Étude militaire, géographique, historique et politique sur l’Afghanistan/05

V

VOIES DE COMMUNICATION. — PASSAGES ET DÉFILÉS.
VILLES ET POINTS STRATÉGIQUES.

1° ROUTES DE L’EST.

Trois grandes voies de communication permettent de pénétrer dans l’Afghanistan par sa frontière de l’est. Nous allons les étudier en allant du nord au sud.

A. ROUTE DE PESCHAWAR À CABOUL PAR LE KHYBER.

Le premier des passages par ordre d’importance et de célébrité est celui du Khyber, une des clefs de l’Inde ; il mène directement de Peschawar à Caboul.

La route de Peschawar à Caboul ne suit pas exactement le cours du Caboul-Daria. Les bords de cette rivière sont tellement escarpés, en effet, que le tracé du chemin (si l’on peut s’exprimer ainsi pour ceux de l’Afghanistan) s’en éloigne souvent à une distance de plusieurs kilomètres au sud.

Cette route est praticable pour toutes les armes, mais non sans d’énormes difficultés. On peut se procurer tout le long de son parcours de l’eau, des fourrages et des vivres.

En se dirigeant de Peschawar sur Caboul, on aperçoit d’abord Jamrood, petite place située sur la frontière, à 12 kilomètres O. de Peschawar, et occupée en tous temps par une garnison anglaise. Jamrood n’est, en définitive, qu’un village entouré d’une muraille en terre sèche. Il contient à peine une soixantaine de maisons.

On peut pénétrer dans le Khyber par deux voies principales, partant toutes les deux de Jamrood, pour aboutir au fort Ali-Mesdjid, qui en commande l’entrée. Celle du nord s’appelle le Shadi-Baja-waru, elle passe par Sarkamar. Sa longueur est d’environ 16 kilomètres.

La seconde route, celle du sud, plus suivie, mais beaucoup plus longue que la précédente, porte le nom de Jugoli. Elle entre dans la montagne à Kadam, petit village situé à quatre ou cinq kilomètres O.-S.-O, de Jamrood, et près duquel on voit les ruines d’un vieux fort sick. À un kilomètre de Kadam, la gorge se resserre de façon à n’avoir plus que 100 à 150 mètres d’ouverture ; de chaque côté se dressent des rochers complétement à pic, premières assises de montagnes hautes de 1,500 pieds. Bientôt la passe se rétrécit encore, et, à quelques kilomètres avant d’arriver au pied du fort Ali-Mesdjid, où elle rencontre la route du Shadi-Bajawaru, sa largeur varie entre 80 et 20 mètres, De Jamrood au pied du fort Ali-Mesdjid, par Kadam, on compte 24 kilomètres.

Le fort Ali-Mesdjid, situé sur un plateau escarpé, de 740 mètres d’altitude, commande les deux routes qui viennent de Jamrood et ferme l’entrée de là passe du Khyber.

Le route du Khyber grimpe le long des pentes de ce plateau, en laissant le fort au sud. Pendant plusieurs kilomètres, elle conserve sa nature sauvage et difficile ; puis la passe s’élargit peu à peu, jusqu’à atteindre une largeur de plus d’un kilomètre ; en même temps, les montagnes qui la bordent de chaque côté deviennent de plus en plus accessibles. Le chemin passe alors au-dessous d’Ischpola et entre, à 10 kilomètres d’Ali-Mesdjid, dans la vallée de Lala-Beg, qui a environ 10 kilomètres de long sur 2,400 mètres de large.

À l’extrémité ouest de cette vallée, le défilé se resserre tout à coup à tel point que deux chameaux peuvent à peine y passer de front. On arrive ainsi au sommet du passage, situé près de Landikhana, à une altitude de 1,000 mètres ; mais, pour y parvenir, il faut franchir une montée excessivement rapide et très-pénible pour l’artillerie.

À partir de Landikhana, la descente s’opère sans grande difficulté le long d’une assez bonne route. La vallée s’élargit, les pentes s’adoucissent et la contrée perd son caractère sauvage.

La passe se termine en face de Daka, petite ville de 1,200 habitants, située sur la rive droite du Caboul-Daria, en face de Lalpoor.

Le capitaine Burnes, dans la relation de son voyage de Peschawar à Caboul, parle avec admiration du spectacle qui s’offre au voyageur à la sortie du défilé : « La vue est réellement magnifique, dit-il. Nous pouvions apercevoir la ville de Djellalabad à 40 milles de distance, ainsi que la rivière de Caboul poursuivant son cours extrêmement sinueux dans la plaine et la partageant en un nombre infini d’îles fertiles. Le Sefid-Koh ou mont Blanc élevait sa cime d’un côté ; en face se dressait majestueusement le mont Kounar, couvert d’un manteau de neiges éternelles. »

Au sud de Daka se trouve un fort carré, dit fort de Daka, défendu par des remparts en terre d’une hauteur de 25 pieds, et dont chaque front peut avoir près de 400 mètres de longueur. Ce fort, qui est dominé à une très-faible distance par les collines qui entourent Daka, ne paraît pas susceptible d’une défense sérieuse. Il renferme de vastes casernes et une sorte de palais autrefois destiné à servir de résidence à l’émir de Caboul.

La longueur des défilés du Khyher, du fort Ali-Mesdjid à Daka, est de 35 kilomètres : ce qui nous donne 51 kilomètres de Jamrood à Daka, par le Shadi-Bajawara, et 89 kilomètres entre ces deux mêmes points, par le Jugoli.

Plusieurs chemins praticables pour des colonnes légères permettent de tourner le fort Ali-Mesdjid. Je citerai celui de Lashura à Paniput, qui rejoint la route principale par les passes de Tor-Tong et de Kata-Kushtia à quelques kilomètres au N.-O. d’Ali-Mesdjid ; la route du Takhtara, qui entre dans la montagne à 16 kilomètres au nord de Jamrood et débouche près de Daka ; celle du Bara, qui offre le moyen de gagner, par le sud, la vallée de Lalabeg ; enfin, les routes de Mitschni et d’Abazai, qui permettent d’éviter les passes du Khybor et d’atteindre, par Le nord, Lalpoor et Djeila-labab ; mais ces deux voies ne sont pas accessibles pour une armée en campagne.

Les habitants des montagnes du Khyber, Khyberis ou Khybériens, appartiennent à trois tribus principales : celles des Affriddi, des Tchainwaris et des Ourouks, renommées pour leur amour du pillage.

« Les Khyberis, dit M. Perrin, sont maigres, mais musculeux, avec des figures longues et décharnées, le nez élevé, des pommettes saillantes, un teint très-brun, leur vêtement, en hiver du moins, consiste en une tunique d’étoffe grossière, descendant jusqu’au milieu de la jambe ; leur coiffure est un turban de couleur foncé, et leur pied est enfermé dans une sorte de sandale en paille. »

Leurs maisons sont groupées en nombreux villages dans toutes les vallées ; elles on des toits en terrasse et sont d’un aspect assez propre ; elles ne servent guère d’habitation que l’hiver presque tous les Khybéris habitent, pendant l’été, les montagnes, où ils logent sous la tente.

« Les Khybéris sont d’excellents tireurs. Bons soldats dans les montagnes, ils ne soutiennent pas cette réputation dans les pays de plaines. La nature leur a donné plus de goût pour la rapine que pour la guerre, et si les bagages de l’armée à laquelle ils appartiennent se trouvent sans défenseurs, ils font la main basse dessus sans scrupule. On peut les considérer comme les plus éhontés pillards de tout l’Afghanistan ; il y a lieu de croire que le sentiment de l’honneur leur est tout à fait étranger[1]. »

Le passage de Khyber a été plus d’une fois franchi par les troupes anglaises.

En 1839, c’est le colonel Wade qui enlève les passes en quelques jours et sans essuyer de pertes sérieuses. En 1842, c’est le général Pollock qui pénètre par ce chemin dans l’Afghanistan, à la tête d’une forte colonne expéditionnaire, va délivrer l’héroïque garnison assiégée dans Djellalabad, et tire une éclatante vengeance des massacres de Kood-Caboul.

En 1878, la division Browne, réunie devant Jamrood, traverse la frontière le 21 novembre, canonne le même jour le fort Ali-Mesdjid, qui est abandonné pendant la nuit même par sa garnison, arrive le 24 à Landikhana, et entre le 25 à Daka.

La grande barrière du Khyber ne présente donc plus un obstacle insurmontable pour des troupes aguerries, conduites par un chef expérimenté ; mais une fois cet obstacle franchi, la grande difficulté est d’entretenir des communications à travers les passes avec la base d’opération[2].

Si les tribus du Khyber restaient hostiles à une armée d’invasion, elles deviendraient en effet pour cette armée une cause d’embarras très-sérieux. Vivant dans le pays, connaissant tous les passages, toutes les retraites, habitués à tous les dangers, entreprenants et agiles, les belliqueux habitants de ces contrées ne manqueraient pas de harceler les convois et d’intercepter à chaque instant la route de Daka à Peschawar. Il est donc important pour l’Angleterre de les soumettre ou de s’assurer tout au moins leur neutralité par un coup d’éclat.

De Daka la route suit la vallée du Caboul-Daria parallèlement au cours de cette rivière et à quelques kilomètres au sud de sa rive droite. Elle traverse Huzarnan et Bassoli (Bassawal), Ghaziabad et arrive enfin à Djellalabad.

Entre Daka et Bassawal existe le défilé peu important de Kurd-Khyber (Petit-Khyber), défendu autrefois par un fortin aujourd’hui en ruines. Entre Bassoli et Ghaziabad et le village de Batikot, situé à quelques lieues au sud, se trouve une lande pierreuse, où règne pendant la saison chaude le vent pestilentiel du simoun, bien que les montagnes des deux côtés de la vallée soient couvertes de neiges perpétuelles.

Djellalabad est situé à 64 kilomètres de Daka, soit à 123 kilomètres de Peschawar. C’est une petite ville de 1,500 maisons, qui à toujours été un point commercial important. Elle est renommée pour la douceur de son climat, et les souverains de l’Afghanistan en ont fait leur résidence d’hiver. Burnes nous la représente comme fort laide intérieurement et fort mal entretenue ; les descriptions qui nous en arrivent aujourd’hui donnent lieu de croire que son aspect général ne s’est pas modifié.

Djellalabad est une place importante par son histoire, sa position et les travaux qui y ont été faits.

Sa défense héroïque en 1842 rattache glorieusement son nom aux douloureux souvenirs qu’ont laissés la campagne entreprise par l’Angleterre en 1839 et les désastres qui en furent la suite en 1841 : toutes les routes venant de l’Inde dans la vallée du Caboul-Daria y aboutissent, et nulle entreprise ne peut être tentée sur la capitale si Djellalabad n’est pas entre les mains de l’envahisseur ; enfin, ses fortifications, reconstruites vers le milieu de ce siècle par Dost-Mohammed, ont été encore perfectionnées par Schere-Ali, qui a toujours déployé la plus grande activité et un talent réel, lorsqu’il s’est agi de mettre son pays en état de résister contre les entreprises de l’étranger.

