Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 8/3.7

Chez l’auteur (Tome 8p. 301-352).

chapitre vii.

Situation rassurante de la République, à l’intérieur et à l’extérieur. — Embarras financiers : soucis qu’ils occasionnent à Pétion. — Paroles amères qui lui sont attribuées. — Assertion d’Inginac à ce sujet et concernant le général Boyer. — Examen des motifs qu’a eus Inginac à son égard. — Voyage du général Borgella au Port-au-Prince et son but : accueil qu’il reçoit de Pétion. — Particularités relatives au général Boyer. — Faits d’un officier du 15e régiment : indulgence de Pétion envers lui. — Examen des causes physiques et morales qui ont pu contribuer à la maladie et à la mort de Pétion. — Ce que l’on a cru généralement à cette époque. — Lettres du général Boyer au général Lys et à plusieurs autres, sur la gravité de la maladie, et les mandant au Port-au-Prince. — Pétion gracie, avant de mourir, un soldat du 14e régiment condamné à la peine de mort. — Il meurt le 29 mars. — Lamentations de la population de la capitale, sympathie des Étrangers : particularités touchantes à cette occasion. — Préparatifs ordonnés pour les funérailles du Président d’Haïti. — Cérémonies religieuses dans toute la République. — Éloges funèbres prononcés au Port-au-Prince et aux Cayes. — Parallèle de TOUSSAINT LOUVERTURE et d’ALEXAINDRE PÉTION.


Nous voici parvenu à cette année de pénible souvenir, où l’on vit la République d’Haïti dans un deuil universel, par la mort de son fondateur : événement douloureux dont il faut avoir été témoin, pour comprendre à quel point un chef juste et bienfaisant peut être regretté par tout un peuple reconnaissant ; circonstance difficile à relater néanmoins, parce qu’il y a des faits qui restent gravés dans la mémoire sans qu’on puisse les reproduire, des sentimens qu’on a éprouvés sans pouvoir les exprimer. Toutefois, nous essaierons de dire ce que nous avons vu, et qui dépose en faveur du cœur humain, qui honore autant Pétion que le peuple haïtien.

Mais, auparavant, il faut que nous exposions quelques considérations qui se rattachent à l’état des choses, à la situation où le pays se trouvait alors ; et encore, quelques particularités qui ont pu contribuer au malheur qu’il essuya et dont les causes ont été diversement comprises ou expliquées.


Sous le rapport politique, la situation de la République ne présentait qu’un aspect rassurant à tous égards.

À l’intérieur, la tranquillité régnait de l’Ouest au Sud ; car, alors, l’insurrection de la Grande-Anse était réduite à se concentrer dans les plus hautes montagnes de ce vaste quartier. Depuis plusieurs années, Goman ne recevait plus de secours de Christophe dont la flotille ne pouvait paraître dans ces parages, et parce que ce Roi redoutait une nouvelle défection et parce que la flotte de la République avait une frégate, des corvettes et des brigs qui la rendaient très-supérieure. On voyageait avec sécurité sur tout le littoral des arrondissemens de Nippes (vers les Baradères), de Jérémie, de Tiburon et des Cayes (vers les Anglais et les Côteaux), jadis infecté par les bandes de ces insurgés. En suivant les instructions de Pétion, le général Bazelais avait obtenu la soumission de leurs chefs les plus fameux après Goman, et avec eux celle d’art grand nombre de cultivateurs dont ils avaient fait des soldats. Christophe lui-même n’osait plus rien tenter contre nos frontières de Trianon et des Sources-Puantes, tant il craignait un résultat semblable à celui qui l’avait contraint à lever le siège du Port-au-Prince, en 1812. Depuis lors, de temps à autre, des défections partielles, des désertions de soldats de ses troupes du Nord et de l’Artibonite, l’avertissaient de ce qu’il avait à en redouter[1].

À l’extérieur, depuis l’issue de la mission de MM. de Fontanges et Esmangart, rien n’annonçait de la part de la France aucune intention hostile contre Haïti ; tout présageait, au contraire, que le gouvernement de ce pays finirait par accepter les bases d’arrangemens proposées par Pétion à D. Lavaysse, et renouvelées verbalement dans ses entretiens avec les commissaires de 1816, en outre de ce qu’il leur fit entendre à cet égard par sa lettre du 25 octobre[2]. Il paraît même que vers la fin de del’année 1817, un homme honorable sous tous les rapports, destiné à être un personnage remarquable par sa capacité dans les finances, par ses idées élevées en matière de gouvernement, par ses sentimens libéraux et philanthropiques, étant venu à Haïti, avait eu pour mission de voir Pétion, de le rassurer sur les intentions du gouvernement français, en même temps peut-être qu’il étudierait les ressources de la République qui offrait à la France une indemnité en faveur de ses anciens colons[3].

Ainsi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, la situation du pays ne présentait aucun danger réel pour le gouvernement paternel qui le régissait. Les étrangers comme les nationaux vivaient avec sécurité sous ses lois protectrices des intérêts de tous, et chacun, on peut le dire, ne formait qu’un vœu : c’est que le chef illustre de ce gouvernement vécût encore longtemps pour continuer le pouvoir qu’il faisait aimer par ses qualités personnelles.

Mais lui, mais Pétion, jouissait-il de la même sérénité d’âme que ses administrés ? Certes, sous le rapport politique, aucun d’eux n’avait autant de confiance que lui dans l’avenir de son pays, et nous l’avons déjà fait remarquer à propos de son discours à l’installation de la chambre des représentans. Mais nous avons dit aussi quelle fut, à notre avis, l’imprudence commise dans le vote d’un budget de dépenses, que la situation financière de l’État ne permettait pas de réaliser, et qui laissait cependant d’autant plus d’espoir à tous les salariés, qu’une loi décrétée le même jour, en prescrivait l’exécution ponctuelle à partir du 1er janvier 1818, et que l’adresse, de la chambre au peuple affirmait que rien ne serait plus facile.

Or, le mois de janvier s’écoulait sans que le trésor public vît affluer dans ses caisses les nombreuses recettes qu’on s’était promis d’effectuer, même au Port-au-Prince où les ressources sont plus considérables ; et cependant, magistrats, fonctionnaires civils et militaires, généraux, officiers et soldats, tous s’attendaient à être payés le 31 du mois, conformément aux lois précitées. C’était une fâcheuse situation : elle accusait en quelque sorte le gouvernement d’avoir manqué de prévoyance, ou d’avoir été dupe de ses propres calculs en se promettant de faire ce qu’il était impuissant à exécuter. Aussi est-il certain, par ce que nous allons relater, que Pétion se montra fort préoccupé et contrarié de cette situation, alors, peut-être, qu’il éprouvait d’ailleurs un certain dégoût résultant de son état maladif depuis la fin de 1816 et de quelque autre particularité que l’histoire ne peut omettre, parce qu’il est de son devoir de tout exposer, dans l’intérêt de la vérité qu’elle doit préférer à toute autre considération.


Dans les derniers jours de janvier, le président manda auprès de lui trois commerçans haïtiens : Arrault, J.-F. Lespinasse et J. Thézan[4]. Il leur fit savoir que le trésor avait peu d’argent, dans le moment où toutes les parties prenantes s’attendaient à être payées, et qu’il désirait vivement cependant donner un mois de solde à l’armée qui n’en avait pas reçu depuis quelque temps. En conséquence, il demanda à ces commerçans s’ils ne pourraient pas faire au trésor une avance de fonds qui leur seraient remboursés par les premières recettes que l’on effectuerait, d’après les ordres qu’il venait de donner pour la perception des patentes et autres droits. Ils lui répondirent qu’entre eux trois, il ne leur serait pas possible de fournir la somme nécessaire, mais qu’ils feraient un appel aux autres commerçans nationaux pour y concourir de leurs moyens. Pétion paraissait regretter que la loi rendue sur le budget et celle qui l’accompagna, eussent été aussi affirmatives pour leur exécution ; il était triste, et il aurait prononcé ces désolantes paroles : « Ce qui me peine, ce qui m’indigne, c’est que ceux qui devraient le plus me soutenir et se pénétrer des embarras que j’éprouve, sont les premiers à critiquer mon administration, mon gouvernement : — des hommes qui me doivent tout et que je ferais rentrer, si je le voulais, dans le néant d’où je les ai tirés. »

Avant de rechercher le sens de ces paroles, disons ce qui suivit cette communication confidentielle.

Les trois commerçans quittèrent le président, en lui promettant de tout faire pour répondre à ses désirs et à sa confiance. Ils se rendirent chez Lespinasse pour aviser aux moyens d’y parvenir, par la convocation des autres commerçans nationaux. Mais là survint Daumec, intime ami de Lespinasse : ils lui communiquèrent ce qui les affligeait eux-mêmes, par la tristesse qu’avait montrée Pétion. Partageant leurs sentimens, Daumec leur dit qu’il connaissait un négociant étranger qui professait pour le président une estime et une admiration dont il serait sans doute heureux de trouver l’occasion de lui donner la preuve, et qu’il savait que cet étranger avait des fonds disponibles.

C’était un jeune Anglais, homme de couleur de la Barbade, — John Smith, établi au Port-au-Prince depuis quelque temps. Daumec se rendit immédiatement chez lui, et lui proposa de prêter au gouvernement ce qu’il pourrait, en lui parlant des embarras du président. Smith accueillit cette proposition avec toute la générosité de son caractère, et consentit à verser aussitôt au trésor 50 mille gourdes, toute sa caisse, en témoignant la satisfaction qu’il éprouvait de ce que Daumec eût si bien apprécié ses sentimens pour le président.

De retour chez Lespinasse, Daumec alla avec lui, Arrault et Thézan au palais où ils firent savoir à Pétion la négociation qui venait d’avoir lieu ; et dans la même journée, Smith fit porter au trésor les 50 mille gourdes. En le remerciant de ce procédé qui avait le cachet d’une estime particulière pour lui, le président donna à ce jeune homme les témoignages de sa considération personnelle. Smith fut ensuite remboursé de cette somme.

L’armée put donc recevoir un mois de solde dès les premiers jours de février ; mais cet expédient ne pouvait pas se renouveler tous les mois, et cela ne pouvait qu’occasionner encore des soucis à Pétion.


Maintenant, à qui entendait-il adresser le reproche exprimé par les paroles qui lui ont été attribuées ? Le lecteur remarquera, sans doute, qu’elles concernaient plusieurs personnes et non pas une seule ; car nous les rapportons telles qu’elles nous ont été dites.

Si l’on ajoute foi à ce que le général Inginac a avancé dans ses Mémoires, publiés en 1843 à Kingston : « Des flagorneurs, dit-il, s’emparèrent de l’esprit du général Boyer, peu d’années avant la mort de Pétion. Ce général avait rendu d’éminens services à la patrie et au chef de l’État, son ami, son bienfaiteur ; personne ne l’ignorait. Cela lui donnait-il le droit de se ranger du côté des frondeurs de l’administration du grand homme, dont il censurait les actes, malheureusement trop souvent et publiquement, sans réfléchir aux conséquences du mauvais exemple ? Pétion s’en indigna, en concentrant en lui-même son déplaisir, et mourut le cœur ulcéré de ce qu’il considérait comme l’ingratitude de celui qu’il croyait son meilleur ami[5]. »

Selon Inginac, même à cette époque si calme, d’autres hommes que le général Boyer frondaient aussi l’administration de Pétion. Cela ne doit pas étonner, car les meilleurs chefs y sont toujours exposés ; et les paroles du président s’expliqueraient alors par la forme du pluriel qu’il aurait employée. Mais, relativement à Boyer, y aurait-il eu erreur ou calomnie de la part de l’ex-Secrétaire général, exilé comme lui, en 1843 ? Y aurait-il eu ressentiment, à raison de ce qu’il a lui-même fait savoir en ces termes, après avoir dit qu’il fut maintenu à cette grande fonction par Boyer, devenu Président d’Haïti ?

