Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 8/3.5

Chez l’auteur (Tome 8p. 225-258).

chapitre v.

Publication de la constitution. — Des commissaires français arrivent au Port-au-Prince. — Ils ouvrent une correspondance avec Pétion et se rendent sur les côtes du Nord. — Christophe ne répond pas à leurs lettres. — Élection de Pétion à la présidence à vie. — Discours, prestation de serment et installation du Président d’Haïti. — Il nomme Imbert, Secrétaire d’État ; Sabourin, Grand juge ; Inginac, Secrétaire général. — S. Bolivar revient en fugitif : causes de ses revers. — Il adresse une lettre à Pétion. — De nouveaux secours lui sont accordés, et il retourne au Venezuela. — Le général Mina, allant auprès des Indépendans du Mexique, passe au Port-au-Prince où il est accueilli par Pétion. — Billaud-Varenne et d’autres étrangers se réfugient dans la République. — Les commissaires français reviennent au Port-au-Prince, et continuent leur négociation avec Pétion. — Leur mission tend à faire reconnaître la souveraineté du Roi de France. — Pétion s’y refuse. — Réflexions à ce sujet. — Les commissaires repartent pour la France. — Proclamation du Président d’Haïti et publication des pièces de la négociation. — Christophe publie une Déclaration royale et d’autres documens. — Substance du rapport des commissaires au gouvernement français. — Avis du Secrétaire général, annonçant que les ports d’Autriche sont ouverts au commerce haïtien. — Circulaire du Grand juge aux membres du corps judiciaire. — Avis du Secrétaire d’État sur le cabotage réservé aux Haïtiens. — Pétion fonde le lycée national du Port-au-Prince pour les jeunes garçons, et un pensionnat pour les jeunes filles. — Ses vues à l’égard de l’instruction publique. — Des Quakers américains viennent au Port-au-Prince où ils prêchent la doctrine évangélique.


La constitution revisée ne fut imprimée qu’à la fin de septembre. Envoyée alors aux autorités civiles et militaires, elles la publièrent avec pompes dans toutes les communes : cet acte ouvrait une nouvelle ère pour ces communes, puisque désormais leurs représentais participeraient au gouvernement de la République. Aussi la constitution fut-elle accueillie partout avec la plus grande satisfaction[1].

Peu de jours après, deux navires de guerre français atteignaient les attérages d’Haïti : la frégate la Flore et le brig le Railleur. Ils avaient à leur bord des commissaires nommés cette fois par une ordonnance de Louis XVIII, en date du 24 juillet et contre-signée par le comte Dubouchage, ministre de la marine et des colonies.

Ces commissaires étaient : le vicomte de Fontanges, lieutenant général, et le conseiller d’État Esmangart. Un troisième avait été nommé, — le capitaine de vaisseau Du Petit-Thouars ; mais il mourut en mer, peu après le départ des navires de Brest. Il y avait de plus deux commissaires-suppléans : le colonel Jouette, et Cotelle Laboulaterie, procureur du roi à un tribunal civil de France. Le sieur Laujon était secrétaire général de cette commission[2].

Tous les membres qui la formaient étaient d’anciens colons de Saint-Domingue ; mais, comme on les chargeait de séduire les Haïtiens, on leur adjoignit quelques autres hommes dans ce but. C’étaient : Hercule Dominge, un Noir né à la Martinique, chef d’escadron en retraite ; Ledué, un Mulâtre de Léogane, ancien capitaine d’artillerie de la Légion de l’Ouest ; Noël Delor, chef d’escadron, et Fournier, deux autres Mulâtres dont nous ignorons l’origine : ce dernier venait en qualité d’aide-copiste du secrétaire général.

Dans la prévision du succès qu’il désirait, le gouvernement français remit au chef de la commission, 1000 croix du Lis, 10 croix de Saint-Louis, et 12 croix de la Légion d’Honneur à l’effigie de Henri IV, pour être distribuées aux généraux et aux principaux fonctionnaires Haïtiens qui se laisseraient prendre à cette amorce. Il est probable que les croix données par Henry Ier à la noblesse du Nord en fournirent l’idée.

Afin de mieux prouver aux Haïtiens qu’ils pourraient rétendre à ces distinctions, à raison des services qu’ils rendraient, le vicomte de Fontanges commença par décorer Hercule de l’une des croix de la Légion d’Honneur. Du reste, il l’avait méritée depuis longtemps, pour avoir apporté au général Leclerc, la loi du 30 mai 1802 qui rétablit l’esclavage [3].

Étant en mer, le 2 octobre, MM. de Fontanges et Esmangart écrivirent une lettre adressée « À Monsieur le général Pétion, » qu’ils firent porter au Port-au-Prince par le Railleur, sous le commandement de M. Bégon, autre colon : ce brig y entra le 4. Les chevaliers de Jouette et Hercule furent chargés de remettre la lettre à Pétion : ils étaient accompagnés de Ledué qui, ayant servi sous ses ordres, se montra très-officieux en cette circonstance[4]. Cette dépêche annonçait une mission pacifique ; ainsi :

« Sa Majesté était douloureusement affectée du retard mis par ses enfans de Saint-Domingue à arborer son drapeau qu’ils avaient longtemps défendu avec courage, car ils ne lui étaient pas moins chers que ceux que ce bon Prince avait retrouvés en Europe. Les tentatives criminelles de l’Usurpateur et les maux qu’elles ont occasionnés, avaient retardé l’exécution des projets du Roi (pendant le règne des Cent-Jours qui fit avorter l’expédition contre Haïti), et il n’ignorait pas que si d’une part les habitans de cette île avaient constamment résisté à l’usurpation, ils n’avaient pas montré moins de courage quand ils s’étaient crus menacés d’une domination étrangère (celle des Anglais appelés par les colons au nom du Roi)… Votre vieux, votre ancien Général, — le vicomte de Fontanges, — celui sous les ordres duquel vous et vos compatriotes avez défendu avec honneur la cause du Roi, quand des sujets parjures (des colons) osaient l’attaquer, est le chef de cette mission toute pacifique… »

Pour comprendre cette dernière phrase, il faut se rappeler que le vicomte de Fontanges avait été le médiateur de la coalition formée en avril 1792, dans l’Artibonite où il avait ses propriétés, entre les blancs contre-révolutionnaires et les affranchis : coalition qui eut lieu par les soins de Pinchinat, afin de pouvoir résister à l’assemblée coloniale du Cap et à Borel, l’un de ses membres, qui, de concert avec Dumontellier, commettait mille atrocités sur les affranchis[5]. Mais alors, Pétion était dans l’Ouest et ne s’était nullement trouvé sous les ordres du noble vicomte. Celui-ci ne rappelait ce fait, aussi vieux que lui, qu’afin de faire entendre à Pétion qu’il pourrait se concerter de nouveau avec les hommes de couleur pour replacer l’ancien Saint-Domingue sous les lois de la France, redevenue royaliste.

