Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 091

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 102-103).

FABLE XCI.

LA GÉNISSE ET SA MÈRE.


Pourquoi donc aujourd’hui sortons nous si matin,
Disoit une génisse en courant vers sa mère ?
Et même contre l’ordinaire,
Vous marchez un assez bon train.
— Ma fille, je vais voir la chèvre, ma voisine ;
Un loup, qui vient ici rôder à la sourdine,
Lui prit hier ses deux enfans ;
Voulant les arracher à la bête cruelle,
On dit qu’elle en reçut une atteinte mortelle,
Et je cours lui porter des simples restaurans.
— Quoi ! la chèvre du voisinage
Exciteroit votre pitié !
Déjà vous auriez oublié.

Que tous les jours dans notre pâturage
Elle vient nous braver, nous causer du dommage,
Pillant, volant, broutant notre pacage !
Le canton retentit toujours de vos débats.
Aller la visiter, et même dès l’aurore !
Si j’osois, je dirois que vous dormez encore :
Chez elle, croyez-moi, ne portez point vos pas ;
Elle se vante enfin d’être votre ennemie.
— Il est vrai, mais, ma chère, elle perd ses petits :
J’oublîrai tous ses torts, en écoutant ses cris ;
Car déjà je suis attendrie
Sur son danger, sur sa douleur ;
La laisser sans secours, cela m’est impossible :
Mon enfant, c’est l’effet que produit le malheur ;
Il éloigne de nous le méchant, l’insensible :
Il en rapproche le bon cœur.