Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 008

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 11-12).

FABLE VIII.

LES SOURIS ET LE VIEUX CHIEN.


Deux souris qui trottoient dans un appartement,
Regardoient un vieux chien couché bien mollement
Sur le duvet d’une élégante chaise,
D’un air jaloux, en le considérant,
Elles disoient tout haut : Comme il dort à son aise !
Combien cet animal est plus heureux que nous !
Il se défend des chats, des voleurs et des loups,
Et si nous évitions les piéges qu’on nous dresse,
Malgré nos ruses, notre adresse,
De la griffe du chat nous sentirions les coups.
Comment ! tandis qu’on nous livre la guerre
Pour de méchantes noix ou quelque peu de lard
Que nous aurons écornés par hasard,
Ce chien vieux et pelé fait la plus grande chère,

Et le lit de son maître est devenu le sien !
Mesdames les souris, interrompit le chien,
Vous êtes aujourd’hui d’humeur fort difficile ;
De dormir je faisois semblant,
Lorsque vous exhaliez contre moi votre bile ;
Écoutez, et je vais vous prouver clairement
Que vous grondez injustement :
Vous passez votre vie à ravager, à prendre,
Par gourmandise, ou pour vous divertir,
Tout ce qui peut vous convenir.
J’ai passé la mienne à défendre
Hommes, femmes, enfans et fortune et maisons :
Très-sensible aux coups des larrons,
Je l’étois encor plus à la voix de mon maître ;
Et pour éloigner un fripon.
Le bâton
Ne m’a jamais fait disparoître ;
Je rentrois au logis quelquefois tout sanglant,
Mais j’y rentrois vainqueur, aussi fier que content :
De vous à moi voilà la différence ;
La paix dont je jouis n’est que la récompense
De mon zèle et de mes travaux.
Cessez de murmurer, respectez ma vieillesse :
Qui fut utile en sa jeunesse
A le droit d’achever ses jours dans le repos.