« Je n’ignorais pas, comme il est facile de s’en souvenir au Port-au-Prince, et en différens lieux de la République, que le nouveau président avait de fortes préventions contre moi, pendant quelque temps avant la mort de son prédécesseur, et qu’il avait plusieurs fois répété, que j’avais dirigé le président Pétion comme je l’avais voulu ; mais qu’il n’en serait pas ainsi avec lui. Je me bornai donc à m’occuper du service matériel des bureaux de la secrétairerie générale, sans chercher à m’immiscer dans la politique du temps en quelque manière que ce fût, d’autant plus que, peu de jours après son élection, m’ayant demandé la constitution, il lut en ma présence le chapitre relatif au Président d’Haïti, et s’arrêta à l’article concernant le Secrétaire général, en l’analysant, pour me bien faire comprendre la nature de mes obligations de bureaucrate[6]. »

En publiant ses Mémoires, Inginac a eu pour but de justifier sa conduite et ses actes politiques, objet d’une accusation de complicité à tout ce que la révolution de 1843 imputait à l’ex-président Boyer ; il était donc impossible qu’il s’abstînt de parler d’une foule de faits historiques, auxquels il prit part dans la haute position où il s’était trouvé placé sous Pétion et Boyer, ou dont il fut témoin. Bien que le dernier passage que nous venons de citer semble empreint d’un certain ressentiment qui expliquerait ce qu’il impute à Boyer dans le précédent, nous ne devons pas scruter l’intention qu’il a pu avoir, parce que nous avons nous-même à porter témoignage sur ce qui se rattache à cette imputation. Il faut que l’on remarque aussi que, dans nos investigations actuelles, nous ne cherchons qu’à saisir le sens des paroles que Pétion aurait prononcées, et qu’il importe à l’histoire de préciser, autant que possible, les circonstances qui ont rapport à sa mort.

Au surplus, nous ne pensons pas qu’il nous faille faire ici une profession de foi relativement à nos propres sentimens pour le président Boyer, dont nous avons défendu le gouvernement, quand il était attaqué par l’Opposition qui le renversa, et en faveur duquel nous espérons dire encore bien des choses ; mais aussi, au point de vue de l’histoire, ce que nous savons, ce que nous avons entendu, nous ne pouvons le taire ; et voici à quelle occasion[7].

À la fin de février, le général Borgella arriva au Port-au-Prince[8]. Le but de son voyage était de se plaindre de ce que, depuis assez longtemps, l’administration des finances lui faisait payer très-rarement les émolumens de son grade militaire, et d’une décision rendue par Pétion au sujet d’une maison qui lui avait été donnée pour logement, dès qu’il parvint au généralat, conformément aux lois de cette époque. Une dame ayant réclamé cette maison, située aux Cayes, comme sa propriété, avait produit, pour en obtenir la mise en possession, un acte irrégulier, contraire aux dispositions de l’arrêté de Dessalines en date du 7 février 1804 et des lois subséquentes, et le président avait été ainsi induit en erreur[9]. Pour former sa réclamation à cet égard, Borgella était parvenu à se procurer des documens, tant de la Jamaïque que de l’administration des Cayes, qui prouvaient que cette maison avait été légalement confisquée au profit de l’État, dès 1804. Comme il était privé des loyers qu’il en retirait, et en même temps de ses émolumens, il se trouvait réduit à une situation précaire sur son habitation de Cavaillon où il résidait : la plupart des travailleurs qui la cultivaient, étant devenus petits propriétaires, en étaient sortis, et par conséquent les revenus de cette habitation suffisaient à peine à son existence.

À son arrivée, Borgella fit sa première visite à Pétion, ainsi qu’il le devait. Il en reçut un accueil cordial, marqué de plus d’empressement et de bienveillance qu’il n’avait trouvé en lui dans ses précédens voyages à la capitale ; car alors, il avait observé de la part du président, un refroidissement qu’il ne pouvait attribuer qu’aux refus qu’il fit à ses instances pour y résider, après le siège de 1812, et encore d’accepter le commandement de l’arrondissement des Cayes, après la mort du général Wagnac[10]. En lui faisant cet accueil, Pétion l’encourageait à produire sa double réclamation.

Le général Boyer vint le voir et lui témoigna également une vive amitié ; et, apprenant dans quel but Borgella avait fait son voyage, il lui dit qu’il voulait être présent au palais afin de l’appuyer dans sa réclamation à Pétion, parce que, depuis quelque temps, le président se plaçait trop sous l’influence de certaines personnes qui l’avaient porté à faire des choses que lui, Boyer, considérait comme assez compromettantes pour la République ; et il cita, nommément Inginac, Sabourin, Daumec et quelques autres. À ce sujet, il désapprouvait les mesures prises pour les finances, lesquelles laissaient le gouvernement sans ressources pour payer l’armée et ses chefs ; les lois relatives au budget et concernant les attributions des grands fonctionnaires, celle-ci leur accordant plus d’appointemens qu’aux généraux de division. Boyer blâma également la tolérance que le président montrait pour le scandale des prodigalités de Piny, directeur de l’hôtel des monnaies, qui insultait ainsi à la pauvreté des défenseurs de l’État[11]. L’institution de la Chambre des représentans et la plupart des autres lois rendues dans la session de 1817, furent aussi l’objet de sa critique, comme ayant été inspirées au président par ceux qui l’entouraient, surtout Inginac, disait-il, qui se croyait un homme d’État.

Ceux qui ont pu entendre Boyer discourir d’une matière quelconque, savent que, presque toujours en veine, il mettait dans ses expressions tout le sel de son esprit facile. Toutefois, nous devons attester ici, qu’il ne nous parut animé d’aucune hostilité contre Pétion, mais contre les personnes auxquelles il attribuait une grande part dans ce qui était l’objet de sa critique. Ainsi, quand Inginac a dit que le général Boyer avait de fortes préventions contre lui y il eut raison. Mais qui sait si, sachant cela, il ne se sera pas plaint à Pétion de ces opinions de Boyer, en les considérant comme censurant les actes de son gouvernement, frondant son administration ? D’autres ont pu également lui rapporter les paroles de ce général en les envenimant, tandis que, quand il les prononçait, il n’avait sans doute que l’intention d’excuser le président, à propos des mesures qu’il n’agréait pas.

Cependant, nous devons dire aussi que nous n’approuvons point la critique que Boyer faisait des actes de son prédécesseur, même en les attribuant à l’influence des personnes qu’il désignait ; car il était trop haut placé près de Pétion, pour que ses paroles n’eussent pas du retentissement dans le public et ne fussent pas commentées au désavantage de ses sentimens pour lui : ce qui, dans tous les cas, était d’un fâcheux exemple et était propre à mécontenter le président, dans la situation d’esprit où il se trouvait alors[12].

Quoi qu’il en soit, Boyer assista effectivement le général Borgella dans sa réclamation. Elle obtint un plein succès, parce qu’elle était fondée : — quant aux appointemens, sur le droit qu’avait ce général d’être payé au trésor comme ses collègues, — et quant à la maison, sur les documens qu’il exhiba et qui prouvèrent à Pétion que sa première décision était le fruit de l’erreur. Le président l’engagea alors à acheter cette propriété du domaine public[13]. Mais comme Boyer lui faisait de vifs reproches, d’avoir en quelque sorte oublié tous les services rendus au pays par Borgella, particulièrement en se soumettant à son autorité pour faire cesser la scission du Sud : circonstance, disait-il, où Borgella montra un patriotisme, un désintéressement et un dévouement rares, Pétion dit à ce dernier, en riant, mais avec un ton sarcastique : « À entendre Boyer aujourd’hui, ne dirait-on pas qu’il est plus votre ami que moi ? »

Si ces paroles semblent avoir été dictées par une réminiscence des lettres que lui écrivit Boyer, au moment où il allait opérer la pacification du Sud, par l’oubli sincère du passé, qui lui ramena tous ses anciens amis, elles ne sont pas moins empreintes de cet esprit mordant que Pétion avait parfois, à l’égard des personnes qui le mécontentaient ; et par là encore s’expliqueraient, peut-être, et ses autres paroles que nous avons rapportées, et l’affirmation donnée par Inginac dans le premier passage de ses Mémoires, cité plus avant. Au surplus, en cette circonstance, on eût dit que Pétion se plaisait à rappeler à Borgella la vieille amitié qui les liait à Léogane, quand ils servaient tous deux dans la Légion de l’Ouest, et dont nous avons cité des traits dans le troisième volume de cet ouvrage. Il l’engagea à prolonger son séjour à la capitale et fit faire son portrait pour être placé dans la salle du palais. Inutile de dire que Borgella répondit à ces témoignages d’estime, par les sentimens d’une franche cordialité[14].


Les soucis qu’eut Pétion, même le mécontentement qu’il aura éprouvé, si on l’admet par les particularités exposées ci-dessus, n’étaient pas cependant de nature à impressionner tellement cet homme d’un caractère aussi ferme, pour que l’on croie à l’influence de ces causes morales sur son âme, et conséquemment sur l’événement du 29 mars. Il faut plus chercher la cause de ce malheur dans les circonstances de l’ordre physique, auxquelles on n’aura pas porté assez d’attention à cette époque : ce qui a donné lieu à une foule d’opinions sur la mort du président.

On a vu qu’après l’ouragan du 19 octobre 1816, le pays éprouva une forte disette de vivres et une grande épidémie. Cet ouragan avait frappé surtout dans l’Ouest, et au Port-au-Prince particulièrement : des sources nombreuses avaient jailli dans les quartiers de cette ville, voisins du rivage de la mer, ce qui y occasionna de véritables cloaques par les immondices qui s’y accumulaient. Le mouvement souterrain des eaux fut tel, que les deux lacs, appelés Étangs Saumâtre et Salé, ordinairement éloignés l’un de l’autre de deux lieues, se rapprochèrent à un-quart de lieue. Le Port-au-Prince étant mal tenu sous le rapport de la propreté, cet état de choses aggrava excessivement l’épidémie dont il s’agit : des fièvres intenses enlevaient les indigènes, la fièvre jaune, les étrangers qui y affluaient. Le 15 février 1818, elles continuaient encore, et elles durèrent même toute cette année.

Un article parut ce jour-là sur le Télégraphe, dans lequel un particulier appela l’attention des autorités sur la malpropreté des rues et des quais de la ville, sur l’air vicié, malsain, que respirait une population agglomérée ; cause des mortalités nombreuses, disait-il, qu’elle essuyait depuis plus de 15 mois ; et il conclut à proposer de ne plus faire les inhumations au cimetière intérieur, situé au quartier du Morne-à-Tuf, lesquelles pouvaient contribuer aussi à l’épidémie[15].

Sept jours après, le 22 février, un autre article fut publié sur le même journal par le conseil de notables, qui fit savoir au public que ces réflexions avaient été prises en considération ; que l’autorité avait ordonné l’établissement d’un nouveau cimetière au sud de la ville, en dehors de son enceinte, la construction de tombereaux pour l’enlèvement des immondices dans les rues, la réparation des fontaines publiques où l’eau potable coulait irrégulièrement, etc, etc. Ainsi, il est prouvé qu’il y avait eu négligence de la part des fonctionnaires chargés de la police de la ville.

Dans la semaine sainte, qui arriva du 15 au 22 mars, un fait eut lieu au palais de la présidence, le jeudi dans la soirée, lequel occasionna de l’émotion aux citoyens par ses circonstances ; et nous en parlons pour prouver d’une part, l’intérêt qu’inspirait Pétion, de l’autre, la bonté de son cœur et cette modération qui était dans son caractère ; car ce fait était réellement insignifiant, malgré les proportions qu’il prit dans le public.

