sanguins ? ont-ils connu l’art d’explorer le pouls ou sphygmologie ? ont-ils confondu, sous le nom commun de chairs, le parenchyme des organes et les muscles eux-mêmes, et n’ont-ils jamais employé cette dernière dénomination pour désigner les organes qui servent à la contraction ? ont-ils connu les nerfs ? Enfin doit-on admettre qu’ils n’ont jamais examiné, à l’aide de la dissection, des parties du corps humain ? De ces questions l’une, à savoir celle qui est relative au commencement des vaisseaux sanguins, n’a jamais été complètement examinée, elle n’est que touchée par M. Dietz dans son édition du traité de la Maladie sacrée[1] ; les autres ont été diversement résolues ; toutes importent à la consolidation de la critique des livres hippocratiques.

Les auteurs d’histoire de la médecine ont généralement admis que la distinction des artères et des veines avait été faite très postérieurement à Hippocrate. Rien cependant n’est moins prouvé que cette assertion. La discussion de quelques passages de l’Histoire de la médecine de M. Hecker, va montrer que l’anatomie des vaisseaux sanguins a besoin, quant à la série de découvertes dont elle a été l’objet, d’être examinée de plus près, et surtout à l’aide des témoignages que nous fournit l’antiquité. Dioclès de Caryste, qui vivait peu de temps après Hippocrate, avait connu le livre des Articulations : M. Hecker en conclut que ce livre, qu’il dit n’être pas d’Hippocrate, avait été composé très peu de temps après ce médecin[2]. Que ce livre soit ou ne soit pas d’Hippocrate, c’est une question que je laisse de côté pour le moment ; toujours est-il que le livre des Articulations, quel qu’en soit l'auteur, est antérieur à Dioclès lui-même. Cela posé, voyons les conséquences qui en découlent, et auxquelles M. Hecker ne me paraît pas avoir fait assez attention. Il place Praxagore de Cos après Dioclès, et avec raison ; puis il attribue à Praxagore d’avoir découvert la distinction entre les veines et les artères[3]. Il y a contradiction entre cette assertion et l’assertion incontestable, selon M. Hecker et selon moi, que le livre des Articulations est antérieur à Dioclès ; car ce livre contient, en plusieurs endroits, la distinction des artères et des veines. « J’expliquerai ailleurs, dit l’auteur de ce traité, les communications des veines et des artères[4], » et ailleurs : « Les ligaments, les chairs, les artères et les veines présentent des différences pour la promptitude ou la lenteur avec laquelle ces parties deviennent noires et meurent[5]. » Ces citations montrent la distinction des artères et des veines à une époque antérieure à Dioclès, et, à plus forte raison, à Praxagore, auquel on ne peut laisser l’honneur de cette découverte sans faire violence à des textes précis. Dans tous les cas, il faut opter : ou placer la composition du traité des Articulations après Praxagore, ou admettre que les artères ont été distinguées des veines avant ce médecin. Mais, comme, en matière de critique littéraire, rien ne prévaut contre un témoignage positif, je ne vois pas ce qu’on pourrait opposer à ces deux faits que j’ai rapprochés, la connaissance des artères et des veines consignées dans le traité des Articulations, et la date de ce traité, placé sans contestation à une époque antérieure non seulement à Praxagore, mais à Dioclès lui-même.

Je pourrais me contenter de cet argument, et regarder comme décidée par l’affirmative la question de savoir si la distinction des veines et des artères a été connue avant Praxagore. Mais, dans une matière aussi peu connue que l’histoire médicale de cette période même qui a précédé Praxagore, je crois devoir réunir d’autres faits non moins probants, et donner quelques explications sur les confusions réelles qui ont existé dans l’ancien langage anatomique.

Aristote parle de la distinction des artères et des veines, et il ne remarque pas que cette distinction soit récente. « La peau, dit-il[6], est composée de veines, de ligaments (νεῦρα) et d’artères, de veines, car piquée, elle fournit du sang ; de ligaments, car elle possède de la tension ; d’artères, car elle a une expiration. Cette constitution de la peau suivant Aristote devint pour Érasistrate la constitution de tous les organes. D’après le médecin alexandrin, les principes constitutifs de tout le corps étaient une triple combinaison des nerfs, des veines et des artères[7].

Tout le morceau d’Aristote est curieux. Ce naturaliste ne paraît pas avoir d’idées précises sur la distinction entre les artères et les ramifications de la trachée-artère. Selon lui, les artères sont pleines d’air, les veines de sang ; l’homme a besoin d’esprits, et les esprits d’humeurs ; les artères s’unissent aux veines, et cela est manifeste aux sens[8]. Cette communication visible qui, d’après Aristote, existe entre les artères et les veines, est conforme au passage, cité plus haut, du traité des Articulations. On voit qu’il s’agit là de communications mal comprises entre les gros troncs des artères, des veines et des bronches, et non des communications que les modernes ont reconnues entre les extrémités des veines et des artères. Le passage d’Aristote sur la communauté des artères et des veines est très important ; car il explique celui du livre sur les Articulations, où on aurait pu être tenté de voir une anatomie beaucoup plus savante qu’elle ne l’est réellement. C’est donc encore un second fait qui montre que l’on ne peut accorder la découverte de la distinction des artères et des veines à Praxagore ; car la voilà dans les écrits d’Aristote. Ce n’est pas tout : Aristote ne s’en fait pas honneur ; il la rapporte comme un fait notoire ; de sorte qu’elle remonte encore au-delà de lui. Ces renseignements sont certains ; et il est encore possible d’aller beaucoup plus loin.

Diogène d’Apollonie, qui est antérieur à Hippocrate, plaçait l’intelligence dans la cavité artériaque du cœur, qui est aussi la cavité pneumatique[9]. Ce philosophe, qui admettait que la force gubernatrice, soit dans l’univers, soit dans l’homme, est l’air, a dû avoir une raison pour supposer que cette force résidait dans le ventricule gauche. Or, il est facile de trouver cette raison dans l’état des opinions anatomiques et physiologiques de ce temps. Diogène, tenant, comme beaucoup de ses contemporains, les artères pour pleines d’air, mit, dans le ventricule, le siége de cet air, source du mouvement et de l’intelligence. Je ne doute pas que les mots ventricule artériaque (ἀρτηριακὴ κοιλία) ne lui appartiennent ; car, s’il n’avait pas connu les artères, s’il ne les avait pas supposées pleines d’air, comment aurait-il été amené à faire siéger l’air dans un ventricule du cœur ? et comment n’aurait-il pas appelé artériaque le ventricule qui recevait l’aorte puisque les bronches, c’est-à-dire les vaisseaux de l’air, s’appelaient aussi aortes, comme je le dirai tout à l’heure ? Dans un autre endroit, Diogène parle de l’air qui est dans les veines[10] ; c’est qu’en effet, perpétuellement veine s’employait pour artère ; et dans les livres hippocratiques, on va le voir, des artères, suivant cet ancien langage, donnent naissance à des veines, et des veines, naissance à des artères.

Outre ces raisons, tirées de la physiologie de Diogène, le contexte de la citation même de Plutarque indiquerait que les mots cavité pneumatique sont ajoutés par cet auteur comme une explication des mots cavité artériaque. Cela est en effet : Érasistrate, dans un passage conservé par Galien, désigne le ventricule gauche du cœur par l’expression de cavité pneumatique[11] ; ce qui prouve que Plutarque a voulu donner réellement une synonymie.

L’opinion, que les hippocratiques n’ont pas connu les artères, est tellement enracinée dans les historiens de la médecine, que j’accumule sur ce point les textes et les raisonnements. Rien n’est plus encourageant pour la critique que le concours, vers une seule et même conclusion, de plusieurs faits qui viennent de points très-différents. Le dernier de ces faits est le témoignage d’Euryphon, le célèbre médecin cnidien, l’auteur des Sentences cnidiennes. Cælius Aurélianus a consacré un chapitre à l’étude de l’hémorrhagie. Il y rapporte les opinions des médecins sur la différence de la perte de sang. Thémison ne reconnaissait qu’une seule espèce d’hémorrhagie ; toutes, suivant lui, venaient d’une plaie. Asclépiade les divisait en hémorrhagies par éruption et par putréfaction. Érasistrate admettait comme différences l’éruption, la putréfaction et l’anastomose. Bacchius y ajoutait l’exsudation. Dans ce chapitre, Cælius Aurélianus dit : « Des médecins, Hippocrate, Euryphon, ont attribué l’hémorrhagie à une éruption de sang : Hippocrate par les veines seulement, Euryphon par les veines et les artères[12]. » Hippocrate appelle en effet les hémorrhagies éruptions de sang αἵματος ῥήξιες ; et, dans tous les passages où il en indique l’origine, il ne parle que des veines, par exemple, pour l’hémorrhagie rénale, pour l’hémorrhagie pulmonaire, pour l’hémorrhagie anale. Le témoignage de Cælius Aurélianus prouve qu’Euryphon attribuait l’hémorrhagie aussi bien aux artères qu’aux veines. Cela montre encore qu’Euryphon croyait les artères pleines de sang, et que les hippocratiques les croyaient pleines d’air.

Ainsi voilà quatre faits qui se corroborent mutuellement, et qui prouvent tous que la distinction des artères était connue bien long-temps avant Praxagore, car elle existe dans les livres d’Aristote, dans le traité des Articulations antérieur à Dioclès, dans Diogène d’Apollonie, et dans Euryphon, antérieurs à Hippocrate.

