Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 124

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 138-139).

FABLE CXXIV.

L’ÉPAGNEUL ET LE GRILLON.


Dans le coin d’un foyer, en rustique maison,
Un grillon s’établit ; c’est toujours son usage
Pour se mettre à l’abri de la froide saison,
Il vivoit fort heureux dans son petit ménage ;
Les maîtres du logis l’aimoient de tout leur cœur ;
De son séjour chez eux ils tiroient bon présage :
L’homme simple au grillon attache le bonheur.
Bien chaudement, sans soucis, sans affaire,
L’insecte en s’amusant fredonnoit quelquefois ;
Comme un autre en musique il avoit sa manière.
Un épagneul méchant, ennuyé de sa voix,
Jaloux de son plaisir, se met un jour en tête,
De déloger cette innocente bête,
En grattant, en jappant, restant près d’elle en quête.
Fatigué de son bruit, le grillon dit au chien,
Sans sortir de son domicile :
Les pénates du lieu m’accordent cet asile ;

En troublant son repos tu perds aussi le tien ;
Je ne te fais point tort, je ne demande rien
Que de rester ici tranquille.
Du mal que tu me veux tu te repentiras,
Si près du feu, tu grilleras :
L’injustice souvent s’attire du dommage.
Tandis qu’il débitoit cette vérité-là
Du chien la belle queue en entier se brûla ;
Ce fut alors autre tapage ;
Mais notre bon reclus fut paisible en son trou.
Il n’est qu’un méchant ou qu’un fou
Qui puisse tourmenter le sage.