Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Ode : Je revole au manoir champêtre


ODE.


Je revole au manoir champêtre,
À mes tilleuls, à mes ormeaux,
Et je me sens déjà renaître
Sous la fraîcheur de leurs rameaux.
Qu’à Saint-Cloud, devançant l’aurore,
Un autre se consume encore
En vains désirs, en longs regrets :
Moi, je reste à la cour de Flore,
Et de Pomone et de Cérès.

Ici, mes heures fugitives,
Entre l’un et l’autre soleil,
Couleront doucement oisives
Au sein des arts et du sommeil.
Je vous reprends avec ivresse,
Vieux auteurs qui, de ma jeunesse
Avez eu les premiers amours !
Grands hommes qu’on relit sans cesse,
Charmez encor mes derniers jours !

Que j’aime les routes confuses,
Et l’abri de ce bois charmant,
Où le Silence, ami des Muses,
L’œil baissé, marche lentement !

Sous l’ombre épaisse il se retire,
Et sans témoins, cherchant ma lyre,
Il me la rend d’un air discret :
Je chante, et des vers qu’il m’inspire
L’Amitié seule a le secret.

Au bord de ce fleuve limpide,
Le long de mes prés toujours verts,
Si quelque rimeur insipide
Portait son orgueil et ses vers ;
Qu’en faisant leur ronde fidèle,
Mes Pénates en sentinelle
L’écartent d’un bras redouté,
Même quand la troupe immortelle
Dans l’Institut l’eût adopté !

Mais si Joubert, ami fidèle,
Que depuis trente ans je chéris,
Des cœurs vrais le plus vrai modèle,
Vers mes champs accourt de Paris,
Qu’on ouvre ! j’aime sa présence ;
De la paix et de l’espérance
Il a toujours les yeux sereins ;
Que de fois sa douce éloquence
Apaisa mes plus noirs chagrins !

Et si, de ses courses lointaines,
Châteaubriand vient sur ces bords,
Muses de Sion et d’Athènes,

Entonnez vos plus beaux accords !
Qu’au bruit de vos airs poétiques,
Accueilli comme aux jours antiques,
Il prenne place en mes foyers ;
Et, loin des troubles politiques,
Repose ceint de vos lauriers.


Courbevoie.