Le 6 octobre, le président répondit à la lettre des commissaires avec sa modération habituelle. Il convint que « lui et ses concitoyens avaient défendu le drapeau français (le drapeau tricolore) avec beaucoup de courage et un dévouement sans bornes » ; mais il rappela aussi la conduite qu’on avait tenue à leur égard : ce qui nécessita la formation d’un peuple nouveau, érigeant une République qui se gouvernait par ses propres lois. Il parla des efforts que faisait la Grande-Bretagne pour faire cesser le honteux et barbare trafic de la traite des noirs, et de la réserve que S. M. Très-Chrétienne avait faite de le continuer pendant cinq années, à la suggestion des colons dont la méchanceté, les écrits et les libelles incendiaires prouvaient, qu’auteurs de leurs propres maux, ils étaient des êtres incorrigibles[6]. À ce sujet, il rappela les faits relatifs à la mission de D. Lavaysse et consorts, envoyés à Haïti par un ministre-colon influent auprès de Louis XVIII. Enfin, Pétion termina sa réponse en disant aux commissaires français, qu’ils trouveraient dans la République toute la sécurité commandée par le droit des gens, et « qu’établi par la nation, le garant et non l’arbitre de ses destinées, il recevrait en son nom les propositions qui concerneraient son bonheur et ses droits, en se conformant à l’exercice des pouvoirs qu’elle lui avait confiés. »

La Flore et le Railleur étaient déjà dans la rade du Port-au-Prince. Étant à bord, les commissaires adressèrent à Pétion une deuxième lettre avec une copie en forme, de l’ordonnance royale en vertu de laquelle ils venaient remplir leur mission. Cet acte disait :

« La colonie de Saint-Domingue a particulièrement fixé notre attention. Nous avons reconnu qu’il était utile d’y envoyer des commissaires, pour calmer les inquiétudes que les habitans de cette île peuvent avoir sur leur situation ; faire cesser leur incertitude, déterminer leur avenir, légitimer les changemens que les événemens peuvent avoir rendus nécessaires, et spécialement ceux qui tendent à améliorer le sort de nos sujets. Nos commissaires s’entendront avec les administrateurs actuels, sur tout ce qui tient à la législation de la colonie, au régime intérieur et d’ordre public, aux fonctionnaires civils et militaires, à l’état des personnes et au rétablissement des relations commerciales avec la métropole. Ils nous désigneront ceux de nos sujets qui se sont rendus dignes de notre bienveillance, et qui auront mérité des récompenses par leur attachement et leur fidélité à notre personne. »

Aussitôt après l’envoi de cette ordonnance, les commissaires et leur suite débarquèrent au port ; ils y furent reçus par les officiers de la place, et accompagnés au palais de la présidence où Pétion leur fit un accueil distingué, en présence de généraux et de fonctionnaires appelés expressément. Dans cette présentation, ils demandèrent une audience au président qui la leur promit[7].

Elle eut lieu le 8 octobre dans la soirée, après un échange de lettres où, d’une part, les commissaires consentaient d’avance à être reçus en conférence, soit par le président seul, soit en présence de quelques membres du gouvernement ; de l’autre, Pétion les avertissant que les principales autorités de la République y assisteraient.

Ce fut la répétition, en tous points, de l’entretien que Pétion avait eu d’abord avec D. Lavaysse. Dès lors, les commissaires purent se convaincre qu’ils n’obtiendraient rien du principal objet de leur mission, — la soumission des Haïtiens à la souveraineté du Roi de France, par la renonciation à leur indépendance absolue qui leur garantissait leur liberté et leur propre souveraineté ; mais ces commissaires étaient obligés de tout constater par écrit, afin de prouver au gouvernement français qu’ils avaient fait tous leurs efforts pour remplir ses vues.

Les commissaires ayant appris que la nouvelle constitution venait d’être proclamée, et que le lendemain Pétion serait élu Président à vie de la République d’Haïti, ils sentirent la convenance politique de n’être pas au Port-au-Prince dans ce moment. En conséquence, dans la matinée du 9 octobre, ils se rembarquèrent avec leur suite, et les deux navires de guerre allèrent croiser devant le Cap, dans l’espoir d’y pénétrer pour informer le général Christophe de l’objet qui les amenait à Haïti. Pendant deux jours, la Flore fît de vains signaux pour avoir un pilote. C’est alors que les commissaires profitèrent d’un bâtiment des États-Unis qui entrait dans ce port, et envoyèrent leur lettre à Christophe, en date du 12 octobre, et une copie de l’ordonnance royale du 24 juillet. Ils lui disaient à peu près les mêmes choses qu’à Pétion ; qu’ils avaient eu ordre « de se rendre au Port-au-Prince, comme point central et intermédiaire, afin de communiquer avec le Nord et le Sud ;… et qu’enfin, ils attendraient toutes les communications que Christophe voudrait leur faire. » N’en ayant reçu aucune, les commissaires se firent porter du côté des Gonaïves, où ils profitèrent d’un autre navire américain pour envoyer une lettre adressée au commandant de cette place, sous le pli de laquelle se trouvait le duplicata de celle adressée à Christophe[8].


Pendant que ces commissaires se portaient sur les côtes du Nord, le sénat rendait son décret du 9 octobre par lequel Pétion fut élu Président à vie. Le sénateur Bavard présidait ce corps.

Dans la séance du lendemain, qui eut lieu avec une grande solennité, et où assistèrent tous les corps constitués, les autorités civiles et militaires, l’agent commercial des États-Unis, nommé Taylor, qui avait été admis depuis quelque temps, les commerçans nationaux et étrangers, les instituteurs publics et leurs élèves, et une affluence inusitée de citoyens de tous rangs, le Président d’Haïti se présenta au sénat pour prêter son serment.

Le discours qui lui fut adressé par le sénateur Bayard récapitula la situation antérieure du pays depuis les premiers temps de sa révolution. Il rendit une éclatante justice au grand caractère, à l’énergie que montra Pétion durant cette période de vingt-cinq années ; il lui dit qu’il sut se préserver de la contagion du despotisme de ses prédécesseurs, et qu’il remplit l’attente publique ; que ses différentes élections à la présidence furent une approbation donnée à son administration, et que la nation y a applaudi.

« Haïti, entrant dans la carrière politique, n’offre pas encore cette brillante perspective des États qui figurent dans le monde civilisé : c’est l’ouvrage du temps. Mais, comme eux, passant par le degré de l’âge, elle doit arriver à ce point de maturité qui, successivement, les a illustrés. C’est au sage dont le génie a plus d’une fois sauvé la patrie, à faire germer les principes qui peuvent conduire à cette fin désirée. C’est par le rétablissement des institutions sociales, c’est enfin par la création de lois dictées par la prudence, et surtout à leur exécution, qu’on peut obtenir cet heureux succès. Vous, dont le zèle pour le bien public ne s’est point attiédi ; vous qui faites du bonheur de vos concitoyens votre principale étude, donnez l’impulsion nécessaire à l’exécution de ce plan : puisse-t-il un jour arriver à la perfection !

… On aime à se persuader qu’un accroissement de puissance n’influera point sur l’usage modéré que vous avez toujours fait de l’autorité, et que les principes dont on a, dans toutes les occasions, reconnu la pureté, resteront invariables. Le peuple compte sur votre bienveillance. Il croit pouvoir espérer que les lois, et la justice qui en résulte, seront votre règle unique, qu’un gouvernement paternel signalera tous les instans de votre existence politique, et que le pouvoir confié à vos soins sera employé au bonheur général : tel est son vœu… »

Les mots soulignés dans cette partie du discours le furent par le président du sénat lui-même. Ils indiquent que ce corps, tout en tenant à Pétion un langage flatteur pour ses belles qualités, tout en lui disant de ces choses qu’il convient de rappeler au chef de l’État en de telles circonstances, partageait jusqu’à un certain point l’opinion du premier sénat de 1808, sur l’inexécution des lois qu’on lui imputait ; et par là on le rendait responsable de l’impossibilité où se trouvaient bien des fonctionnaires de les comprendre : on semblait ne pas vouloir envisager le véritable état des choses[9].

Le Président d’Haïti répondit :


xxx« Citoyens Sénateurs,

La constitution de la République vient d’être revisée, aux termes de nos lois fondamentales et dans les bases de celle du 27 décembre 1806. Elle a éprouvé les changemens que le temps et l’expérience ont rendus indispensables, et ces changemens sont calculés plutôt sur les mœurs et le caractère du peuple pour lequel elle a été établie, que sur tout autre pacte social des autres gouvernemens.

Dans la situation où nous sommes placés, il était du devoir de nos législateurs de garantir la République contre tout ce qui aurait pu faire craindre pour sa sûreté et son indépendance ; d’expliquer au peuple l’étendue de ses droits et de sa puissance, comme souverain, et de lui indiquer en même temps ce qu’il devait de respect et de soumission aux lois qu’il s’était tracées lui-même. Que chaque Haïtien, la Charte constitutionnelle à la main, sache ce qu’il peut et ce qu’il doit.