Le fait établi, il est encore quelques conséquences importantes à en tirer. La mention des artères n’est point isolée dans le traité des Articulations, elle se trouve encore : dans le traité des Chairs ou des Principes ; du Cœur ; dans la première partie du prétendu traité de la Nature des os ; dans la dernière partie qui était intitulée, dans les éditions de l’antiquité, des Veines, et qui faisait un appendice du livre des Instruments de réduction ; dans le traité de l’Aliment ; dans le 2e livre des Épidémies ; dans le 4e livre ; enfin dans le 7e. Ainsi, quoi qu’on en dise, cet emploi était fréquent. Il faut maintenant rapporter les principaux passages :

« De la veine cave et de l’artère, dit l’auteur du traité des Chairs, sortent d’autres veines qui se répandent dans tout le corps[13]. » Ainsi voilà des veines qui naissent de l’artère. C’est de cette façon qu’Aristote donne constamment le nom de veine à l’aorte ; et l’auteur du traité des Chairs dit de même : « Deux veines creuses sortent du cœur, appelées l’une artère, l’autre veine cave[14]. » Ce qu’Aristote nomme aorte est ici appelé artère.

Dans le fragment sur les veines, qui termine le prétendu traité de la Nature des os, on lit : « La veine principale qui longe l’épine se rend au cœur ; il en naît une veine très grande qui a plusieurs embouchures au cœur, et qui delà forme un tuyau jusqu’à la bouche, elle est nommée artère dans le poumon[15]. » On voit là comment les anciens ont confondu la trachée-artère avec les artères, comment ils ont étendu le nom de l’une aux autres ; on y voit encore comment l’auteur du traité des Articulations entend qu’il y a des communications entre les artères et les veines. Tout cela se trouve non seulement dans les hippocratiques, mais encore dans Aristote. Ce dernier dit : « Les dissections et le livre de l’Histoire des animaux enseignent de quelle manière le cœur a des ouvertures dans le poumon[16]. » Et dans ce même livre de l’Histoire des animaux : « La trachée-artère est attachée à la grande veine et au vaisseau appelé aorte… Le cœur aussi est attaché à la trachée-artère par des liens adipeux et cartilagineux. Ce qui sert d’attache au cœur est creux. La trachée-artère ayant été gonflée d’air… on voit, dans les grands animaux, que l’air pénètre dans le cœur[17]. » Les opinions anciennes se montrent clairement dans tous ces passages.

Je passe sous silence la mention des artères, laquelle se trouve dans la première portion du prétendu traité de la Nature des os, dans le livre de l’Aliment, dans le livre du Cœur, et dans le 4e livre des Épidémies ; je m’arrête seulement sur celle du 7e livre ; l’auteur, en parlant du battement qui se faisait remarquer aux tempes, dit dans un endroit : « Les artères des tempes battaient davantage ; » et dans un autre : « Les veines des tempes battaient[18]. » Ici veines et artères sont prises indifféremment l’une pour l’autre, et évidemment sans que l’usage du mot veine exclue la connaissance des artères.

Aristote nous apprend que quelques-uns nommaient aorte le grand vaisseau que les modernes appellent encore de ce nom. D’un autre côté, l’auteur du livre hippocratique des Lieux dans l’homme appelle les bronches aortes (ἀορταί) ; de sorte que nous avons encore là une preuve des rapports que les anciens admettaient entre les artères et les ramifications de la trachée. Les bronches sont appelées tantôt artères, tantôt aortes ; il y avait, dans le langage anatomique, de la confusion entre les bronches et les artères comme entre les artères et les veines.

Suivant Empédocle, l’inspiration et l’expiration se produisent parce qu’il y a des vaisseaux qui sont vides de sang, et qui s’étendent, d’une part, jusqu’aux ouvertures des narines, de l’autre, jusqu’aux dernières parties du corps[19]. C’est Aristote qui nous a conservé ce passage ; mais, en l’analysant, il dit que, dans le système d’Empédocle, la respiration se fait par des veines qui contiennent du sang, mais qui n’en sont pas remplies[20]. Il y a dans cette analyse deux inexactitudes : la première, c’est qu’Empédocle se sert, non du mot veines, mais d’un mot plus général, canaux ; au reste, l’emploi que fait Aristote du mot veine pour rendre le mot σύριγξ d’Empédocle, confirme mon opinion sur l’emploi du mot veine, φλεψ, dans les anciens livres grecs ; la seconde inexactitude porte sur la demi-plénitude des canaux. Empédocle dit positivement qu’ils sont vides de sang ; ce liquide n’y pénètre, dans son système, qu’au moment de l’expiration, et pour chasser l’air. Cette citation d’Empédocle montre, à une époque bien reculée, la doctrine physiologique qui supposait que l’air était conduit par des canaux vides de sang dans toutes les parties du corps. Ces canaux ont été, dès les premiers temps, appelés artères.

L’appellation des artères et des veines sous un nom commun n’appartient pas aux seuls hippocratiques. Nous avons vu qu’elle était familière à Aristote, à tel point que, si on lisait seulement le chapitre de l’Histoire des animaux et celui des Parties des animaux, dans lesquels ce naturaliste traite des veines, il serait aussi impossible, pour lui que pour certains hippocratiques, de supposer qu’il a connu les artères. Son disciple Théophraste qui, comme lui, savait très bien distinguer les artères des veines, fait arriver l’air dans les veines, se servant indifféremment de ce mot pour signifier les vaisseaux qui contiennent l’air[21]. Bien plus, Praxagore, qui dit que les cotylédons de la matrice sont les bouches des veines et des artères qui s’y rendent[22], Praxagore donne à l’aorte le nom de veine épaisse[23]. Il en est de même du livre hippocratique du Cœur : les artères y sont dénommées, et cependant l’aorte est appelée veine épaisse[24] ; tant il est vrai que c’était une pure affaire de langage, qui était déterminée, sans doute, par un certain état des opinions physiologiques, mais qui n’empêchait pas qu’on ne sût qu’il y avait des artères et des veines. C’est exactement, pour en revenir aux hippocratiques, comme dans le traité des Fractures et des Articulations ; quoique ces deux traités soient évidemment la continuation l’un de l’autre, dans le premier il n’est question que de veines ; dans le second veines et artères sont nommées. Les uretères même sont parfois appelés veines : il est dit dans le commencement du prétendu traité de la Nature des os[25] : « Du rein sortent les veines qui se rendent à la vessie. »

Galien dit en différents endroits que les anciens comprenaient, sous le nom commun de veines, les veines et les artères. Les interprètes se sont trompés sur le sens de ces passages de Galien. Ils ont pensé que le médecin de Pergame avait voulu dire que les anciens, ne faisant aucune distinction entre les artères et les veines, n’avaient qu’un nom pour ces deux ordres de vaisseaux. Or, tous les passages que j’ai réunis montrent que les anciens se servaient du mot veine, à peu près comme nous nous servons du mot vaisseau, pour désigner à la fois les veines et les artères, et qu’ils se servaient indifféremment du mot artère pour désigner à la fois les artères proprement dites et les ramifications de la trachée.

Dans ce système, les artères constituaient plutôt un appendice des voies aériennes qu’une portion du système circulatoire. Poursuivons jusqu’au bout l’examen de cette vieille doctrine physiologique : il est remarquable que l’auteur du 1er livre des Maladies, en parlant des parties dont la blessure est mortelle, désigne une veine qui donne du sang[26]. C’est distinguer les veines qui ont du sang, de celles qui n’en ont pas. L’auteur du livre des Articulations, qui a mentionné expressément les artères, parle de la mortification des veines sanguines[27], les séparant ainsi de celles qui ne donnent pas de sang. Les veines sanguines sont certainement opposées aux veines pleines d’air.

Voici un exemple où le nom de veines est donné, comme dans Théophraste, à un vaisseau qui contient de l’air ; c’est dans le traité de la Maladie sacrée. « Dans les veines, dit l’auteur, nous introduisons la plus grande partie de l’air, ce sont les voies d’aspiration de notre corps ; elles attirent l’air dans leur intérieur, et le distribuent partout[28]. » Et ailleurs : « L’air va en partie au poumon, en partie aux veines, qui le répandent dans le reste du corps[29]. » Ainsi ce sont ici les veines qui contiennent l’air, et qui le reçoivent des poumons. Les veines sont évidemment mises pour les artères ; et cet exemple achève de prouver pourquoi les anciens disent quelquefois veines pleines de sang ; c’était pour les distinguer des veines pleines d’air.

L’idée que les veines sont pleines de sang et les artères pleines d’air se trouve implicitement exprimée par ces distinctions entre les veines pleines d’air et les veines pleines de sang. Mais elle y est aussi en termes formels ; on lit dans le livre de l’Aliment : « L’enracinement des veines est au foie, celui des artères est au cœur ; de là se répandent dans tout le corps le sang et l’air[30]. »

On apprend par une expression d’Érasistrate que les ramifications de la trachée s’appelaient, dans ce système, les premières artères ; car ce médecin, qui a soutenu que les artères sont pleines d’air, a dit que cet air provient de celui qui nous entoure, qu’il entre d’abord dans les premières artères du poumon, et que de là il passe dans le cœur et dans les autres[31]. Ces paroles d’Érasistrate servent de complément, d’explication, de preuve, à tout ce que j’ai dit plus haut. Dans cette ancienne physiologie, ce que nous appelons artères étaient les secondes artères, celles qui recevaient, de seconde main, l’air fourni par les premières artères, par les ramifications de la trachée.

Ainsi de cette discussion résulte que la distinction des artères et des veines a été connue dès avant Hippocrate ; qu’on les désignait communément sous le nom commun de veines ; que les artères ont été généralement considérées comme appartenant plutôt aux voies aériennes qu’aux voies du sang ; que l’opinion des hippocratiques était que de l’air était contenu dans les artères, que cependant Euryphon croyait qu’elles donnaient du sang, et que c’était peut-être là un des points sur lesquels l’école de Cnide différait de celle de Cos. Il en résulte encore qu’on n’est nullement autorisé à enlever à Hippocrate un des livres de la Collection, par cela seul que ce livre contient la mention des veines et des artères.

Galien dit : « La respiration sert-elle à fortifier l’âme, comme le pense Praxagore, ou à rafraîchir la chaleur innée, comme le veulent Philistion et Dioclès, ou à alimenter et animer cette même chaleur, comme le dit Hippocrate[32] ? » C’est là le dernier terme de cette doctrine sur les communautés de la trachée, du cœur, des artères et des veines. Les uns pensaient que l’air allait rafraîchir, les autres, qu’il allait entretenir la chaleur innée.