Le 15e régiment, d’Aquin, étant en garnison à la capitale, le capitaine Colomb, de ce corps, fut mis de garde à la douane. Ce vieux militaire, qui avait fait partie de la 13e demi-brigade en 1802, au Haut-du-Cap, avait de l’admiration pour Pétion, son ancien chef, et ne manquait jamais de le visiter pendant les garnisons de son nouveau régiment. Mais depuis quelque temps, il abusait des liqueurs fortes : or, le Jeudi Saint, dans la matinée, s’étant enivré extraordinairement, il commit des actes, du côté de la douane, qui dénotaient une sorte de folie ; et l’autorité militaire de la place, ou n’en fut pas avertie pour le retirer de cette garde, ou négligea ce devoir. Dans la soirée, Colomb quitta son poste dans l’état d’ivresse où il se trouvait encore, portant son sabre au côté et des cailloux dans ses poches, dans ses mains ; il se rendit au palais, où il demanda à parler au président, tout en divaguant complètement : arrêté par la garde du palais, il fit résistance avec énergie, en vociférant des paroles injurieuses contre Pétion. On supposa alors qu’il était venu à cette heure, dans une intention hostile, avec le projet perfide de l’assassiner ; et il fut conduit ou plutôt traîné violemment en prison, où il fut mis aux fers.

La connaissance de ce fait, amplifié, occasionna l’émotion dont nous venons de parler. Mais Pétion ayant su le lendemain matin, que c’était Colomb qui en était l’auteur, dit aux personnes qui se rendirent au palais, que c’était une erreur de penser que ce vieux soldat eût voulu attenter à sa vie, et il le fit mettre en liberté. Cependant, on jugea que Colomb, ayant contracté l’habitude des liqueurs fortes, il ne convenait pas qu’il fût encore le chef d’une compagnie, et il fut renvoyé du 15e régiment[16].

Ce trait de bonté de Pétion, guidé par le ressouvenir des services que ce brave officier avait rendus à la patrie et à la liberté, sous ses ordres, prédispose en quelque sorte aux regrets que doit faire éprouver le pénible événement qu’il nous faut relater.

Dès le mois de novembre 1816, avons-nous dit, Pétion avait fait une maladie dont les suites duraient en avril 1817, lorsqu’il fallait installer la chambre des représentans : ce qui a été constaté dans une lettre des commissaires français et dans l’adresse de cette chambre au peuple ; et nous avons encore cité un article de l’Abeille haïtienne, qui a parlé d’une nouvelle et grave maladie qu’il essuya à la mi-octobre 1817. Il semble donc qu’il était constamment placé sous l’influence pernicieuse de l’épidémie qui régnait au Port-au-Prince.

Le dimanche 22 mars, jour de Pâques, il ne put ni aller passer l’inspection des troupes, ni assistera la grand’messe de cette solennité religieuse, comme il en avait l’habitude, parce que la fièvre le saisit de bonne heure, peut-être dans la nuit précédente. Son absence de la parade et de l’église fut remarquée avec une certaine inquiétude, et par l’armée et par la population : on voyait revenir trop souvent, depuis quelque temps, ces maladies persistantes.

Il y avait environ un mois que le général Borgella était au Port-au-Prince, et il avait fixé son départ au lundi 23 mars. Dans la soirée du dimanche, il se rendit au palais pour prendre congé du président, qu’il trouva couché dans sa chambre et souffrant de la fièvre. Il voulut abréger sa visite ; mais Pétion le retint, causant avec lui d’un ton calme. Cependant, vers neuf heures, Borgella lui dit que, partant le lendemain matin, il était venu le saluer et qu’il lui souhaitait un prompt rétablissement : « Comment, lui répondit Pétion, vous partez déjà ! Pourquoi vous pressez-vous de retourner chez vous ? Restez donc ici encore quelques jours. — Président, j’ai des travaux à faire exécuter sur mon habitation, et ma présence y est nécessaire. Mes aides de camp ont besoin aussi de retourner chez eux. — Quelques jours de plus n’y feraient rien, répliqua Pétion. » Mais Borgella insistant, il lui serra affectueusement la main, en lui souhaitant bon voyage[17]

L’événement qui suivit, et les circonstances qui l’accompagnèrent, peuvent sans doute donner un sens lugubre à ces paroles de Pétion ; mais il se peut aussi qu’elles étaient toutes naturelles de sa part, attendu qu’il avait déjà engagé Borgella à prolonger son séjour à la capitale.

On a toujours dit que dans ses maladies, Pétion faisait peu d’usage des médicamens de toutes sortes, et qu’il avait résisté longtemps à l’emploi d’un traitement sudorifique que lui donna enfin le docteur Mirambeau, son médecin, et qui le guérit de l’affection cutanée qui avait été si souvent cause, il paraît, des douleurs chroniques dont il souffrit. Il n’est donc pas étonnant que dans cette dernière maladie, il ait encore répugné à prendre les médicamens qu’on lui offrait. À l’égard des alimens qu’il aurait également refusés, dit-on, cela se conçoit encore mieux : ordinairement, la fièvre en dégoûte, et la nature elle-même les repousse, quand on est malade.

Mais, à cette époque, on tira mille inductions de ces particularités. On prétendit que Pétion était fatigué, dégoûté de la vie, qu’il se laissa volontairement mourir de faim. D’autres ont dit, ont cru peut-être, qu’en ne prenant ni alimens ni médicamens, c’est qu’il craignait d’être empoisonné. Cette absurdité se réfute d’elle-même ; car, qui lui aurait inspiré une telle crainte dans cette dernière maladie, lorsque dans les précédentes il n’en éprouvait pas, et qu’il était soigné par les mêmes personnes de sa famille ?

Nous trouvons dans l’Abeille haïtienne, du 3 avril, ce qui suit :

« Le 22 mars dernier, la fièvre le saisit. On lui prodigue les soins les plus empressés ; mais il refuse les remèdes qu’on lui présente ; il ne veut même prendre aucun aliment, malgré les instances les plus vives de sa famille, de ses amis, et le 29 du même mois, à 4 heures du matin, il expire dans ce calme de l’âme qui caractérise l’homme irréprochable. »

Comme on le voit, cette narration semble insinuer un refus volontaire de la part de Pétion, de prendre ce qu’on lui offrait ; une sorte de résolution arrêtée de terminer sa précieuse existence par l’inanition ; enfin un suicide combiné et long, puisque la maladie dura sept jours entiers[18]

Ce fut l’opinion assez généralement adoptée alors, parce que toujours, lorsqu’une vie chère à tout un peuple est abrégée trop promptement, les vœux formés pour sa prolongation, les espérances déçues, imaginent des causes contraires à l’ordre naturel des choses auquel tout être humain est assujéti[19].

Cependant, nous ne nous arrêtons pas même aux quelques jours que Pétion engageait le général Borgella à passer encore à la capitale, et qui sembleraient prêter à l’induction générale du temps ; car ces paroles ne nous semblent, à nous, que la suite des témoignages d’amitié qu’il lui avait donnés. Elles pourraient tout au plus faire supposer que Pétion avait, dès le premier jour, le pressentiment de sa mort dans cette dernière maladie, attendu que depuis environ dix-huit mois, il était constamment malade. Cette opinion est corroborée par l’assertion du général Inginac, qui prétend que 40 jours avant sa mort, Pétion lui aurait parlé de sa fin prochaine [20].

Ce ne serait certainement pas la première fois qu’un homme aura eu un tel avertissement intime du terme de son existence. On ne peut expliquer le pressentiment, et il est vrai qu’il se produit souvent. Mais, tout fait croire que la mort de Pétion aura été occasionnée par ces maladies récidivées, qui auront prédisposé ses organes à être plus facilement sous l’influence de l’épidémie qui régnait au Port-au-Prince. Chef de l’État, il était homme et soumis comme tous autres à cette pernicieuse épidémie.

Ce ne fut que le 26 mars au soir, que son état commença à donner des inquiétudes, d’après la lettre suivante adressée par le général Boyer, au général Lys : il en écrivit deux autres, peut-être semblables, aux généraux Borgella et Francisque qui étaient sans emploi dans le Sud, de même que Lys[21].

Port-au-Prince, le 27 mars 1818, a 11 heures ½ du soir.
Boyer, général de division, commandant

la garde du gouvernement et l’arrondissement du Port-au-Prince,

Au général Lys, sur ses terres au Petit-Trou.


Mon cher Lys,

Le Président d’Haïti, atteint depuis dimanche dernier d’une fièvre ordinaire, est dans ce moment à presque toute extrémité, sa maladie ayant commencé hier au soir seulement à prendre un caractère sérieux. Nous sommes dans une situation bien douloureuse et bien pénible ; mais, quels que soient mes chagrins et mes alarmes sur l’état du Père de la Patrie, le sentiment de mon devoir m’a donné la force de m’occuper des affaires militaires et de prendre les mesures que la prudence m’a dictées, pour mettre cette frontière à l’abri de toute tentative de l’ennemi. Votre présence ici m’est indispensable, mon cher ami, et je vous invite à ne point tarder à venir en la capitale. Le Président parle encore, pour nous prêcher l’union et la concorde, [22] et c’est répandre dans son âme navrée un baume consolateur, que de lui jurer de faire abnégation de tout sentiment particulier, pour ne voir que la patrie et notre postérité. Il paraît essentiel que les généraux commandans d’arrondissement restent à leurs postes, au moins jusqu’à ce que des mesures de sûreté générale y rendent leur présence moins nécessaire. Ce sont des avis que l’amitié et le désir du bien public dictent.

Je vous attendrai avec impatience, mon cher ami ; en attendant, recevez l’assurance de mon bien sincère dévouement.

  Votre ami, Signé : Boyer.

Dans la journée du jeudi 26, il paraît que Pétion lui-même ne se faisait pas illusion sur la gravité de sa maladie ; et, acceptant son sort avec cette résignation de l’homme juste dont la conscience se sent irréprochable ; se préparant à paraître devant le juge suprême qui pèse avec équité les actions des plus humbles mortels et celles des potentats les plus superbes ; lui qui n’avait gouverné son pays qu’avec les intentions les plus pures, un esprit toujours conciliant, en s’efforçant d’humaniser les cœurs, d’inspirer à ses concitoyens les sentimens de la justice, il prit la résolution de ne pas descendre dans la tombe, sans avoir fait encore une belle et bonne action, afin d’honorer la République qu’il avait fondée et son propre caractère.

Le colonel Zacharie Tonnerre, du 14e régiment, possédait dans la plaine une sucrerie où il faisait travailler des soldats de son corps, concurremment avec les cultivateurs. Un de ces militaires ayant mal rempli son devoir, fut réprimandé par son colonel et lui répondit avec humeur ; impatienté, ce colonel le frappa ; le soldat le repoussa violemment et le renversa par terre. Ce fait avait eu lieu en présence d’autres de ses camarades et des cultivateurs. Il était fâcheux, sans doute, que le colonel eût frappé son subalterne, lorsqu’il pouvait le punir ; mais le soldat avait aggravé son tort primitif en manquant à la fois au respect dû au propriétaire et à l’autorité militaire. Traduit par-devant la commission permanente, il fut condamné à la peine de mort, en vertu de cette disposition du code pénal qui ne permet pas à un inférieur de lever la main sur son supérieur.

Cependant, Pétion voulant le gracier, manda le colonel Zacharie pour le faire en quelque sorte concourir à cet acte de bonté, en le persuadant d’être généreux ; il se persuadait lui-même que ce serait un moyen de maintenir l’autorité de ce chef sur le corps placé sous ses ordres, parce que de tels actes gagnent mieux les cœurs que la sévérité la plus juste. Alors que Pétion venait de se montrer bon envers le capitaine Colomb, et que sa maladie donnait déjà des inquiétudes, il ne pouvait qu’influer sur l’esprit du colonel Zacharie : celui-ci consentît avec empressement à ce qu’il désirait.