Il fallait diviser les pouvoirs sur lesquels reposent la garantie de la liberté publique ; les régler sur la démocratie qui nous gouverne ; lever tous les obstacles qui auraient pu s’opposer à la marche du gouvernement, et rendre la constitution exécutable, pour s’assurer qu’elle fût exécutée.

J’aime à me persuader, citoyens Sénateurs, que ce but a été atteint, et que nous concourrons, avec la Chambre des représentans des communes, à justifier l’espoir du peuple… »

Après ce discours qui explique la pensée politique de Pétion dans l’œuvre de la révision, il prêta son serment, et le cortège se rendit à l’église pour entendre le Te Deum d’usage, et de là au palais de la présidence. Un banquet y fut offert aux principaux fonctionnaires publics par le Président d’Haïti, et dans la soirée la ville fut illuminée.

Dans le même mois, le président nomma les citoyens J.-C. Imbert, Secrétaire d’Etat des finances ; À. D. Sabourin, grand juge ; et B. Inginac, Secrétaire Général, Depuis longtemps, ils participaient au gouvernement de la République : c’était récompenser leur zèle que de les appeler à remplir ces grandes fonctions.


Dans le courant du mois de septembre, S. Bolivar était arrivé au Port-au-Prince, encore en fugitif. Quand il partit des Cayes, en avril, il se rendit avec sa flotille à l’île de la Margarita. Le 31 mai, il opéra le débarquement de ses troupes sur la Côte-Ferme, à Carupano où deux de ses meilleurs généraux, Mariño et Piar, se séparèrent de lui pour aller recruter des forces dans l’intérieur. Bolivar se porta alors à Ocumare où il débarqua le 3 juillet. Le 6, dans une proclamation aux liabitans de Venezuela, il décréta « la liberté générale des esclaves, » comme il l’avait déjà fait à la Margarita et à Carupano. « Nos malheureux frères qui endurent l’esclavage, dit-il, sont dès ce moment, déclarés libres. Les lois de la nature et de l’humanité, et le gouvernement lui-même réclament leur liberté. Désormais, il n’y aura dans Venezuela qu’une classe d’habitans : tous seront citoyens. »

Après ce nouvel acte, où il tenait pour la troisième fois sa parole donnée à Pétion, il se rendait à Valencia, lorsque le 10 juillet, il rencontra le général Morales, Espagnol royaliste, qui le vainquit dans un combat. Contraint de fuir, Bolivar revint à Ocumare où il s’embarqua sur la Diane, bâtiment des indépendans. Il se dirigeait avec toute la flotille à l’île hollandaise de Buenos-Ayres, quand l’amiral Brion le joignit et le persuada de retourner auprès de ses compagnons d’armes. Maisayant rejoint Mariño et Piar, ces deux généraux l’accablèrent de reproches, et Piar menaça de le faire arrêter et juger : ce qui l’indigna et le porta à se rembarquer et à revenir à Haïti[10].

Ayant si loyalement rempli les promesses qu’il fit à Pétion, relativement aux esclaves, Bolivar ne pouvait qu’en, recevoir de nouveau on accueil distingué, quoi qu’en ait dit Ducoudray Holstein, qui a écrit l’histoire de sa vie. Pétion savait que tout militaire est sujet à des revers, et que le principe de la liberté générale, une fois proclamé dans le Venezuela, porterait nécessairement son fruit.

Le 9 octobre, en apprenant l’élection à vie du président, il lui adressa une lettre des plus flatteuses où il rendit justice à ses hautes qualités gouvernementales : « Votre Excellence, lui dit-il, possède une faculté qui est au-dessus de tous les empires, celle de la bienfaisance… Il n’y a que le Président d’Haïti qui gouverne pour le peuple : il n’y a que lui qui commande à ses égaux. Le reste des potentats, contents de se faire obéir, méprisent l’amour qui fait votre gloire… Le Héros du Nord (Washington) ne trouva que des soldats ennemis à vaincre, et son plus grand triomphe fut celui de sa propre ambition. Votre Excellence a tout à vaincre, ennemis et amis, étrangers et nationaux, les pères de la patrie, et jusques aux vertus de ses frères. Cette tâche ne sera pas la plus difficile pour Votre Excellence ; car elle est au-dessus de son pays et de son époque… »

On peut concevoir l’expression d’une telle admiration, par les secours que Bolivar avait reçus de Pétion au commencement de l’année ; mais aussi par l’appréciation qu’il put faire de toutes ses qualités éminentes, qui lui valurent de semblables éloges de la part de D. Lavaysse, parlant à son propre gouvernement. En ce moment, Bolivar voyait encore avec quelle dignité il recevait les commissaires français, des colons, forcés eux-mêmes de rendre justice aux procédés de Pétion envers eux.

Peu après, l’amiral Brion réussit à porter les compagnons d’armes de Bolivar à le rappeler auprès d’eux ; car son influence pouvait davantage pour le succès de la cause de l’indépendance de la Côte-Ferme. Pétion lui accorda de nouveaux secours en armes, munitions, etc., qu’il prit au Port-au-Prince et à Jacmel : là il s’embarqua sur la Diane le 26 décembre, cette fois, pour aller triompher définitivement de la puissance espagnole dans ces contrées[11].

Au moment où il adressait sa lettre à Pétion, le général Mina arrivait au Port-au-Prince sur le vaisseau le Calédonien, escorté de la corvette la Calypso, venant de Londres et en dernier lieu des États-Unis. Ce général s’était rendu célèbre, en Espagne, par la guerre de guérillas qu’il fit aux Français, de 1809 à 1814 ; mais il avait quitté son pays dans cette année pour se réfugier en Angleterre, à cause du despotisme de Ferdinand VII ; et il allait alors prêter son appui aux indépendans du Mexique, dans la lutte qu’ils soutenaient contre l’Espagne. La République d’Haïti, déjà renommée à l’étranger par la haute réputation de Pétion et sa sollicitude pour tout ce qui favorisait la liberté et l’indépendance de l’Amérique, parut à Mina comme la dernière station où il devait s’inspirer pour son entreprise. En rencontrant Bolivar au Port-au Prince, il se fortifiait par lui dans ses desseins.

La capitale de la République offrait en ce moment l’intéressant spectacle d’une réunion d’hommes de divers pays, y venant s’abriter à l’ombre de ses lois toutes favorables à la liberté, assistant à l’édification de ses nouvelles institutions et au témoignage de la confiance d’un jeune peuple qui remettait aux mains de son premier magistrat, les rênes du gouvernement de l’État pour toute la durée de sa vie. On y voyait, outre les commerçans étrangers, Mina et ses compagnons, Bolivar et plusieurs de ses compatriotes, des Français fuyant leur beau pays à cause des proscriptions de la réaction de 1815, et parmi eux, l’ex-conventionnel Billaud-Varenne qui trouva enfin un asile dans ses malheurs. Ce dernier et les plus éminens parmi les autres, voyaient Pétion assez souvent, parce que, dans la simplicité de ses mœurs républicaines, il était accessible à tous. Ils allaient admirer en lui, l’ami de ses concitoyens, le père de la patrie qui leur donnait refuge.

Il y avait réellement quelque chose de singulier à trouver en même temps à Haïti, un conventionnel qui avait voté la déchéance de Louis XVI, qui avait voté sa mort, un membre du fameux comité de salut public, — et des commissaires de Louis XVIII, qui venaient proposer à la République, née des idées et des principes révolutionnaires de la France, de renoncer à son indépendance et à sa souveraineté pour reprendre son ancienne condition de colonie sujette.

C’est alors que, témoin des efforts que faisaient ces anciens colons dans ce but, Billaud-Varenne dit à Pétion : « La plus grande faute que vous ayez commise, dans le cours de la révolution de ce pays, c’est de n’avoir pas sacrifié tous les colons jusqu’au dernier. En France, nous avons fait la même faute, en ne faisant pas périr jusqu’au dernier des Bourbons.  » Mais il tenait ce propos abominable, à un chef dont le cœur ne connut jamais la haine et qui considérait tous les hommes, comme des créatures d’un même Dieu, tout en sachant défendre les droits de sa race[12].


