Étude militaire, géographique, historique et politique sur l’Afghanistan/06

VI

ORGANISATION INTÉRIEURE.

1° ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.

L’organisation sociale et politique de l’Afghanistan est une sorte de « féodalisme » compliqué d’éléments fédératifs.

En dehors des possessions immédiates de l’émir de Caboul, les pays afghans ne sont, en effet, qu’une réunion de petits états, principautés ou khanats, tribus ou clans, ayant chacun leur gouvernement spécial, despotique ou constitutionnel, républicain ou patriarcal, leur territoire bien défini, et ne se rattachant presque tous au pouvoir central que par la soumission de leur chef. Le plus souvent, ces petits états sont complétement indépendants les uns des autres ; quelquefois, cependant, ils se réunissent pour former des alliances ou des fraternités de tribus, fédérations éphémères, qui, nées des besoins du moment, disparaissent avec les causes qui les ont produites ou se transforment suivant la marche des événements : telles sont la ligue des Outmans, celle des Mohmunds, etc.

Le chef suprême des Afghans, le khan de Caboul, portait, il y a peu d’années encore, le titre de schah, comme les souverains de la Perse ; dans les actes publics et les traités diplomatiques, il était même qualifié, au commencement de ce siècle, de schah-dour-i-douran[1], souverain du monde des mondes. Aujourd’hui, il est revêtu de la dignité d’émir, émir-el-moumeneim, commandeur des croyants.

Musulman et musulman sunnite, à la tête d’une population en grande partie sunnite, Schere-Ali trouva dans cette dignité, qui est la plus haute de toutes celles que peut conférer le sultan, une consécration imposante de son autorité. Lorsqu’il la sollicita, c’était à l’époque où l’idée d’une alliance pan-islamite, sous l’hégémonie des khalifes, était fort en honneur à Constantinople ; le sultan venait d’accorder le titre d’émir à Yacoub-Bey, cet aventurier qui fonda, il y a une quinzaine d’années, le royaume de Kachgar, et, comme lui, Schere-Ali obtint sans grand’peine cette haute faveur, objet de son ambition.

Ce titre d’émir, si vénéré par tout vrai musulman, place bien, en théorie, celui qui en est revêtu sous l’autorité du sultan ; mais nous avons vu, il y a quelques mois à peine, de quelle manière Schere-Ali sut tourner la difficulté de cette situation, et comment, en demandant les avis de son suzerain, il lui donnait des conseils ; possesseur du titre et de la considération qui s’y rattache, il ne paraît pas s’être cru lié à autre chose envers son seigneur qu’à une démarche de pure courtoisie, et s’est toujours réservé une entière liberté d’action.

L’émir est le protecteur de toute la confédération afghane ; il commande en chef les armées, lui seul peut déclarer la guerre, faire la paix, conclure les traités, etc. En ce qui concerne ses possessions immédiates, il est revêtu de l’autorité d’un monarque absolu ; pour ce qui est de tous les états annexes, khanats ou tribus, il les dirige sans s’immiscer dans leur gouvernement intérieur.

Un premier ministre, qui porte le titre de vizir-azem ou grand vizir, a la haute main sur toutes les affaires du pays, relations extérieures, administration intérieure, finances, etc. Parmi les autres fonctionnaires de l’état, je citerai le mir-ackhar, ou maître de la cavalerie ; le chaïnchi-bachi, ou maître de l’artillerie ; le mounchi-bachi, ou premier secrétaire de l’émir ; le herkarah-bachi, ou directeur des nouvelles (chef des messagers ou des postes) ; le nasakchi-bachi, ou grand juge ; l’iman de l’émir, ou prêtre attaché à la maison du souverain, et le premier cheick-ul-islam, ou grand chancelier.