En sortant de Djellalabad, la route de Caboul se dirige vers l’ouest, suivant pendant 15 kilomètres environ la rive droite du Caboul-Daria, puis elle s’incline vers le sud-ouest et traverse la riche vallée de Bala-Bagh jusqu’à Gandamak, grand village situé à une cinquantaine de kilomètres de Djellalabad, à l’entrée de la région montagneuse.

C’est là que commence à se faire réellement sentir la différence qui existe entre le bas et le haut de la vallée du Caboul-Daria, au point de vue de la température, des productions, etc. « À Gandamak, dit le capitaine Burnes dans le récit de son voyage de Peschawar à Caboul, le froment que l’on était sur le point de couper, à Djellalabad, n’avait que trois pouces de haut, et cependant la distance d’un lieu à un autre, n’est pas d’une trentaine de milles. Nous découvrîmes dans les champs la marguerite blanche au milieu du trèfle ; les montagnes, éloignées seulement de quelques milles, étaient couvertes de superbes forêts de sapins ; on sentait la végétation du nord dans tout l’aspect du pays, et l’air plus vif et plus piquant nous invitait à nous vêtir davantage. »

En sortant de Gandamak, la route passe à Sefid-Sang, à Surk-Ab, village situé sur la rivière du même nom, qu’on franchit sur un pont ; elle traverse ensuite la passe de Karkaischa, à 2,500 mètres d’altitude, longe le fort de Djabar, entre dans le défilé des Sept-Passes, et pénètre dans celui de Kurd-Caboul, si tristement célèbre par le massacre qui y fut fait, en 1842, des débris de l’armée anglaise, par les Afghans parjures à la foi donnée.

« Le Kurd-Caboul est une gorge affreuse de 8 kilomètres de long, si étroite qu’il y a à peine place pour un mauvais chemin, ou plutôt pour un sentier accessible aux chevaux, entre le flanc escarpé de la gorge et le torrent qui coule au fond. En beaucoup d’endroits, les rayons du soleil ne pénètrent que rarement. Le torrent coule le long de la route avec une grande impétuosité et le coupe environ trente fois. Souvent le courant est assez fort pour interrompre la circulation[3]. »

La sortie du défilé est à Butkhat, dans la petite vallée de Caboul, à 17 kilomètres à l’est de cette ville.

Une seconde route mène de Daka à Caboul. Cette route, qui est absolument impraticable aux voitures, se détache de la première à Bassoli, traverse Batikot, Sador, Sckautani et vient rejoindre la route principale à Gandamak.

La distance de Caboul à Djellalabad est de 150 kilomètres environ ; celle de Caboul à Peschawar, par le Jugoli, est donc de 275 kilomètres.

Caboul, chef-lieu de la province du Caboulistan et résidence de l’émir des Afghans, est située par 34°, 30’ latitude nord et 66°, 46’ longitude est, au milieu d’une vallée fertile bien cultivée, et d’un aspect extrêmement pittoresque. Son altitude est de 1,917 mètres ; cette grande élévation y rend les hivers longs et particulièrement rigoureux.

La ville à environ quatre kilomètres de circonférence ; elle n’a pas d’enceinte. À son extrémité sud-est se trouve la citadelle appelée Bala-Hissar (le palais des rois), qui domine Caboul et forme comme une ville à part entourée d’un mur bastionné. Le Bala-Hissar contient le palais du souverain, des jardins, le tombeau de Baber, quelques monuments publics, un fort intérieur et un millier de maisons avec un bazar.

Par elle-même et par ses ouvrages, cette forteresse est respectable ; mais elle est dominée par des hauteurs voisines et serait promptement réduite au silence par les batteries qu’on y établirait. Bien que situé à 1,917 mètres d’altitude, Caboul n’est en effet qu’un véritable cul-de-sac entouré de tous côtés par des montagnes énormes.

La ville de Caboul proprement dite se compose de la vieille ville, où l’on compte environ 5,000 maisons et de vastes faubourgs. Sa population totale est évaluée à 60,000 habitants.

De tous temps la position de Caboul en a fait un lieu de transit important ; c’est là, en effet, que se croisent les grandes routes qui viennent de l’ouest et du sud pour monter vers le Turkestan, la Bouckharie et la Chine.

Caboul est située à 515 kilomètres nord-est de Candahar, à 800 kilomètres est de Hérat et à 565 kilomètres de Balk.

B. ROUTE DE L’INDUS À CABOUL PAR LE KURUM.

La seconde voie de communication donnant accès du Pendjab dans le cœur même de l’Afghanistan est celle du Kurum, qui, remontant la vallée de ce nom, franchit vers le 67° de longitude E. les derniers contreforts du Sefid-Koh et débouche dans la vallée du Logar, à 60 kilomètres environ au sud de Caboul, entre cette ville et la place importante de Ghazni.

La route du Kurum est regardée comme la meilleure de celles qui relient le Pendjab au centre de l’Afghanistan, tant sous le rapport de la facilité des chemins qu’au point de vue des ressources de toute nature qu’offrent les pays qu’elle traverse.

C’est en même temps une voie stratégique de la plus haute importance. Il suffit, en effet, de jeter un coup d’œil sur la carte pour se rendre compte qu’une armée d’invasion marchant sur Caboul par le Kurum peut combiner ses mouvements avec ceux des troupes agissant dans la vallée du Caboul-Daria, de façon à tomber sur les flancs ou sur les derrières des défenseurs de cette vallée, et tout au moins à les arrêter dans leur retraite sur Caboul ; et que si, d’un autre côté, elle parvenait dans la vallée du Logar, elle deviendrait immédiatement maîtresse de la route de Caboul à Ghazni, et intercepterait ainsi toutes les communications de la capitale avec Candahar et le sud de l’Afghanistan.

Les villes anglo-indiennes de Kohat et de Bannu sont les deux places naturellement désignées pour servir de première base d’opérations à toute armée d’invasion destinée à remonter la vallée du Kurum. De chacune d’elles part une route se dirigeant sur Thall ou Thull, localité située 4 l’extrême frontière indienne, à l’entrée même de cette vallée.

Kohat est une ville de 6,000 à 8,000 habitants, bâtie dans un angle formé par les montagnes du Selid oriental, sur la rivière de Kohat ; sa position astronomique est 33°, 35’ latitude N. et 69°, 10’ longitude E. C’est une place forte qui renferme en tous temps une garnison de deux à trois mille hommes ; elle est distante de 55 kilomètres S.-S.-O. de Peschawar, à laquelle elle est reliée par une bonne route. À 4 kilomètres au nord de Kohat, cette route entre sur le territoire des Affrides indépendants, qu’elle traverse pendant une vingtaine de kilomètres ; elle passe ensuite sous le fort anglais de Mackeson et se dirige de là, droit au nord, vers Peschawar.

Les environs de Kohat sont, paraît-il, ravissants ; le pays est admirablement cultivé, la végétation luxuriante ; de nombreux cours d’eau descendent en cascades des montagnes avoisinantes et entretiennent une fraicheur délicieuse dans la vallée ; toutes les routes sont parfaitement entretenues et bordées d’arbres magnifiques ; enfin, le climat est excellent en toutes saisons, même pour les Européens. Cependant l’idéal de la vie champêtre n’y est pas sans mélange. Les habitants de la montagne font de fréquentes incursions dans la plaine, et y commettent même de si nombreuses déprédations que, pour assurer autant que possible la sécurité du pays, on a dû le couvrir de petits postes d’observation. Ces petits postes, qu’on rencontre en grand nombre, du reste, tout le long de la frontière anglo-indienne, sont des tours en terre d’une trentaine de pieds d’élévation, et dans lesquelles les gardes qu’on y place pénètrent au moyen d’échelles, la porte d’entrée étant située au milieu de la hauteur du bâtiment. Une fois chez eux, ces gardes doivent avoir grand soin de retirer immédiatement leur échelle, dont les Affrides, qui volent tout, « depuis une pierre tumulaire jusqu’à un poulet, » ne manqueraient pas de s’emparer.

De Kohat, une route en très-bon état d’entretien se dirige sur Thall, distant de 100 kilomètres environ, en passant par Hangu, Nuriab, Torawaru et Darnan.

Bannu, Bunnoo ou Edwardesabad est située sur le Kurum, à quelques kilomètres de la frontière afghane et à 150 kilomètres sud-sud-ouest de Peschawar ; sa position astronomique est 33° latitude nord et 68°, 20’ longitude est. C’est une ville de 4,000 à 5,000 habitants et une des principales garnisons du Pendjab ; elle est reliée, par une bonne route de 90 kilomètres environ, à Isackhel, station importante bâtie sur les bords de l’Indus.

Bannu est une place forte, et les Anglais lui ont donné le nom d’Edwardesabad, en mémoire du major Edwards, qui y a exécuté de remarquables travaux de défense.

Les environs de Bannu sont fertiles, bien cultivés et offriraient de nombreuses ressources de toute nature à un corps d’armée qui y serait cantonné.

L’origine de Bannu remonte à une haute antiquité. « Cette ville est citée, dès le IVe siècle, dans la Relation chinoise de Fahian, et depuis, dans l’Histoire des campagnes de Timour et de Baber, comme se trouvant sur une des grandes voies de communication entre le pays de Ghazni et les plaines du Sindh[4]. »

De Bannu, une route en bon état se dirige sur Thall, en remontant la vallée du Kurum. À quelques kilomètres au nord-ouest de Bannu, cette route rencontre un petit fortin appelé Avant-poste de Kurum (Kurum out-post) ; elle traverse ensuite, pendant une trentaine de kilomètres, le district de Vaziris, dont les tribus à peu près indépendantes sont placées sous l’autorité nominale de l’émir de Caboul, passe à Ziram, Lucannu, et, laissant Billana sur la gauche, arrive à Thall. De Bannu à Thall, on compte près de 64 kilomètres.

Thall ou Thull est située sur le territoire anglais, au confluent de la rivière du Kurum avec le petit cours d’eau de Nuriab ; c’est le point de concentration indiqué de toute force anglo-indienne se disposant à remonter la vallée de Kurum et venant soit de Kohat, soit de Bannu, soit de ces deux villes.

En dehors de son importance stratégique, Thall ne semble pas offrir par elle-même de grandes ressources pour la réunion d’une troupe nombreuse. Sir Herbert Edwardes décrit ce pays comme un désert, pouvant être seulement habité par des sauvages ; le docteur Bellew, qui y a fait une halte dans son voyage à Ghazni en 1857, avec la mission Lumsden, dit qu’on y trouverait difficilement un terrain propre à l’établissement d’un camp quelque peu considérable.