Des opinions pareilles peuvent surprendre quand on ne se reporte pas à l’époque où elles ont été conçues. Pourtant elles méritent plus d’être comprises qu’on ne le croirait d’abord ; elles ne sont point fondées en fait, il est vrai, et ne dérivent point d’une observation rigoureuse des phénomènes, mais elles ont leur origine dans une sorte d’intuition qui manque rarement de profondeur ; et, à cet égard, il y a une grande distinction à faire entre ces idées en tant qu’elles sont primitives, ou qu’elles sont reçues de seconde main. Primitives, elles ont l’intérêt d’indiquer la première impression que fit sur l’esprit humain une certaine observation de la nature. Secondaires, cet intérêt est perdu, et il n’y reste plus ordinairement que ce qu’elles contenaient d’erroné. Ainsi, que les anciens philosophes et médecins de la Grèce, sans presqu’aucune physiologie, conçoivent d’une certaine façon l’usage de l’air dans la respiration, c’est un point de vue qu’il faut chercher à comprendre. Mais qu’Érasistrate, savant anatomiste, défende leur opinion, et emploie, pour la soutenir, une science qui du moins leur manquait, on ne peut plus y voir qu’une erreur sans portée et sans instruction. L’idée primitive des philosophes et médecins grecs se réduit à ceci : L’air est nécessaire à la vie, et l’animal le respire sans cesse ; cet air, pour que la vie se maintienne, doit être incessamment porté dans toutes les parties du corps par les vaisseaux. Les anciens se sont trompés sur le mécanisme de ce transport ; mais se sont-ils beaucoup trompés sur le fond même de la question ? n’est-il pas vrai qu’avec le sang, un élément de l’air, sinon l’air tout entier, est sans cesse distribué à toutes les portions de l’organisme ? et n’a-t-il pas pour objet d’alimenter la chaleur innée, comme le voulait Hippocrate ?

Il est un autre point de l’histoire médicale qui peut servir à la critique des écrits hippocratiques : c’est l’opinion que les anciens se sont faite de l’origine des vaisseaux sanguins. Cette question a beaucoup occupé l’antiquité ; elle avait, en effet, une grande importance dans l’ancienne physiologie. La circulation n’était pas découverte : quelques esprits seulement la pressentaient ; et, de toute part, les naturalistes s’efforçaient de désigner le lieu précis d’où les veines devaient provenir. Galien avait placé l’origine des veines dans le foie, des artères dans le cœur, et cette opinion prévalut long-temps après lui ; mais elle fut un choix que fit le médecin de Pergame entre plusieurs hypothèses qui avaient été proposées ; le foie, le cœur, les méninges, la tête, le ventre, une grosse veine, avaient été, à différentes reprises et par différents auteurs, considérés comme le point de départ des vaisseaux sanguins ; et même une idée bien plus profonde et bien plus juste avait été, dès une antiquité très reculée, consignée dans quelques-uns des écrits hippocratiques, à savoir que les vaisseaux sanguins forment un cercle, et n’ont point de commencement ; mais cette grande et belle idée avait été repoussée dans l’ombre, à la fois par les hypothèses diverses qui supposaient un commencement aux veines (je me sers du langage ancien), et par les travaux anatomiques plus exacts qui avaient mieux montré le tracé des vaisseaux sanguins.

Dionysius d’Ægée, dans son livre intitulé les Filets (Δικτυακά), où, en cent chapitres, il exposait le pour et le contre des doctrines médicales, donne un résumé des opinions sur l’origine des vaisseaux sanguins. Ce résumé, dont je me sers d’autant plus volontiers qu’il provient d’un écrivain ancien, mettra le lecteur au courant de cette discussion. Voici le titre des chapitres qui sont relatifs à ces questions, seule chose que nous ayons conservée de son ouvrage. « Le cœur est le commencement des veines. — Le cœur n’est pas le commencement des veines. — Le foie est le commencement des veines. — Le foie n’est pas le commencement des veines. — Le ventre est le commencement des veines. — Le ventre n’est pas le commencement des veines. — La méninge est le commencement de tous les vaisseaux. — La méninge n’est pas le commencement de tous les vaisseaux. Le poumon est le commencement des artères. Le poumon n’est pas le commencement des artères. — L’artère qui longe le rachis est le commencement des artères. — L’artère qui longe le rachis n’est pas le commencement des artères. — Le cœur est le commencement des artères. — Le cœur n’est pas le commencement des artères[33]. »

Ce que Dionysius rapporte embrasse toutes les opinions anciennes sur cette question que les physiologistes s’étaient posée. Mais je dois me borner aux seuls écrits de la Collection hippocratique ; et, dans cette Collection, les hypothèses sur l’origine des vaisseaux sanguins sont moins nombreuses. Elles se réduisent à quatre : Le cerveau est l’origine des veines (Polybe, dans le traité de la Nature de l’homme) ; la grosse veine qui longe la colonne vertébrale est l’origine des veines (l’auteur du 2e livre des Épidémies) ; le cœur est l’origine des vaisseaux sanguins (l’auteur du livre des Principes ou des Chairs, l’auteur de l’opuscule sur le Cœur) ; le foie est l’origine des veines, le cœur, des artères (l’auteur du livre de l’Aliment). On voit, par le rapprochement des opinions contenues dans les livres hippocratiques, comme par le résumé de Dionysius d’Ægée, ce qu’il faut entendre par le problème de l’origine des vaisseaux sanguins, tel que se le sont posé les anciens physiologistes. Ce ne sont pas d’extravagantes erreurs d’anatomie ; mais c’est une hypothèse que faisaient les médecins, ignorant la circulation et voulant concevoir la source du sang.

La Collection hippocratique offre donc quatre opinions très distinctes sur l’origine des vaisseaux sanguins. Ces opinions représentent-elles des époques différentes de la physiologie, et est-il possible d’en reconnaître la chronologie ? c’est ce qu’il importe d’examiner.

Ce point d’histoire médicale a été discuté avec un soin tout particulier par un homme dont les vastes connaissances en toute chose et la date reculée rendent le jugement, pour ainsi dire, sans appel en pareille matière : je veux parler d’Aristote. Sa science et son érudition le mettent à l’abri d’une erreur ; son époque, si rapprochée de celle d’Hippocrate, élimine, d’un seul coup, une masse immense de travaux, de livres et d’opinions, et ne laisse aucune place à une confusion entre ce qui est antérieur et ce qui est postérieur. Je résumerai la discussion d’Aristote ; car, outre l’intérêt qu’elle a pour la distinction des livres hippocratiques, il est curieux de voir comment le philosophe de Stagire traitait un point de critique et une question de priorité.

Aristote est d’opinion que les vaisseaux sanguins ont une origine, et que le cœur est cette origine même. Voici ses principales raisons : Le sang étant liquide, il faut un vaisseau pour le contenir, et à cela la nature a pourvu par la fabrication des veines ; ces veines, à leur tour, doivent avoir une seule origine ; car, là où une origine est nécessaire, une seule vaut mieux que plusieurs. Or, c’est le cœur qui est le point de départ des veines ; car on voit qu’elles en naissent, et non qu’elles le traversent[34]. De plus, la texture du cœur est veineuse, ce qui est nécessité par sa similarité avec les veines. Cet organe occupe une position d’origine et de commencement ; car il est situé au milieu, et plus en haut qu’en bas, en avant qu’en arrière ; car la nature, à moins d’empêchement, place la partie la plus noble dans la position la plus noble. Le milieu est le point le plus convenable ; car il est unique, et il se trouve à égale distance du reste. Ceux qui placent l’origine des veines dans la tête se trompent : d’abord ils supposent des origines multiples et séparées ; puis ils les mettent dans un lieu froid. Tous les autres organes sont traversés par des veines ; seul, le cœur n’est traversé par aucune. Il est plein de sang comme les veines elles-mêmes ; et c’est encore le seul viscère du corps où ce liquide se trouve sans veines ; ailleurs, le sang est toujours contenu dans les veines. Le cœur est creux pour recevoir le sang, dense pour conserver le principe de la chaleur. Du cœur ce liquide s’écoule dans les veines ; mais il ne vient de nulle autre part dans le cœur même ; car ce viscère est le principe, la source, le premier réceptacle du sang. Cela est visible par l’anatomie ; mais cela l’est aussi par l’étude de l’embryon, car, de tous les organes, c’est le premier où l’on aperçoit du sang[35].

Les raisons que donne Aristote pour soutenir son opinion sont, les unes anatomiques, les autres physiologiques, et les autres métaphysiques. Pour lui, c’est donc une doctrine arrêtée : le sang et les veines doivent avoir et ont une source, une origine ; et cette source, cette origine est dans le cœur.

Voici maintenant comment il établit ses droits à la priorité de cette doctrine anatomico-physiologique. Après avoir exposé les difficultés qui empêchent de discerner l’origine des veines, origine qu’on ne peut voir que sur les animaux morts, ou très imparfaitement sur l’homme, il rapporte des passages de Syennésis de Chypre, de Diogène d’Apollonie et de Polybe. Puis il ajoute : « Ce que les autres écrivains ont dit ressemble beaucoup aux passages qui ont été cités. Il est en outre d’autres auteurs qui ont écrit sur la nature, et qui n’ont pas décrit les veines aussi exactement. Mais tous en ont mis l’origine dans la tête et dans le cerveau[36]. » C’est donc de la manière la plus positive, c’est-à-dire en citant les auteurs qui, avant lui, avaient écrit sur ce sujet, qu’Aristote établit ce que les autres ont pensé et ce qu’il pense lui-même, sur le point d’anatomie en question.