Les commissaires français, présumant que l’installation de Pétion avait dû être terminée, revinrent au Port-au-Prince le 23 octobre. Etant encore à bord de la Flore, ils lui adressèrent une lettre pour expliquer les causes de leur absence momentanée ; à cet effet, ils lui envoyèrent copie de leur dépêche adressée à Christophe, en duplicata et sous le couvert du commandant des Gonaïves, « le pilote du Cap n’ayant pas répondu au signal de la frégate, disaient-ils »

La même lettre reprit les communications officielles commencées avant leur départ pour les côtes du Nord. Ils répliquèrent à celle de Pétion en date du 6, en lui disant qu’il fallait oublier le passé dont le souvenir ne pouvait que rendre les rapprochemens impossibles : « que la mission de D. Lavaysse avait été désavouée publiquement ; que Louis XVIII n’avait jamais donné aucun pouvoir à cet agent ; qu’il n’avait eu connaissance de sa mission que par son résultat et par la voix publique, qu’il l’avait blâmée et bien plus encore la conduite qui avait été tenue. »

Or, le désaveu même publié sur le Moniteur du 19 janvier 1815, prouvait que le Roi de France avait autorisé cette mission, puisque cet article disait : « qu’elle était toute pacifique et avait pour but de recueillir et de transmettre au gouvernement des renseignemens sur l’état de la colonie, et que l’agent n’était nullement autorisé à faire des communications aussi contraires à l’objet de cette mission… » Au fait, on avait blâmé D. Lavaysse, pour avoir mis de côté ses instructions et proposé alors les mêmes choses que les commissaires venaient reproduire, ainsi qu’on le verra bientôt[13].

Enfin, les commissaires offraient aux Haïtiens, le même bonheur dont jouissaient les Français sous leur roi légitime : « Placés sur un volcan, vous n’osez rien entreprendre, rien réparer ; vos maisons sont en ruines, vos champs sont incultes, vos campagnes sont désertes[14]. Toujours inquiets des malheurs qui peuvent fondre sur vous le lendemain, vous ne songez qu’à vous défendre, et vos torches sont prêtes pour vous détruire vous-mêmes. »

Les commissaires faisaient là une vraie figure de rhétorique ; car, à cette époque, on réparait toutes les maisons des villes et bourgs vendues aux particuliers ; on en construisait d’autres sur les emplacemens vides ; on réédifiait les usines des habitations concédées ou aliénées, on cultivait des denrées qu’exportaient les navires français admis sous pavillon masqué et qu’ils introduisaient en France, en ne payant que les mêmes droits établis sur les produits des colonies de cette puissance. Il est vrai que les arsenaux étaient garnis de torches incendiaires pour dévorer tout cela en cas d’agression ; mais c’était sur ce moyen même de destruction que les Haïtiens comptaient le plus pour en éloigner toute idée, indépendamment de leur climat meurtrier et de leur courage.

Le 25, Pétion répondit à la lettre des commissaires ; et, malgré leur invitation d’oublier le passe, il revint sur tous les faits antérieurs, même sur la mission de D. Lavaysse et sur la réserve faite de continuer la traite pendant cinq années. C’était à désoler les porteurs de paroles d’oubli et de réconciliation. Enfin, il leur dit :

« Si les intentions de S. M. T. C. se concilient sur ce point, et que les pouvoirs dont vous êtes revêtus se rapportent avec cet esprit de justice et de modération, alors, oubliant tout motif particulier, et guidés par le pur sentiment de la vérité et le désir d’opérer le bien, vous nous regarderez comme un gouvernement libre et indépendant, dont les institutions consolidées reposent sur la volonté et l’amour national. Vous n’hésiterez pas à l’admettre comme base essentielle entre nous ; et en entrant par là dans l’esprit de nos lois, vous me mettrez à même, dans le cercle de mes devoirs, de pouvoir correspondre avec vous sur tous les points qui pourraient être réciproquement avantageux aux deux gouvernemens. »

Il résulte de tout l’ensemble de cette lettre, que le mot gouvernement fut mal employé, que c’était bien du peuple qu’il s’agissait, lequel avait proclamé son indépendance, et avec elle sa souveraineté. Les commissaires français feignirent de s’y méprendre, et bientôt l’on verra leur combinaison à ce sujet. La dernière partie de la lettre du président leur laissait néanmoins entrevoir que, la reconnaissance de ces deux droits étant admise comme bases des négociations, il pourrait s’entendre avec eux sur des conventions qui seraient également dans l’intérêt de la France et d’Haïti. Il ne pouvait être question que de l’indemnité déjà proposée en 1814, et du rétablissement des relations commerciales entre les deux pays, d’une manière franche, et non de la manière que cela se pratiquait déjà[15].

À peine la Flore et le brig étaient-ils revenus dans la rade du Port-au-Prince, que les matelots de ; l’équipage de la Diane et ceux de la Calypso et du Calédonien commencèrent l’embauchage des marins français en les excitant contre leurs officiers. L’insubordination était flagrante à bord de la frégate et du brig, et beaucoup de marins désertèrent. Les Français qui avaient cherché un refuge en Haïti contre la réaction royaliste, contribuaient de leur mieux à souffler cet esprit d’indiscipline, en raillant leurs compatriotes sur le drapeau blanc qui avait remplacé le glorieux drapeau tricolore ; et les commissaires se virent menacés de recomposer les deux équipages, parmi les navires marchands de leur pays qui se trouvaient dans le port[16].

En conséquence, ils s’adressèrent à Pétion pour obtenir son intervention et faire cesser cet embauchage. Le président donna l’ordre immédiatement au général Boyer d’y pourvoir. La police du port et le droit des gens exigeaient ces mesures[17].

Quelques jours après, le 30 octobre, les commissaires adressèrent une nouvelle lettre à Pétion. Afin de lui prouver que le Roi de France ne pouvait reconnaître l’indépendance d’Haïti pour consacrer ses institutions politiques, ils lui signalèrent seulement, disaient-ils, les articles 38, 39 et 44 de la constitution, relatifs à l’exclusion des blancs de la société haïtienne et à l’admission, au contraire, de tous les individus dont la couleur ou l’origine s’identifiaient avec celles de la race noire. Selon eux, c’étaient des actes de lése-philanthropie, d’hostilité envers l’Europe, de scission avec elle, qui lui donneraient le droit d’user de représailles, etc. « Si l’Europe vous jugeait par vos lois, elle serait loin de croire à votre gouvernement cette urbanité dont nous avons fait l’épreuve, et dont nous nous ferons un devoir de rendre compte. »

Et c’étaient d’anciens colons de Saint-Domingue qui faisaient de tels reproches aux Haïtiens ! C’était M. Laujon, auteur des deux brochures citées plus avant, qui les écrivait en qualité de secrétaire de la commission ! Il est vrai que l’adjonction du chevalier Hercule, de Ledué, etc. noir et mulâtres, prouvait que la France et ses colonies ne connaissaient plus le préjugé de couleur.

La lettre des commissaires avait piqué Pétion ; sa réponse du 2 novembre fut plus colorée que les précédentes.