Au point de vue administratif, on s’accorde généralement à diviser l’Afghanistan en neuf provinces, qui sont le Caboulistan, la province de Candahar, le Seïstan, la province ou vice-royauté de Hérat, la province de Balk comprenant les khanats du nord (Balk, Khulm, Kundouz, Andkoi, Maïmena), le Turkestan afghan, le Badahskan, le Wackhan, et le Kafiristan. Ces provinces sont subdivisées en districts et sur chacune d’elles viennent se greffer un certain nombre de tribus plus ou moins indépendantes.

À la tête de chaque division territoriale est un hakem, sorte de gouverneur qui lève les impôts et commande la milice. La justice criminelle et la police sont entre les mains d’un serdar ; la justice civile est rendue par le cazi qui est en même temps une espèce d’officier de l’état civil. Il peut arriver que le gouverneur soit tout à la fois hakem, serdar et cazi.

Depuis que les peuples de l’Afghanistan ont embrassé l’islamisme, le Coran est devenu le code du pays et la base de toute législation. Une sorte de droit coutumier appelé le Pouchtou-Vally, tiré des usages locaux, complète au point de vue pratique les doctrines du Coran.

« L’opinion que tout individu a le droit, que c’est même un devoir pour lui de se faire justice par ses propres mains, est profondément enracinée chez les Afghans ; le droit qu’a la société de refréner les passions individuelles, de se charger de la répression des torts et de la punition des crimes est très-imparfaitement compris, et si, dans la plus grande partie du pays, justice peut être obtenue par d’autres voies que le talion, si les mollahs tonnent contre la vengeance particulière, si le gouvernement est le premier à l’interdire, aux yeux du peuple il paraît toujours légal, honorable même. Un individu blessé semble toujours investi du droit de tirer une vengeance complète de son adversaire ; l’offenseur est-il à l’abri de ses coups, il s’adressera à une personne de sa famille ou même de sa tribu. Si l’occasion d’exercer ce qu’il appelle son droit lui fait défaut, il saura attendre plusieurs années. Quiconque apporterait de la négligence dans l’exercice de ce droit ou y renoncerait perdrait toute considération ; sa famille, sa tribu même sont tenues de le seconder. On conçoit toutes les conséquences d’un pareil principe[2].

Conformément à la coutume musulmane, les afghans achètent leurs femmes ; il s’ensuit que celles-ci, quoique traitées généralement avec beaucoup d’égards, sont, le cas échéant, considérées comme une simple propriété dont on peut se défaire au moyen du divorce sans qu’il soit nécessaire d’alléguer un motif ; la femme, au contraire, ne peut se séparer de son mari sans des raisons sérieuses et dont le cazi est chargé d’apprécier la valeur.

La polygamie est autorisée par le Coran ; les Afghans peuvent donc avoir plusieurs femmes, mais il ne semble pas qu’ils usent beaucoup de la latitude que leur laisse à cet égard la loi religieuse.

Le service du culte et l’instruction de la jeunesse sont entre les mains des mollahs ou prêtres, qui vivent au moyen d’un traitement fait soit par l’état, soit par le gouvernement de la province ou du district, soit par la ville ou la tribu. Pris en corps, on les désigne sous les noms d’ulémas ou savants. En général ils se font remarquer par leur intelligence et leur savoir. En dehors de leurs fonctions de prêtres ou d’instituteurs, ils sont chargés, comme dans tous les pays musulmans, de seconder les juges pour l’interprétation de la loi.

On n’a aucune donnée certaine pour déterminer avec quelque précision le revenu public ; on a cru pouvoir l’estimer à une trentaine de millions.

D’après M. Perrin, ce revenu se serait élevé jusqu’à trois crores de roupies[3] ou 75 millions de francs, pendant la période de paix qui a régné en Afghanistan au commencement de ce siècle. Cet argent est produit par un impôt foncier, par le rendement des domaines de l’état ou par les taxes des douanes. Le plus souvent l’impôt est payé directement à l’état par le hakem, qui prend alors à ferme le gouvernement de sa province. Le trésor renfermait aussi, paraît-il, une collection de joyaux excessivement riche et remarquable.