Quoi qu’il en soit, sir Neville Chamberlain en a fait la base de ses opérations dans la vallée du Kuram en 1855 et en 1859 ; le général Keyes y a établi son quartier général lors de son expédition de 1869, et, enfin, c’est à Thall que le général Roberts a réuni, en 1878, la colonne expéditionnaire placée sous son commandement.

En sortant de Thall, le chemin de Caboul continue de suivre le fond de la vallée du Kurum, passe à Yarkan-Kila, Bogsaï, Gidar, Ibrahim-Zai, Zangaï, et arrive au pied du fort Mohamed-Azim, appelé aussi fort du Kurum. Une route, partant de Bogsaï, permet d’atteindre le fort Mohamed-Azim par les défilés de Darwaza.

De Thall au fort Mohamed-Azim, on compte 80 kilomètres environ. Pendant ce trajet, la route traverse plusieurs fois la rivière du Kurum et est d’un parcours difficile[5]. Elle longe le pays de Khost, dont les populations turbulentes peuvent devenir une cause d’embarras si on ne dispose pas d’une force suffisante pour assurer la sécurité des convois entre le fort du Kurum et la base d’opérations.

Aucune route proprement dite ne mène dans les vallées de Khost ; mais de nombreuses reconnaissances fournies par des détachements laissés à Ibrahim-Zai, Bogsaï, etc., pourraient permettre de maintenir les habitants dans un respect salutaire pour l’armée d’invasion[6].

Le fort Mohamed-Azim, ou fort du Kurum, est construit à 1,800 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur un escarpement situé entre deux confluents du Kurum et commandant le passage de cette vallée. Aussi bien par sa position que par les travaux qu’on y a faits, c’est un ouvrage important et qui serait susceptible d’une résistance sérieuse.

En partant du fort Mohamed-Azim, le chemin de Caboul s’écarte de la rivière du Kurum, qu’il laisse au sud, pour se diriger vers le nord-ouest sur la passe de Peïwar, en passant par Habibi-Kila et le village de Peïwar.

Puis on se rapproche de ce dernier point et plus la voie devient accidenté et d’un parcours difficile. Le pays est très-boisé, et le terrain présente l’aspect sauvage et grandiose d’une région absolument alpestre.

Les tribus Djadgis, Waziris ou Mangales, qui habitent les montagnes des environs, sont éminemment batailleuses, avides d’aventures et surtout de butin, et ce n’est qu’en laissant le long de la route des détachements spéciaux, capables d’exercer d’énergiques représailles contre ces indigènes capables de toutes les atrocités, qu’un corps d’armée parvenu au Peïwar pourra maintenir ses relations avec Thall ou le fort du Kurum.

La passe de Peïwar, distante du fort Mohamed-Azim d’environ 30 kilomètres, est située à près de 2,500 mètres d’altitude ; elle est dominée au nord par le mont Sikaram, dont la hauteur est évaluée à 4,775 mètres, et au sud par le plateau de Peïwar, énorme barrière de plus de 25 kilomètres de longueur, qui ferme complétement la vallée du Kurum, depuis le lit de cette rivière jusqu’au massif du Sikaram.

Le défilé de Peïwar est le seul passage par lequel une armée puisse franchir cette barrière. À quelques kilomètres au nord se trouve bien une route praticable pour des troupes, celle du Spinghori-Rud ou Sefid-Koh-Rud (rivière du mont Blanc), mais elle se confond bientôt avec la voie principale, et on peut dire qu’elle n’en est qu’une annexe. Quant aux autres chemins qu’on rencontre le long de ces hauteurs, ils sont accessibles à peine pour des petites colonnes légères. La possession de la passe de Peïwar est donc de la plus haute importance pour l’attaque comme pour la défense ; aussi voyons-nous que, dans l’expédition de 1878, les Afghans y ont opposé une énergique résistance aux troupes du général Roberts.

En sortant du défilé de Peïwar, la route de Caboul tourne tout à coup vers l’O.-S. et descend, par une pente excessivement rapide, dans une vallée boisée, fertile et bien arrosée, où se trouvent de nombreux villages, parmi lesquels je citerai Djadran, Baïram-Khel et Ali-Khel. Ce dernier, situé à 20 kilomètres de l’entrée de la passe de Peïwar, présente des ressources importantes pour l’installation d’un camp et l’approvisionnement des troupes.

D’Ali-Khel la route se redresse brusquement vers le N.-O., traverse le village de Rokian et la passe du même nom, point important pour la défense, rencontre les villages d’Hézarderakht, Djadjthana, Katlasang, et franchit les monts Sefid par les défilés de Sirkaï et de Schuturgardan, qui sont les seules portes par lesquelles une armée venant du Kurum peut pénétrer dans le bassin du Logar et descendre de là sur Caboul ou se diriger vers le sud-ouest sur Ghazni.

La passe de Schuturgardan (dos de chameau) est à environ 13,000 pieds en-dessus du niveau de la mer. Le froid s’y fait tellement sentir, qu’au mois d’avril 1857 la petite escorte de Lumsden, composée de 19 hommes et de leurs chevaux, y perdit en une seule nuit, par congélation, deux de ces animaux.

Comme celle de la passe de Peïwar, ascension des défilés de Sirkaï et de Schuturgardan est moins difficile par l’est que par l’ouest, où la montagne présente des pentes d’une excessive roideur ; mais, des deux côtés, ces passages resserrés entre des rochers à pic peuvent être gardés facilement par une poignée de soldats résolus.

L’extrémité occidentale de la passe de Schuturgardan est à Akhun-Khel, village et poste fortifié situé sur un affluent du Logar. D’Ali-Khel à Akhun-Khel, la distance est d’environ 60 kilomètres.

La route suit cet affluent pendant 20 kilomètres jusqu’à Kutschi où elle se bifurque ; l’un de ses embranchements se dirige directement vers le nord sur Caboul, à travers un pays montagneux et peu habité ; l’autre descend vers l’ouest jusqu’au Logar, qu’il traverse en amont de Kila-Wezir, entre les villages de Padkhochana, Padkhoreyan et Barack. De là, le chemin se redresse vers le nord, suit la rive gauche du Logar jusqu’aux environs de Tscharasia, où il rencontre l’autre route venant de Kutschi, et arrive à Caboul. Cette seconde voie parcourt une vallée fertile, couverte de villages, et offrirait de nombreuses ressources à une armée en marche.

Des chiffres donnés ci-dessus il résulte que la longueur de la voie du Kurum, de Thall à Kutsehi, peut être évaluée approximativement à 210 kilomètres ; de Kutschi à Caboul on compte environ 60 kilomètres par la route directe du nord, et 90 kilomètres par celle qui suit la vallée du Logar, ce qui nous représente comme distance de Thall à Caboul 270 ou 300 kilomètres, suivant que l’on prend l’un ou l’autre de ces deux derniers chemins.

En continuant pendant 30 kilomètres vers l’ouest la route de Kutschi à Barack, on trouve le village de Sayadabad, où passe la route allant de Caboul à Ghazni et Candahar. Sayadabad est situé 270 kilomètres environ S.-O. de Caboul, et à 80 kilomètres N. N.-E. de Ghazni. La description sommaire de cette dernière ville, si célèbre dans l’histoire des Afghans, trouvera place tout à l’heure dans le paragraphe consacré à l’étude de la route de Candahar à Caboul.

De Barack, une route se dirigeant vers le sud permet également d’atteindre Ghazni en passant par Mohamed-Khan, Kota-Khel et Kahmack. Par ce chemin, on compte 120 kilomètres de Ghazni à Barack et 170 kilomètres de Ghazni à Caboul.

La marche des Anglais dans le Kurum, en 1878, a été rapide et brillante. Le 21 novembre, à trois heures du matin, la colonne du général Roberts, forte d’environ 6,000 hommes, franchissant la frontière, traversait la rivière devant Thall et se portait rapidement sur Ah-Meshana. Le 26, l’avant-garde atteignait Bogsaï, et, le 27, le fort Mohamed-Azim, abandonné par ses défenseurs, tombait entre les mains de l’armée anglo-indienne. Arrêté un instant dans sa marche en avant par les troupes afghanes réunies au Peïwar, le général Roberts réussissait cependant à s’emparer de cette position dans la nuit du 1er au 2 décembre, en la tournant par le Spin-Ghori-Rud, et enlevait 18 canons à l’ennemi. Le 6, les Anglais étaient à Ali-Khel, et, le 9, les éclaireurs reconnaissaient les passes du Schuiurgan. Après cette démonstration, le général Roberts à ramené sa division au fort du Kurum, où sont établis ses quartiers d’hiver.

La rapidité même de cette marche a fait que la sécurité de la colonne et de ses communications n’a pu être assurée d’une manière suffisante. Il est impossible aux soldats de s’éloigner de leurs campements sans courir le risque d’être assassinés ; les conducteurs des convois, les gens à la suite de l’armée sont massacrés s’ils ne marchent sous la protection de forces relativement considérables ; à chaque instant les communications avec le bas de la vallée sont complétement interrompues ; plusieurs villages dont les habitants s’étaient montrés favorables aux Anglais ont déjà été brûlés, et l’impunité dans laquelle on est obligé de laisser les montagnards, par suite de la faiblesse numérique du corps expéditionnaire, ne peut que les encourager encore à continuer avec plus d’audace leurs meurtres et leurs dévastations.

C. — ROUTE DE L’INDUS À GHAZNI PAR LE GOMUL.

La troisième voie de communication reliant l’Inde avec le centre de l’Afghanistan est celle de la vallée du Gomul, qui, traversant les monts Soleïman vers 32° 10’ lat. N., entre les deux massifs de Kunde et de Takhti-Soleïman, relie la vallée de Sindh à Ghazni, Caboul et Candahar.

Cette route ne présente peut-être pas des défenses naturelles aussi formidables et des obstacles d’un genre aussi grandiose que ceux qu’on rencontre sur la route de Peschawar à Caboul ou sur celle de la vallée du Kurum, mais dans la région des hauts plateaux, c’est-à-dire pendant la plus grande partie de son parcours, elle traverse un pays presque désert où le fourrage, l’eau et la nourriture font souvent défaut. Dans ces régions élevées, l’hiver est long et d’une grande rigueur, et pendant un tiers de l’année les passages deviennent impraticables par suite des neiges qui y sont amoncelées ; de plus, en certains endroits, la route est resserrée entre les rochers à tel point que les chameaux ont peine à passer avec leur charge ; enfin les peuplades Waziris en infestent les parages, pillant ou rançonnant les caravanes qui ont le malheur de s’y aventurer.

Ces Waziris ont infligé en 1860, à une petite expédition dirigée par sir Neville Chamberlain, une perte de 90 hommes tués et de près de 300 blessés.