« C’est de l’esprit dominateur des partis que la France a fait se succéder tour à tour dans cette belle contrée, leur dit-il, que l’arche sainte de l’indépendance d’Haïti, s’est élevée du sein de l’oppression et de l’injustice. En jurant de la maintenir, nous étions tout aussi loin de penser qu’elle affecterait l’autorité du Roi de France, que de l’idée de prévoir s’il triompherait un jour des Français, et qu’il ferait valoir contre nous des titres que nos armes ont détruits… Nous n’avons jamais craint d’être observés, et loin de perdre, nous ne pouvons que gagner, surtout si ces observations sont faites de sang-froid et sans passion ; c’est peut-être la raison qui nous a rendus si accessibles dans une cause aussi délicate…

En me mettant sous les yeux les art. 38, 39 et 44 de nos institutions, vous semblez nous jeter le gant, et vous éloigner de la question présente pour faire d’une cause particulière, une cause générale avec toutes les puissances de l’Europe. Cet appel à des gouvernemens qui sont si clairvoyans, serait bien tardif ; car ils n’ont pas jugé de la même manière, ce que vous appelez une marque d’hostilité envers eux… Ces articles n’ont jamais cessé d’être en vigueur, et n’ont pour but que notre garantie, qui ne peut nous être disputée que par le gouvernement français, comme vous le faites aujourd’hui, lorsque les autres puissances n’y ont aucun intérêt et qu’elles ont eu des rapports constans avec nous. Vous devez vous en convaincre par la présence d’un agent accrédite des États-Unis d’Amérique près la République, par l’Ordre en conseil du Roi d’Angleterre, du 14 décembre 1808, qui n’a jamais été révoqué, par les bâtimens étrangers qui sont dans nos ports où ils sont admis, comme les nôtres le sont dans les leurs. Vous avez dû voir dans cette ville beaucoup d’Européens faisant le commerce, et la proscription de couleur ne frapper aucun d’eux. Y a-t-il réciprocité d’avantages dans les relations commerciales entre les Étrangers et l’île d’Haïti ? La question, je pense, est résolue. Y a-t-il incompatibilité sous le rapport des propriétés, des droits de citoyens ? La réponse ne serait pas difficile…[18] »

Pétion ajouta, pour prouver le droit des Haïtiens à se donner des lois politiques comme ils le jugent convenable à leur sécurité, l’exemple de Louis XIV, révoquant l’édit de Nantes, excluant des Français au sein même de la France ; celui du Japon, de la Chine, interdisant aux étrangers jusqu’à l’entrée dans l’intérieur de leur pays. Enfin, il leur dit :

« Si vos pouvoirs n’ont pas la latitude nécessaire pour vous permettre de traiter sur la base que j’ai eu l’honneur de vous proposer, ou que vous ne jugiez pas convenable d’en faire usage dans cette circonstance, je dois vous prévenir que je ne crois pas devoir corce respondre plus longtemps avec vous sur l’objet de votre mission. »

À cette offre de passeports, succéda une courte maladie du président. Le 10 novembre, les commissaires ayant appris son rétablissement, lui adressèrent une dernière lettre où ils accouchèrent enfin, du plan longuement médité, élaboré, discuté à Paris. Cette lettre est fort longue, à raison de toutes les considérations dans lesquelles ils entrèrent pour justifier ce plan et porter Pétion à l’accepter.

Ainsi que nous l’avons dit plus avant, ils feignirent de croire que le président n’aspirait qu’à avoir « un gouvernement libre et indépendant. » Après avoir établi que « les droits du Roi, comme souverain, sont incontestablés…, qu’ils sont imprescriptibles, etc. ; » repoussé l’idée qu’ils eussent voulu faire un appel aux gouvernement étrangers, — « le Roi étant par lui-même assez fort pour défendre ses droits, selon son bon plaisir et sa volonté, sans appeler l’appui d’aucune puissance ; » essayé de démontrer que les Haïtiens n’ont aucun moyen durable, aucune ressource appréciable, pour défendre leur indépendance soit au-dedans, soit au-dehors ; les commissaires finirent par dire :

« Au surplus, général, voulant nous rapprocher, autant qu’il est en nous, de cette indépendance qui seule, dites-vous, peut fixer le bonheur du peuple, nous allons vous faire connaître quelques-unes des concessions que nous pourrions faire au nom du Roi ; les voici :

1. Il serait déclaré, au nom du Roi, que l’esclavage est aboli à Saint-Domingue, et qu’il n’y serait jamais rétabli[19].

2. Que les droits civlis et politiques seraient accordés à tous les citoyens, comme en France et aux mêmes conditions.

6. Que les anciens colons ne pourraient arriver et résider dans la colonie, qu’en se soumettant aux lois et règlemens qui seraient établis, notamment à ceux qui concernent l’état des personnes et des droits civils.

7. Qu’il serait fait par les autorités actuelles, de concert avec les commissaires du Roi, un règlement général sur les propriétés, afin de faire cesser les incertitudes et empêcher que de nouveaux troubles ne viennent encore retarder le rétablissement de la colonie. »

Nous intervertissons l’ordre des propositions articulées, afin d’indiquer de suite la chose la plus essentielle : — le retour des anciens colons sur leurs propriétés. Du reste : « — l’armée serait maintenue sur le même pied où elle se trouvait ; — le Roi n’enverrait jamais de troupes européennes à Saint-Domingue ; — le Président de la République, devenu le gouverneur général de la colonie, et les sénateurs, conserveraient leurs prérogatives et attributions, provisoirement, sauf les modifications à venir par la révision de la constitution ; — le gouverneur général et un lieutenant-général au gouvernement seraient nommés à l’avenir par le Roi, sur la présentation de trois candidats choisis par le sénat ; — les ports continueraient à être ouverts à toutes les puissances, aux conditions qui sont établies aujourd’hui pour les étrangers ; elles pourraient changer suivant les circonstances ; — le Roi emploierait ses bons offices au près de Sa Sainteté pour obtenir un Evêché pour la colonie[20] ; toutes les concessions du Roi s’étendraient au Nord comme au Sud et à l’Ouest de la colonie ; — l’acte constitutionnel serait revisé dans l’année par le sénat, de concert avec les commissaires, et le Roi serait supplié de vouloir bien l’accepter après cette révision et la garantir pour lui et pour ses successeurs (sauf à être violée comme la charte de 1814 l’a été en juillet 1830).

Méconnaître les avantages de telles concessions, c’est vouloir continuer la fiction pour renoncer à la réalité,  » ajoutèrent les commissaires-colons, après cette longue énumération d’avantages. Mais, prévoyant bien qu’ils ne seraient pas écoutés du chef auquel ils parlaient, ils lui annoncèrent qu’ils allaient se retirer, dès qu’il leur aurait accusé réception de leur lettre. Toutefois, ils le remercièrent du bon accueil qu’il leur avait fait, en promettant d’en rendre compte.

La réponse à cette lettre ne se fît pas attendre. Le même jour, 10 novembre, Pétion leur écrivit qu’il y trouvait — « les mêmes principes et les mêmes idées que ceux qui étaient énoncés dans leurs communications précédentes, et qui ramènent au point de reconnaître la souveraineté du Roi de France sur cette île… En déclarant son indépendance, le peuple d’Haïti l’a fait à l’univers entier, et non à la France en particulier. Rien ne pourra jamais le faire rétrograder de cette inébrantable résolution. Il sait par l’expérience de ses malheurs passés, par ses plaies qui saignent encore, que sa garantie ne peut être qu’en lui-même et sans partage ; il a mesuré toute la force et l’étendue de sa démarche, puisqu’il a préféré se vouer à la mort plutôt que de revenir sur ses pas, sans avoir l’intention de se mettre en état d’hostilité contre qui que ce soit. C’est au nom de la Nation dont je suis le chef et l’interprète, que je vous ai parlé. Je ne compromettrai jamais sa souveraineté, et ma responsabilité est de me conformer aux bases du pacte social qu’elle a établi. Le Peuple d’Haïti veut être libre et indépendant, je le veux avec lui. Pour changer d’institutions, c’est la Nation qui doit se prononcer, et non le chef. »

Si les propositions formulées par les commissaires français tendaient à faire reconnaître la souveraineté du Roi de France, qui aurait ensuite l’air de laisser à Haïti, — à Saint-Domingue, voulons-nous dire, — le droit de se gouverner par ses propres lois ; cette fois, la réponse de Pétion leur disait très-catégoriquement, que le peuple haïtien étant libre et indépendant, entendait bien exercer la souveraineté qui résulte de l’indépendance : il n’avait d’ailleurs jamais compris autrement la question à résoudre entre Haïti et la France.

