Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 092

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 103-104).

FABLE XCII.

LES DEUX PAYSANS.


D’où viens-tu, disoit Claude à Pierre ?
Sais-tu bien que Guillaume est d’hier trépassé ?
— Si je le sais ? Je viens de pleurer sur sa bière.
Ah ! tel bon cœur devroit être enchassé :
Ce fermier, sans enfans, en mourant, m’a laissé
De l’argent pour donner au plus vieux du village.
J’ai pensé vite à Blaise, à ses maux, à son âge ;
Il a reçu par moi cent écus aujourd’hui.
— Et pourquoi donc préférer Blaise ?
Cet argent te mettoit pour long-temps à ton aise ;
N’es-tu pas pauvre, enfin, presqu’aussi vieux que lui ?

Oh ! non, répond l’excellent Pierre ;
Moi je suis vert encor, j’ai bon œil et bon bras,
Et ma femme et mon fils me sauvent d’embarras ;
Leurs travaux joints aux miens éloignent la misère.
J’aurois, dit Claude, été moins scrupuleux que toi ;
Et je me crois un honnête homme :
Ne dire mot, garder la somme,
Qui l’eût reproché cela ? — Moi.