La route de Gomul, en quittant l’importante station militaire et commerciale de Dera-Ismaïl-Khan, se dirige vers l’O.-N.-O, par Kulachi et Zafar-Koh sur Mandjigarh, localité près de laquelle elle franchit la frontière anglo-indienne. De Dera-Ismaïl-Khan à Mandjigarb, on compte 75 kilomètres.

Le premier village afghan que l’on rencontre de ce côté est Zemarikab, situé au pied des monts Soleïman, à quelques kilomètres au sud des rives du Gomul. La route s’enfonce ensuite dans la montagne par les défilés de Mashkani et de Ghuleri, dominés au nord par les massifs de Gerisir (1,800 mètres) et de Kunde ou Kunde-Ghor (2,500 mètres), et au sud par celui du Takhti-Soleiman (trône de Salomon), sur lequel les Mahométans croient que l’arche de Noé aborda après le déluge.

Le Takhti-Soleïman, haut de 8,509 mètres, mérite au moins par sa majesté l’honneur que lui font les légendes du pays. Des pèlerins s’y rendent en grand nombre chaque année, et au sommet de la montagne les prêtres les admettent à toucher ce que la tradition prétend être une portion de l’arche, relique sacrée, objet de profonde vénération pour les visiteurs.

En sortant des défilés, dont la longueur est de près de 90 kilomètres, la route atteint le village de Kirkani, où elle rejoint le Gomul : puis, suivant pendant longtemps la rive droite de cette rivière, elle la traverse en face de Kotghaï. Tout près et en aval de ce village, la route se bifurque ; un de ses embranchements se dirige vers Candahar, à travers un pays désolé et que les caravanes ne franchissent qu’avec mille difficultés ; l’autre, remontant le long de la rive gauche du Gomul, passe à Topa-Una, Patsal, Stigaï, traverse encore une fois la rivière, atteint Ab-i-Talk où Sarmargha, Othman, le défilé et le poste fortifié de Kala-i-Kharoti, franchit la passe de Sarwandi à plus de 2,000 mètres d’altitude, celles de Spincha et de Sarga, et débouche alors dans les hautes vallées du bassin intérieur de l’Ab-Istada, Le chemin se dirige ensuite sur Langar, petite place forte, Pana et Djoga, villages importants situés à 2,200 mètres environ de hauteur, au milieu des montagnes du Karabagh, remonte la rivière de Ghazni et parvient à cette ville après s’être soudée à Nani à la route de Candahar à Ghazni. Nani est situé à 2,260 mètres d’altitude ; sa distance de Mandjigarh peut être évaluée à 350 kilomètres au maximum ; de Nani à Ghazni, on compte à peine 18 kilomètres.

En dehors des trois passages que je viens de citer, il existe encore sur la frontière de l’est, à travers les monts Soleiman, quelques chemins accessibles pour des voyageurs isolés ou de petites caravanes, mais ils sont absolument impraticables pour des corps d’armée emmenant avec eux leurs impedimenta. Je me contenterai donc de citer pour mémoire les passes de la Tochée, de Jundoola ou de Tank ; celles de Draband, de Shangan, de Dahna, de Lundi et de Rakni.

2° ROUTES DU SUD.

DE JACOBABAD À CANDAHAR, PAR DADAR, LA PASSE DE BOLAN, QUETTA ET LES DÉFILÉS DU KHODJAK ET DE GHWAJA.

Dans le sud de l’Afghanistan pénètre une voie importante qui, reliant Jacobabad à Candahar, met en communication la vallée du Sindh avec tout le S.-O. de l’Afghanistan, la Perse et le Turkestan. C’est une des lignes de transit les plus considérables de l’Asie centrale, et au point de vue politique c’est une des grandes routes de l’Inde pour les peuples du nord.

Le point de départ de cette route sur la frontière anglo-indienne est à Jacobabad, ville située au N.-N.-O. de Schikarpur et à 80 kilomètres environ de Bakkar ou Bakar, bâtie sur les bords de l’Indus et station du chemin de fer de Lahore.

De Jacobabad la route de Candahar se dirige vers le N.-O. à travers le désert sablonneux du Balouchistan[7] sur Bashoree et Moolana, d’où un embranchement tourne vers l’O. sur Gandava, tandis que la route principale se relève vers le N. et rencontre Syedad, Massee, Meepoor et Bagh. Cette dernière ville, située dans l’oasis fertile du Katch-Gandava (la perle du khan de Kélat), renferme environ six cents maisons et est un centre de commerce assez considérable.

De Bagh le chemin se maintient dans la direction N.-O., et passe à Mohishar, Nauschara où il est rejoint par la route de Gandava, pénètre dans le massif montagneux qui sépare le bassin de l’Indus de celui de l’Helmand et atteint Dadar, petite ville située à l’entrée des passes de Bolan. Il franchit ensuite ces défilés longs de plus de 100 kilomètres, au milieu desquels se trouvent les villages de Kirtu, Bibinani, Ab-i-Gum, Sir-i-Bolan, et débouche enfin à Kharlaki dans la riche vallée de Quetta.

De Jacobabad à Quetta la distance peut être évaluée à 300 kilomètres.

La partie orientale du Balouchistan que traverse la route de Jacobabad à Quetta est une région montueuse, une succession de hauts plateaux et d’escarpements formés par les montagnes de Hala qui, parlant du cap Muari (24°, 50’ latitude N. et 64°, 25’ longitude E.), se dirigent vers le N. presque parallèlement au cours de l’Indus, puis vont se rattacher par un enchevêtrement de hauteurs portant différents noms locaux aux chaînes du Soleïman et des monts Amram.

L’altitude des plaines de Kélat et du Katch-Gandava est de 1500 à 2,000 mètres. « Ici, comme dans la vallée du Caboul-Daria et sur toute l’étendue des monts Soleïman, celui qui monte des rives du Sindh sur ces plateaux éprouve une transition saisissante et rapide entre deux natures absolument différentes en bas la nature brûlante des plaines de l’Inde ; en haut le climat tempéré de la zone européenne, avec des hivers aussi rigoureux que ceux des contrées de la Baltique. À Kélat, au milieu de février, Pottinger trouva un froid si intense que l’eau répandue sur le sol y gelait immédiatement. Dans les vallées du Châl, entre Kélat et Candahar, la terre, au rapport de M. Masson, est couverte de neige pendant plusieurs mois ; la neige ne fond même jamais ou ne disparaît que pendant un court intervalle sur plusieurs points de cette région alpestre[8]. »

Toute cette série de plateaux ondulés qui va de Kélat à la frontière de l’Afghanistan est généralement peu fertile, sauf dans le pays de Katch-Gandava, et manque d’eau. Les quelques rivières qu’on y voit représentées sur les cartes ne sont guère que des torrents impétueux pendant la saison des pluies, mais presque complétement à sec pendant l’été. Tel est le caractère que présente notamment la rivière du Bolan, dont le lit forme la voie par laquelle passe la route de Jacobabad à Candahar[9].

Les populations que l’on rencontre dans cette partie du Balouchistan appartiennent presque entièrement aux familles ou tribus des Rinds et des Moghsis ; ce sont des nomades qui s’occupent de l’élevage des troupeaux et quelquefois d’agriculture ; on trouve cependant quelques clans sédentaires dans les vallées les plus fertiles du pays. Comme les Afghans, les Balouches trouvent une grande satisfaction à s’approprier le bien d’autrui, mais s’ils sont aussi pillards que leurs voisins, ils n’en ont ni l’énergie, ni le courage, ni la solidité.

C’est ce chemin que je viens de décrire, de Jacobabad à Quetta par le Bolan, que suivit en 1839 l’armée combinée du gouvernement des Indes et de la confédération des Sicks. Les troupes anglo-indiennes furent massacrées dans les défilés du Bolan ; elles y perdirent tous leurs convois, et une brigade entière de cavalerie y fut réduite à un effectif de 100 hommes.

Depuis cette époque la situation a bien changé, et aujourd’hui la sécurité des passes est assurée au gouvernement anglais ; en 1877, en effet, à la suite des troubles qui régnaient dans le Balouchistan, l’Angleterre intervint entre le khan de Kélat et ses sujets révoltés ; le prince reconnut ses services en acceptant son protectorat, et depuis cette époque la ville de Quetta est occupée militairement par les Anglais.

De Jacobabad à Quetta une troupe anglaise n’aurait donc plus à lutter qu’avec des difficultés matérielles, considérables il est vrai, mais nullement insurmontables.

Les journaux anglais fournissent sur l’aspect général de cette route et notamment sur la partie la plus rude à parcourir, celle comprise entre Dadar et Quetta, des détails intéressants et qui pourront donner une idée des obstacles de toute nature que rencontre la marche d’une colonne dans un tel pays :

« Lorsque l’on quitte Dadar, l’aspect de la passe du Bolan est, pendant les 25 premiers kilomètres, plutôt désert et sauvage que grandiose. Le chemin est formé presque partout par le lit de la rivière qui est à sec pendant les deux tiers de l’année. De chaque côté s’élèvent des montagnes peu élevées, mais inaccessibles, couvertes de pierres roulantes et semblables à d’immenses monceaux de cailloux gigantesques.

« Le lit de la rivière lui-même est jonché de galets mouvants entre lesquels les chevaux enfoncent leurs pieds jusqu’au boulet ; de nombreux squelettes de chameaux, de bœufs ou de chevaux témoignent de la fatigue et de l’épuisement que cause la circulation par ce chemin.

« De loin en loin croissent quelques bouquets d’ajoncs poussant dans les rares endroits où les flots de la saison des pluies n’ont pas enlevé toute trace de terre végétale. Quelquefois le chemin abandonne le lit de la rivière et grimpe le long de ses berges, mais cela arrive rarement, par suite de la rapidité extrême des pentes de la montagne. »

En approchant du sommet des passes le chemin se hérisse de rochers ; ce sont des montées, des descentes, des obstacles à chaque pas ; on ne voit bientôt plus aucune trace de végétation, l’eau fait complétement défaut, tout est aride, mort et désolé ; enfin, suivant les saisons ou même l’heure, la chaleur ou le froid sont excessifs.

L’altitude des passes est d’environ 300 mètres à Dadar, de 500 mètres à Bibinani, et de 1,800 mètres vers Sir-i-Bolan.

