Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Notes de la troisième Épître

NOTES


DE LA TROISIÈME ÉPÎTRE.




Oui, tout est fait pour tous, etc.


Les deux premiers vers de cette épitre sont une espèce d’analyse des précédentes ; les quatre qui suivent n’ajoutent rien au sens, et ne rachètent leur inutilité par aucun mérite.

De ce plan général, qui jamais ne varie, etc.


Ce tableau de la reproduction des corps peut se comparer à quelques vers de Lucrèce, et surtout à ceux du quinzième livre des Métamorphoses, où Pythagore explique son système dans les vers d’Ovide, c’est-à-dire dans un style brillant et diffus.

L’oison dit à son tour : L’homme est formé pour moi.


Il est inutile d’avertir le lecteur que Voltaire s’est emparé de tous ces contrastes ingénieux dans son Discours sur l’Homme.

Après quelques plaisirs, ne meurs-tu pas comme eux ?


C’est ainsi que Virgile s’écrie, en parlant du taureau :

Optima quæque dies miseris mortalibus ævi
Prima fugit.

Il me semble que Pope est presque égal à l’auteur des Géorgiques, dans ces détails charmants sur les animaux.

Heureuse illusion ! le Ciel compatissant, etc.


Quelle philosophie consolante renferment ces vers ! L’auteur de l’Essai sur l’Homme veut nous réconcilier avec la vie ; il nous persuade la plus utile des vérités : c’est que la somme de nos plaisirs l’emporte infiniment sur celle de nos peines. Les imaginations mélancoliques et sombres de Pline le naturaliste, d’Young et de Pascal, ont en vain exagéré nos maux : le but de Pope est bien supérieur à celui de ces sublimes misanthropes.

Ont-ils besoin d’un pape ou de lois d’un concile, etc.


What Pope or council can that need beside, etc.


Cette plaisanterie déplacée n’étonnerait point dans un autre poëte anglais ; mais Pope devait se l’interdire : il a toujours professé la religion catholique dans laquelle il était né. Je voulais d’abord supprimer ce trait, ou le changer : je ne l’ai pas fait, en songeant qu’on avait toujours pardonné ces saillies sans conséquence aux poëtes satiriques. Le sage et religieux Despréaux lui-même a dit :


Laisse là saint Thomas s’accorder avec Scot,
Et conclus, avec moi, qu’un docteur n’est qu’un sot.


Dieu gouverne l’instinct, et l’homme la raison.


En relisant l’abbé du Resnel, j’y ai trouvé :


Dieu dirige l’instinct, et l’homme la raison.

Ce vers, à ce qu’il me semble, ne m’a point été fourni par ma mémoire. Pour éviter cette ressemblance, je l’avais traduit d’une autre manière, en me rapprochant davantage de la tournure de l’original. Mais le vers qu’on a préféré dans cette édition est plus précis, et plus fait pour devenir proverbe.

Comment peut de nos peurs l’agile tapissière
Aligner, sans Newton, sa toile régulière ?


Who made the spider parallels design,
Sure as de Moivre, without rule or line ?


J’ai préféré le nom de Newton à celui de Moivre, parce qu’il est plus harmonieux et plus célèbre. Moivre était un grand géomètre, estimé de Newton lui-même. On ne peut trop admirer dans l’original ces vers sur l’araignée, et surtout ceux de la première épître :

The spider’s touch, how exquisitely fine !
Feels at each thread, and lives along the line, etc.


On a cité ces vers de l’abbé du Resnel :

Contemplez l’araignée en son réduit obscur !
Que son toucher est vif ! qu’il est prompt ! qu’il est sûr !
Sur ses pièges tendus sans cesse vigilante,
Dans chacun de ses fils elle paraît vivante.


Combien de mots inutiles, qui n’ajoutent rien à l’image, font languir cette imitation ! Le troisième vers est élégant ; mais ce dernier hémistiche, elle paraît vivante, est d’une extrême faiblesse. Tous les détails de poésie descriptive demandent beaucoup d’art et de soin : c’est là surtout que se fait sentir le charme de la difficulté vaincue, qui résulte d’un heureux choix d’expressions neuves sans être bizarres, des effets d’une harmonie imitative qui n’affecte pas trop d’effort et de recherche, et même de la richesse des rimes, mérite subalterne sans doute, mais qui fait valoir les autres, en fixant dans l’oreille tout ce que le vers peint à l’esprit, et qui ne fut pas dédaigné par les grands maîtres du siècle passé. D’ailleurs, le génie, en cherchant à vaincre un obstacle nouveau, trouve une beauté de plus : il est contraint de s’arrêter davantage sur ses idées, de les approfondir, d”étudier toutes les ressources de sa langue. Cela est si vrai, qu’on prouverait facilement que les plus beaux vers de Corneille, de Racine, de Boileau, de Voltaire lui-même, qui a négligé trop souvent cet avantage, sont aussi les mieux rimés ; mais une affectation continue de rimes trop fortes et trop marqués donnerait une pesante uniformité à la chute de tous les vers. Il faut imiter dans cette partie, comme dans les autres, l’excellent goût des deux modèles de la versification française, qui font naître une harmonie variée d’un adroit mélange de rimes, tantôt riches, et tantôt exactes. Je reviens à la poésie descriptive : les meilleurs modèles de ce genre sont les cinq premiers chants du Lutrin, et les récits des tragédies de Racine.

Ne crois pas qu’autrefois, en sortant du berceau, etc.


Je doute que les hymnes d’Orphée fusent plus beaux que ce tableau de la société tracé par le poëte anglais : on ne peut rien y comparer que le cinquième chant de Lucrèce, dont j’ai déjà parlé, et ces vues sur la nature, où M. de Buffon a donné tant de magnificence et d’élévation à la langue française.

..........une autre Providence, etc.


Cette expression se trouve dans Montesquieu et dans Massillon, comme dans Pope. Il n’est pas à présumer que l’un des trois ait copié l’autre.

La force fut d’abord la première des lois, etc.


Grotius et Puffendorf ont développé, dans de longs volumes, ces idées que Pope renferme dans quelques vers. Que sont, auprès de l’éloquence énergique dont ce passage est animé, les déclamations de tant d’écrivains modernes contre la superstition et la tyrannie ?

Ainsi donnant l’essor de son orgueil pervers,
L’amour-propre en tyran gouverne l’univers.


Ici, Pope rompt brusquement sa marche, et franchit une foule d’idées intermédiaires : il abandonne les tableaux poétiques, et reprend la marche sévère du raisonnement.

Comme à deux mouvement : les planètes fidèles, etc.


La justesse et l’éclat de cette comparaison prouvent quels secours le poëte peut tirer de l’étude des sciences. Il n’est pas inutile d’observer que les grands poëtes ont toujours été fort instruits. Une lecture attentive de l’Iliade, de l’Énéide, de la Jérusalem délivrée, du Paradis perdu, démontre qu’Homère, Virgile, le Tasse et Milton, n’étaient point étrangers aux connaissantes de leur siècle. Pope, et surtout Voltaire, terminent dignement cette liste, qu’on pourrait encore augmenter.