En résumé, cette mission ne présentait qu’une variante de celle qui l’avait précédée en 1814, à part la perfidie que la première dévoila dans le plan prescrit aux agents par le ministre Malouet. Mais si les Haïtiens avaient pu faire la sottise de se laisser séduire par le nouveau plan, le résultat définitif eût été le même. D. Lavaysse, convaincu qu’il ne pouvait tenir à Pétion le langage indiqué dans ses instructions, lui avait proposé de proclamer la souveraineté absolue du Roi de France, sauf à tout espérer de sa bonté et des faveurs qu’il voudrait bien accorder aux Haïtiens ; mais, au fond, il savait bien qu’on arriverait à l’exécution du plan de Malouet, si Pétion avait adhéré à sa proposition. Les commissaires de 1816 lui proposèrent aussi de reconnaître le Roi de France comme « souverain de la colonie de Saint-Domingue, » sauf à la gouverner en son nom d’après la constitution modifiée à raison de ce léger changement.

Cette proposition n’était pas acceptable ; car en renonçant seulement au nom d’Haïti, c’eût été l’abjuration de notre indépendance. Redevenant colonie, cette île eût continué à exercer, à l’intérieur, et sous le bon plaisir du monarque français, cette espèce de souveraineté qui existe dans la législation de tout pays ; mais, à l’extérieur, le monarque seul aurait exercé cette autre souveraineté qui constitue réellement l’indépendance, ou plutôt qui en résulte à l’égard des autres puissances[21].

Après leurs entretiens et leur correspondance avec Pétion, les commissaires français devaient penser qu’il était capable de comprendre ces choses. Ils n’ont donc pu faire leurs dernières propositions, que pour obéir à leurs instructions, — quelles que soient d’ailleurs les assertions contraires qu’ils auront consignées dans leur rapport au ministre de la marine et des colonies.

Mais ce qui est fait pour nous étonner, c’est qu’en 1845, on a vu paraître en France, un ouvrage où nous lisons ce qui suit, à propos de la mission de D. Lavaysse et de celle de Fontanges et Esmangart :

« Si l’on fût entré immédiatement dans la voie ouverte par notre agent (D. Lavaysse), il est probable que dans la situation où se trouvait alors la colonie (Haïti), on serait arrivé à la solution qui a été si vivement recherchée depuis, et que quelques esprits rêvent encore aujourd’hui. — Telle fut la mission de 1816. Entreprise deux années plus tôt, avant que la révolution politique des Cent-Jours fût venue, au dedans comme au dehors, ébranler la confiance qui renaissait en la légitimité, — on peut avancer hardiment qu’elle eût été couronnée de succès [22]. »

Quelle hardiesse, en effet, de la part de l’auteur de cet ouvrage ! Pour avancer une telle assertion, il a donc jugé des Haïtiens de 1814 d’après les hommes qui suivaient le drapeau blanc sous Jean François, Biassou et Toussaint Louverture ! Il n’a donc pas tenu compte de tous les événemens passés dans l’intervalle de ces deux époques !

N’est-ce pas le même auteur qui a écrit ces mots ? — « La combinaison astucieuse qui fit d’une perfidie la base de l’expédition de 1802, frappa la politique de la France d’un discrédit dont rien ne put la relever aux yeux des noirs[23]. »

Et les Haïtiens auraient eu plus de confiance en la France gouvernée par la légitimité ? Leurs chefs ignoraient-ils tout ce qui se passait déjà en France et dans ses colonies, dès la chute de Napoléon ?[24]

La France elle-même n’avait pas confiance dans les Bourbons revenus à la suite des armées étrangères[25].

Le 12 novembre, le jour même du départ des commissaires français, le Président d’Haïti fit paraître une proclamation au peuple et à l’armée, où il rendait compte de leur mission en ordonnant l’impression de toutes les pièces de la négociation. En félicitant ses concitoyens d’avoir montré en cette circonstance, comme en 1814, le même respect pour le droit des gens, il leur dit :

« Il n’existe pas un Haïtien dont l’âme soit assez tiède pour consentir à revenir sur les pas que notre gloire a franchis. Nos droits sont tracés ; nous les puisons dans la nature ; elle nous a créés égaux aux autres hommes ; nous les soutiendrons contre tous ceux qui oseraient concevoir la coupable pensée de nous subjuguer. Ils ne trouveraient sur cette terre, que des cendres mêlées de sang, du fer et un climat vengeur… L’autorité repose sur votre volonté, et votre volonté est d’être libres et indépendans. Vous le serez, ou nous donnerons cet exemple terrible à l’univers, de nous ensevelir sous les ruines de notre patrie, plutôt que de retourner à la servitude, même la plus modifiée[26]… »


De son côté, le Roi d’Haïti, — puisque Roi il y avait, — publia le 20 novembre une Déclaration, à l’occasion de la lettre que les commissaires français avaient adressée au général Christophe. » Ce nouveau Manifeste reproduisit, comme la correspondance de Pétion avec eux, tous les faits antérieurs, notamment ceux relatifs à la mission de D. Lavaysse et de Franco de Médina ; mais son style se ressentait de la qualité de souverain que Christophe avait usurpée sur les droits des populations soumises à ses ordres : il y parlait de son peuple, à la manière des potentats. Du reste, cette Déclaration était écrite avec énergie et résolution : Christophe ne manquait ni de l’une ni de l’autre. Il n’oublia pas, selon sa coutume, d’accuser Pétion de trahison pour avoir reçu D, Lavaysse et correspondu avec lui[27]. Enfin, il dit des injures des Français et de leur Roi : ce qui était inconvenant, puisqu’il terminait par déclarer qu’il pourrait traiter avec eux. À ce sujet, il s’exprima ainsi :


« Nous ne traiterons avec le gouvernement français que sur le même pied, de puissance à puissance, de souverain à souverain. Aucune négociation ne sera entamée par nous avec cette puissance, qui n’aurait pour base préalable l’indépendance du Royaume d’Haïti, tant en matière de gouvernement que de commerce ; et aucun traité définitif ne sera conclu par nous avec ce gouvernement, sans que préalablement, nous ayons obtenu les bons offices et la médiation d’une grande puissance maritime (la Grande-Bretagne), qui nous garantirait que la foi du traité ne serait pas violée par le cabinet français… Le pavillon français ne sera admis dans aucun des ports du Royaume, ni aucun individu de cette nation, jusqu’à ce que l’indépendance d’Haïti soit définitivement reconnue par le gouvernement français… »

À la suite de cette Déclaration royale, Christophe fît insérer les lettres écrites de la Jamaïque par D. Lavaysse, à lui et à Pétion, les lettres de créance et les instructions données par Malouet aux trois agents de 1814, les interrogatoires subis au Cap par Franco de Médina, etc., comme pièces justificatives de sa méfiance envers le gouvernement français, pour traiter avec lui autrement que sous la médiation et la garantie de la Grande-Bretagne[28].

Mais cette puissance n’était pas plus disposée à l’assister, qu’elle ne s’était montrée disposée envers la République, lors de la mission de Garbage en Angleterre : elle était liée par le traité additionnel à celui de Paris. D’ailleurs, sa clause de réserve, dont nous avons parlé, laissait toujours à ses nationaux la faculté de continuer le commerce avec Haïti. Dans le Royaume, ils en avaient presque le monopole ; et dans la République, ils jouissaient d’un privilège par la réduction des droits d’importation. L’intérêt de la Grande-Bretagne était donc de laisser subsister le statu quo dans la question de l’indépendance.

C’était au gouvernement français à comprendre l’intérêt de la France et de son commerce ; mais il fallut plusieurs années pour cela, et l’accomplissement d’événemens importans pour le convaincre. Ses commissaires avaient dit à Pétion, « qu’il ne pourrait reconnaître a l’indépendance de la République d’Haïti, parce qu’elle pouvait succomber sous les efforts d’un simulacre de monarchie horriblement absolue.  » On se retrancha derrière cette éventualité possible ; et après l’événement contraire, on trouva encore de nouveaux argumens. En attendant, on profita de la tolérance judicieuse de Pétion, en laissant continuer les relations de commerce entre les navires français et la République : car on ne perdit pas l’espoir d’amener celle-ci à la soumission, par raisonnement, même par sentiment, sinon d’amour, du moins religieux, puisqu’on employa la crosse et la mitre d’un Évêque pour opérer ce qui eût été un miracle en plein XIXe siècle[29].