Dans les parties des pays afghans qui ne sont pas placées sous la domination immédiate de l’émir, l’autorité centrale n’agit, avons-nous dit déjà, que par l’intermédiaire du chef de la tribu ou de la réunion de tribus (oulouss, communauté de tribus).

« Le gouvernement intérieur d’un oulouss est entre les mains d’un khan et de l’assemblée des chefs. Ces assemblées portent le nom de djirga.

« Le khan préside le principal djirga, composé des chefs des principales branches de l’oulouss. Chacun d’eux tient son propre djirga, composé des chefs de divisions ; ces derniers font de même, et les membres du plus petit djirga connaissent le sentiment de leurs subordonnés, ou sont en mesure de leur faire adopter les leurs.

« Dans les cas de peu d’importance, ou en certaines occasions, le khan agit sans consulter le djirga principal, qui, quelquefois aussi, émet une opinion sans consulter les djirgas inférieurs ; mais, dans les circonstances délicates, rien ne se décide sans que l’opinion de toute la tribu soit connue.

« Ce système éprouve assez souvent des modifications, mais on peut le considérer comme le type du gouvernement général des tribus.

« Dans toutes les tribus, l’objet de l’attachement des Afghans est plutôt la communauté que le chef ; si, dans leur pensée, l’idée d’une magistrature instituée pour l’intérêt général se trouve, à l’égard de leur khan, mêlée incontestablement à celle d’une suprématie patriarcale naturelle, le premier sentiment prédomine toujours, et il est rare que les intérêts personnels d’un khan puissent entraîner une tribu à un acte contraire à son honneur et à son avantage[4]. »

Les tribus que les circonstances poussent à la guerre contre d’autres tribus, ou celles qui ont des motifs pour redouter une agression étrangère, forment avec les peuplades voisines une fédération. Les djirgas des alliés se réunissent alors en assemblée pour discuter les mesures à prendre ; certaines tribus ont même des alliances permanentes.

2° ORGANISATION MILITAIRE.

L’organisation militaire de l’Afghanistan reflète l’organisation politique de ce pays ; elle est surtout féodale et varie suivant les régions.

Dans les possessions immédiates de l’émir, nous trouvons une armée régulière de 40,000 à 50,000 hommes, comprenant des troupes d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, constituées en régiments, bataillons, escadrons ou batteries, disciplinées, instruites, armées, équipées, soldées d’après les principes admis en Europe, et qui, en cas de guerre, peuvent être renforcées par de nombreuses réserves. Ces différents éléments sont répartis dans un certain nombre de places où ils tiennent garnison, notamment à Caboul, Hérat, Candahar, Djellallabad et Ghazni. Au nord de l’Hindou-Koh, un petit corps d’armée d’environ 10,000 hommes, formé de troupes ousbegs, est stationné dans les villes de Balkh, de Kunduz et de Khulm, et chargé de la protection de la frontière qui s’étend le long de ces districts et de la surveillance des gués de l’Oxus. Le gouverneur afghan de Balkh en est le commandant supérieur.

Dans les khanats de Maïmena et de Thiborgan, dans le Badakhschan, et le Wakhan, il ne paraît y avoir encore que des troupes organisées et instruites d’une façon toute primitive ; elles sont soumises à l’obligation de se mettre en campagne au premier appel de l’émir de Caboul ; le chiffre exact de leur effectif est inconnu, mais il ne paraît pas devoir être inférieur à 25,000 ou 30,000 hommes.

Enfin, les tribus indépendantes peuvent fournir un contingent de cavaliers irréguliers et de fantassins qu’on n’évalue pas à moins de 100,000 hommes. Là, en effet, tout homme naît pour combattre et chacun est debout au premier appel, prêt à partir, rangé par familles, encadré par tribu. La vie d’aventures commencée dès l’enfance, l’humeur belliqueuse développée par les courses dans les déserts et dans les montagnes, l’habitude de se suffire à soi-même, la vigueur corporelle toujours maintenue en haleine par un exercice constant et salutaire, en font des soldats redoutables, éminemment propres aux guerres d’embuscade, habiles à surprendre l’ennemi, à se dérober à sa poursuite, à le harceler de jour et de nuit, à le fatiguer par des attaques incessantes.