Le correspondant du journal anglais le Standard, lui adressait, le 24 décembre dernier, les quelques lignes ci-après[10], relatives aux difficultés qu’eut à surmonter l’artillerie de la colonne expéditionnaire anglo-indienne pour traverser ces montagnes :

« Sur ma route, je dépassai l’un après l’autre des fourgons abandonnés, appartenant à la batterie de gros calibre ; les bœufs qui les avaient traînés étaient étendus morts sur le flanc du défilé. En continuant, je rejoignis un canon de siège de 40, que deux éléphants et une centaine de soldats traînaient péniblement, s’arrêtant de dix en dix mètres. Plus loin, des soldats traînaient des fourgons dont tous les bœufs avaient péri. Cette batterie[11] a eu un temps affreux depuis le 13 décembre 1878, jour de son entrée dans le défilé, d’où elle n’est pas encore sortie au moment où j’écris. À la fin de la troisième journée de marche, tous les bœufs étaient absolument hors de service, et ceux qui n’ont pas péri ne serviront à rien pendant nombre de mois. Les cailloux tranchants avaient coupé leurs sabots et avaient littéralement enlevé leurs fanons. C’est pitié de les voir se traîner en vacillant le long de la route, presque incapables de se soutenir eux-mêmes, alors qu’ils sont harnachés pour traîner des fourgons. Deux éléphants sont morts en route.

« Le major Collingwood (commandant la 5e batterie de la 11e brigade) s’est décidé à retenir toutes les troupes qui passaient pour les employer à traîner les canons. Indépendamment de l’escorte de la batterie consistant en une compagnie, il a retenu cinq ou six autres compagnies. Ces soldats sont harassés de travail pendant toute la journée. Les vivres sont peu abondants, l’eau très-rare, et le travail dure depuis le réveil jusqu’à minuit. »

Le point culminant des défilés du Bolan est situé près du village de Sir-i-Bolan. À toutes les difficultés de la route viennent se joindre alors, pour une armée en marche, la privation d’eau, les puits du pays étant à peine suffisants pour les besoins de sa maigre population ; en outre, le bois de chauffage fait complétement défaut, et il ne faut compter sur aucune ressource en vivres ou en fourrages.

À partir de Sir-i-Bolan, la descente se fait au milieu d’un véritable chaos de blocs énormes et par des sentiers couverts de pierres roulantes, que l’on trouve partout dans cette triste contrée. C’est un tel amoncellement de rochers inaccessibles, un tel dédale au milieu d’escarpements à pic, que le voyageur, une fois engagé dans ces passages, se demande à chaque instant par où il pourra sortir de ces gorges qui ont l’air de se fermer à chaque pas.

Ce n’est qu’après une quarantaine de kilomètres que l’aspect général du pays commence à se modifier et que le chemin devient réellement praticable. Il débouche alors dans la vallée de Quetta, qui offre de nombreuses ressources en eau, en fourrages et en vivres.

Quetta, aujourd’hui le poste avancé de l’Angleterre sur la frontière méridionale de l’Afghanistan, est une petite ville de 2,000 habitants environ, située sur la rive droite de la rivière de Châl, affluent du Schorawak-Lora.

Sa position astronomique est environ 30°, 10’ latitude nord et 64°, 30’ longitude est.

L’altitude de la vallée de Quetta est de 1,600 mètres ; celle de la ville même d’environ 1,650 mètres. L’hiver y est froid, tandis qu’en été les journées y sont d’une chaleur excessive et les nuits d’une grande fraîcheur.

Quetta est entourée d’une enceinte en briques crues, percée de trois portes. Elle possède une sorte de petite citadelle, résidence du gouverneur indigène, qui est en même temps commandant de la ville et du district balouche de Chaoul, dont Quetta est le chef-lieu.

Les habitants du pays sont des Balouches, des Afghans et des Hindous. Ils font un trafic assez étendu des productions du sol, telles que le safran et l’assa-fœtida, mais s’enrichissent surtout en frappant de droits énormes les nombreuses caravanes qui traversent la contrée.

De Quetta, la route de Candahar se dirige, presque vers le nord, sur Ispungli, Kuchlach, petit village fortifié situé au pied des monts Tokatu, et Abb-ul-Rahim-Khan, distant de Quetta de 23 kilomètres. C’est là que passe la frontière qui sépare le Balouchistan de l’Afghanistan.

On rencontre ensuite Makam, bâtie au milieu d’un pays fertile et bien arrosé ; Haïdarzaï, grand village fortifié qui s’élève au milieu de la vallée fertile et bien cultivée de la Lora.

La route tourne alors vers le nord-ouest, traverse la rivière Rouge ou Surck-Ab, et entre dans Haïkalzaï, petite ville protégée par une enceinte et située au milieu de la verte vallée du Pischin-Lora. Elle passe ensuite par Khedazaï, Tukani, riches villages habités par des agriculteurs, et arrive à Aramba.

Tous les cours d’eau que nous venons de rencontrer ne sont le plus souvent, en été, que de simples ruisseaux ; mais, à la suite de la fonte des neiges ou pendant la saison des pluies, ils se transforment en de larges et profondes rivières qui opposeraient alors de sérieuses difficultés à leur passage.

La petite ville d’Aramba, située au bas des premières pentes des monts Amram, se trouve encore au milieu d’un pays fertile et cultivé. À 1,500 mètres environ, au sud, s’élève le fort Abdullah. D’Aramba partent deux routes qui se dirigent sur Candahar : l’une, celle du nord-ouest, traverse les monts Amram par la passe de Khodjak ; l’autre, celle de l’ouest, franchit ces montagnes, hautes de 7,000 pieds, par le défilé de Ghwaja.

Les passes de Khodjak et de Ghwaja offrent certainement l’une et l’autre de grandes difficultés à franchir ; mais les obstacles qu’elles présentent sont de beaucoup inférieurs à ceux qu’on rencontre dans la vallée du Caboul-Daria ou au Bolan. Leur grande altitude fait qu’elles sont encombrées par la glace et les neiges pendant de longs mois ; dans la saison d’hiver, on peut dire qu’elles sont inaccessibles. Après la fonte des neiges, le chemin qui les traverse est facilement praticable pour l’infanterie et même pour la cavalerie ; le passage de l’artillerie seul ne peut s’opérer qu’au prix des plus grands efforts. Lorsque la colonne du général Stewart franchit ces défilés en 1878, une fois parvenu au sommet on fut obligé de faire descendre sur le versant opposé les pièces de gros calibre au moyen de cordes, de la façon dont les voyageurs glissent en bas d’un précipice dans les Alpes.

C’est par le Ghwaja que s’est effectué le passage de la division Stewart ; la colonne commandée par le général Biddulph traversa le Khodjak.

De la passe de Khodjak une route va directement sur Candahar par Chaman, Gataï, Miku el Mundhissar. Traversant un pays montagneux et coupé par de nombreux torrents, elle ne paraît pas pouvoir être utilisée avantageusement pour la marche d’une armée.

Une autre voie, qui se dirige de la passe de Khodjak, vers l’ouest, sur Dand-i-Gollaï, où elle rencontre le chemin qui descend des défilés de Ghwaja, permet également d’atteindre Candahar. Plus longue que la précédente, elle offre des ressources un peu plus nombreuses et présente moins d’obstacles naturels.

Dand-i-Gollaï, situé près du torrent ou nala de Kadani, au milieu d’une plaine ondulée et aride, n’offre aucune espèce de ressources. De ce point, la route se dirige sur le fort Kalaï-Fatula, placé sur la rive droite d’un torrent qui descend de Gataï, et à l’entrée d’un défilé resserré entre de hautes montagnes à pentes escarpées ; elle franchit ce défilé, long de près de 18 kilomètres, arrive à Melamanda, située au milieu d’une petite vallée bien arrosée, rentre dans une région montagneuse, qu’elle traverse par une série de gorges étroites et d’une défense facile, traverse la petite rivière de Dori et atteint le grand village de Deh-i-Haji, bâti au milieu d’un pays bien cultivé et offrant des ressources abondantes.

De Deh-i-Haji la route se dirige sur Candahar, en coupant les riches vallées de l’Argasan et du Tarnack, où se trouvent de nombreux villages, tels que Khush-Ab, Zankar, Kurazi, Popalzaï, Nandu, etc.

De Candahar à Quetta, la distance peut être évaluée à 250 kilomètres. En 1839, une colonne expéditionnaire anglaise, sous les ordres du général Keane, la parcourut en dix-neuf jours. En 1878, la colonne du général Biddulph, partie de Quetta le 21 novembre, se trouvait le 15 décembre à Chaman, au delà de la passe de Khodjak, ayant franchi par conséquent en vingt-cinq jours près de 100 kilomètres, et cela dans la plus mauvaise saison. La division Stewart, qui ne se mit en route de Quetta sur Candahar que dans la seconde quinzaine de décembre, fournit une marche analogue. Le 6 janvier, les deux généraux anglais concentraient leurs troupes autour de Takti-Pul, au sud de Deh-i-Haji, et, le 16 du même mois, les troupes anglaises faisaient leur entrée à Candahar.

Candahar, capitale de la province du même nom, est située entre le Tarnak et l’Argand-Ab, au milieu d’un pays très-fertile et très-pittoresque. C’est une des villes les plus renommées, les plus industrieuses et les plus commerçantes de l’Asie.

Candahar compte plus de 50,000 habitants. Sa position astronomique est 31°,37’ de latitude nord et 68°,8’ longitude est ; son altitude est de 1,058 mètres.

La ville a la forme d’un parallélogramme ; quatre grands bazars sont placés au centre, au point de jonction des quatre principales rues. Les maisons sont bâties en briques rouges ; leurs toits en terrasse sont surmontés d’une sorte de dôme.

L’aspect général de la cité n’a rien d’imposant ; c’est plutôt une réunion de plusieurs grands villages qu’une ville proprement dite. Elle n’a pas de rues praticables pour les voitures et ne renferme aucun monument remarquable, sauf le tombeau d’Ahmed-Schah.

Candahar est entourée d’un épais rempart en terre de 25 pieds de haut, en bon état de conservation, avec un fossé. C’est une place forte assez solide par elle-même, mais elle peut être facilement privée d’eau, et, en outre, elle est dominée à petite distance par un cercle de hauteurs qui ne lui permettraient pas de tenir longtemps sous le feu de l’ennemi.

Sa position sur la grande route commerciale et militaire de la Perse vers l’Inde lui a donné de tout temps une importance considérable. Ruinée et détruite à plusieurs reprises par des invasions étrangères, elle s’est toujours relevée sur le même emplacement ou sur un emplacement très-voisin de l’ancien.

Les historiens font remonter l’origine de cette cité jusqu’à Alexandre le Grand, qui l’aurait fondée l’an 330 avant l’ère chrétienne, et les Afghans eux-mêmes tiennent cette tradition en grand honneur.

Selon M. Vivien de Saint-Martin, c’est du nom « d’Alexandria ou Alexandropolis, qu’elle dut à son fondateur, que s’est formé par la prononciation orientale (Iskander, Secander) le nom de Candahar. » On pourrait aussi le faire dériver de Kand, qui veut dire forteresse, Candahar étant la place la plus importante située sur la frontière persane, pendant la durée de l’empire mongol.