À leur retour en Europe, les commissaires français firent, sur leur mission, un long rapport au ministre de la marine et des colonies, dont on peut lire la partie la plus substantielle dans l’ouvrage que nous avons déjà cité[30]. Ou y voit qu’ils attribuaient leur insuccès aux intrigues de la Grande-Bretagne et des États-Unis « qui calomniaient la France et la rendaient odieuse à ce peuple ignorant ; qui entretenaient la méfiance de Pétion, en ne cessant de lui répéter que la France n’a d’autre projet que de le remettre sous le joug, lui et les siens, de l’encourager dans la désobéissance, etc. » Et ce rapport disait aussi que c’était par l’intermédiaire de Pétion, que ces deux puissances faisaient donner des secours à Bolivar et aux indépendans des colonies espagnoles, lui déniant ainsi toute initiative dans l’un et l’autre cas[31].

Pétion et le peuple haïtien étaient si ignorans, en effet, qu’ils avaient besoin d’être guidés dans ces circonstances, comme ils l’avaient été en 1802 en prenant les armes contre la France ; car bien des écrivains français. nations, des Français surtout, de les voir respectés par les Haïtiens en général, de voir ces derniers heureux sous un gouvernement libéral, un chef humain, ils demandèrent la permission de prêcher sur la doctrine chrétienne qu’ils professent dans leur secte. L’abbé Gaspard, curé de la paroisse, les admit à le faire au presbythère, et les francs-maçons dans leur loge L’Amitié des frères réunis. Dans ces deux lieux, il y eut un grand concours de personnes des deux sexes qui écoutèrent leurs prédications avec recueillement.

  1. Le 20 septembre, le général Marion prononça un discours à l’occasion de la publication de cet acte aux Cayes ; il dit : « qu’il offrait aux citoyens une juste distribution entre les pouvoirs constitués de l’État, pour leur éviter ces chocs dangereux qui menacent toujours le corps social, lorsqu’on s’écarte de l’équilibre des pouvoirs, etc. »

    Ainsi, le souvenir de la lutte entre le Sénat et Pétion contribua beaucoup a l’établissement de la Chambre des représentans ; mais personne ne sembla en prévoir une entre cette chambre et le Président d’Haïti.

  2. En 1805 et 1814, M. Laujon avait publié des brochures où il proposait des plans de conquête contre Haïti. Secrétaire de la commission, il était bien placé pour convaincre les Haïtiens de la nécessité de se soumettre à la France. Mais, de même que Dravermann, il fut converti à d’autres idées : l’année suivante, il revint avec des marchandises et finit par se faire une assez belle fortune dans son commerce.
  3. Voyez le Manifeste publié par Christophe, en 1814. Il affirme ce fait dont il a eu connaissance au Cap où il se trouvait avec le général Leclerc.
  4. Ledué avait épousé une ancienne comtesse en France. Il se crut appelé à jouer un rôle important en cette circonstance ; mais il comprit, comme Laujon, qu’il valait mieux revenir faire le commerce a Haïti. Lui et sa femme y moururent quelques années après.

    C’est en 1816 que revinrent aussi l’adjudant-général Lechat et son fils, et le colonel Louis Labelinais. Quoiqu’ils eussent servi avec Christophe, sous Toussaint Louverture, ils aimèrent mieux se rendre dans la République. Pétion les accueillit et les maintint dans leurs gracies militaires : il nomma Lechat fils officier du génie.

  5. Voyez t. 1er de cet ouvrage, pages 366 et 367.
  6. M. Laujon prit sans doute sa part dans ces reproches si fondés. Dans l’ancien régime, il était membre du conseil supérieur de Saint-Domingue. On verra que par la suite et à la faveur de son commerce, il fut tellement converti à des idées d’arrangement entre la France et Haïti, qu’il devint un intermédiaire pour y arriver, étant une sorte d’agent de M. Esmangart qui y contribua le plus. Nous avons acquis la preuve que ce dernier était animé de sentimens aussi concilians qu’honorables, et nous dirons plus tard ce qu’il fit.
  7. À leur retour en France, les commissaires dirent au ministre de la marine, dans un long rapport : « qu’ils avaient été reçus avec les égards et les prévenances qu’ils eussent rencontrés chez le gouvernement le plus anciennement policé. » — M. Lepelletier de Saint-Rémy, t. 2, p. 22.

    Quel langage flatteur pour Haïti et son chef, tenu surtout par des Colons de Saint-Domingue !

  8. Dans les pièces officielles publiées alors par ordre de Christophe, on trouve tous les faits que nous venons de rapporter dans ce paragraphe. Elles disent cependant que la lettre remise au premier navire fut renvoyée de suite aux commissaires, « parce qu’elle portait une suscription injurieuse et insultante au peuple haïtien (celle de général Christophe). » Elles contiennent en outre la désignation des lieux d’Haïti où ces anciens colons avaient eu leurs propriétés.
  9. Le colonel Prézeau m’a dit que Christophe ordonnait souvent à ses secrétaires de refaire des lettres qu’il adressait à certains fonctionnaires de son royaume, pour trouver des expressions qu’ils pussent comprendre.
  10. Bolivar n’oublia pas l’offense que lui avait faite le général Piar. Après que celui-ci eut fait la conquête de la Guyane et pris possession de la ville d’Angoslura, en juillet 1817, Bolivar s’y rendit. Le 16 octobre, il fit fusiller Piar, qui fut accusé, étant mulâtre, de vouloir établir une République de noirs et de mulâtres dont il aurait été le président. Nous ne savons pas si cette accusation était fondée ; mais Bolivar émit à cette occasion, une proclamation où il exprimait le regret d’avoir été contraint à cet acte de sévérité.
  11. Nous aurons à examiner sa conduite envers Haïti, en 1821, à l’occasion du Congrès de Panama dont il fut le promoteur.
  12. Billaud-Varenne arriva au Port-au-Prince en janvier 1816, avec une femme noire de Cayenne, nommée Virginie. Libre et propriétaire dans cette colonie, Virginie vendit sa petite habitation pour le faire subsister, et le suivit au Mexique et aux États-Unis d’où il venait alors ; aussi il était très-attaché à cette femme à qui il légua quelques petites valeurs qu’il possédait en effets sur France. Après la mort de Billaud-Varenne, en 1819, le général Bonnet fit obtenir à Virginie le recouvrement de ces sommes, par ses relations de commerce avec la France, et elle put ainsi s’acheter une petite maison au Port-au-Prince.

    Un Français qui a connu Billaud-Varenne au Port-au-Prince, a écrit ces lignes en parlant de lui :

    « Son maintien était grave, sa parole brève ; sa figure pâle et maigre avait de la dignité. Sa taille assez haute et très-droite encore, contrastait avec son âge déjà avancé. Sa mise, d’une propreté remarquable, affectait la simplicité de celle des Quakers, et je le pris en effet, pour un de ces dignes habilans de la Pensylvanie. »

    Pétion avait d’abord fait une pension mensuelle a Billaud-Varenne ; puis il la lui faisait toucher en qualité de conseiller auprès du grand juge Sabourin. Après le départ des commissaires français, l’ex-conventionnel commença un ouvrage ayant pour titre : « QUESTION DU DROIT DES GENS : Les Républicains d’Haïti possèdent-ils les qualités requises pour obtenir la ratification de leur indépendance ? » Dans cet ouvrage, il traitait de la question de la traite et de l’esclavage des Africains, en faisant l’histoire de la révolution de Saint-Domingue jusqu’à son indépendance, dans un style énergique. Ce travail étant achevé peu avant la mort de Pétion, celui-ci le faisait imprimer ; mais Boyer en fit cesser l’im pression, dès son avènement à la présidence. Je dis ce dont je suis certain, étant alors employé à l’imprimerie nationale. Colombel recueillit le manuscrit de cet écrit qui disparut dans son naufrage, en 1823.