Il résulte clairement de ce qui précède, qu’Aristote a mis l’origine des vaisseaux sanguins dans le cœur, qu’il a regardé cette opinion comme importante, et qu’il a voulu constater qu’elle lui appartenait. Je relèverai seulement une inexactitude : il dit que tous les physiologistes, avant lui, placent dans la tête le commencement des vaisseaux ; or, dans le passage de Diogène d’Apollonie, que lui-même rapporte, le commencement des vaisseaux est placé, moins dans la tête, que dans les grosses veines qui longent le rachis. Cela n’empêche pas que ce point d’histoire anatomique ainsi décidé par Aristote ne fournisse un terme de comparaison très instructif pour plusieurs des écrits hippocratiques. Il devient évident que, là-dessus, les différences d’opinions que l’on remarque dans la Collection hippocratique indiquent des différences de temps et d’auteur : tous les livres où l’origine des vaisseaux sanguins est placée dans le cœur, appartiennent à une époque postérieure à l’enseignement d’Aristote.

La règle de critique que j’établis ici est positive, car elle se fonde sur le témoignage d’Aristote. Au reste, comme rien ne doit être négligé dans de pareilles recherches, je ferai remarquer qu’en réalité la Collection hippocratique porte à son tour témoignage en faveur d’Aristote. Les écrits qui sont réellement d’Hippocrate ne contiennent rien qui y soit contraire, et l’impuissance, qui suit la section de la veine derrière les oreilles, est, dans le traité de l’Air, des Eaux et des Lieux, un indice de cette anatomie. Polybe, gendre d’Hippocrate, dont le morceau cité par Aristote se retrouve textuellement dans le traité de la Nature de l’homme, ne décrit pas autrement les veines ; dans le 2e livre des Épidémies, la description se rapproche de celle de Diogène d’Apollonie. Ainsi, tout ce qui est notoirement le plus ancien dans la Collection hippocratique, confirme le dire d’Aristote. Il faut donc voir un caractère de modernité relative dans le petit nombre d’écrits qui portent la trace d’opinions qu’Aristote a expressément revendiquées comme siennes.

Érasistrate avait embrassé l’opinion d’Aristote, car il avait dit dans le 1er livre de son traité sur les Fièvres que le cœur est l’origine à la fois des artères et des veines[37]. Et ailleurs : « La veine naît là où les artères, s’étant distribuées à tout le corps, ont leur commencement, et elle s’abouche dans le ventricule sanguin du cœur ; l’artère, de son côté, naît là où les veines commencent, et elle s’abouche dans le ventricule pneumatique du cœur[38]. » Ainsi, Érasistrate était bien près anatomiquement, bien loin physiologiquement, de la découverte de la circulation du sang ; car si, d’une part, il admettait que les veines naissent là où les artères commencent, de l’autre, il croyait les artères pleines d’air.

Hérophile, le célèbre contemporain d’Érasistrate, déclarait ne pas savoir où était l’origine des veines[39]. Il faudrait avoir sous les yeux le texte même d’Hérophile pour reconnaître s’il prétendait simplement s’abstenir de toute opinion sur l’origine des vaisseaux, ou s’il admettait, comme il est dit dans quelques livres hippocratiques, que les vaisseaux, étant constitués circulairement, n’ont réellement pas de commencement. En effet, l’auteur de l’opuscule des Veines, réuni dans nos éditions au prétendu traité de la Nature des os, et jadis réuni au livre des Instruments de réduction, dit : « Les veines se développent d’une seule ; mais où commence et où finit cette veine unique ? je ne le sais ; un cercle étant accompli, le commencement n’en peut être trouvé[40]. » L’auteur du traité des Lieux dans l’homme dit, de son côté : « Selon moi, il n’y a aucun commencement dans le corps ; tout est également commencement et fin ; car, un cercle étant décrit, le commencement n’en peut être trouvé[41]. » De telles idées, dans l’ignorance où l’on était des conditions anatomiques et physiologiques de la circulation, sont certainement d’une haute portée. C’est la découverte de Harvey, pressentie de la manière la plus formelle. Il n’est pas un développement, le plus avancé de la médecine contemporaine, qui ne se trouve en embryon dans la médecine antérieure. Les connaissances antiques et les nôtres sont identiques au fond, en tant que composées des mêmes éléments ; ce qui n’était qu’un bourgeon est devenu un robuste rameau ; ce qui était caché sous l’écorce s’est développé à la lumière du jour. En science, comme en tout autre chose, rien n’est qui n’ait été en germe.

Tout prouve que les idées de cercle et de circulation n’ont été ni comprises ni poursuivies par les anciens physiologistes. Ils se sont obstinés à vouloir trouver une origine aux vaisseaux. Plus même l’anatomie est devenue exacte et a reconnu le trajet des veines et des artères et leur rapport avec le cœur, plus ils se sont confirmés dans l’opinion que les vaisseaux devaient avoir un commencement. Il arrive, on le voit, que le progrès même de la science et les découvertes réelles ont pour effet de détruire des idées scientifiques d’une grande valeur. La pensée de la circulation est dans les livres hippocratiques ; on l’y laisse pour poursuivre une théorie qui détourne évidemment les esprits de la recherche de la véritable condition des vaisseaux, du cœur et du sang. D’exemples semblables, qui ne sont pas rares, proviennent ces plaintes, souvent répétées, que la science rétrograde quand des faits de détail nouvellement aperçus brisent d’anciennes conceptions qui ont de la grandeur, et font perdre de vue des doctrines qui, nées d’une sorte d’intuition, et vraies dans le fond, manquent de toute démonstration. Aristote, qui avait beaucoup disséqué, fut conduit à faire partir du cœur les veines, mais en même temps il abandonna l’idée primitive de la constitution circulaire du corps animal. L’anatomie moderne n’admet pas, comme Aristote, que le cœur soit l’origine des vaisseaux sanguins, mais elle admet, comme les hippocratiques, que le corps organisé est un cercle sans commencement ni fin.

Quoique cette dissertation soit déjà longue, je ne veux pas cependant la terminer sans essayer de pénétrer le sens de l’opinion d’Aristote, et de lui rendre pleine justice. Anatomiquement il a tort ; mais plaçons-nous avec lui au point le plus élevé de sa biologie : suivant lui, le cœur est le siége du principe de vie, de la sensibilité, de l’essence de l’animal ; car l’animal est caractérisé par la sensibilité, dit Aristote. Faut-il donc s’étonner qu’il y ait mis la source du sang et l’origine des vaisseaux ? Son idée n’a-t-elle pas été de rattacher à un viscère où il faisait résider le moteur suprême de l’organisation, le fluide et les canaux qui portent partout la vivification ? et ne faut-il pas, pour bien comprendre son idée, la comparer à celle que la physiologie moderne se fait du principe de vie, qui, réveillé, de son sommeil dans l’ovule, par la fécondation, édifie peu à peu tout l’édifice de son corps ?

Cela encore me ramène à ceux des hippocratiques qui plaçaient l’origine des vaisseaux dans la tête. Ils admettaient que toute la sensation, toute l’intelligence, toute l’humanité, en un mot, est dans le cerveau. De là le motif qu’ils ont eu, dans leur ignorance de la circulation, d’adopter la tête comme le point de départ des vaisseaux et la source du fluide vivificateur. C’est, au fond, la même pensée qu’Aristote, à savoir que le sang et ses canaux doivent être mis sous la dépendance du principe même de la vie ; et il faut l’expliquer de même. Seulement je me trouve de nouveau amené à ce résultat, que je ne cherchais pas, mais que je rencontre encore, à savoir que les intuitions sont, en général, d’autant plus justes qu’elles sont plus anciennes. L’origine des vaisseaux, si elle n’est pas dans le cœur, est encore moins dans le cerveau; mais, s’il s’agit du moteur primordial de la vie, il est bien plus attaché au système nerveux, comme l’ont pensé les hippocratiques, qu’au système sanguin, comme l’a pensé Aristote.

La sphygmologie, ou l’art de tirer du pouls des indications sur le diagnostic, sur le pronostic et le traitement de la maladie, n’est point une découverte qui remonte jusqu’aux premiers temps de la médecine. Il faut donc en examiner le détail pour savoir si la chronologie des écrits hippocratiques en peut recevoir quelque lumière.

Les critiques anciens ont généralement pensé qu’à l’époque d’Hippocrate la sphygmologie était ignorée. Palladius[42] dit qu’alors la théorie du pouls était inconnue, et que les médecins s’assuraient de la fièvre en apposant les mains sur la poitrine du malade. « Au temps d’Hippocrate, dit encore Étienne[43], l’observation du pouls n’était pas l'objet d’une connaissance exacte ; ce n’était pas à l’aide de ce signe qu’on reconnaissait les fièvres, mais on appliquait la main sur les différentes parties du corps, et en particulier sur la poitrine, où est logé le cœur, siége spécial de la fièvre. »

Ce que dit Galien diffère peu de ce que je viens de citer de Palladius et d’Étienne. Dans un endroit on lit[44] : « Hippocrate n’a pas traité du pouls, soit qu’il ne le connût pas, soit qu’il n’en crût pas la mention importante. » Et ailleurs[45]: « Hippocrate a donné tous les signes des crises, excepté le pouls. » Et ailleurs[46] : « Si Hippocrate avait expliqué l’état du pouls (il s’agit des malades du 3e livre des Épidémies), nous saurions mieux les accidents qu’ils ont éprouvés. » Et ailleurs[47] : « Dans le Pronostic, Hippocrate a exposé tous les signes, excepté ceux qui sont tirés du pouls. »

Dans d’autres passages, Galien modifie son opinion, mais non d’une manière essentielle. « Les anciens, dit-il, ne donnaient pas le nom de pouls (σφυγμός) à tous les mouvements des artères, mais ils ne nommaient ainsi que les mouvements violents, sensibles au malade lui-même. Hippocrate le premier a dit que le pouls (σφυγμός), quel qu’il fût, appartenait à toutes les artères[48]. » Et ailleurs[49] : « Le premier de tous ceux que nous connaissons, Hippocrate, a écrit le nom du pouls, et il ne paraît pas avoir ignoré l’art de s’en servir ; mais il n’a pas généralement cultivé cette partie de l’art. »

Ainsi l’opinion de Galien est que, si Hippocrate a eu la notion du trouble qu’éprouve le pouls dans les maladies, il n’en a eu qu’une connaissance bornée, et n’en a fait presque aucun usage.