La ville de Candahar a déjà été occupée par les forces britanniques de 1839 à 1842. En 1878 les troupes anglaises s’y sont installées facilement et y ont été accueillies par les habitants avec une sorte d’indifférence. Les correspondants anglais nous disent, en effet, que, lors de l’entrée du général Stewart à la tête de sa division, la population s’était amassée sur son passage pour voir défiler les vainqueurs ; les femmes les regardaient du haut des balcons ; les boutiques étaient fermées, mais les seuls sentiments que l’on pouvait lire sur la physionomie des habitants étaient la curiosité et l’étonnement plutôt que la colère ou le chagrin.

Candahar est une magnifique position stratégique qui commande l’entrée de toutes les routes pénétrant dans le Pendjab et le Sindh par leur frontière occidentale, et qui permettrait, le cas échéant, de prévenir un ennemi qui voudrait s’établir à Hérat, cette « clef de l’Inde ».

Maîtresse de Candahar et ses communications bien assurées avec Quetta, une armée d’invasion pourra, si elle dispose de ressources numériques quelque pou considérables, se porter rapidement vers le nord-est sur Caboul par la route de Ghazni, et en même temps empêcher les forces concentrées à Hérat de marcher au secours de la capitale en faisant une démonstration sur Girisck. En marchant de Candahar sur Caboul, elle donnerait successivement la main aux colonnes venant perpendiculairement par les vallées du Gomul, du Kurum ou même du Gaboul-Daria, s’assurerait ainsi de la domination de tout l’Afghanistan méridional et préparerait la chute de sa capitale.

Aussi la prise de possession de Candahar et la nécessiié de son maintien sous le drapeau britannique ont-elles été, ces temps derniers, l’objet d’un grand nombre d’articles de la part des journaux anglais.

« Sans Candahar, dit la Post, nous permettons aux Russes venant de Merw d’avoir le pas sur nous pour entrer à Hérat. Nous laissons grand ouverts les défilés qui conduisent dans l’Inde, du Khyber jusqu’au Bolan. Nous revenons à la misérable besogne de tenir en échec et de surveiller des tribus montagnardes hostiles, en nous appuyant sur une base aussi instable et aussi peu digne de confiance que ces tribus elles-mêmes ; et nous abandonnons maladroitement, ce qui est bien certainement une considération d’une certaine valeur, une population indigène qui est très disposée à nous bien accueillir et même à nous accorder une véritable reconnaissance de la protection que nous lui donnons. »

3° ROUTE DU CENTRE.

DE CANDAHAR À CABOUL PAR GHAZNI.

La route de Candahar à Caboul par Ghazni est peut-être de toutes les routes de l’Afghanistan celle qui présente le moins d’obstacles et qui offre le plus de ressources sur son parcours.

Remontant pendant près de 300 kilomètres la fertile vallée du Tarnak, elle rencontre de nombreuses localités, parmi lesquelles je citerai les villages de Kolaï-Azim, Kheli-Akhund, Schahri-Safa, Turandaz, Djaldack, la petite ville de Kalaï-Ghilzai, Naurak, Pandjak et Karïai-Oba. Au bas de cette vallée, en face de Candahar, la cote est de 1,100 mètres ; à Pandjak, elle est de 2,080 mètres.

Au nord-est de Karïai-Oba, le chemin traverse une série de hauteurs qui séparent La vallée supérieure du Tarnak du bassin de l’Ab-Istada ; il passe à Jamrood, Argansian, Nani, village situé à 2,260 mètres d’altitude, au point de jonction de la route du Gomul, et arrive à Ghazni.

Ghazni, située à environ 360 kilomètres de Candahar et à 150 kilomètres de Caboul, est une place très importante par sa situation, par ses défenses et par le renom dont elle jouit chez les Afghans. C’est la citadelle la plus forte de tout l’Afghanistan ; elle protège Caboul contre les attaques d’un ennemi venant de la vallée du Gomul ou de celle de Tarnak, et est maîtresse de toutes les communications entre le nord et le sud du pays.

La position astronomique de Ghazni est 66° longitude est, 33°, 30’ environ latitude nord ; son altitude, qui est de 2,350 mètres (à peu près la même que celle de l’hospice du mont Saint-Bernard), en fait une des villes les plus froides de l’Asie centrale.

Ghazni était, il y a deux siècles, la capitale du vaste empire fondé par Mahmoud, et, pendant une centaine d’années, elle fut une des cités les plus grandes et les plus riches de l’Orient. Bien que déchue aujourd’hui de sa splendeur passée, elle n’en est pas moins restée pour les peuples mahométans une ville sainte, et plusieurs de ses édifices sont toujours l’objet de la profonde vénération des croyants. La tombe du sultan Mahmoud y existe encore, et avant 1839 on y voyait les portes de bois de sandal que ce conquérant avait enlevées au temple hindou de Somnauth, dans le Gudjerate, comme trophée de sa dernière guerre dans l’Hindoustan.

Lorsque le général Nott se retira de Caboul par Ghazni, il enleva, sur l’ordre de lord Ellenborough la massue suspendue à la tombe de Mahmoud et les portes du Somnauth, et cette action, considérée comme un sacrilège, ne put qu’attirer sur lui la haine et la vengeance des habitants du pays.

La citadelle de Ghazni, réputée imprenable, ne tomba au pouvoir des Anglais en 1839 qu’après un siège en règle, long et pénible. À cette époque la ville renfermait encore un grand nombre de palais et de riches habitations ; une brigade de cavalerie toute entière pouvait y trouver ses cantonnements. Assiégée une seconde fois en 1842, Ghazni ne fut enlevée par l’ennemi qu’après une vigoureuse défense ; elle paya cher alors les souffrances qu’avaient endurées dans ses casemates les malheureux prisonniers que les Afghans avaient faits au 37e régiment d’infanterie de l’armée des Indes. Toute la garnison fut passée par les armes et l’armée anglaise n’abandonna Ghazni qu’après l’avoir transformée en un monceau de ruines.

La malheureuse cité n’était cependant pas morte encore, et de nouvelles constructions s’élevèrent bientôt sur les débris de la vieille Ghazni ; Dost-Mohamed répara la citadelle et releva les remparts et leurs ouvrages avancés, Shere-Ali compléta ces travaux de défense avec l’aide d’officiers européens, et l’on peut admettre que dans son état actuel cette ville est une place très-respectable.

En sortant de Ghazni la route de Caboul traverse la passe de Schridana, qui est obstruée par les neiges pendant plusieurs mois de l’année et descend dans la vallée du Logar et du Caboul-Daria. Dans un précédent paragraphe, nous avons assez examiné les deux routes qui conduisent de Ghazni à Caboul pour qu’il n’y ait pas lieu de revenir sur ce sujet.

4° ROUTES DE L’OUEST ET DU NORD-OUEST.

A. — ROUTE DE CANDAHAR À HÉRAT.

En sortant de Candahar, la route de Hérat se dirige vers l’ouest-sud-ouest ; elle rencontre alors Koharan, localité située sur l’Hargand-Ab, se relève vers l’ouest-nord-ouest, traverse Hanz-i-Madad, Kusch-Nakhud, petit village fortifié bâti sur les bords du Khakrez, et atteint la ville de Girischk, en face de laquelle se trouve le point de passage obligé de la rivière Helmand, qui n’est guéable nulle part ailleurs.

De Candahar à Girischk on compte environ 130 kilomètres. La route, qui offre des ressources en eau, en vivres et en fourrages sur la plus grande partie de son parcours, est rendue pénible par suite du grand nombre de rivières ou de torrents profondément encaissés qui la coupent.

De Girischk deux voies s’offrent au voyageur pour parvenir à Hérat : l’une passe par Zirck, Nalakh, Tschakab, Daulatabad, Asiabab et Jambaran, traverse un pays montagneux et pauvre, et aboutit à la passe de Khwaja-Uria ; l’autre, se dirigeant plus a l’O., au milieu d’une contrée relativement fertile, rencontre Schorab, Langara, Bakwa et le fort Kilaï-Faizulla, la ville de Farah, bâtie sur la rivière du même nom, Dukim, Khus et Jaja sur la rivière Harut, Sebzawar, et rejoint la première route à l’entrée de la passe de Khwaja-Uria.

La petite ville de Farah, Ferrah ou Furrah, située comme nous venons de le voir sur la deuxième route de Candahar à Hérat, est entourée d’une enceinte en briques très-solide. Elle barre le chemin qui conduit de la Perse méridionale dans l’Afghanistan. De Farah part en effet une voile qui se dirige sur la ville de Lash et qui est très-suivie par les caravanes allant de Mesched à Nasirabad, en traversant une pointe du territoire afghan,

La distance de Girischk au défilé de Khwaja-Uria est d’environ 350 kilomètres par le premier chemin que j’ai cité, et de 425 par Vautre.

En sortant de ce passage la route de Hérat traverse la rivière Adraskan, et rentre bientôt dans une région montagneuse quelle franchit par la passe de Sengikissia dont l’altitude est de 1620 mètres ; elle arrive ensuite à Hérat par Mir-Daud et Ruzebagh.

Toutes les routes qui aboutissent à Hérat sont parfaitement entretenues dans un rayon de plusieurs milles autour de cette ville. Du côté du S., un pont en briques, long de 1,200 pieds, permet de franchir en tout temps l’Hari-Rud et les nombreux canaux d’irrigation qui arrosent la vallée.

Hérat est la ville la plus importante de l’Afghanistan occidental. Elle comptait avant les dernières guerres environ 100,000 habitants. Sa population paraît être réduite aujourd’hui à 20,000 ou 30,000 dimes.

Hérat est entouré d’une enceinte carrée en briques, protégée par un fossé, et sur deux des faces par des glacis. Six portes défendues par des tours donnent entrée dans la place.

Au S.-E. de la ville se trouve la citadelle appelée Tchagar-Bag située sur une petite colline.

Hérat renferme un grand nombre de bazars, de mosquées, de caravansérails. Elle possède de nombreuses fabriques d’étoffes de coton et de soie, et fait un grand commerce de coutellerie dite de Damas. C’est le marché central des produits de l’Inde, de la Chine, de la Tartarie et de la Perse.

La ville est bien pourvue d’eau ; néanmoins elle est sale, comme presque toutes les cités d’Orient. Ses constructions sont en briques ; quelques-unes ont une belle apparence ; parmi les principaux monuments qui s’y trouvent on cite la mosquée Musjid-Janca, bâtie par Nadir-Schah et qui renfermait autrefois d’immenses richesses.

Tout le pays qui entoure Hérat est d’une merveilleuse fertilité et fort bien cultivé. Les roses y sont en telle abondance que Hérat est souvent appelée Surgultzar, la cité des belles roses, Dans ses environs se trouvent de riches pâturages où l’on fait un grand élevage de chevaux qui sont très-estimés.