L’organisation actuelle de l’armée régulière afghane remonte à quelques années seulement. C’est en 1869, à la suite d’un voyage qu’il fit dans l’Inde anglaise, que Schere-Ali se décida à entreprendre une série de réformes qui n’ont pas tardé à faire de ses troupes une force respectable.

Aujourd’hui l’armée régulière afghane se divise en trois catégories : l’armée active, sa réserve ou defteri, et une sorte d’armée territoriale ou deuxième réserve (ouloussi).

L’armée active comprend 57 régiments d’infanterie, 16 régiments de cavalerie[5] et un certain nombre de batteries de campagne et de batteries de place ; elle se recrute par voie de tirage au sort et à l’aide d’engagements volontaires.

Le defteri ou première réserve, dont l’effectif semble pouvoir être évalué au dixième de la population mâle valide, fournit une milice répartie entre les trois armes, soumise à des exercices périodiques et qui doit être prête à marcher au premier signal. Les hommes du defteri sont immatriculés par district et perçoivent, même en temps de paix, une petite rémunération en espèces, qui est remplacée dans certaines parties du pays par des avantages particuliers, tels que le droit d’usance des canaux ou des allocations de denrées.

La deuxième réserve n’est destinée à être appelée que dans des cas exceptionnels ; c’est la levée en masse de tous les hommes valides.

Des fonderies de canons, des manufactures d’armes, des capsuleries ont été créées depuis dix ans ; des magasins d’habillement, des arsenaux ont été construits et mis promptement en état de répondre à tous les besoins.

L’émir est le chef suprême de l’armée ; les officiers généraux sont très-peu nombreux, ils portent le titre de serdar ; aujourd’hui on les désigne aussi sous le nom de djernal qui n’est que le titre anglais corrompu. Les souverains de l’Afghanistan ont quelquefois conféré le titre de serdar-serdaran (serdar des serdars) a des officiers généraux qui s’étaient particulièrement distingués devant l’ennemi, ou auxquels il voulaient confier la commandement en chef d’une armée.

L’artillerie est sous les ordres d’un chef spécial, le chainchi-bachi, d’autres disent le toptchi-bachi.

Les titres des autres officiers sont empruntés à l’armée anglaise et se sont conservés presque sans altération ; ainsi on trouve les grades de coronel, midjir, etc., qui correspondent évidemment à ceux de colonel, major, etc.

L’organisation intérieure des corps de troupe de l’armée active afghane a été calquée sur celle de l’armée des Indes. L’instruction y a été donnée par des déserteurs anglais ; les commandements mêmes s’y font en anglais. La discipline y est fort sévère ; le pouvoir du supérieur sur ses subordonnés est à peu près illimité. Les officiers et les hommes de troupe sont logés aux frais de l’état ; ils habitent avec leurs familles dans des maisons ou des bâtiments appropriés à cet effet. En dehors de la solde, les soldats reçoivent des vivres en nature, l’armement et l’équipement.

En campagne, les troupes n’emportent avec elle que ce qui est absolument indispensable : peu de campement, quelques rechanges, l’eau et le fourrage, le tout porté à dos de chameau ou de mulet. Presque jamais on ne fait en route de distribution de vivres ; chaque colonne est suivie d’un petit bazar : c’est là que le soldat doit s’approvisionner. Les hommes sont du reste habitués à pourvoir d’eux-mêmes à leur subsistance ; ils se contentent de peu et ils savent à merveille trouver ce qui leur est nécessaire là où un Européen ne découvrirait absolument rien ; et s’ils ne peuvent manger un jour, ils attendent au lendemain sans se plaindre ni murmurer.

Les femmes et les enfants ne suivent pas l’armée dans ses expéditions.