Consultons maintenant la Collection hippocratique, et voyons si les détails qu’elle fournit coïncideront avec ces dires des anciens critiques. Les passages qui se rapportent aux pulsations des vaisseaux y sont peu nombreux. En voici les plus importants : « Les veines présentent des battements autour de l’ombilic ; dans les fièvres les plus aiguës, les pulsations sont les plus fréquentes et les plus fortes[50]. — Chez Zoïle, le charpentier, les pulsations furent tremblantes et obscures[51]. — Si les veines des mains battent, si le visage est plein et les hypochondres tendus, la maladie dure long-temps[52]. — Chez Pythodore, les pulsations ne cessèrent pas de se faire sentir[53]. — Les veines des tempes battaient[54]. — Les artères des tempes battaient[55]. — Le vin pur, bu en plus grande quantité que d’habitude, produit le battement des veines (παλμόν), la pesanteur de tête et la soif[56]. — Pulsations qui viennent frapper la main avec faiblesse[57], — il faut brûler les veines derrière les oreilles jusqu’à ce qu’elles cessent de battre[58]. — Les veines se soulèvent et battent dans la tête[59]. — Les veines se tendent et battent[60]. — Les tempes sont le siége de pulsations[61]. — Deux veines, qui battent toujours, traversent les tempes[62]. — Dans les fièvres, les battements de la veine située au col et la douleur en ce point se terminent par la dysenterie[63]. — Les fébricitants qui ont de la rougeur au visage, une forte douleur de tête, et un battement dans les veines, sont pris le plus souvent d’hémorrhagie[64]. »

Toutes ces citations montrent que les hippocratiques ont su que les veines, comme ils disaient ordinairement, battaient, et qu’ils ont examiné quelquefois ces pulsations ; mais elles montrent en même temps que ces observations étaient dans l’enfance ; et il n’y a rien là qui offre l’indice d’une sphygmologie quelque peu étudiée. Galien a parfaitement représenté cet état des connaissances médicales en disant qu’Hippocrate ne paraît pas avoir ignoré l’art de se servir du pouls, mais qu’il ne l’a pas cultivé.

Un seul passage, que je vais citer, doit sans doute faire exception. Il est dit dans le 2e livre des Prorrhétiques : « On se trompe moins en tâtant le ventre et les veines qu’en ne les tâtant pas[65]. » Il est difficile de ne pas voir, dans cet attouchement des veines, une indication de l’habitude de consulter le pouls dans les maladies, et par conséquent de la sphygmologie. Et, chose remarquable, cet argument, qui signale, dans un traité de la Collection, un fait étudié après le temps d’Hippocrate, tombe sur un livre que tous les critiques de l’antiquité se sont accordés unanimement à regarder comme n’étant pas du célèbre médecin de Cos. Le 2e livre des Prorrhétiques est déclaré étranger à Hippocrate par Galien, par Érotien, et, disent-ils, par tous les autres ; ils ne nous ont pas donné les motifs de ce jugement ; il n’en est que plus intéressant de trouver, par une voie indépendante, des motifs qui confirment leur arrêt.

Quelques mots me suffiront maintenant pour achever cette question de la sphygmologie. Hérophile avait écrit un livre sur le Pouls[66], et il contribua beaucoup à développer cette étude. Ce fut lui qui, donnant un sens fixe au mot σφυγμός, et appliquant, sans équivoque, ce nom aux battements qui se font sentir dans les artères durant tout le cours de la vie[67], mit un terme à la confusion dans les termes et dans les choses. Praxagore, son maître, à qui on attribue l’invention de la sphygmologie, avait pensé que la pulsation (σφυγμός), la palpitation (παλμός), le spasme et le tremblement étaient des affections des artères, et ne différaient que par la force[68] ; doctrine erronée qu’Hérophile combattit au début de son livre sur le Pouls[69] ; ainsi il s’était occupé de la recherche du pouls, mais en y mêlant des choses hétérogènes. Praxagore avait-il été précédé dans cette étude ? Voici ce que dit Galien : « Ægimius d’Élée a écrit un livre sur les palpitations (Περὶ παλμῶν), où il traite du pouls. Ce livre est-il d’Ægimius ? Ægimius est-il le premier qui ait écrit sur le pouls ? Ce sont des questions dont je laisse la discussion à ceux qui veulent s’étendre sur de pareilles recherches[70]. » Ainsi, dans l’antiquité, des critiques donnaient à Ægimius la priorité touchant la composition d’un livre sur le pouls, que ce médecin appelait palpitation, comme Hippocrate dans le traité du Régime des maladies aiguës ; mais la chose était douteuse. En résumé, ce n’est guère au-delà de Praxagore qu’on peut faire remonter le premier traité de sphygmologie. Cependant, nous l’avons vu, Hippocrate avait remarqué le pouls avant Praxagore, et il n’est pas le seul. Aristote l’a connu : « Toutes les veines, dit-il, battent ensemble, parce qu’elles ont leur origine dans le cœur[71]. » Et ailleurs : « Le pouls n’a aucun rapport avec la respiration ; qu’elle soit fréquente, égale, forte ou douce, il n’en reste pas moins le même. Mais il devient irrégulier et tendu dans certaines affections corporelles, et dans les craintes, les espérances et les angoisses[72]. »

Démocrite a connu aussi le pouls, et il l’appelait palpitation des veines[73].

Ainsi en-dehors d’Hippocrate et jusqu’à une époque même plus ancienne que lui, nous trouvons la mention du pouls, mais non la théorie de la sphygmologie.

Quelques critiques modernes ont encore prétendu que le mot muscle (μῦς) était d’un emploi postérieur à Hippocrate, qu’anciennement on se servait du mot chair, et que ce sont les anatomistes alexandrins qui, les premiers, ont distingué des chairs les muscles. Si cette règle de critique était admise, elle reporterait à une date bien postérieure un grand nombre d’écrits de la Collection hippocratique. En effet, le mot muscle se trouve : dans le 4e livre des Épidémies, page 333, Éd. Frob. ; dans le traité de l’Art, page 3 ; dans le traité du Cœur, page 55 ; dans l’opuscule des Veines, page 61, 62 ; dans le traité du Régime, livre II, page 94, pour signifier la chair musculaire des animaux que l’on mange ; dans le traité de l’Aliment, pages 110 et 111 ; dans le 1er livre des Maladies, page 129, où il est parlé des têtes des muscles (τῶν μυῶν κεφαλάς) ; dans le traité des Affections internes, page 195, où l’auteur parle des muscles des lombes ; dans les traités des Fractures, des Articulations, de l’Officine du médecin, des Instruments de réduction, où le mot muscle est fréquemment répété ; dans les Aphorismes, VIIe section, où il est parlé des muscles du rachis. On voit combien de traités se trouveraient placés après les travaux des écoles alexandrines ; traités dont plusieurs sont nominativement cités par les plus anciens critiques, et ces citations suffisent seules pour détruire toute argumentation de ce genre, fondée sur la présence du mot muscle dans tel ou tel écrit.

On peut encore en montrer la fausseté d’une autre manière. Il en était du mot chair comme du mot veine, c’était un terme général qui n’excluait pas la connaissance d’une désignation plus particulière. Dans le même traité, chair et muscle se trouvent indifféremment employés ; cela est dans le 1er livre des Maladies ; cela est encore dans le traité des Fractures ; et, à ce sujet, Galien dit : « Ce qui a été appelé muscle précédemment, Hippocrate l’appelle chair ici, se servant de la locution vulgaire[74]. » Dans des traités, par exemple, le 1er livre des Maladies et l’opuscule des Veines, le mot muscle est fréquemment employé, et le mot artère ne l’est jamais, ce qui formerait une contradiction dans l’opinion des critiques modernes qui ont admis que l’usage des mots muscles et artères indiquait une date post-alexandrine. Au contraire, le traité des Chairs fait un usage fréquent du mot artère ; mais jamais il n’emploie le mot muscle, qu’il remplace toujours par le terme de chair.

Enfin, et c’est la dernière preuve que j’apporterai, Ctésias, presque contemporain d’Hippocrate, s’est servi (j’en ai déjà parlé p. 69) de ce mot muscle ; et, chose qui vaut la peine d’être notée, la manière dont s’exprime l’auteur de l’opuscule sur l’Art, qui a employé le mot muscle, est tout à fait semblable à celle de Ctésias. « Les membres, dit-il, ont une « chair enveloppante qu’on appelle muscle[75]. » Ctésias dit de son côté : « Cambyse se blessa à la cuisse dans le muscle, » phrase que l’on remplacerait très facilement par le mot de l’auteur hippocratique, chair enveloppante (σάρκα περιφερέα). L’auteur de l’opuscule sur l’Art ajoute : « C’est ce que savent ceux qui s’occupent de ces objets[76]. » Cela prouve des travaux anatomiques.

Les critiques modernes qui se sont livrés à l’examen des livres hippocratiques, au moins ceux qui n’ont pas suivi aveuglément Galien, se sont fait une certaine idée de la médecine hippocratique ; et c’est sur cette idée préconçue qu’ils ont jugé s’il fallait assigner tel ou tel traité à Hippocrate, ou le ranger parmi les écrits faussement attribués à ce médecin. Certes, il ne fallait pas procéder ainsi : la première chose à faire était de réunir et de rapprocher tous les textes qui peuvent nous éclairer sur l’état de cette antique médecine, dont tant a péri ; et de cette réunion et de ces rapprochements serait née une appréciation des choses moins arbitraire.