Ce fut la dernière action de la vie de Pétion, si pleine d’ailleurs de touchans exemples d’humanité, de bonté, de générosité. Ainsi que nous l’avons déjà dit, il termina sa carrière politique comme il avait commencé sa carrière militaire : en sauvant la vie d’un homme ! Le 2 septembre 1791, ce fut un officier du régiment d’Artois, un blanc qu’il protégea et arracha à la fureur de ses camarades d’armes : le 26 mars 1818, ce fut un soldat de ce brave 14e régiment qui s’était rallié sous son autorité, un noir qu’il enleva au glaive de la loi !

Un pays qui a eu un tel Chef, une République qui a eu un tel Fondateur, n’ont-ils pas eu le droit d’en être orgueilleux ?

Aussi, comment retracer ces pénibles émotions, cette anxiété, ces angoisses déchirantes éprouvées au Port-au-Prince, par toutes les classes de la population, lorsqu’on se disait : « Le Président est gravement malade, a il est à toute extrémité, il va mourir ! » Les travaux, les occupations, la vie tout entière de la cité, s’arrêtèrent à cette affligeante nouvelle[23]. On s’interpellait dans les rues, on se portait en foule au palais pour savoir à tout moment, s’il n’y avait pas un changement dans son état qui pût faire espérer que ses jours seraient conservés. Dans la nuit du 28 au 29 mars, bien des personnes y demeurèrent, beaucoup d’autres ne prirent aucun repos chez elles, comme si elles avaient des malades dans leurs propres familles. Et lorsqu’à 4 heures 5 minutes du matin, des cris de douleur retentirent dans la chambre de Pétion, annonçant son trépas, ils se répandirent du palais dans toute la ville : les pleurs, les sanglots, les gémissemens devinrent universels.

Jamais, non, jamais on ne vit un tel spectacle ! Jamais aucun autre chef d’État n’a fait couler autant de larmes à sa mort ! Les Haïtiens ne furent pas les seuls qui en versèrent ; les Étrangers partagèrent leur douleur et pleurèrent comme eux[24].

« Les Étrangers portent comme nous le crêpe funèbre ; ils n’honorent pas moins la mémoire de notre illustre chef ; et ce sont eux qui, les premiers, ont dit : « Vous ( avez perdu votre Washington ![25] »

De même que les garde-côtes de l’État et les bâtimens nationaux, les navires de toutes les nations étrangères qui étaient dans le port, mirent leurs vergues en croix et leurs pavillons à mi-mâts, en signe de deuil, durant les trois jours passés aux préparatifs des funérailles. Tous les magasins marchands et toutes les boutiques restèrent fermés. On ne vit pas un acte de désordre dans toute la ville, pas un seul homme ivre, tant la douleur était réelle et universelle[26].

Lorsqu’il fallut procéder à l’autopsie du corps de Pétion, pour en retirer le cœur et les entrailles et l’embaumer, sous la direction du docteur Mirambeau, inspecteur général du service de santé, assisté des médecins Elie, Williamson, Laporte, etc., on vit ces hommes honorables, pleurant comme tous les assistans, hésiter un instant à porter leurs instrumens sur ce corps inanimé d’un chef qu’ils vénéraient. On eût dit qu’ils craignaient de commettre une impiété[27].

Le cœur fut mis dans une urne en argent ; et destiné à être gardé par sa famille ; les entrailles, dans une boîte en plomb, pour recevoir leur inhumation au fort National, tandis que le corps, placé dans un double cercueil en plomb et en acajou, serait déposé dans un caveau construit sur la place d’armes.

Le grand salon de réception du palais fut disposé en chapelle ardente, où le corps embaumé fut placé sur un lit de parade. Un char fut préparé pour le recevoir dans une sorte de cercueil ouvert, le porter à l’église, et rester ainsi pendant la cérémonie religieuse, et jusqu’au moment de le mettre dans le double cercueil : quatre chevaux noirs, caparaçonnés de deuil, traînèrent ce char également revêtu de deuil et portant des inscriptions en lettres d’or autour de son chapiteau. On y lisait : Alexandre PÉTION, Président d’Haïti, né le 2 avril 1770, Fondateur de la République, — Il n’a jamais fait couler les larmes de personne. [28]

Pendant les journées des 29 et 30 mars et les nuits correspondantes, le palais était constamment rempli de personnes de tous états et de tous rangs, qui venaient voir les traits de Pétion pour la dernière fois. Les campagnards ne furent pas les moins empressés autour du lit de parade, pour regarder ce beau visage qui semblait celui d’un homme simplement endormi, tant la vie s’était éteinte en lui dans le calme d’une conscience pure. On les entendait, dans leur langage expressif, faire l’éloge du chef qui avait substitué un régime doux et humain, pour la culture des terres, à un régime de contrainte barbare fondé sur le mépris des hommes et de leur liberté. Celui-ci disait qu’il n’avait été affranchi d’une domination absolue, que depuis l’avènement de Pétion à la présidence ; celui-là faisait savoir qu’il en avait reçu une concession de terrain qui le rendait propriétaire aussi du sol qu’il arrosa de ses sueurs. Et les militaires de tous grades vinrent joindre le témoignage de leur gratitude envers le chef qui les dota de semblables propriétés au nom de la Nation ; les soldats, pour la douce discipline qui faisait d’eux des hommes libres, des citoyens dévoués au service de la patrie commune.

Une femme noire, enceinte, paraît dans le salon ; on lui fait des observations sur son état, elle répond : « Je veux que le fruit de mes entrailles ressente aussi la perte que nous éprouvons tous en ce jour.[29] »

Un aveugle s’y présente également ; il est vêtu de l’uniforme d’artillerie qu’il portait constamment ; il prie les assistans de l’approcher du corps de Pétion, afin qu’il lui touche la main. La serrant affectueusement, il dit adieu, en sanglotant, à son ancien capitaine, et le remercie de l’avoir toujours secouru dans sa misère. C’était Noël Desvignes, ancien artilleur de la compagnie de Pétion, qui perdit la vue en 1793[30].

Et que d’autres affligés comme lui, hommes et femmes, — des militaires invalides, des pauvres que le président assistait régulièrement chaque semaine, — ne vinrent pas aussi autour de ce lit de parade, faire entendre des gémissemens échappés de leurs cœurs reconnaissans[31] !

Il faut avoir assisté à ce touchant spectacle, pour apprécier ce qu’il y eut de respectable et de glorieux dans la bienfaisance de Pétion ; car ces sentimens, ce langage des malheureux, furent le plus bel éloge prononcé à sa mort.

Le 31 mars, quand l’heure arriva pour l’enlèvement de son corps afin de procéder aux obsèques, — moment toujours pénible, en Haïti surtout, — ce fut encore un spectacle bien douloureux. Sa famille fut appelée pour ce dernier adieu : au milieu d’elle, on distinguait, on ne voyait peut-être que Célie, âgée de 12 ans, cette enfant si aimée de Pétion, qu’il élevait dans ses habitudes de bienfaisance ; car elle était souvent la douce et intelligente intermédiaire entre son père et les infortunés. Ses cris de douleur, ses lamentations, ses invocations aux mânes de celui qui lui inspira un si profond attachement, arrachèrent de nouvelles larmes à tous les assistans : la pauvre enfant s’évanouit sous la pression de ses pénibles émotions ! En cet instant, il n’y eut qu’un sentiment, universellement partagé : Célie sera l’enfant adoptive de la Nation ! Car on savait que Pétion ne lui laissait point de fortune[32].

Dès le 29, dans la matinée, le Secrétaire d’État Imbert avait fait publier une Adresse au peuple et à l’armée, pour annoncer l’événement déplorable qui privait la République de son chef. Cet acte disposa que ses obsèques seraient célébrées avec pompe, que son corps serait déposé sur la place du Champ de Mars au pied de l’arbre de la Liberté qu’il y avait fait planter, ses entrailles au fort National et son cœur remis à sa famille. L’armée et les fonctionnaires publics durent porter le deuil durant trois mois. À la réception de l’adresse dans les arrondissemens, le canon de deuil serait tiré dans chaque place, de dix en dix minutes pendant 24 heures, et la cérémonie des obsèques y serait figurée comme elles se feraient à la capitale. Là, le général Boyer, commandant de l’arrondissement, fut chargé de tout faire pour donner de l’éclat à la cérémonie.

En conséquence, il publia un programme qui prescrivit le tir du canon de deuil, dans tous les forts de la ville et par les bâtimens de la flotte, le glas funèbre des cloches de l’église, et de mettre le pavillon de la République à mi-mâts[33]. La chapelle ardente du palais, comme l’église, durent être tendues de deuil, quatre généraux gardant le corps placé sur le lit de parade, le péristyle de l’édifice et ses avenues, jonchés de feuillages et de fleurs. Enfin, l’ordre de la marche des troupes de la garnison, de la place à tenir dans le cortège par les sénateurs, les représentans des communes, les grands fonctionnaires de l’État, les membres du corps judiciaire, les fonctionnaires de l’administration civile, les généraux et autres officiers de l’armée, les commerçans nationaux et étrangers, les instituteurs publics et leurs élèves, le peuple : tout fut réglé avec un ordre intelligent, pour donner la plus grande pompe à la cérémonie, et la rendre digne du chef regretté de la République[34].

L’abbé Gaspard, curé du Port-au-Prince, assisté d’autres prêtres, exécuta l’office des morts selon tout le rituel de l’Église catholique, avec cette dignité qu’il mettait dans ses fonctions et un sentiment qui marquait l’estime et la reconnaissance qu’il professait pour Pétion. Espagnol de naissance, ne s’exprimant pas bien en français, il céda à l’abbé Gordon, son vicaire, l’honneur de prononcer une oraison funèbre à sa mémoire. Après cet ecclésiastique, le grand juge Sabourin monta en chaire, pour faire l’éloge du chef auquel il était attaché depuis longtemps, et dont il n’avait toujours reçu que des témoignages d’une haute considération ; ce ne fut que par des paroles entrecoupées qu’il remplit sa tâche, car ses pleurs, ses sanglots l’arrêtèrent bien souvent.

En sortant de l’église pour se rendre au Champ de Mars, les aides de camp de Pétion, le colonel Ulysse le premier, ne voulurent plus que le char fût traîné par les chevaux ; ils donnèrent un exemple qui fut suivi par la plupart des autres officiers qui étaient dans le cortège, et ce char fut tiré par eux tous, en signe du profond regret qu’ils éprouvaient de la perte de ce chef bien-aimé[35].

Quel autre chef que Pétion a jamais obtenu à sa mort des témoignages aussi flatteurs de considération, d’estime et de gratitude ? Qui les a mérités autant que lui ? Aucun !…

Après que son corps eut été déposé dans le caveau que l’on avait construit avec diligence, le cortège se dirigea au fort National où les entrailles furent également placées dans un caveau qui y avait été préparé[36].

Il faut ici rendre justice au général Boyer, pour les mesures d’ordre qu’il prit dans ces jours de deuil, pour le soin qu’il eut de rendre les funérailles de Pétion aussi pompeuses qu’elles pouvaient l’être. Il le devait à celui qui l’aima toujours d’une affection particulière, qui lui en donna des preuves multipliées, qui fut enfin, on peut le dire, son bienfaiteur. En cette circonstance, il trouva, d’un autre côté, tous les citoyens disposés à le seconder ; car leurs peines étaient trop réelles, pour qu’ils ne sentissent pas que c’était le moyen d’honorer la mémoire du Père de la Patrie : les plus humbles comme les plus élevés dans la société s’unirent dans ce sentiment. C’est le plus bel éloge qu’on puisse faire du peuple, composant alors la République d’Haïti.

