Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 159

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 170-171).

FABLE CLIX.

LE JUGEMENT DU LOUP.


Détaché des plaisirs du monde,
(Car il étoit presque impotent)
Un loup, depuis six mois, vivoit dévotement
Dans une retraite profonde.
Rien ne reste secret : sa réputation
Fit tant de bruit dans le canton,
Que chacun vint le voir d’une lieue à la ronde,
Il joignoit à l’esprit un fort bon jugement
Et, de plus, longue expérience.
La nouveauté séduit, obtient la confiance ;
Et, chez les animaux, d’un léger différend
Ou d’un procès intéressant
Le véritable loup étoit pris pour arbitre.
S’il n’eût tout fait gratis, d’avocat consultant
Il auroit pu prendre le titre.
Jeune renard de la cour du lion,
Renard ayant encor son innocence,
Accourt lui proposer un cas de conscience,
De ta sagesse le renom
M’engage, lui dit-il, ô respectable hermite,
À venir dans ces lieux admirer ton mérite,
Et chercher tes conseils sur un fait important
Le roi, mon maître, a pour son intendant
Le plus grand fripon de la terre :
Il pille, il vole impunément ;
Chaque troupeau s’en plaint, gémit, se désespère.
Dois-je en sujet fidèle, en instruire le roi ?

Du scélérat je suis pourtant confrère ;
Il est renard ainsi que moi ;
Mais je me fais enfin scrupule de me taire.
On pourra suspecter ma foi,
Ce ministre est fort vieux et j’aurai son emploi,
J’ai mon brevet de survivance.
Le nouveau Salomon lui dit : Ce que je pense
Conciliera ton honneur et la loi.
Puisque sa vieillesse est extrême,
Tu vas le remplacer et peut-être aujourd’hui ;
Garde en ce cas le silence sur lui,
Et tout scrupule pour toi-même.