La position astronomique de Hérat est 36°, 56’ latitude N., 65°, 30 longitude E. (Paris) ; son altitude est de 800 mètres.

Cette ville existait dès la plus haute antiquité, c’est l’Aria des Grecs ; importance de sa situation et sa richesse en firent un objet de convoitise pour tous les conquérants qui se sont disputé la suprématie en Asie. Résidence des Gourides de 1150 à 1200, prise par Gengis-Khan, puis par Tamerlan, qui y établit le siège de son empire, elle fut réunie ensuite à la Perse ; conquise par les Afghans en 1715, reprise par les Perses en 1731 et par les Afghans en 1749, elle forma, à partir de cette époque, un état semi-indépendant nommé le royaume d’Hérat.

En 1833 la Perse essaya de nouveau de s’annexer ce territoire ; mais, ainsi que je l’ai dit au commencement de cette étude, elle dut renoncer a ses prétentions sur ce pays a la suite du traité signé à Paris en 1857 et intervenu entre le schah de Perse et la reine d’Angleterre. Depuis lors, Hérat est resté attachée à l’Afghanistan.

Un récent article publié par le colonel Wachs dans le Militârisches Wochenblatt, tend à démontrer que rien ne sera fait dans l’Asie centrale tant qu’Hérat n’aura pas été pris, et qu’en revanche celui qui aura conquis Hérat sera maître et de l’Afghanistan et des approches de l’Inde. « Quand les portes d’Hérat sont fermées, dit l’écrivain militaire allemand, le commerce s’en ressent sur Indus aussi bien qu’à Boukhara et à Téhéran. La Russie à beau régner à Taschkend et dominer à Khiva, elle ne saurait poursuivre ses progrès sur l’Oxus sans être assurée auparavant de la possession d’Hérat. Mais, d’autre part, si Hérat tombe entre ses mains, il n’y aura pas un bazar de l’Hindoustan où la prépondérance de la Russie ne soit proclamée, en même temps que l’abaissement de la puissance anglaise.

« Si Hérat est la clef de Inde, Merw est la clef d’Hérat. L’oasis de Merw, située à 220,000 milles au N. d’Hérat et à 140,000 milles du cours de l’Oxus, ouvre une route assez facile sur Hérat, et de là sur Candahar. Ces deux dernières villes forment avec Caboul une sorte de triangle stratégique, faute duquel on ne peut se flatter de tenir l’Afghanistan. »

L’écrivain du Militârische Wochenblatt rappelle ensuite que « parmi les ressources de la Russie, parmi les voies qui lui permettent de pénétrer au cœur de l’Asie centrale, il faut compter la Caspienne, cet immense lac intérieur exclusivement sillonné par le pavillon russe. À l’extrémité S.-E, de cette mer, se trouve un point de débarquement, Achour-Ada, qui forme comme la tête de ligne de plusieurs routes ouvertes sur Hérat par la vallée de l’Atreck. La distance des deux villes est à peu prés de 450 milles.

« Quelle force n’aurait pas une double expédition conduite à la fois de la Caspienne et de l’Amou-Daria vers la citadelle occidentale de l’Afghanistan ? Et qu’aurait-elle à craindre ? Ce ne serait certes pas la débile armée persane, tenue en respect par le moindre corps d’observation, ou mieux, neutralisée d’avance par le cabinet de Saint-Pétersbourg. Ce ne seraient pas davantage les tribus nomades qui campent le long des cours d’eau dans le steppe immense compris entre la Caspienne, l’Atreck et L’Oxus. Incapables d’opposer une résistance sérieuse à des troupes européennes, ces peuplades belliqueuses, type de cavalerie irrégulière, n’attendent au contraire que le contact d’une armée véritable et l’entraînement d’un bon commandement pour devenir le plus utile des auxiliaires entre les mains de ceux qui sauront s’attacher ces espèces de centaures, et les Russes, dans ces pratiques, sont, on le sait, passés maitres[12]. »

B. — ROUTES DE HÉRAT EN PERSE ET DANS LE TURKESTAN.

Trois grandes voies de communication se dirigent de Hérat vers le nord-ouest, le nord et le nord-est.

Ce sont :

La route de Hérat à Mesched (Perse) ;

La route de Hérat à Merw (Turkestan) ;

La route de Hérat à Samarkand et Taschkend, avec embranchement sur Balk et Caboul.

La route de Hérat à Mesched est une des voies commerciales les plus fréquentées de l’Asie. Elle met toute la partie septentrionale de la Perse en communication avec la Boukharie, en passant par Hérat et la route de Samarkand ; avec l’Inde, en traversant Hérat, Candahar, Quetta ou le Gomut ; avec le pays de Kashmir en passant par Hérat, Candahar et Caboul.

En sortant de Hérat, la route de Mesched se dirige vers l’ouest le long de la vallée de l’Hari-Roud jusqu’à la frontière persane, qu’elle traverse entre Kusan et Kafir-Kala. À partir de ce point elle marche vers le nord-ouest.

La route de Hérat à Merw, prolongée à travers les déserts du Turkestan jusqu’a Khiva, relie toute cette partie de l’Asie avec l’Afghanistan et l’Inde.

Cette route va en ligne droite de Hérat vers le nord, traverse Parwan, franchit les montagnes de Kaïtou par les passes de Hazreti-Baba et de Robat, et descend dans la vallée de la rivière Kuschk qu’elle atteint en amont du fort Karatapa, et dont elle suit la rive gauche jusqu’à sa jonction avec le Murg-Ah. Le chemin côtoie alors ce cours d’eau jusqu’à Merw en passant par Robat-Abdula-Khan, où il rencontre la frontière du Turkestan.

La route de Hérat a Samarkand et Taschkend s’embranche sur la voie précédente près de Kushk, traverse Chingurak-Mingal et arrive à Bala-Murgh-Ab, petite ville située sur le cours du Murgh-Ab. On peut parvenir au même point en prenant à Hérat une autre route qui, se dirigeant vers l’est, traverse Kala-Nau, Magor, et descend dans la vallée du Murgh-Ab aprés avoir traversé la passe de Derband.

De Bala-Murgh-Ab, la route se dirige vers l’est le long d’un affluent de cette rivière, traverse Kala-Wali, Charshambad, Kala-Bidal, Kaisar et Almar, et arrive à Maimana qui est la principale place forte du côté de la frontière afghane.

« Située parmi des hauteurs, la ville de Maimana ne s’aperçoit qu’à la distance d’un quart de lieue, elle est mal bâtie, mal tenue. Ses 1,500 maisons ne sont que des huttes d’argile, et son bazar construit en briques semble menacer ruine.

« La ville est entourée de remparts en terre qui ont douze pieds environ d’élévation sur cinq de largeur ; les fossés sont peu profonds[13]. »

La citadelle de Maimana se dresse sur un monticule escarpé et est assez forte par elle-même, mais dans le voisinage se trouvent des sommets accessibles du haut desquels une batterie ne mettrait pas longtemps à faire taire son feu.

Maimana a supporté bravement plusieurs sièges, mais il semble que la force de cette place a consisté toujours dans le courage de ses défenseurs plutôt que dans l’importance des travaux qui la protègent.

De Maimana, la route se dirige vers l’ouest, passe à Kafir-Kala, petite place forte, et descend dans la vallée du Sangalak, ou Andkoi. En arrivant dans la plaine, elle se bifurque ; une route va vers le nord sur Samarkand et Taschkend par Andkoi, petite ville qui était autrefois florissante et faisait avec la Perse un grand trafic de ces belles toisons d’agneaux noirs qu’on appelle astrakans.

« Aujourd’hui, Andkoi renferme environ 2,000 maisons qui constituent la ville proprement dite, et 8,000 tentes ou à peu près, les unes dans ses environs immédiats, les autres dispersées parmi les oasis du désert. On évalue à 15,000 le nombre de ses habitants[14]. »

Un poëte persan dit : « L’eau d’Andkoi est saumâtre, ses sables sont brûlants, ses mouches venimeuses ; il y a même des scorpions. Gardez-vous de vanter un tel pays, qui représente fidèlement les tortures de l’enfer. »

La route de Samarkand traverse la frontière à 30 milles au nord d’Andkoi ; elle atteint l’Amou-Daria à Karki.

5° ROUTES DU NORD ET DU NORD-EST.

A. — ROUTE DU MURGH-AH À CABOUL PAR BALKH.

La section de la route de Hérat se dirigeant sur Balkh passe avant d’arriver à cette ville par Shibargan, cité importante, Airagli et Shekhabad.

Cette route, depuis Maimana jusqu’à Balkh, est bien entretenue et praticable même pour la grosse artillerie.

Balkh, chef-lieu d’un khanat du même nom, est considérée par les Orientaux comme la plus vieille ville du monde. C’est pour eux une ville Sainte, « la mère des cités. »

Les historiens y retrouvent l’antique Bactra, la rivale de Ninive et de Babylone, capitale de la Bactriane, qui fut une des contrées les plus célèbres de l’Asie.

« Balkh est située dans une large plaine à une cinquantaine de kilomètres au sud de l’Amou-Daris, sur la route directe de Caboul a Bokhara, à 500 kilomètres environ de chacune de ces deux villes.

« Son territoire est arrosé par la rivière de Dehaz, appelée généralement rivière de Balkh, qui sort du Koh-i-Baba, et se dirige vers l’Oxus, mais qui se perd avant d’arriver au fleuve[15]. »

Les débris de l’ancienne Balkh couvraient jadis un espace de cinq lieues, et maintenant quelques monticules indiquent seuls leur emplacement. La ville moderne, bâtie au milieu des ruines de l’ancienne, ne renferme plus guère que 2,500 à 3,000 habitants.

Elle est entourée d’un mur en terre et protégée par une citadelle d’apparence peu redoutable.

La position astronomique de Balkh est 65° long. E. (Paris), et 36° 45’ lat. N.

Son climat, bien que très-insalubre, n’est pas désagréable. D’après Burnes, le thermomètre ne s’éleva, pendant le séjour qu’il y fit au mois de juin, au delà de 80° (21° 31’), et c’est peut-être le mois le plus chaud de année.

L’insalubrité du pays est attribuée à l’eau, qui est tellement mêlée de terre et d’argile, qu’elle ressemble à celle d’un bourbier. Cette eau est distribuée par de nombreux aqueducs en très-mauvais état qui débordent fréquemment et produisent ainsi des miasmes pernicieux.

Cette contrée est habitée en partie par des Tradjiks, d’origine iranienne, et par des Ouzbeks. Les premiers sont agriculteurs, les seconds pasteurs et nomades.

Le chef du khanat de Balkh reconnaissait autrefois l’autorité du khan de Boukhara, et ce n’est que depuis peu d’années qu’il est sous la souveraineté de l’émir de Caboul.

