Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 123

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 137-138).

FABLE CXXIII.

L’ARAIGNÉE, LA CHAUVE-SOURIS, ET L’ABEILLE.


Une chauve-souris, vers le soir voltigeant,
D’une araignée emporta tout l’ouvrage ;
La fileuse gronda, s’en plaignit aigrement.
Je n’eus pas le dessein de vous faire un outrage,
Lui répondit
L’oiseau de nuit.
Je me souviens encor que je fus votre amie,
En habitant la Grèce, hélas ! notre patrie,
Que je regretterai toujours.
Une abeille égarée entendoit ce discours ;
La Grèce, ainsi qu’à vous, leur dit-elle, m’est chère ;
Elle sera sans fin l’objet de mon amour.
Je reverrai bientôt Paphos, Naxe, Cythère ;
Je suis du mont Hymette[1] où j’ai reçu le jour ;
Je me nourris des fleurs de ce charmant séjour ;
Et c’est là que j’appris votre fatale histoire :
Pour l’exemple chacun la raconte à son tour.
Elle n’est pas à votre gloire,
Je vous l’avoûrai franchement.
Vous, Arachné[2], dites-moi-donc comment
Vous osiez tenir tête à Minerve ?… immortelle !…
Disputer l’adresse avec elle !…

Et, vous, Alcithoé[3], vous méprisiez les dieux
Que dans ce pays on révère ?
Il faut les respecter en tout temps, en tous lieux.
Il faut, ou les aimer, ou craindre leur colère.
Convenez que vous aviez tort,
L’une d’être orgueilleuse, et l’autre d’être impie.
D’un malheureux destin votre faute est suivie ;
Je vous plains ; mais chacune a mérité son sort.

  1. Hymette, montagne de la Grèce où se recueilloit le meilleur miel.
  2. Célèbre brodeuse. Elle eut l’audace de disputer d’adresse avec Minerve, qui, pour l’en punir, la changea en araignée.
  3. Alcithoé, pour avoir méprisé les fêtes de Bacchus, fut métamorphosée en chauve-souris.