  13. En 1816, D. Lavaysse, mis en disgrâce, se trouvait aux États-Unis : de la il écrivit à Pétion qui répondit à sa lettre, le 21 juin. Pétion publia sa réponse sur le Télégraphe.
  14. Quatre jours avant leur retour au Port-au-Prince, le 19 octobre, cette ville avait essuyé un furieux ouragan qui enleva la toiture d’une grande partie de ses maisons ; de là leur remarque : « vos maisons sont en ruines. » Mais, à leur arrivée, il n’en était pas de même. Cet ouragan occasionna ensuite une forte disette et une épidémie qui dura jusqu’à la fin de 1818.
  15. Il paraît même que dans les entretiens que Pétion eut avec les commissaires, il leur aura renouvelé la proposition de l’indemnité et d’un traité de commerce. — Voyez M. Lepelletier de Saint-Rémy, t, 2, p. 23. Mais, d’après la combinaison qu’ils proposèrent à leur tour et que l’on verra bientôt, il est clair qu’ils écartèrent la proposition du président.
  16. Le 6 juin, la Gazette royale du Cap parlait de 4 navires français qui étaient au Portau-Prince, et d’un autre aux Cayes ; mais en disant qu’ils portaient pavillon blanc, ce qui était faux.
  17. Les navires qui portaient le général Mina el environ 500 hommes, partirent du Port-au-Prince le 28 octobre.
  18. Tout ce paragraphe el ses dernières phrases prouvent la fermeté des opinions de Pétion sur l’exclusion des blancs du pays. A-t-il eu tort, a-t-il eu raison de penser ainsi ? C’est l’a une question que chacun peut examiner. Je me borne à constater ce qui lui fut personnel.
  19. Faire aux Haïtiens une concession de la liberté qu’ils tenaient de Dieu, et dont ils jouissaient par la puissance de leurs armes !… La France n’avait-elle pas reconnu et proclamé ce droit en 1794 ?
  20. En 1821, les bons offices du Roi portèrent le Pape Pie VII à envoyer à Haïti un Évéque qu’on ne lui avait pas demandé, tant sa sollicitude était prévoyante.
  21. Au fait, les commissaires proposaient de revenir a l’état de choses que Toussaint Louverture et les colons avaient établi par leur constitution de 1801. Mais Pétion et les Haïtiens de 1816 étaient les mêmes hommes que ceux du 1er janvier 1801.
  22. Ètude et solution nouvelle de la question haïtienne, par M. Lepelletier de Saint-Rémy, tome 2, p. 20 et 23. Cet auteur a prouvé qu’il était « un de ces esprits qui rêvaient encore une solution en 1845, » pour une question déjà fort bien résolue en 1838. Dans son ouvrage, il a fait l’honneur aux Anglais et aux Américains, d’avoir été les instigateurs du refus de Pétion aux propositions des commissaires français, parce qu’il aura cru comme eux peut-être, que ce mulâtre n’avait pas assez de bon sens pour en juger par lui-même.
  23. Même ouvrage, t. 1er, page 193.
  24. Le même auteur a signalé la prédiction remarquable de Pétion, faite a D. Lavaysse sur le retour de Napoléon de l’île d’Elbe et la fuite des Bourbons. Pétion n’a pu pressentir cet événement, que parce qu’il savait comment ces derniers gouvernaient la France. Et en 1820 encore, les Bourbons légitimes n’y faisaient-ils pas défendre le mariage entre les femmes blanches et les mulâtres ou noirs, en ressuscitant les vieilles ordonnances de Louis XV et de Louis XVI ?
  25. De nos jours, nous trouvons l’appréciation suivante sur le Constitutionnel du 22 mars 1857 :

    « La Restauration eut tous les malheurs. Ce n’était pas assez de représenter forcément l’esprit d’émigration ; elle arrivait à la suite de l’étranger, avec un Fils aîné de l’Église presque athée, et sous la haute protection de M. de Talleyrand. »

    xxxx(M. Paulin Limayrac, à propos des Mémoires du duc de Baguse).

  26. Un mois après la publication des actes officiels de la négociation, le 12 décembre, Hérard Dumesle lit paraître un écrit remarquable, intitulé : « Réflexions politiques sur la mission des commissaires du Roi de France, près la République d’Haïti. » En appuyant les raisonnemens de Pétion, ses motifs, la justesse de ses vues, pour repousser les propositions des commissaires, il les développa dans un langage aussi judicieux que modéré. Justifiant les dispositions qui excluent la race blanche de la société haïtienne, il dit : « Ces articles deviennent le boulevart de notre indépendance, » après avoir prouvé le danger qui existerait dans l’admission de ces hommes, par la comparaison de ce qui se passait depuis 1802 à la Martinique et à la Guadeloupe. Cet écrit, où le patriotisme éclairé se produisait librement, faisait pressentir le futur Représentant qui devait tant influer un jour sur les esprits. Il le termina par ces mots : « Rivalisons d’efforts pour consolider le monument que nous érigeons à la postérité ; imitons ce peuple ancien qui ne trouvait jamais de bonheur loin de la patrie : qu’a ce nom sacré nos cœurs tressaillent, et laissons à nos enfans le glorieux héritage de nos vertus patriotiques. »

    Au Cap, dès le mois de mars de la même année, Vastey publiait le meilleur de ses écrits en forme de Réflexions aussi, sur une lettre d’un colon nommé Mazères, à propos des Noirs et des Blancs, etc. Mais, à l’encontre du républicanisme ardent de H. Dumesle, il y joignait toutes les platitudes d’un esprit soumis au joug d’un affreux tyran.

  27. Le 20 août, une ordonnance du Grand Henry, avait dit qu’il serait élevé, au milieu de la place d’armes de la citadelle Henry, une colonne « a la Liberté et a l’Indépendance, en bronze, et que l’acte du 1er janvier 1804 y serait gravé avec les noms des signataires de cet acte, — à l’exception de ceux des traitres.  » Le grand conseil d’État devait faire un rapport où ces derniers seraient désignés. Pétion eût été le premier parmi eux. Mais ce projet de colonne n’exista que sur le papier. — À la fin de ce volume, on saura ce qui fut mis sur la place de la citadelle, au lieu de la colonne.
  28. En 1815, Peltier avait conseillé Christophe, de persister dans l’offre qu’il l’avait autorisé de faire au gouvernement français, de donner 10 pour cent de la valeur des biens des anciens colons, comme indemnité, et ce, à raison des propositions de Pétion à D. Lavaysse. Mais Christophe lui fit répondre : « qu’il était trop tard, et que ce qui avait pu être proposable dans un temps ne l’était plus dans un autre. » Alors, Christophe se persuadait que les événemens de 1815, en France, rendaient impossible toute expédition militaire contre Haïti. Il entra en correspondance avec Wilberforce et les autres abolitionistes anglais, dans ses vues d’obtenir la médiation et la garantie de la Grande-Bretagne.
  29. Il paraît que le gouvernement de la Restauration hésita beaucoup aussi à reconnaître ou concéder l’indépendance d’Haïti, par égard pour l’Espagne dont les colonies étaient en insurrection et qui espérait de les soumettre à son obéissance. Si la Grande-Bretagne garda ce ménagement envers l’Espagne jusqu’en 1823 où elle reconnut leur indépendance, on doit le concevoir encore mieux de la part des Bourbons de France.
  30. M. Lepelletier de Saint-Remy, t. 2, p. 25 à 30.
  31. En cela, ils servirent la politique de Pétion, qui voulait garder l’apparence de la neutralité entre l’Espagne et ses colonies insurgées. À bien considérer les choses, il n’est pas une seule démarche de la Fiance envers Haïti, qui n’ait servi la cause de celle-ci.