On a été généralement porté à rapprocher du temps de l’école d’Alexandrie les livres hippocratiques, parce que, selon moi, on s’était fait une fausse opinion de la position d’Hippocrate. Le nom de père de la médecine avait trompé les esprits ; on le croyait créateur de toute la science médicale ; on oubliait un principe fécond de la philosophie de l’histoire, c’est que rien, dans les sciences, pas plus que dans le reste, n’est un fruit spontané qui germe sans préparation et mûrisse sans secours ; on oubliait le fait incontestable qu’une masse imposante de travaux très divers avait été léguée par les âges antérieurs à Hippocrate ; que la physiologie générale, que l’anatomie, que la pathologie, que l’hygiène avaient été cultivées long-temps avant lui ; qu’Alcméon, Empédocle, Anaxagore, Diogène, Démocrite avaient écrit sur la nature ; que les écoles médicales de Crotone et de Cyrène étaient célèbres quand celle de Cos ne l’était pas encore ; qu’une énumération des maladies avait déjà été tentée par les médecins de Cnide ; qu’Euryphon traitait la pleurésie par la cautérisation avant Hippocrate ; qu’avant lui encore, Hérodicus avait exposé avec détail le traitement des maladies[77] ; enfin, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus fort à dire en faveur de l’antiquité de la médecine grecque, que la langue technique était déjà créée, et que le médecin de Cos n’y a rien innové.

Il en est de la connaissance des nerfs comme de celle du pouls. Les hippocratiques les ont indiqués vaguement, sans se rendre un compte exact de la nature de ces organes. Ils confondaient, il est vrai, sous le nom de nerfs (νεῦρα), la plupart des parties alongées en forme de cordes, quoiqu’ils eussent aussi le mot tendon (τένωον) ; mais ils avaient remarqué d’autres parties très sensibles auxquelles ils avaient donné un nom analogue à celui des tendons (τόνοι[78]). Voici les passages : « Les canaux étendus dans la concavité de chaque côté de la poitrine, et les τόνοι prennent là leur origine aux parties les plus dangereuses du corps[79]. » En commentant ce passage, Galien dit que les canaux sont les artères et les veines, que les τόνοι sont les nerfs, et que les parties voisines d’où ils naissent sont les organes principaux de la poitrine[80]. Le même livre présente encore deux ou trois autres fois l’emploi du mot τόνοι. Dans le traité des Instruments de réduction, il est dit[81] : « Il y a à craindre la rétention d’urine dans la luxation de la cuisse en avant ; car l’os appuie sur des τόνοι, qui sont dangereux. » Dans le 2e livre des Épidémies, il est dit[82] : « Les dépots se font par les veines, les τόνοι, les os, les ligaments (νεῦρα), la peau, ou d’autres voies. » Et plus loin : « Deux τόνοι descendent du cerveau sous l’os de la grande vertèbre, le long de l’œsophage[83]. » Telles sont les notions que la Collection hippocratique contient sur les nerfs ; évidemment ils ont été entrevus ; mais leurs fonctions et leurs relations restent tout à fait ignorées. Platon s’est servi aussi du même mot et à peu près avec le même sens dans un passage qui, venant en confirmation des conclusions générales de ce chapitre, doit être ici rapporté : « un état se dissout comme un vaisseau ou un animal, dont les nerfs (τόνοι), les ligamens et les tenseurs des tendons, organes de même nature, quoique disséminés, ont reçu des noms divers[84]. » Ainsi, on voit dans ce passage, 1o que les τόνοι sont nommés ; 2o qu’il est parlé de parties qui servent à tendre les tendons, ce qui prouve la connaissance des muscles, et il n’est plus étonnant que la chose, étant connue, ait reçu un nom, que l’on trouve dans Ctésias et les hippocratiques ; 3o enfin, que Platon assure que ces trois choses, nerfs, ligamens et muscles, sont des organes identiques au fond, quoique dispersés dans le corps et diversement dénommés.

On a là un nouvel exemple de ces confusions de la vieille anatomie : de même que, veine, artère, bronche, uretère même, tout cela a eu le nom commun de veine, sans exclusion d’un nom particulier, de même, nerfs, tendons, muscles, tout cela a été considéré comme de même nature. Ici même se présente un rapprochement tout-à-fait inattendu, c’est que, dans un passage du livre II du Régime, les muscles sont rangés parmi les parties dépourvues de sang. « Parmi les chairs dépourvues de sang, dit l’auteur hippocratique, les plus substantielles sont le cerveau et la moelle ; les plus légères sont les intestins, les muscles, les parties génitales femelles, les pieds[85]. » Le passage seul de Platon m’a expliqué comment l’auteur hippocratique plaçait les muscles parmi les parties dépourvues de sang.

Les anciens physiologistes, ni Hippocrate, ni ses disciples, ni Aristote même, n’ont pu se faire aucune idée complète des fonctions du cerveau, attendu qu’ils ne connaissaient pas les fonctions des nerfs. Les hippocratiques placent, il est vrai, l’intelligence dans la tête ; mais ils n’en savent pas davantage. Aristote, ayant combattu l’opinion de ceux qui pensent que, chez les animaux, le siége de l’intelligence est dans le cerveau[86], met ce siége dans le cœur, et, comme dit Galien[87], ne sait à quoi sert l’encéphale. C’est aux anatomistes alexandrins qu’est due la connaissance exacte des nerfs. Suivant Rufus, Érasistrate distingue deux espèces de nerfs, ceux de la motilité et ceux de la sensibilité[88] ; suivant Galien, Hérophile et Eudème, qui, les premiers dans les temps postérieurs à Hippocrate, écrivirent sur l’anatomie des nerfs, ne déterminèrent pas l’origine des nerfs qui se rendent à chaque organe, et les médecins eurent beaucoup de peine à comprendre pourquoi certaines paralysies portent sur le mouvement, et d’autres sur le sentiment ; mais, du temps de Galien, on était allé plus loin, et il dit positivement que les nerfs qui se distribuent aux téguments de la main et qui leur donnent leur sensibilité, ont des racines particulières, et que celles des nerfs qui meuvent les muscles sont autres[89].

L’examen que je viens de faire des connaissances des hippocratiques sur les nerfs, prouve encore que la Collection est antérieure aux travaux des anatomistes alexandrins, d’Érasistrate et d’Hérophile.

Les anciens hippocratiques n’ont-ils jamais ouvert de corps humains, n’en ont-ils jamais examiné quelques parties ? je sais que la négative est généralement soutenue. Cependant, je ne puis me persuader qu’ils aient été à cet égard dans une ignorance complète. Voici très brièvement quelques-uns de mes motifs : Aristote est supposé n’avoir jamais vu des organes du corps humain, et lui-même dit que les organes des hommes sont surtout ignorés, et que, pour s’en faire une idée, il faut recourir aux animaux qui offrent des ressemblances[90]. Cependant le même Aristote dit que l’homme a proportionnellement le plus de cervelle, que son cerveau a deux membranes, l’une adhérente fortement à l’os, l’autre plus mince qui touche le cerveau même[91] ; que le cœur de l’homme est incliné à gauche[92] ; que la rate de l’homme est semblable à celle du cochon, mais étroite et longue[93] ; que le foie de l’homme est rond et semblable à celui du bœuf ; que les reins de l’homme ressemblent aux reins des bœufs, étant comme composés de plusieurs petits reins, et n’étant pas unis comme ceux des moutons[94] ; et enfin il termine son premier livre de l’Histoire des animaux en disant qu’il a exposé l’état des parties tant internes qu’externes du corps humain. Réfutant l’opinion d’Anaxagore, qui attribuait l’origine des maladies au transport de la bile, il ajoute que, si cela était, on s’en apercevrait dans les dissections[95].

Dioclès, qui avait publié un traité d’anatomie, savait que, dans la pleurésie, c’est la plèvre qui est le siége du mal.

Il est dit dans le livre de la Nature de l’enfant[96] : « L’enfant dans la matrice a les mains près des joues et la tête près des pieds ; mais on ne peut exactement juger, même en voyant l’enfant dans la matrice, s’il a la tête en haut ou en bas. »

Il est dit dans le livre des Chairs[97] : « Les humeurs de l’œil sont semblables chez l’homme et chez les animaux. »

Il est dit dans le traité des Articulations[98] : « Si l’on dépouille de chairs le bras là où le muscle s’étend, on verra que la tête de l’humérus y est saillante. »

Ces passages réunis d’Aristote, de Dioclès et des hippocratiques, me font croire que des corps humains ont été examinés plus ou moins exactement avant les anatomistes alexandrins.

En général, je remarque dans la Collection hippocratique que l’anatomie, développée et traitée avec soin dans les livres purement chirurgicaux, s’efface singulièrement dans les livres où il s’agit spécialement de pathologie interne.

Après avoir établi quelques règles de critique qui me serviront ultérieurement, il ne sera pas hors de propos de rapprocher un petit nombre de remarques, tendant au même but, qui sont disséminées dans les ouvrages des critiques de l’antiquité.

D’abord il faut observer que ni Galien, ni Érotien, ni les autres n’ont contesté l’authenticité d’un écrit parce qu’il y était fait mention des artères. Galien, Érotien, Héraclide de Tarente ont admis, comme étant d’Hippocrate, le traité de l’Aliment, où cette notion est exprimée de la manière la plus formelle. Galien, Érotien, Bacchius, Philinus ont également admis le traité des Articulations, où les artères sont nommées. Ils n’ont pas vu, dans ce fait, un motif d’exclusion.

Il faut en dire autant de l’emploi du mot muscle.

Quant au pouls, Galien paraît être disposé à s’en servir comme d’un critérium, et il remarque que l’usage du mot σφυγμός dans le sens de pouls est de Praxagore et d’Hérophile, et, dans le sens de pulsation violente des artères, d’Érasistrate et d’Hippocrate[99].

Galien prétend que l’anatomie des veines qui se trouve dans le livre de la Nature de l’homme est une interpolation, et n’est ni d’Hippocrate ni de Polybe[100]. On sait qu’Aristote la cite textuellement dans son Histoire des animaux, elle est donc de Polybe très certainement ; l’on sait encore que la collection des livres aristotéliques n’est devenue publique que par Apellicon, qui vivait après Hérophile et Érasistrate, c’est-à-dire après le temps où la Collection hippocratique était déjà formée et publiée. L’interpolation d’un morceau dû à Polybe dans un livre, déjà public, d’Hippocrate, n’est pas possible : ce morceau n’a pas été pris aux œuvres d’Aristote, puisque ces œuvres n’étaient pas encore publiques ; il n’a pas pu davantage être pris aux œuvres de Polybe, puisque ces œuvres, qui étaient dans la bibliothèque d’Aristote, depuis n’ont plus été ni vues ni retrouvées, et n’existaient plus sous le nom de Polybe au temps de la publication de la Collection hippocratique ; je dirai dans le chapitre XI comment la chose a pu se faire.