Les régiments d’infanterie sont numérotés de 1 à 57. Leur armement, à peu près uniforme, se compose d’un fusil rayé de modèle récent, d’un sabre-baïonnette ou d’un sabre recourbé, et généralement d’un poignard. La tenue consiste en une sorte de tunique de coton bleu, à larges plis, et en un pantalon de même couleur ou blanc, court et collant. La chaussure est une espèce de sandale sur laquelle repose le pied nu ; la coiffure est le bonnet persan noir ou une calotte rouge ou verte. L’homme porte avec lui ses munitions, son eau, un peu de pain ou de grain et du fromage durci.

L’effectif normal du régiment d’infanterie est de 650 combattants, ce qui représente un total d’environ 37,000 hommes pour les 57 régiments.

En route, l’infanterie est formée en colonne compacte, en troupeau ; la journée de marche est ordinairement de 20 à 24 kilomètres, l’allure est vive, on ne voit presque jamais de traînards.

Grâce à leur instinct de la guerre, les afghans forment des tirailleurs excellents ; peu habiles dans les manœuvres en ligne, si on les compare aux troupes européennes, ces soldats n’en sont pas moins très-solides au feu, et ils constitueraient, même en rase campagne, un élément réellement redoutable s’ils étaient dirigés par des chefs plus capables et plus expérimentés que leurs officiers, qui font consister toute la tactique dans la valeur personnelle.

Les régiments de cavalerie sont formés à quatre escadrons de 100 hommes chacun, ce qui donne un effectif de 6,400 hommes de troupe régulière de cette arme. À ce chiffre, il faudrait ajouter les contingents de khanats du nord, qui fournissent aussi des combattants incorporés en tous temps.

La cavalerie régulière a conservé le costume national ; elle est armée du sabre, du fusil et de la lance ; quelques régiments possédaient déjà avant la guerre des carabines rayées se chargeant par la culasse. Chaque homme porte avec lui ses provisions de pain et de craout (fromage sec), dans une sorte de besace, et son eau dans une grande bouteille en cuir.

L’instruction de la cavalerie est de beaucoup plus développée que celle de l’infanterie : individuellement, le cavalier afghan peut rivaliser avec les meilleurs écuyers du monde ; en masse, la cavalerie afghane a donné de nombreuses preuves de son audace, de sa solidité, de son intelligence, et la charge légendaire de Purwandurrah lui a conquis le droit de figurer parmi les plus brillantes cavaleries de la terre.

Les cavaliers afghans achètent eux-mêmes leurs montures et en restent propriétaires. Les chevaux se recrutent chez les Ouzbegs et chez les Turkomans qui vivent sur les bords de l’Oxus ; on en prend aussi une certaine quantité dans les environs d’Hérat. Le principal marché en est à Balkh ; on y trouve deux espèces également estimées pour des services différents l’une, qu’on appelle turck ou ousbeg, est de petite taille, mais vigoureuse, infatigable : c’est la vraie race du cheval de montagne ; elle vient des environs de Balkh et de la Bouckharie ; l’autre, qui reçoit la dénomination de turcomane, est plus grande, et cette qualité la fait rechercher beaucoup pour les chevaux d’armes. Dans le pays, un cheval turck vaut de 200 à 500 francs ; un turcoman, de 500 à 2,500 francs.

Les chevaux de Hérat sont d’une grande beauté et sont fort recherchés ; mais leur prix excessivement élevé fait qu’ils ne peuvent être employés à la remonte de la cavalerie.

« Rien ne frappe plus un étranger dans ce pays, dit le capitaine Burnes, que la manière de soigner les chevaux, car elle diffère beaucoup de celle de l’Inde. Jamais on ne leur ôte la selle pendant le jour, croyant que le cheval en dort mieux la nuit. On ne promène jamais un cheval en le faisant aller et revenir, mais on le monte, ou bien on le fait tourner en cercle jusqu’à ce qu’il n’ait plus chaud. Dans cette saison (au printemps) on ne lui donne pas de grain on le nourrit avec de l’orge verte qui n’est pas encore en épi. On fait toujours un nœud à la queue du cheval ; on tient en tout temps sa croupe couverte d’un feutre très-propre, souvent bordé de soie, et retenu par la croupière. Les Afghans prennent le plus grand soin de leurs chevaux, mais ils ne les régalent pas d’épiceries, comme on le fait dans l’Inde, et les ont toujours en très-bon état. » La selle est en bois, d’une extrême légèreté, rembourrée de coton et recouverte de velours ; sous la selle se place un coussinet en feutre appelé khogyr ; un simple filet sert à guider le cheval. »