Si dans tous ses arrondissemens, dans ses différentes villes, dans ses moindres bourgades, la mort de Pétion fut considérée comme un malheur public, aux Cayes on sentit vivement cette perte. Le général Marion, qui avait une estime affectueuse pour lui, comprit que le chef-lieu du Sud, naguère témoin de sa modération et de sa générosité, devait se distinguer dans les honneurs funèbres rendus à sa mémoire. Le 3 avril, il procéda à la cérémonie ordonnée par le Secrétaire d’État chargé de l’autorité exécutive. Le cortège des fonctionnaires publics et des citoyens réunis chez lui, se rendit sur la place d’armes où étaient toutes les troupes de la garnison. Là, sur l’autel de la Patrie, ombragé par l’arbre de la Liberté, il prononça un discours à la louange du chef de la République. On se rendit ensuite à l’église, où le service religieux se fit avec un saint recueillement. À l’issue de l’office, le représentant Lafargue fit l’éloge de Pétion ; après lui, le citoyen Hérard Dumesle prit la parole et exprima à l’assistance les sentimens qu’il éprouvait. Nous ne pouvons nous dispenser de citer une partie de ce discours, qui fait honneur à son esprit, à son jugement et à son cœur.


« Heureux, dit-il, celui qui, en s’approchant du tombeau d’un grand homme, éprouve ce sentiment profond qu’inspirent les bienfaits et la gloire ! Heureux le panégyriste qui, dans le recueillement de la douleur, peut adresser ces paroles aux mânes qu’il honore : « La basse adulation n’a jamais souillé mes lèvres ni ma plume durant ta vie, et l’encens que je viens brûler sur ton cercueil est aussi pur que ton âme.

Avant d’offrir à la mémoire du Président d’Haïti le tribut d’éloges et de regrets que nous venons lui payer ici, tournons nos regards vers cet arbre sacré, dont les rameaux ombragent les tombeaux des défenseurs de la Liberté, et arrêtons-les sur cet autel dédié à la Patrie ; en les reportant dans ce sanctuaire, consacré au Dieu de l’univers, nous nous sentirons pénétrés d’une émotion salutaire, qui élèvera nos âmes au niveau de celle de ce mortel révéré.

Il n’est plus, celui qui mérita le titre de Père de la Patrie ; celui à qui l’antiquité eût élevé des autels, et auquel la postérité confirmera le titre de Grand, que ses contemporains lui ont donné… Pétion n’est plus… et le génie d’Haïti, couvert d’un crêpe funèbre, le redemande vainement au destin. Le philanthrope, le héros bienfaiteur de sa patrie, le législateur qui consacre ses veilles à chercher les vraies sources de la félicité publique, le politique humain, le magistrat intègre, tous sentiront couler leurs larmes au récit de ses vertus et de sa gloire ; ils brigueront l’honneur d’imiter un homme qui réunissait toutes les vertus à un degré si éminent ; ils regretteront que le ciel les ait fait naître loin du théâtre où s’exerçait son influence, et qu’ils iraient pu participer au bonheur de vivre sous son gouvernement ; ils prendront plaisir à associer son nom à ceux des Titus et des Marc-Aurèle.

Je ne ferai pas le tableau de toutes les belles actions dont sa vie fut remplie, et qui ont illustré son gouvernement ; j’abandonne ces grands traits au pinceau de l’Histoire, et je me borne ici à vous offrir une légère esquisse de quelques circonstances que nous aimerons toujours à nous rappeler.

Alexandre Pétion, dès l’aurore de la révolution, montra ce grand caractère qui présagea ses hautes destinées ; toujours calme et réfléchi, il n’était pas soumis à l’effervescence des passions qui rendent les grands hommes si souvent inférieurs à eux-mêmes, en leur faisant payer des tributs honteux aux faiblesses humaines. Il se lança dans la carrière militaire, où sa bravoure et ses talens lui ouvrirent le chemin des honneurs…

Ombre révérée, si tu dédaignas ces lauriers ensanglantés ; si la conquête des cœurs te parut le seul triomphe digne de toi, ne crains pas que je profane ton auguste nom et te ravisse cette gloire pure qui ne coûta jamais de larmes à l’humanité : l’univers la publiera !…

O toi, qui es ravi à notre amour et à nos vœux, mais dont l’âme sublime s’est élevée vers cette Essence divine dont elle émane, du sein de l’immortalité daigne encore fixer tes regards sur nous. Couvre-nous de tes aîles protectrices. Éclaire celui que tu as désigné pour nous conduire. Inspire-lui cet amour de la patrie qui embrasa ton cœur. Fais que, comme toi, toute sa sollicitude ne tende qu’au bonheur du peuple, sans lequel ceux qui le gouvernent n’en peuvent goûter de véritable[37]. Fais fructifier tes vertus sur cette terre chérie, afin que le voyageur qui y abordera (quand la génération qui succédera à celle-ci sera remplacée par une autre), dise, en voyant les heureux effets de tes exemples : « Ici vécut un bienfaiteur de l’humanité ; les lois, qui font le bonheur et la grandeur de cette nation, sont dues à son génie. »

« Pères et mères de famille, vieillards, et vous, intéressante jeunesse, l’amour et l’espoir de la patrie, n’oubliez jamais que votre félicité présente et celle dont vous jouirez à l’avenir, sont son ouvrage, qu’il atout préparé pour le rendre éternel. Que vos enfans, dès le berceau, apprennent à bégayer son nom, et que le récit de ses actions soit leur catéchisme ; il leur inculquera le germe précieux de l’amour de la patrie, qui se développera en eux avec leurs organes.

Vous, Étrangers, présens à cette auguste et triste cérémonie, vous direz, en retournant dans vos patries, que vous avez vu la population des Cayes suffoquée par les larmes et anéantie par la douleur, en rendant le dernier devoir à ce grand homme. »


Près de huit lustres se sont écoulés depuis que ces paroles ont été prononcées dans le sanctuaire ; inspirées par une admiration qui ne s’est jamais démentie, elles excitent encore une douce émotion, parce qu’elles furent vraiment dignes du grand citoyen que la patrie venait de perdre. Aujourd’hui que la postérité a sanctionné les vifs regrets éprouvés de ce malheur ; que le sentiment populaire, universel, a consacré les éloges que mérita le héros-législateur, nous voudrions nous-même pouvoir résumer dignement la carrière illustre qu’il a parcourue pendant vingt-sept années consécutives. Mais, après avoir exposé successivement tous les traits, tous les actes de cette vie si noble qui l’a distingué entre tous les chefs de notre pays, nous craindrions d’omettre certains faits qui rendraient ce tableau plus intéressant. Cependant, il est un autre moyen d’en tirer encore des enseignemens utiles à notre patrie, et c’est à quoi nous nous arrêtons.

Dans les révolutions qu’elle a éprouvées depuis 1791, deux hommes de génie apparurent parmi ceux de la race noire : Toussaint Louverture et Alexandre Pétion. Comparons entre eux ces deux descendans de l’Afrique ; mettons en regard le point de leur départ, l’objet qu’ils ont eu en vue, leurs procédés, l’influence que leurs systèmes de gouvernement et d’administration ont exercée sur les destinées de leur pays. Ce parallèle, si nous le saisissons bien, sera d’une haute importance au point de vue des intérêts d’Haïti et de la race africaine tout entière, de la vraie politique, et de la morale qui en est la base la plus solide.


Toussaint, né dans la malheureuse condition de l’esclavage, initié aux premiers élémens des connaissances humaines, a commencé sa carrière à 48 ans, avec l’expérience que donne un tel âge et que son esprit méditatif lui acquit encore par ses observations sur la société coloniale. Tout atteste qu’il fut un instrument, — intelligent toutefois, — dans les mains de Blanchelande et des colons contre-révolutionnaires, pour soulever les ateliers d’esclaves, afin de comprimer la révolution dans la colonie de Saint-Domingue, et de réagir sur celle de la métropole. Aussi voulut-il, peu après, borner le triomphe de ses frères, à la seule conquête de l’affranchissement des 50 principaux de leurs chefs, y compris lui, — à l’abolition de la peine du fouet, — à obtenir trois jours par semaine pour travailler à leur profit ; — mais à la condition du maintien de leur esclavage[38].

Pétion, né dans la classe qui possédait seulement la liberté civile, d’un père qui ne l’aimait pas, ne put acquérir une instruction supérieure[39]. Il commença sa carrière à 21 ans, à cet âge où l’effervescence des passions nuit au progrès de l’expérience ; mais, doué aussi d’un esprit méditatif et d’une vue étendue, il fit la sienne promptement. Armé pour aider à la conquête des droits politiques de sa classe, il le fut aussi pour le triomphe des principes de la révolution métropolitaine dans la colonie, lesquels pouvaient seuls assurer ces droits. Au premier combat où il se trouva, il fit prévaloir, par sa modération généreuse, un principe du droit des gens en sauvant la vie à un officier ennemi, au milieu du carnage de la guerre ; et si dans les rangs de sa classe, des esclaves se mêlèrent à titre d’auxiliaires, sous le nom de Suisses, on le vit concourir à garantir l’affranchissement de ces hommes après un service de peu de durée, et protester ensuite énergiquement contre la violation des conventions conclues à cet effet. Ces premiers actes de sa carrière le placèrent si haut dans l’opinion de son parti, que les plus anciens parmi ses chefs subirent l’influence de ce jeune homme et s’honorèrent en l’appelant dans leurs conseils, — que les colons eux-mêmes l’accueillirent avec l’empressement d’une estime fondée sur sa belle action envers l’officier de leur parti, quand il s’agissait de traiter de la paix du 23 octobre 1791, appelée Concordat.

Ainsi, dès cette première phase de la révolution coloniale, on pressent, par le point de départ de Toussaint et par celui de Pétion, par l’objet qu’ils ont en vue, quelle sera la conclusion logique à laquelle l’un et l’autre arriveront, s’ils obtiennent du succès dans leur carrière.

On reconnaît que Toussaint est dominé par les idées qui résultent des institutions de son époque, que son âge accepte moyennant, sans doute, des modifications avantageuses à la classe d’hommes dont il fait partie, mais pourvu qu’il en retire un profit personnel supérieur à celui de ses frères : l’égoïsme individuel s’allie en lui à ce qu’il considère comme un ordre de choses nécessaires à la prospérité de son pays.

On voit que Pétion, au contraire, est dominé par les idées nouvelles qui surgissent de la révolution française, et qui se proposent une complète rénovation politique et sociale : son jeune âge les accepte avec cet enthousiasme qui porte à la générosité des sentimens, et qui ne doit s’arrêter que devant la limite des droits tracés pour tous et chacun[40].

Que l’on remarque bien cette différence entre Toussaint et Pétion ; car ils furent aussi les deux hommes les plus persévérans dans leurs vues, les plus conséquent aux idées qu’ils conçurent dès leur début, à la vaste ambition qui les animait et qui en a fait des êtres remarquables dans leur pays, supérieurs à tous leurs contemporains.

Les événemens y suivirent leur cours, et l’on vit Toussaint arborer le drapeau royaliste ; se placer sous la puissance de l’Espagne qui protégeait les contre-révolutionnaires ; se refuser ensuite à accepter la déclaration de la liberté générale faite par les commissaires de la France, pour devenir le plus fameux artisan de la conquête opérée d’une partie du territoire du Nord et de l’Ouest, au nom de l’Espagne et sur les instances des colons, en même temps que ceux-ci livraient à la Grande-Bretagne d’autres portions du territoire du Sud et de l’Ouest.

Dans les mêmes circonstances, on vit Pétion suivre le drapeau tricolore de la France révolutionnaire, accepter franchement, résolument la déclaration de la liberté générale, cette ère nouvelle ouverte au profit des esclaves de sa race et qui devait, de son pays, s’étendre un jour sur la plus grande partie de l’archipel des Antilles. Ce fut dans sa ville natale, sur la même place d’armes où, deux années auparavant, il avait foudroyé de son artillerie les violateurs de la paix ou Concordat du 23 octobre 1791, qu’il fit servir ses canons à la solennisation de cet acte d’éclatante justice envers ses frères[41]. Les salves qu’il y exécuta et que répétèrent les échos de nos montagnes, furent comme un avertissement donné au système colonial, s’écroulant devant la puissance des droits de la nature, et aux Anglais, ses protecteurs, qu’il serait l’un des plus fermes soutiens du régime nouveau.