Ici Galien est donc en défaut ; il ne s’est pas souvenu de la citation d’Aristote, et il s’est vainement débattu contre un fait parfaitement positif.

Souvent il prend texte de quelques mauvaises expressions ou vices de langage, pour accuser un écrit de n’être pas d’Hippocrate[101].

Galien, Érotien, et tous les autres, regardaient le 2e livre des Prorrhétiques et le traité des Glandes comme postérieurs à Hippocrate ; ils ne donnent pas leurs raisons. Galien avait la même opinion du 7e livre des Épidémies ; il le trouvait fait de pièces et de morceaux, et manifestement postérieur. Quant au 5e, il pensait que ce livre s’écartait de la doctrine propre d’Hippocrate[102] ; c’était le même motif qui lui faisait rejeter le 1er livre du traité du Régime, tandis que les autres lui paraissaient conformes à la pensée du médecin de Cos[103].

Galien a dit aussi que, manifestement, le traité des Semaines n’est pas d’Hippocrate[104].

La discussion ne va pas loin avec certains critiques. Ainsi Jean, dans son commentaire sur le traité de la Nature de l’enfant, se posant la question de savoir si ce traité est d’Hippocrate, répond : « Vous le diriez à la fois authentique et apocryphe, authentique pour les recherches sur les femmes stériles, recherches dignes de la pensée d’Hippocrate, et aussi pour l’abondance des propositions ; apocryphe, parce qu’il contient beaucoup de choses fausses, (et l’erreur est reconnue étrangère à Hippocrate), et parce que l’auteur se sert d’un grand nombre d’exemples contrairement à la brièveté et à la concision du médecin de Cos[105]. »

Les remarques touchant la chronologie des livres hippocratiques, remarques bien brèves qui nous sont arrivées avec les restes des œuvres des anciens critiques, auront eu du moins cela d’important qu’elles n’auront pas contredit les résultats que j’ai obtenus par des voies différentes, et qu’elles les auront même fortifiés en plusieurs points.

En résumé, les connaissances médicales contenues dans les livres hippocratiques ont un caractère qui leur est propre. L’anatomie y est peu développée et peu étudiée, excepté pour quelques points sur lesquels la chirurgie avait jeté déjà de grandes lumières. Les artères sont supposées pleines d’air, ou portent, avec d’autres canaux, un nom commun, qui accroît encore la confusion ; les relations des vaisseaux sanguins avec le cœur sont considérées comme peu importantes ; l’application de la sphygmologie est tout à fait ignorée, les nerfs sont l’objet de quelques vagues désignations ; la polémique se dirige soit contre l’école de Cnide, soit contre l’emploi des doctrines de la philosophie éléatique dans la médecine ; nulle trace ne s’y fait voir des doctrines d’Érasistrate, à plus forte raison des sectes médicales postérieures ; tout le développement qu’on y trouve dérive sans peine de l’état antérieur des connaissances médicales. Ainsi on est autorisé par la composition seule des écrits hippocratiques à les reporter dans l’âge qui a précédé les grands travaux d’Érasistrate, d’Hérophile et de l’école d’Alexandrie. C’est un résultat auquel j’arrive toujours, de quelque côté que je considère la Collection hippocratique.

    φλέβας· ἐκ τουτέων δὲ σκίδναται ἐς τὰ λοιπὰ μέρεα κατὰ τὰς φλέβας. P. 125.

  1. P. 155. Lips. 1827.
  2. Geschichte der Heilkunde, B. i, S. 217.
  3. Geschichte der Heilkunde, B. i, S. 219.
  4. Αἱ δὲ φλεβῶν καὶ ἀρτηριῶν κοινωνίαι ἐν ἑτέρῳ λόγῳ δεδηλώσονται. P. 485, Éd. Froben.
  5. Διενέγκοι… καὶ ἐς τὸ θᾶσσόν τι καὶ βραδύτερον ἀπομελανθέντα ἀποθανεῖν τὰ νεῦρα καὶ τὰς σάρκας καὶ τὰς ἀρτηρίας καὶ τάς φλέβας. Page 497, Éd. Froben.
  6. De spiritu, cap. v. Ce traité est regardé par Sprengel comme n’étant pas d’Aristote. Le sens du mot νεῦρον (ligament) est d’Aristote, et non de l’époque d’Érasistrate et d’Hérophile.
  7. Καὶ Ἐρασίστρατος δὲ ὡς ἀρχὰς καὶ στοιχεῖα ὅλου σώματος ὑποτιθέμενος τὴν τριπλοκίαν τῶν ἀγγείων, νεῦρα, καὶ φλέβας, καὶ ἀρτηρίας. Galien, t. iv, p. 375, Éd. Basil. Dans Érasistrate, qui fit faire de grands progrès à l’anatomie, νεῦρον a le sens précis de nerf. Galien remarque que Érasistrate oublie, dans son idée de la constitution du corps vivant, les liquides et les esprits.
  8. Τὰς δὲ φλέβας καὶ τὰς ἀρτηρίας συνάπτειν εἰς ἀλλήλας, καὶ τῇ αἰσθήσει φανερὸν εἶναι. De spir., cap. V.
  9. Ἐν τῇ ἀρτηριακῇ κοιλίᾳ τῆς καρδίας, ἥτις ἐστι καὶ πνευματική. Plut., De Plac. Phil., iv, 5.
  10. Ἐὰν δὲ ἅπαν τὸ ἀερῶδες ἐκ τῶν φλεβῶν ἐκλίτῃ). Plut. de Plac. Phil., V, 24.
  11. Πρὸς τὴν πνευματικὴν τῆς καρδίας συντέτρηται κοιλίαν. Erasist. in Gal., t. I, p. 436, Éd. Basil.
  12. Alii verò eruptiones, ut Hippocrates, Eurypho ; sed Hippocrates, solarum venarum ; Eurypho verò, etiam arteriarum. Morb. chr., lib. II, c. 10.
  13. Ἀπὸ τῆς κοιλῆς φλεβὸς καὶ ἀπὸ τῆς ἀρτηρίης ἄλλαι φλέβες ἐσχισμέναι εἰσι κατὰ πᾶν τὸ σῶμα. Page 40, Éd. Frob.
  14. Δύο γάρ εἰσι κοῖλαι φλέβες ἀπὸ τῆς καρδίης, τῆ μὲν οὔνομα ἀρτηρίη, τῇ δὲ κοίλη φλέψ. ibid.
  15. Ἡ δ’ ἀρχαίη φλὲψ ἡ νεμομένη περὶ τὴν ἄκανθαν… ἐμπέφυκεν ἐς τὴν καρδίην· ἀφ’ἑωυτῆς φλέβα εὐμεγέθεα, πολύστρομον κατὰ τὴν καρδίην· ἐντεῦθεν δὲ ἐς τὸ στόμα ἐσυρίγγωκεν, ἥπερ ἀρτηρίη διὰ τοῦ πνεύμονος ὀνομάζεται. Page 61, Éd. Frob.
  16. Ὅν δὲ τρόπον ἡ καρδία τὴν σύντρησιν ἔχει πρὸς τὸν πνεύμονα δεῖ θεωρεῖν ἐκ τε τῶν ἀνατεμνομένων, καὶ ἐκ τῶν ἱστοριῶν τῶν περὶ τὰ ζῶα γεγραμμένων. De Respir., c. XVI.
  17. Συνήρτηται δὲ (ἡ ἀρτηρία) καὶ τῇ μεγάλῃ φλεβὶ καὶ τῇ ἀορτῇ καλουμένῃ… συνήρτηται δὲ καὶ ἡ καρδία τῇ ἀρτηρίᾳ πιμελώδεσι καὶ χονδρώδεσι δεσμοῖς· ᾗ δὲ συνήρτηται, κοῖλόν ἐστι. Φυσωμένης δὲ τῆς ἀρτηρίας…, ἐν τοῖς μείζοσι τῶν ζώων δῆλον ὅτι εἰσέρχεται τὸ πνεῦμα εἰς αὐτὴν (καρδίαν). De Hist. Anim., I, 16.
  18. Αἱ δὲ (ἀρτηρίαι) ἐν κροτάφισι καὶ μᾶλλον ἐπήδων. P. 356, Éd. Frob. — Αἱ ἐν κροτάφοισι φλέβες ἐπήδων P. 364.
  19.                                                        Πᾶσι λίφαιμοι
    Σαρκῶν σύριγγες πύματον κατὰ σῶμα τέτανται
    Καὶ σφὶν ἐπιστομίοις πυκνοῖς τέτρηνται ἄλοξι
    Ῥινῶν ἔσχατα τέρθρα διάμπερες.