En route, dans les haltes, la moitié des cavaliers ont toujours la précaution de rester à cheval pour veiller à la sécurité du gros de la troupe. Au camp ou bivouac, on attache les chevaux par groupes de 8 ou 10 seulement, à deux cordes qu’on fixe parallèlement l’une à l’autre par des piquets.

En 1809, Schah-Coudja, l’un des derniers souverains de l’Afghanistan, n’avait que cinq canons, lors de sa campagne de Peschawar ; aujourd’hui l’artillerie afghane forme au moins dix batteries de campagne. On évalue à 100 le nombre de ses pièces légères, et pareil nombre de bouches à feu serait en réserve dans les arsenaux ; de plus, les places fortes renfermeraient un matériel considérable de gros calibre.

La canonnade du 30 novembre dernier au Peïwar, où l’artillerie afghane, par la précision et le sang-froid de son tir, a tenu un instant en arrêt toute la colonne du général Roberts, montre que si elle était toujours entre les mains de chefs habiles, cette artillerie constituerait une force sérieuse avec laquelle il faudrait compter.

En dehors de l’artillerie de campagne proprement dite, il existe aussi en Afghanistan une espèce d’artillerie de montagne composée de petites pièces appelées zambourek, qui sont portées à dos de chameau.

Telle est, d’après les données les plus récentes, l’armée que le souverain de l’Afghanistan pouvait lever au début de la guerre ; armée composée d’éléments courageux et solides et dont une partie a une instruction militaire qu’on ne saurait dédaigner. Mais il est dans le caractère de toute nation comme de tout individu d’affecter toujours le mépris le plus complet pour son adversaire, comme s’il ne serait pas, au contraire, plus habile et plus avantageux d’en reconnaître et même d’en exalter les qualités. N’y a-t-il pas, en effet, d’autant plus de mérite à se mesurer avec un ennemi, qu’on le sait plus vigoureux, et la gloire qu’on retire de la victoire n’est-elle pas en raison directe de la grandeur du vaincu ? Cette disposition d’esprit a été cause qu’au début de la dernière campagne entreprise contre l’émir de Caboul, presque tous les écrivains se sont appliqués à nous montrer les Afghans comme de pauvres hères, prêts à se débander au premier coup de canon, et à nous représenter même les obstacles naturels dont le pays est hérissé comme de simples barrières que la science moderne ouvrirait sans peine. Cependant la guerre a duré de longs mois déjà, et l’armée anglo-indienne, dont personne ne peut mettre en doute la solidité, le courage et le dévouement, conduite par des généraux d’une valeur incontestée, s’est avancée de quelques centaines de kilomètres à peine, ayant à lutter à chaque pas contre des difficultés matérielles inouïes, en même temps qu’à résister aux attaques continuelles d’un ennemi infatigable. Il y a là de quoi faire réfléchir ceux qui s’endorment confiants dans l’impuissance des barbares, et si le succès final est assuré aux armes britanniques, on serait mal venu à penser qu’il n’a pas été acheté au prix de glorieux efforts.

  1. Textuellement, souverain du rond des ronds.
  2. M. Perrin.
  3. La roupie vaut environ 2 fr. 50. — 100,000 roupies font un lack, et 100 lacks font un crore.
  4. M. Perrin, L’Afghanistan.
  5. Ces renseignements remontent déjà à quelques années, mais il y a lieu de croire que Schere-Ali, loin de laisser affaiblir son armée, avait dû employer ces derniers temps à en perfectionner l’organisation.