Si Toussaint abandonna ensuite le camp des Espagnols, c’est qu’il y fut contraint par la crainte de perdre la vie dans ses querelles avec ses concurrens. Et pour passer dans celui des Français, pour changer de drapeau et donner des gages de sa fidélité future, il se vengea de ses adversaires, il immola des victimes, il teignit ses lauriers du sang des hommes naguère en communauté d’intérêts avec lui. En embrassant la cause de la révolution, ce ne fut qu’avec l’arrière-pensée de revenir à ses premières idées, dès que les circonstances le lui permettraient. Il devint sans doute un guerrier, un capitaine redoutable, et pour les Espagnols et pour les Anglais ; il leur reprit successivement toutes les parties du territoire qu’ils avaient envahies. Mais, plus il se distingua sous ce rapport, plus il parut à Laveaux et au gouvernement français d’alors, propre à être l’agent de la réaction conçue contre les droits civils et politiques proclamés dans la colonie : ses antécédens mêmes furent une garantie qu’il serait docile à ce projet. Il l’adopta pour favoriser lui-même l’exécution de son arrière-pensée, qui devenait le but à atteindre dans le plan du Directoire exécutif, désormais livré aux intrigues des colons. Il accueillit encore ce plan, comme un moyen de parvenir au suprême pouvoir qu’il ambitionnait. Il sacrifia tout dans ce dessein, même ses protecteurs devenus les instrumens de son élévation, en faisant preuve de toute la duplicité de son humeur hypocrite. Satisfait, orgueilleux de son rang de général en chef de l’armée coloniale, il se fît l’agent le plus actif des vues liberticides de la métropole, par son influence sur les masses qu’il prépara, par ses mesures et à leur insu, à être replacées dans leur ancienne condition. Et quand la métropole voulut briser le seul obstacle qui s’opposait à ses propres vues, qu’elle alluma le feu des discordes civiles, Toussaint se livra aux excès des plus grands crimes pour rester vainqueur de Rigaud et de son parti. Victorieux, dominant sans partage sur son pays, c’est alors qu’il exécuta le plan qu’il eut toujours en vue, en favorisant les colons de toutes nuances d’opinion, les émigrés contre-révolutionnaires, et partant la France réactionnaire. Le régime affreux qu’il établit après la guerre civile du Sud justifie ce que nous disons de lui. Mais ce fut aussi recueil sur lequel il devait faire naufrage dans sa plus grande prospérité.

Pétion, en restant fidèle au drapeau révolutionnaire, fit loyalement la guerre aux Anglais dans le rang inférieur où il se trouvait, et il se fit remarquer de ses chefs par ses talens et son courage : ce fut son seul titre à son avancement dans la carrière militaire ; aucune action de sa part ne trahit un vice en lui. Quand il déserta ensuite l’armée de Toussaint pour passer dans le camp de Rigaud, il ne changea pas de drapeau : au contraire, il rejoignit ses amis dans le parti politique qui ambitionnait de conquérir l’avenir de son pays et de la race noire ; il fut fidèle aux principes libéraux que la métropole avait proclamés. Dans la guerre civile, aucun fait, aucun crime ne souilla sa conduite : aussi y conquit-il, l’épée à la main, une position militaire remarquable, et le droit de conduire plus tard son parti politique aux destinées brillantes qui lui étaient réservées. Vaincu, il s’enfuit en France avec son chef et revint dans le pays avec lui, pour aider au renversement de Toussaint, devenu un instrument usé et dédaigné, à la destruction de son odieuse tyrannie. Mais, en coopérant ainsi à l’œuvre de la métropole, entendait-il être un de ses partisans aveugles ? Il prouva le contraire, aussitôt la déportation de Rigaud et de Toussaint, en faisant des avances à Dessalines pour secouer le joug de la France, venger noblement ces deux chefs, par l’indépendance absolue de leur pays ; car leurs rôles politiques passaient naturellement en la personne de leurs lieutenans. L’indépendance, c’était la consécration de la liberté et de l’égalité civile et politique de tous les hommes de la race noire habitant Haïti, de tous ceux qui voudraient s’y réfugier pour jouir de ces droits ; c’était le triomphe des idées et des principes proclamés en 1789 par la France elle-même.

À la rigueur, le parallèle que nous faisons de Toussaint et de Pétion pourrait s’arrêter là, et serait tout à l’avantage de Pétion ; mais alors il n’était encore qu’un officier en sous-ordre. Il nous faut poursuivre pour le montrer chef de gouvernement, agissant sous l’impulsion de ses idées politiques et de ses sentimens humains.

C’était avec le calme de l’homme d’État et la résolution du militaire, que Pétion avait fait ses avances à Dessalines, afin de le convaincre de l’opportunité de l’insurrection contre l’armée française. Et voyez ensuite comment il sut persuader tous ses camarades d’armes de l’ancien parti de Rigaud, de montrer envers celui qui était devenu le chef du parti de Toussaint, la même abnégation, le même désintéressement, le même dévouement que lui ! Ce fut à l’exemple qu’il traça de ces vertus civiques, que le pays dut la fusion, l’union de ces deux partis, qui pouvait seule produire son indépendance de la France.

Pétion ne fut-il pas après cet acte consommé, un lieutenant soumis à Dessalines, obéissant à son autorité ? Mais, lorsque, revêtu de la dignité impériale, ce chef conçut le fatal projet de se défaire violemment de lui et de Geffrard, et qu’ils en reçurent l’avis de H. Christophe, également menacé, qui pouvait refuser à ces trois généraux le droit de prévenir un tel dessein contre leurs jours, par le renversement de l’Empereur ? Ils en prirent la résolution, avec raison. Cependant, la mort prématurée de Geffrard la fit évanouir. L’insurrection des Cayes fut occasionnée par des causes indépendantes de la participation de Pétion ; c’est un fait constant. Mais rien ne pouvait, ne devait s’opposer à ce qu’il se ralliât à cette insurrection, qui était celle d’un peuple irrité par toutes les vexations dont il fut la victime.

Ses motifs expliquent encore l’origine de la désunion qui survint entre H. Christophe et lui, après la mort de Dessalines. Il ne fallait pas qu’un si grand attentat, exécuté avec regret, tournât au profit de la continuation du pouvoir absolu que Christophe voulait avoir : de là la guerre civile entre eux, entre les principes qui guidaient respectivement l’un et l’autre.

En relevant le drapeau de Toussaint Louverture, avec le cortège de ses crimes, Christophe contraignit Pétion à relever aussi le drapeau de Rigaud avec les idées libérales dont il était l’emblème.

Mais, laissons ce fastueux imitateur de son ancien chef se complaire dans les délices de sa royauté éphémère, pour reprendre notre parallèle de Toussaint et de Pétion ; car voilà ce dernier parvenu à son tour au pouvoir gouvernemental.

Eh bien ! que ressort-il de l’œuvre constitutionnelle de Toussaint, proclamée en 1801 ? Celle qui fut conçue par les colons dès 1789 : nous l’avons prouvé, il y a consenti à tout ce qu’ils voulurent, même au rétablissement de la traite des noirs, pour repeupler leurs ateliers décimés par les guerres de la révolution ; et par là, il en a fourni le prétexte à la France même[42]. Le régime qui découla de cette constitution avait-il fait du peuple de Saint-Domingue, des hommes réellement libres ? Dans son système agricole, Toussaint n’avait-il pas entravé le légitime désir de ses anciens compagnons, de ses frères, d’acquérir leur indépendance personnelle par la petite propriété, fondement de la liberté ? Et par ses mesures de coercition, n’empêcha-t-il pas le développement de la civilisation de sa race, n’arrêta-t-il pas l’avenir de son pays ? La tyrannie ne peut avoir d’autre résultat.

Voyez au contraire la constitution de 1806 dont Pétion fut l’inspirateur, et cette œuvre revisée en 1816 sous ses auspices : n’a-t-elle pas consacré la liberté de ses concitoyens et tous leurs droits dans l’état social ? Le régime qui en découla ne fut-il pas tout de douceur, de bonté, d’humanité envers tous ? Dans son système agricole, Pétion n’a-t-il pas favorisé l’indépendance personnelle des vrais producteurs, d’abord par le métayage mis en pratique, puis par le morcellement, la division des biens des anciens colons et leur distribution en faveur de ces hommes, de ses compagnons d’armes, des fonctionnaires et employés publics ? N’était-ce pas, enfin, le moyen de consolider l’ordre social, d’assurer l’avenir de la race noire dans son pays et d’en faciliter la civilisation ?

Le gouvernement de Toussaint n’a été qu’un despotisme organisé, une cruelle tyrannie. Celui de Pétion, une œuvre de conciliation, de magnanimité envers ses adversaires.

Le génie de Toussaint a dû inspirer de l’admiration, en le voyant sortir de l’état d’esclavage et parvenir au suprême pouvoir par ses talens, et en exploitant les circonstances de son époque. Mais il a terni ses grandes qualités par les vices de son caractère, et surtout par ses crimes nombreux. Il a laissé une mémoire honnie parmi les hommes de sa race, parce que, serviteur encore docile des colons dans sa haute position, il a sacrifié beaucoup de ceux qui étaient les plus éclairés pour les venger et se venger lui-même, et qu’il a tenu les autres sous un joug plus oppresseur que celui qui pesait sur eux dans l’ancien régime. En reconstituant ce régime, il a été certainement conséquent aux idées et aux vues qu’il eut au début de sa carrière ; mais il a prouvé par cela même que son génie n’avait pas la véritable intelligence de la situation créée dans son pays par la révolution. Aussi a-t-il échoué dans sa coupable entreprise, malgré le concours qu’il reçut des colons et la haute protection du gouvernement français ; car il ne put reconnaître qu’ils ne le secondaient que pour faire de lui un instrument de réaction.

Le génie de Pétion, qui a eu tout à faire par lui-même en dépit de l’opposition qu’il rencontra dans son parti politique, de la part des plus capables de ses collaborateurs, et malgré la guerre civile qui déchirait le sein de sa patrie, son génie a commandé une admiration qui s’est soutenue de son vivant, et qui a augmenté depuis sa mort. Et pourquoi son génie est-il admiré ? Parce que ses grandes qualités n’ont été ternies par aucun vice ; que la noblesse de son âme, les vertus de son cœur bienfaisant, ont inspiré le respect même de ses ennemis ; qu’il a été le fondateur d’institutions dont l’influence a produit, après sa mort, tous les résultats qu’il s’était promis d’obtenir ; parce qu’enfin, son génie comprit parfaitement les aspirations diverses nées dans son pays par la révolution, à laquelle il fut toujours fidèle. Aussi a-t-il garanti, fixé les destinées d’Haïti[43]. Et son dévouement ne l’a pas servie seule ; il a été utile encore à la cause de la race noire tout entière, en prouvant qu’elle peut se gouverner par elle-même, respecter les droits des autres hommes, parvenir à tous les avantages de la civilisation. Pétion a eu constamment cette grande cause en vue, en s’affranchissant de tout esprit d’égoïsme par rapport à son pays ; car, en même temps qu’il y rappelait tous les hommes de cette race qui se trouvaient en Europe, par suite de divers événemens, qu’il accueillait avec générosité les fugitifs de la Côte-Ferme et leur donnait des secours en objets de guerre pour recouvrer leur patrie, il conseillait à Bolivar, il mettait pour condition à ces secours, de proclamer la liberté générale des esclaves dans cette partie de l’Amérique méridionale. Dans la même année, on l’a vu recevoir avec égards les envoyés de la France, après avoir été modéré et indulgent envers un autre dont la mission perfide légitimait toute son indignation. Et si son patriotisme discuta avec chaleur les droits de son pays, fondés sur ceux de toute la race noire, il ne posa pas moins les bases équitables de la réconciliation entre Haïti et la France. Et pourquoi ? parce qu’en homme d’État, en vrai législateur qui veut fonder des institutions durables, il jugea qu’il fallait faire comprendre aussi à ses concitoyens, que cette race noire n’a pas seule des droits à réclamer, à exercer ; que si elle veut qu’on respecte les siens, elle doit également respecter ceux des autres hommes.