    Empedocles in Arist. De Resp., c. vii.
  20. Γίνεσθαι τὴν ἀναπνοὴν καὶ ἐκπονὴν διὰ τὸ φλέβας εἶναί τινας, ἐν αἷς ἐστι μὲν αἷμα, οὐ μέντοι πλήρεις εἰσὶν αἵματος. De Respir., c. vii.
  21. Ὑπὸ τοῦ πνεύματος αἱ φλέβες ἐμφυσώμεναι. Phot. Bibl., p. 864, Éd. Hoeschel
  22. Καὶ ὁ Πραξαγόρας ἐν τῷ πρώτῳ τῶν Φυσικῶν· κοτυληδόνες δὲ εἰσὶ τὰ στόματα τῶν φλεβῶν καὶ τῶν ἀρτηριῶν τῶν εἰς τὴν μήτραν φερουσῶν. Gal., t. v, p. 295.
  23. Φλεψ παχεῖα. Ruf. Eph. De part. Corp. hum., p. 42, Éd. Paris.
  24. Παχείη φλεψ. P. 55, Éd. Frob.
  25. Ὅθεν ἐκπεφύκασιν ἐξ αὐτέου αἱ φλέβες, αἱ ἐς κύστιν. P. 59, Éd. Frob.
  26. Ἢ φλέβα αἱμόῤῥοον. P. 219, Éd. Frob.
  27. Φλεβῶν αἱμόῤῥοϊέων πελιώσιες. P. 505, Éd. Frob.
  28. Κατὰ ταύτας δὲ τὰς φλέβας καὶ ἐσαγόμεθα τὸ πουλὺ τοῦ πνεύματος, αὗται γὰρ ἡμέων εἰσὶν ἀναπνοαὶ τοῦ σώματος, τὸν ἠέρα ἐς σφᾶς ἕλκουσαι, καὶ ἐς τὸ λοιπὸν ὂχετεύουσαι. P. 214, Éd. Basil.
  29. Τὸ πνεύμα… ἔρχεται… τὸ δὲ ἐπὶ τὸν μνεύμονα, τὸ δὲ ἐπὶ τὰς
  30. Ἐκ τουτέων ἀποπλανᾶται εἰς πάντα αἷμα καὶ πνεῦμα. P. 111, Éd. Frob.
  31. Γίνεται κατὰ τὸν Ἐρασίστρατον ἐκ τοῦ περιέχοντος ἡμᾶς ἀέρος εἴσω τοῦ σώματος, εἰς μὲν τὰς κατὰ μνεύμονα πρώτας ἀρτηρίας, ἔπειτα δ’ εἰς τὴν καρδίαν καὶ τὰς ἄλλας. Gal., t. i, p. 222, Éd. Basil.
  32. T. iii, p. 155, Éd. Basil.
  33. Phot. Bibl., p. 219 ; Éd. Hoeschel.
  34. Φαίνονται γὰρ ἐκ ταύτης οὖσαι, καὶ οὐ διὰ ταύτης. De part. Anim., l. III c. 4. Dans l’édition de Duval le traducteur a mis : Ex hoc enim venæ et per hoc esse videntur. Ce qui est un contresens. Ne comprenant pas la question anatomique ici débattue, le traducteur a effacé la négation.
  35. De part, anim. Lib. III, c. 4, passim.
  36. De Hist. anim. Lib. III, c. 2 et 3.
  37. Ἐρασιστράτου καθ’ ἓν βιβλίον τὸ πρῶτον Περὶ πυρετῶν ἅμα μὲν ἀρχὴν ἀποφηναμένου καὶ ἀρτηριῶν καὶ φλεβῶν εἶναι τὴν καρδίαν.. Gal., t. i, p. 304, Éd. Basil.
  38. Ἐρασίστρατός φησιν· ἡ μὲν φλὲψ ἐκπέφυκεν, ὅθεν περ εἰς ὅλον τὸ σῶμα διανεμόμεναι τὴν ἀρχὴν ἔχουσιν ἀρτηρίαι· συντέτρηται δὲ εἰς τὴν τοῦ αἵματος κοιλίαν. Ἡ δ’ἀρτηρία πάλιν, ὅθεν αἱ φλέβες ἄρχονται πεφυκυῖα, πρὸς τὴν πνευματικὴν τῆς καρδίας συντέτρηται κοιλίαν. Gal., t. i, p. 436, Éd. Basil.
  39. Εἴτ’ ἀπορεῖν ὑπὲρ ἀρχῆς (τῶν φλεβῶν) ἔφησεν ὡς Ἡρόφιλος Gal., t. i, p. 302, Éd. Basil.
  40. Ἀπὸ μιῆς πολλαὶ διαβλαστάνουσαι· καὶ αὑτη μὲν ἡ μία ὃθεν ἦρται καὶ ᾗ τετελεύτηκεν, οὐκ οἶδα· κύκλου γὰρ γεγενημένου ἀρχὴ οὐχ εὑρέθη. P. 61, Éd. Frob.
  41. Ἐμοὶ μὲν δοκέει ἀρχὴ μὲν οὖν οὐδεμία εἶναι τοῦ σώματος· ἀλλὰ πάντα ὁμοίως ἀρχὴ, καὶ πάντα τελευτή· κύκλου γὰρ γραφέντος ἀρχὴ οὐχ εὑρέθη. P. 63, Éd. Frob.
  42. Schol. in Hipp., t. II, p. 32, Éd. Dietz.
  43. Schol. in Hipp., t. I, p. 255, Éd. Dietz.
  44. Tome III, p. 422, Éd. Basil.
  45. Tom. III, p. 422, Éd. Basil.
  46. Tome V, p. 401, Éd. Basil.
  47. Tome v, p. 164, Éd. Basil.
  48. Tome xvi, p. 303, Éd. Kühn.
  49. Tome III, p. 8, Éd. Basil.
  50. Épid., 4, p. 330, Éd. Froben.
  51. Épid., 4, p. 330, Éd. Froben.
  52. Épid., 2, p. 318.
  53. Épid., 7, p 352.
  54. Épid., 7, p. 364.
  55. Épid., 7, p. 356.
  56. De Diæt. in acut., p. 372.
  57. De Morb. mul., 2, p. 268.
  58. De Morb., 2, p. 142.
  59. De Morb., 2, p. 143.
  60. De Morb. 3, p. 158.
  61. De Morb., 3, p. 159.
  62. De Loc. in hom., p. 64,
  63. Praen. coac. p. 427.
  64. Praen. coac., p. 427.
  65. Ἔπειτα τῇσι χερσὶ ψαύσαντα τῆς γαστρός τε καὶ τῶν φλεβῶν ἧσσόν ἐστιν ἐξαπατᾶσθαι ἢ μὴ ψαύσαντα. P. 414, Éd. Frob.
  66. Ἐν ἀρχῇ τῆς Περὶ σφυγμῶν πραγματείας. Gal., t. III, p. 50, Éd. Basil.
  67. Φαίνεται γὰρ ὁ ἀνὴρ οὗτος ἅπασαν ἀρτηριῶν κίνησιν ἣν ὁρῶμεν ἐξ ἀρχῆς ἡμῖν ἕως τέλους ὑπάρχοσαν, ὀνομάζων σφυγμόν. Gal., t. III, p. 44, Éd. Basil.
  68. Gal., t. III, p. 364, Éd. Basil.
  69. Gal., t. III, p. 45, Éd. Basil.
  70. Tome III, p. 50, Éd. Basil.
  71. De Respir., c. 20.
  72. De Spiritu, c. 4.
  73. Φλεβοπαλίαν, Érot., Gloss., p. 382, Éd. Franz.
  74. Tome v, p. 556, Éd. Basil.
  75. Σάρκα περιφερέα ἢν μῦν καλέουσι. P. 3, Éd. Frob.
  76. Ταῦτα ἴσασι οἱ ἐπιμελούμενοι.
  77. In Cael. Aurel. Chr. lib. 3, c. 8.
  78. Τόνος et τένωον viennent également du radical τείνω (étendre), et signifient par conséquent des parties étendues, alongées.
  79. De Artic., p. 488 ; Éd. Froben.
  80. Tome v, p. 624, Éd. Basil.
  81. Page 508, Éd. Frob.
  82. Page 312. Éd. Frob.
  83. Page 317, Éd. Frob.
  84. Καθάπερ νεὼς ἢ ζώου τινὸς, οὒς τόνους τε καὶ ὑποζώματα καὶ νεύρων ἐπιτόνους, μίαν οὖσαν φύσιν διεσπαρμένην, πολλαχοῦ πολλοῖς ὀνόμασι προσαγορεύομεν. De leg. xii, l. VI, p. 440, Éd. Tauchn. Platon se sert de termes qui conviennent aussi bien à un vaisseau qu’à un animal.
  85. Τῶν δὲ ἀναίμων (σαρκῶν) ἐγκέφαλος καὶ μυελὸς, ἰσχυρότατα· κουφότατα δὲ, τᾲ ὑπογάστρια, μῦες, κτένες, πόδες. P. 94, Éd. Frob.
  86. De Sen. et juv., c. 3.
  87. Tome i, p. 318, Éd. Basil.
  88. Δισσῶν ὄντων τῶν νεύρων αἰσθητικῶν καὶ κινητικῶν. Ruf., De hom. part., p. 49, Parisiis, 1554.
  89. Τῶν εἰς τὸ δέρμα τῆς ὅλης χειρὸς διασπειρομένων νεύρων, ἐξ ὧν ἔχει τὴν αἴσθησιν, ἴδιαί τινές εἰσιν αἱ ῥίζαι, τῶν δὲ τοὺς μῦς κινούντων ἕτεραι γιγνώσκονται τοῖς ἰατροῖς. T. iii, p. 282, Éd. Basil.
  90. De Historia anim., l. 1, c. 15.
  91. De Historia anim., l. 1, c. 16.
  92. Ibid., c. 17.
  93. Ibid.
  94. Ibid., c. 3 et 9.
  95. Ἔν τε ταῖς ἀνατομαῖς ἂν ἐγίνετο τοῦτο φανερόν. De part. anim. l. IV, c. 2.
  96. Page 37, Éd. Frob.
  97. Page 43, Éd. Frob.
  98. Page 472, Éd. Frob.
  99. Παλαιοτέρα χρῆσις ἣ κἀν τοῖς Ἐρασιστράτου καὶ Ἱπποκράτους εὑρίσκεται γράμμασιν. T. i, p. 277, Éd. Basil.
  100. Tome 1, p. 300, Éd. Basil.
  101. Πυρετός ξυνοχὸς, οὐρήματα, πνεῦμα θολερόν et quelques autres.
  102. Tome iii, p. 187, Éd. Basil.
  103. Tome iv, p. 206, Éd. Basil.
  104. Tome iii, p. 374, Éd. Basil.
  105. Schol. in Hipp., t. ii, p. 207, Éd. Dietz.