Enfin, terminons ce long parallèle en faisant ressortir le haut enseignement qui en découle.

Toussaint n’est parvenu au pouvoir qu’avec des antécédens blâmables : car, pour satisfaire son ambition toute personnelle, il a méconnu les principes de la morale, en suivant seulement les inspirations d’une politique fausse, étroite et machiavélique, qui le porta à immoler sans cesse des victimes à son égoïsme ; et par là, il devint cruel et odieux à ses concitoyens. La Providence l’a puni de toutes ses fautes, de tous ses torts, de toutes ses déviations à l’ordre immuable qu’elle a imposé à la raison de l’homme, en le faisant périr misérablement dans un cachot, après l’avoir fait assister à la chute de son autorité.

En arrivant au pouvoir, Pétion avait les antécédens les plus honorables. Ils lui ont conquis l’assentiment, le suffrage de ses concitoyens, et il a fourni sa carrière en respectant les droits de tous, même ceux de ses ennemis. Dans la noble ambition qui ranimait, il a gouverné son pays avec un désintéressement antique, une abnégation exemplaire, ramenant les esprits égarés, par sa patience, son indulgence, sa modération, la magnanimité de ses procédés, la douceur de ses actes : la bonté, l’humanité et la bienfaisance furent surtout les vertus qui caractérisèrent son intelligente administration. La Providence a béni ses travaux glorieux ; elle lui a fait jouir du triomphe de son œuvre politique ; elle l’a consolidée après sa mort, qu’elle a rendue digne de toute sa vie.

Un haut enseignement, une moralité intéressante, instructive, ressort nécessairement de la fin si triste de Toussaint Louverture, mise en parallèle avec celle d’Alexandre Pétion : — c’est que les chefs des nations gagnent à suivre la voie que Dieu leur a tracée comme à tous les autres hommes. Il leur a donné la raison pour les guider dans le bien, la conscience pour les avertir d’éviter le mal : c’est à eux de se conformer aux préceptes de la morale universelle, que l’une et l’autre conseillent de pratiquer.


Après ce parallèle qui représente Pétion supérieur à son devancier, et si influent sur les destinées de son pays, nous croyons devoir communiquer à nos lecteurs l’opinion qui a été émise, peu de temps après sa mort, par quelques hommes de cette époque.

Ils ont dit que, pour sa gloire personnelle, Pétion était mort à temps, qu’il était à bout de son système de gouvernement ; et ces paroles, rapportées à l’étranger, en même temps que les circonstances passées dans sa dernière maladie, ont motivé les assertions produites dans plusieurs ouvrages que nous avons sous les yeux[44].

Examinons s’il y a quelque chose de fondé dans cette opinion, qui tend à dire que Pétion n’eût pu continuer l’exercice de son pouvoir sans y mettre une sévérité qui répugnait à ses sentimens et à sa modération habituelle.

Il nous semble que l’on doit reconnaître, que la mission providentielle que Pétion avait reçue, par rapport à son pays, fut essentiellement politique, afin de fixer la forme sociale qui lui convenait et que le peuple cherchait depuis 1791. On peut dire aussi qu’il était doué d’un caractère et des qualités qu’exigeaient, et sa mission et son époque.

Devenu chef de parti en 1802, après la déportation de Rigaud, il fit des avances à Dessalines, également chef de parti après celle de Toussaint, afin de s’insurger contre les Français, de leur résister, et de proclamer l’indépendance d’Haïti de la France et de toutes autres puissances. S’effaçant par abnégation patriotique, il se soumit à l’autorité de son concurrent pour pouvoir constituer l’unité haïtienne ; mais il dut ensuite concourir au renversement de son despotisme, dans le but d’assurer les droits du peuple. Lorsque H. Christophe se fit le champion de ce despotisme abattu, Pétion dut lui résister par les mêmes motifs. Reprenant alors son rôle de chef de parti, il institua le régime républicain, afin de garantir surtout l’égalité civile et politique, objet des vœux de l’universalité de ses concitoyens, et particulièrement des masses qui se préoccupaient moins de la liberté politique, puisqu’elles jouissaient sous ce régime de leur liberté naturelle et civile. Il consacra l’égalité dans les lois, et par le partage et la vente des biens du domaine public en faveur de tous les citoyens, pour asseoir la félicité générale sur le bien-être individuel. Mais alors, il jeta aussi les seules bases possibles d’un arrangement avec la France, afin de parvenir à la consécration de l’indépendance nationale. Et en même temps qu’il favorisait celle de l’Amérique méridionale et l’émancipation des esclaves de cette contrée, il revisait le pacte social en fortifiant le pouvoir dirigeant du gouvernement pour le mettre en mesure de remplir ses obligations ; mais aussi en ajoutant une nouvelle branche au pouvoir législatif, dans l’espoir de mieux garantir les libertés publiques, de les préserver du despotisme. Sachant que les lumières sont leur plus solide appui, il jeta les fondemens de l’instruction publique, de l’éducation nationale, au profit de la jeunesse des deux sexes.

Par tous ces travaux importans, la mission de Pétion était réellement accomplie ; et c’est ce qui aura sans doute suggéré les réflexions dont s’agit. Car il ne restait plus qu’à développer successivement les institutions qu’il avait fondées pour couronner son œuvre politique : ce devait être le travail du temps et des circonstances plus ou moins propices. Or, malgré sa mort prématurée, le succès de cette œuvre, dans sa partie essentielle, est venu justifier ses prévisions : l’influence des institutions a amené l’unité politique d’Haïti par l’unité territoriale, et l’indépendance nationale a été consacrée solennellement, par les traités faits avec la France.

Pétion mourut dans toute la force de l’âge et doué d’une excellente constitution : s’il eût vécu encore quelques années, sait-on ce qu’il aurait accompli ? Il se serait trouvé toujours entouré des hommes de cette génération qui avait fondé la patrie avec lui, et probablement, ils ne se seraient plus opposés à son système politique, puisque déjà ils en avaient reconnu les avantages et que de nouveaux succès les en auraient encore convaincus.

Un seul côté de son administration laissait à désirer plus d’énergie de sa part, à cause des mesures qu’il fallait prendre : — les finances, ce besoin indispensable pour les grandes choses à exécuter dans l’intérêt général ; car, les velléités d’influence politique que nous avons signalées de la part de la Chambre des représentais, si elle persistait à les manifester, eussent été réfrénées par un seul mot de lui. Sa manière de procéder envers le Sénat en est un sûr garant.

Personne ne peut donc savoir si, après ses soucis par rapport aux finances, — soucis augmentés sans doute par son état maladif, — il n’eût pas senti la nécessité d’y pourvoir par plus de résolution envers les comptables, par des mesures plus appropriées à l’état des choses, à raison même de tout ce qu’il projetait et des an angemens qui seraient survenus entre Haïti et la France, dans ces quelques années de son existence prolongée[45].

Mais il a plu à la Providence de l’abréger ; car nous croyons avoir suffisamment démontré qu’il faut attribuer la mort de Pétion aux causes physiques auxquelles il n’a pu échapper, loin que nous sommes d’admettre qu’elle fut volontaire de sa part.

Dans sa profonde sagesse, la Providence a des vues qui échapperont toujours aux investigations humaines. Du moins on peut dire que Pétion a légué à son pays tout ce qui pouvait contribuer le plus à sa tranquillité et à sa prospérité dans l’avenir. C était aux chefs qui lui succéderaient au pouvoir, à son successeur immédiat surtout, aux classes éclairées de la nation également, à se pénétrer de sa pensée, de ses sentimens, pour ne pas compromettre le sort de la patrie érigée par les fondateurs de l’indépendance. À eux tous était dévolue désormais la mission qui convient aux conservateurs dans tous les temps, pour garantir l’ordre social des événemens qui le bouleversent quelquefois.

  1. Christophe faisait si peu inquiéter nos lignes avancées, que pendant la réédification des maisons du Port-au-Prince, depuis la vente générale des biens du domaine, nos soldats allaient en canots sur les côtes de l’Arcahaie, et enlevaient des carreaux et des briques dans les anciennes usines et maisons incendiées de cette plaine, qu’ils vendaient ensuite aux nouveaux propriétaires de la capitale.
  2. La France ne fut délivrée qu’a la fin de 1818, des 150,000 hommes qui y tenaient garnison. En somme, l’invasion de 1815 et cette occupation de son territoire lui coulèrent près de deux milliards de francs ; et dans une telle situation, recomposant son armée, elle ne pouvait songer à faire une expédition militaire contre Haïti.
  3. En 1838, M. Hypolite Passy me dit qu’il était au Port-au-Prince en 1817, et qu’il fut présenté par R. Sutherland à Pétion avec qui il eut plusieurs entretiens ou conversations. M. le comte Mole m’ayant dit aussi, qu’étant ministre de la marine et des colonies à la même époque, il avait été d’avis que la France reconnût l’indépendance d’Haïti aux conditions proposées par Pétion, j’ai pensé, sans en être certain, que M. Passy avait pu être chargé de la mission dont je parle. M. Lepelletier de Saint-Rémy avoue d’ailleurs, qu’après celle de 1816, le gouvernement français en fit remplir et que « les négociations cessèrent d’avoir un caractère officiel, et tendirent plutôt à préparer les voies qu’a trouver une solution. » — T. 2, p. 31.
  4. C’est J. Thézan qui m’a entretenu, longtemps après, des particularités qu’on va lire à ce sujet. F. Arrault était en même temps sénateur de la République, et les deux autres suges au tribunal de cassation.
  5. Pages 31 et 32.
  6. Page 31 des Mémoires.
  7. Je dois déclarer ici, une fois pour toutes, que si en ma qualité d’homme public, de sénateur, mes convictions raisonnées et mes sentimens me portèrent à défendre le gouvernement du président Boyer, aujourd’hui je comprends que j’ai une autre mission a remplir, en étudiant l’histoire de mon pays.

    Le public haïtien doit comprendre aussi la différence qui existe entre ces deux situations. Le fonctionnaire résiste aux tentatives d’une révolution dont il prévoit les suites funestes ; — celui qui écrit une histoire doit rechercher les causes des événemens, les apprécier avec impartialité, en disant tout ce qui est parvenu à sa connaissance. Faut-il appuyer cette déclaration par une opinion mieux formulée ? La voici : «… Mais l’historien ne jouit pas de ce privilége-là ; son premier devoir est de mettre ses sympathies personnelles de côté, et de ne demander aux faits que ce qu’ils contiennent. Un historien est bien libre d’aimer tel pouvoir qui échoue et de ne pas aimer tel pouvoir qui réussit, mais il n’est pas libre de ne pas rechercher les causes du succès et de l’insuccès… »

    M. Paulin Limayrac.
  8. Borgella logea chez mon père, comme il en avait l’habitude : c’est ainsi que j’ai pu savoir les particularités qu’on va lire.
  9. Dans un voyage que Daumec fit aux Cayes, il se chargea de présenter cette demande de mise en possession et il l’obtint pour cette dame.
  10. Il paraît que Pétion crut qu’il était secrètement mécontent. Sur son habitation, Borgella recevait beaucoup de visiteurs parmi les voyageurs ; il y en eut qui, en échange de l’hospitalité gracieuse qu’ils y recevaient, répandirent contre lui des propos malveillans au Port-au-Prince.
  11. Piny éprouvait tant d’orgueil et d’ostentation dans sa charge, qu’il fit venir de France des vases de grande dimension en porcelaine, pour servir de pots à fleurs qu’il exposait sur une terrasse de son logement. Par l’a, il se lit accuser encore mieux de dilapidations dans l’hôtel des monnaies.
  12. À cette époque, on imputa à Boyer d’avoir critiqué les mesures financières de l’administration, en parlant aux Officiers du 3e régiment réunis au fort Lamarre ; et l’on dit que ses paroles furent de suite rapportées à Pétion. Il peut avoir été calomnié, mais cela s’est dit. Cependant, on verra que les premiers actes de sa présidence ont été d’accord avec ses opinions.
  13. Les formalités administratives ne permirent à Borgella de l’acheter qu’au mois de mai suivant, sous la présidence de Boyer.
  14. En parlant à Pétion des causes qui firent péricliter son habitation, Borgella reçut ce reproche amical : « Si vous aviez suivi mes conseils, vous eussiez mieux fait, et j’aurais eu la satisfaction de vous avoir toujours près de moi. »
  15. Cet article fut reproduit sur l’Abeille haïtienne, avec de nouvelles réflexions de son rédacteur qui engageait les autorités à prendre des mesures pour la salubrité de la ville. Nous croyons nous rappeler que celui du Télégraphe fut écrit par Daumec, qui publiait quelquefois des choses utiles sur ce journal. Nous les avons sous nos yeux.
  16. Rendu à la raison, après son emprisonnement, Colomb fut si peiné d’avoir manqué de respect à Pétion, et si honteux d’être renvoyé de son corps, qu’il prit dès lors la résolution de ne plus boire des liqueurs fortes. Il vint voir Borgella, son ancien colonel, qui lui fit de vifs reproches sur sa conduite ; et ce vieux brave pleura comme un enfant, en ma présence : il vécut longtemps après, retiré sur son don national qu’il cultivait dans la commune de Cavaillon.
  17. . Revenu chez mon père, le général Borgella lui dit qu’il venait de quitte Pétion ave un sentiment de pénible émotion ; qu’il trouvait que ses traits étaien profondément altérés après un seul accès de fièvre, et que tout en lui semblait présager une mort prochaine. Mon père l’engagea alors à différer son départ, et Borgella lui apprit que le président le lui avait conseillé, mais qu’il lui avait répondu qu’il était nécessaire qu’il retournât chez lui. Un instant après, Solages et Chardavoine, ses aides de camp, rentrèrent et opinèrent pour le départ, en disant à leur général, que depuis quelque temps Pétion étant souvent malade, il fallait espérer qu’il n’y aurait aucun résultat fâcheux de sa maladie actuelle. Le lundi au jour, ils se mirent en route.
  18. Pétion n’aurait pas pu vivre aussi longtemps dans une abstinence complète ; il faut donc croire qu’il a pris au moins des tisanes, etc.
  19. Cet article de l’Abeille haïtienne, écho de toutes les appréciations erronées de l’époque, paraît avoir été cause de toutes celles qui ont été reproduites dans les livres étrangers, avec plus ou moins d’amplifications. Il est inutile de citer ici leur texte à ce sujet, et en cela on peut dire que louis auteurs sont excusables de s’être trompés sur les causes probables de la mort de Pétion. Si, d’après ce journal, « Pétion expira dans le calme de l’âme, » un tel état moral ne s’accorderait pas avec la pensée, la volonté d’un suicide. On n’aura pas fait attention, sans doute, qu’en se refusant aux instances de sa famille et de ses amis, il était déjà dans un état comateux.
  20. Dans ses Mémoires de 1843, p. 32 et 33.
  21. Je produis cette lettre d’après l’original que j’ai sous les yeux.
  22. S’il est vrai qu’il prêcha l’union et la concorde à ceux qui l’entouraient, et « qu’il expira avec ce calme de l’âme qui caractérise l’homme irréprochable, » comme l’a dit je journal, c’est une preuve qu’il ne se suicida pas, mais qu’il se résigna à son sort, à l’effet de la maladie. Un chef qui se laisse mourir volontairement ne se préoccupe pas de l’union de ses concitoyens, ne meurt pas avec ce calme religieux et philosophique.
  23. L’épidémie enlevant d’autres infortunés, on avait cessé de sonnerie glas funèbre à l’église, selon l’usage, dans la crainte que ce bruit lugubre des cloches ne fît impression sur Pétion. (Abeille haïtienne du 3 avril.) — L’église ayant beaucoup souffert dans l’explosion de la poudrière placée dans son voisinage, il la faisait réparer. Il avait fait venir de l’étranger une grosse cloche pour remplacer celle qui était fêlée ; elle fut montée à l’occasion de sa mort, par les soins du colonel Morette et des marins de l’État. Des capitaines de navires étrangers vinrent d’eux-mêmes l’assister dans cette opération.
  24. J’ai vu ce que je dis. On croit généralement que les matelots sont des hommes peu sensibles, par le dur métier qu’ils font : j’ai vu ceux des navires étrangers pleurer comme les commerçans de leurs nations.
  25. Abeille haïtienne du 3 avril.
  26. Abeille haïtienne du 3 avril.
  27. Laporte était un de ces Français venus de Cuba au Môle, en 1809, et qui acquit la qualité d’Haïtien en soignant les blessés de l’armée de Lamarre. L’opération des médecins se lit en présence des présidens et secrétaires du Sénat et de la Chambre des représentai, des Grands fonctionnaires, etc.
  28. Ces mots élogieux avaient été écrits dans l’Adresse du Sénat, du 1er juillet 1807. Depuis la mort de Pétion, on a dit : Il ne fit couler des larmes qu’à sa mort. Ce fut Chéri Archer qui orna ce char avec un goût particulier.
  29. Abeille haïtienne du 3 avril.
  30. Noël Desvignes est mort au Port-au-Prince, en septembre 1851, âgé de plus de 80 ans. Il avait perdu la vue dans une salve tirée en l’honneur des commissaires civils Polvérel et Sonthonax.
  31. Tous les samedis, les pauvres du Port-au-Prince se réunissaient au palais où Pétion, toujours assisté de sa fille Célie, leur distribuait l’aumône que sa bonté rendait plus agréable à leur gratitude.
  32. « Au moment de l’enlèvement du corps du défunt, sa fille, l’affligée Célie, est aussi venue faire les derniers adieux aux mânes de son père… Intéressante pupille du Peuple haïtien, tu nous as déchiré le cœur par la touchante invocation ; il nous a fallu toute la maturité de l’âge pour ne pas tomber de faiblesse avec toi… » — Abeille haïtienne.
  33. Ces choses se firent durant trois jours consécutifs.
  34. Un peintre étranger, nommé Hardy, conçut l’idée de représenter en huit tableaux, la marche du cortège pendant les obsèques de Pétion. Il les dessina et se rendit aux États-Unis où il fit exécuter des gravures qu’il enlumina et qu’il revint vendre en Haïti, en les accompagnant d’une petite brochure explicative où il filles plus grands éloges du défunt.
  35. Parmi les aides de camp de Pétion, on distinguait le chef d’escadron Vicsama dont l’attachement et la vénération pour le président ont été constans : ce qui honore son cœur.
  36. La famille de Pétion garda durant plusieurs années, dans un oratoire, l’urne qui contenait son cœur ; et elle la plaça ensuite dans le caveau où est le cerceuil et où un petit autel été dressé, Là fut placé aussi le cerceuil où gît Célie, décédé en 1825.
  37. Au 3 avril où Hérard Dumesle prononça son discours, on savait aux Cayes l’élection de Boyer à la présidence. Le 8, H. Dumesle lui écrivit pour l’en féliciter ; nous n’avons pas vu sa lettre, mais son discours dit assez ce qu’il a dû lui écrire. Le 13, Boyer lui répondit en lui exprimant sa reconnaissance au sujet des félicitations qu’il lui avait adressées, et lui dit qu’il avait juré de maintenir et de faire respecter les droits et l’indépendance du peuple haïtien ; qu’il comptait sur l’assistance de tous les vrais amis de la patrie, de ceux qui trouvent leur bonheur particulier dans la félicité publique, et qu’il serait toujours disposé à recevoir de leur part, les avis que leur amour du bien public leur dictera. (J’ai la copie de la lettre de Boyer.)
  38. Voyez pages 228 et 285 du 1er volume de cet ouvrage.
  39. Voyez l’ouvrage de M. Saint-Remy, intitulé Pétion et Haïti, pour connaître l’enfance et la jeunesse de Pétion, et les brutalités dont son père l’accabla.
  40. On a beaucoup reproché aux hommes de couleur, à la classe intermédiaire, de n’avoir pas aspiré, dès le début de la révolution, à l’émancipation complète des esclaves. Il est vrai qu’ils ne songeaient, de même que les Amis des Noirs, qu’à une émancipation graduelle, la seule possible alors. Eh bien ! au fond, Toussaint, le plus éclairé parmi les esclaves, même le seul éclairé, adopta le même système par les conditions qu’il posa pour la soumission des ateliers en révolte : c’était les émanciper graduellement, que d’abolir le fouet et de leur accorder trois jours par semaine. Si nous l’accusons d’égoïsme, c’est qu’il donna ensuite la preuve de ce sentiment lorsque la liberté générale fut proclamée, et qu’il ne voulut pas se réunir avec ses frères aux commissaires civils.
  41. Le 21 novembre 1791, Pétion était d’abord sur la place du Champ de Mars avec ses canons, quand il tira sur Praloto et consorts : le 21 septembre 1793, il y salua la déclaration de la liberté générale faite par Polvérel, au nom de la France. Prédestiné à consacrer ce droit en Haïti par de solides institutions, il était convenable que son tombeau fût érigé sur la même place d’armes, pour y être couvert par les rameaux de l’arbre de la Liberté.
  42. « Quant à la continuation de la traite des nègres, cela ne put pas affecter les noirs de Saint-Domingue qui la désiraient pour se recruter et s’augmenter en nombre ; ils l’avaient encouragée pour leur propre compte. » — Mémoires de Sainte-Hélène.

    C’est-à-dire, que Toussaint Louverture la désirait et se proposait de l’encourager ; mais les Noirs ne partageaient pas ses vues, car la traite n’eût amené que des esclaves à Saint-Domingue. À cet égard, Toussaint pensait comme le Premier Consul : voila l’exacte vérité.

  43. « Par quels moyens Guillaume (d’Orange) triompha-t-il de tous ces partis, de ces ennemis intérieurs, de ces obstacles ? Par un seul, en restant fidèle à la cause de la révolution qui l’a appelé. » — Louis-Napoléon, Révolutions de 1688 et 1830.
  44. Parmi les auteurs étrangers, Pamphile de Lacroix a dit, tome 2, p. 265 et 266 :

    « Quant à Pétion… je prédis alors ses destinées ; il les a remplies. Il paraît, au reste, qu’il est mort à temps pour ne pas décliner. Dégoûté des choses de ce monde, il était tombé dans l’apathie, et n’avait plus l’activité d’âme nécessaire au créateur et au directeur d’un système politique… Il s’est jeté dans le monde imaginaire de Platon, et dans l’aberration de ses facultés, a pourtant conservé assez de volonté pour se laisser mourir de faim. Sa mort a consolidé la république… »

    Après lui, M. Lepelletier de Saint-Rémy a dit aussi, t. 1er, p. 205 et 206 :

    « Pétion gouverna jusqu’en 1818. Quoiqu’il n’eût que 48 ans, l’énergie de son âme s’était affaiblie, tandis que son intelligence, restée saine, lui révélait sa décrépitude hâtive… Aucune foi religieuse n’étayant sa faiblesse, il se laissa mourir de faim comme un sophiste grec. »

    Ainsi du reste ; chacun broda a sa guise sur le canevas que leur fournirent des Haïtiens, ou des Étrangers présens dans le pays au moment de la mort de Pétion. Il est inutile de réfuter ces assertions erronées.

  45. L’ordre que mit Boyer dans les finances, peu après son avènement, nous autorise à dire que Pétion eût pu le faire avec autant de facilité. Il ne s’agissait que de ne pas exécuter les lois sur le budget, de réduire les émolumens, les appointemens des fonctionnaires publics, la solde de l’armée, d’augmenter certains impôts, toutes choses que fit Boyer.