Cette contrée produit en abondance toutes sortes de grains, du riz, du tabac, du coton, etc., et est couverte de belles forêts dans sa partie orientale.

Les chevaux de Balkh sont très-estimés pour leur force ; le dromadaire est indigène de ce pays.

À Balkh, avons-nous dit, passe la route allant de Bokhara à Caboul. Il en existe également une allant de Balkh à Khiva, le long de la vallée de l’Amou-Daria.

La section de la route de Balkh à Caboul est fort bien entretenue et carrossable jusqu’à la ville de Khulm, qu’elle atteint en passant par Mezar, Aghajan et Afzalabad ; mais le pays qu’elle traverse est fort aride.

Khulm est une place importante par sa situation à l’entrée de la route qui pénètre dans les montagnes pour rejoindre Caboul, et c’est le point de jonction de plusieurs voies allant à l’ouest vers Balkh, au nord vers la Boukharie, et à l’est vers Kunduz et toute la vallée supérieure de l’Amou-Daria.

Elle est située sur la rivière de Khulm, qui se perd dans les sables avant de se jeter dans l’Oxus. Le pays qui l’entoure est fertile et la ville elle-même est bien entretenue et semble riche et prospère.

De Khulm, la route conduisant à Caboul devient un rude chemin de montagnes, que l’artillerie peut cependant parcourir. Cette route remonte d’abord toute la vallée de la rivière de Khulm, passant au milieu d’une contrée très-peuplée et traversant une foule de villages, parmi lesquels nous citerons : Mang-Said, Asia-Badi, Haiback, Zindan, Sar-Bagh, Rui et Doab. Elle entre alors dans le massif du Kohi-Baba, traverse le défilé appelé Kara-Kotal, situé à plus de 3,000 mètres de hauteur, descend dans la vallée de l’Akseraï, passe à Badjak et Kamar, franchit les gorges de Dendanschitan, dout l’altitude est de 2,700 mètres, et arrive enfin à Bamian, dans la vallée supérieure du Surk-Ab, affluent de l’Akseraï.

Bamian était autrefois une ville considérable, capitale d’un petit royaume ; aujourd’hui elle compte quelques milliers d’habitants seulement. Elle est située à environ 80 kilomètres ouest de Caboul ; sa position astronomique est 34°, 50’ latitude nord et 65°, 28’ longitude est (Paris) ; son altitude a été évaluée par le docteur Griffith a 2,500 mètres.

La vallée de Bamian, entourée de tous côtés par de hautes montagnes, encombrée de rochers, coupée par d’énormes précipices, est, paraît-il, l’une des plus sauvages de l’Afghanistan ; elle offre cependant un grand intérêt archéologique.

On y remarque, en effet, un nombre prodigieux d’excavations pratiquées le long des flancs des montagnes sur une étendue de deux ou trois lieues, et qui forment la demeure d’une partie de la population. « Une colline isolée au milieu de la vallée en est complétement percée comme le rayon d’une ruche, dit Burnes, et rappelle à notre souvenir les troglodytes des historiens d’Alexandre. »

Cette ville de troglodytes, que le voyageur Hamilton appelle la Thèbes de l’Orient, renferme des antiquités précieuses ; ce sont, entre autres choses, deux statues colossales taillées en haut relief sur la roche elle-même et représentant un homme et une femme, qu’on suppose dater du commencement de l’ère chrétienne. L’homme a au moins 120 pieds de haut ; il occupe une surface de 70 pieds, et la niche dans laquelle il a été creusé a à peu près la même profondeur. L’idole est mutilée, les deux jambes ayant été fracassées par le canon, et le visage est détruit au-dessus de la bouche. Cette statue n’offre ni élégance ni symétrie ; celle de la femme est mieux faite que celle de l’homme, mais ses dimensions sont de moitié moindres. On voit des excavations de toutes parts autour des idoles, et la moitié d’un régiment pourrait se loger dans celle qui est au-dessous de la plus grande. L’origine de ces statues gigantesques est encore inconnue.

En quittant Bamian, la route de Caboul traverse une série de gorges et de défilés dont les principaux sont ceux de Kalu, de Gulgatoi, les passes d’Hadchihaks, situées à plus de 3,500 mètres au-dessus du niveau de la mer, et celles d’Ungi et d’Ispéchak.

Les principales localités que l’on rencontre sont : Jakal, Sari-Chashma, Jabrez et Argandi. On se trouve alors dans la partie supérieure de la vallée de Caboul, et le chemin jusqu’à cette dernière ville ne présente aucune espèce de difficulté.

B. — ROUTES DU NORD-EST ET COMMUNICATIONS AVEC LE TURKESTAN ORIENTAL ET LA CHINE.

Nous avons dit que de Khulm partait une route qui se dirigeait à l’est vers la haute vallée de l’Amou-Daria.

Cette route, sur laquelle nous n’avons que des données très sommaires et qui n’est, du reste, que d’un intérêt secondaire pour la question qui nous occupe dans cette étude, relie Khulm aux villes de Kunduz, Khanabad, Khishmi, Faizabad ; puis, remontant la vallée de l’Ab-i-Vardoj, elle se dirige sur Chitral, et de là sur Mastuji.

D’autres routes mettent également Caboul en communication avec le haut Afghanistan ; je citerai celle qui se dirige sur Kunduz par le défilé de Khawak. Ce chemin traverse les villes de Istalif, Charikar, Guibahar, franchit l’Hindou-Koh par la gorge de Khawak, élevée de 4,000 mètres au-dessus du niveau de la mer, descend dans le bassin de l’Amou-Daria en passant par Indérabad, Narin, le fort Afzalkhan, et arrive à Kunduz.

Istalif, chef-lieu du Kohistan, est située à 45 kilomètres au nord de Caboul, sur un affluent du Caboul-Daria, dans une vallée si fertile, si tempérée et si belle qu’on l’appelle le « Jardin de l’Afghanistan oriental. » Autrefois c’était, comme Ghazni, une citadelle réputée imprenable ; mais, prise et détruite par les Anglais en 1842, elle n’est plus aujourd’hui qu’une petite ville sans importance.

Kunduz est bâtie sur la rive droite de l’Akseraï, à une quarantaine de kilomètres de l’Amou-Daria. Le climat, d’après Burnes, en est très-insalubre. Un proverbe oriental dit : Si tu as envie de mourir, va à Kunduz. « La plus grande partie de la vallée est si marécageuse que les chaussées sont posées sur des piles de bois et traversent les roseaux. On dit que la chaleur y est intolérable ; néanmoins la neige y couvre la terre pendant trois mois. Jadis Kunduz fut une ville considérable, mais sa population actuelle est au plus de 1,500 âmes ; quiconque peut aller vivre ailleurs n’y demeure pas, quoique ce soit le centre d’approvisionnement de la contrée, le gouverneur n’y réside qu’en hiver. il y a un château qui est entouré d’un fossé et la place est assez forte ; les murailles sont en briques séchées au soleil ; l’excès de la chaleur les fait tomber en poussière et on est obligé de les réparer continuellement. Les montagnes de l’Hindou-Koh, couvertes de neige, sont au sud et en vue de Kunduz ; les monts les plus rapprochés sont des faîtes bas, tapissés d’herbes et de fleurs, mais dépourvus d’arbres et même de broussailles. En remontant un peu dans la vallée, le climat devient plus salubre, et les habitants parlent avec ravissement des bocages, des ruisseaux, des fruits et des fleurs du Badakhschan[16]. »

De Kunduz une route se dirige vers le nord sur Samarkand et Taschkend, en passant par Sayad et Hissar.

Tout à fait au nord de la vallée du Kunar se trouve la passe de Baroghil qui met en communication le bassin du haut Oxus avec ceux du Caboul-Daria et de l’Indus supérieur.

Un chemin qui remonte la vallée du Kunar, de Djellalabad à Tchitral et Mastuji, un autre chemin partant de Gilgit dans la vallée de l’Indus (72° longitude est, 35°, 50’ latitude nord) et aboutissant au même point par le défilé de Karambar, permettent, en effet, d’atteindre la passe de Baroghil et de se diriger ensuite sur Khokand et les villes de la frontière de Chine, en traversant le plateau de Pamir.

Cette haute région paraît impraticable pour une armée, mais on peut tourner le plateau de Pamir et se rendre plus facilement de Khokand dans l’Inde, soit par Hissar, Faizabad et la passe de Nuksan qui débouche dans la vallée supérieure du Kunar entre Tchitral et Mastuji, soit en suivant le cours de l’Ab-i-Penjab depuis les environs de Kulab jusqu’au défilé de Baroghil.

Tel est l’ensemble général des voies de communication de l’Afghanistan.

  1. M. Perrin, d’après Elphinstone.
  2. Les dernières nouvelles constatent encore la peine que le général Browne, actuellement à Daka, éprouve à maintenir ses communications avec Peschawar, et l’urgente nécessité de la création de colonnes mobiles considérables pour escorter les convois ou châtier les tribus insoumises.
  3. Revue militaire de l’étranger, no 435.
  4. M. Vivien de Saint Martin.
  5. On travaille activement en ce moment à la construction d’une véritable route sur la rive gauche du Kurum, entre Thall et le fort Mohamed-Azim.
  6. Une expédition toute récente du général Roberts dans la vallée du Khost a montré une fois de plus les dispositions hostiles des tribus qui l’habitent, et la nécessité qu’il y aurait eu à les mettre hors d’état de nuire, ayant de pousser en avant.
  7. J’emploie le mot Balouchistan au lieu de celui de Bélouchistan, généralement adopté en France, en m’appuyant sur l’opinion émise à ce sujet par M. Vivien de Saint Martin. « La principale raison que nous avons pour écrire Balouches, Balouchistan, et non Béloutches, dit l’éminent géographe, nous vient de Pottinger lui-même, indépendamment de l’autorité qui se tire des sources orientales. On sait que le voyage de Pottinger a été traduit en français par M. Eyriès ; or, celui-ci nous a répété ce fait qui avait beaucoup préoccupé sa minutieuse exactitude scientifique, que le voyageur lui avait dit que, bien qu’il eût suivi, en écrivant Béloutches, l’usage dominant dans l’Inde, la véritable prononciation du mot, parmi les indigènes, était Balouches. Et M. Pottinger, ajoutait M. Eyriès, lui avait plusieurs fois exprimé le regret de ne pas avoir employé la véritable forme indigène du nom. »
  8. M. Vivien de Saint-Martin, Dictionnaire de géographie universelle.
  9. Voir la carte no 3.
  10. Publiées par la Revue militaire de l’étranger, no 437.
  11. 5e batterie de la 11e brigade.
  12. Article rapporté par le journal le Temps dans son numéro du 6 décembre 1878.
  13. Arminius Vambery, Voyage dans l’Asie centrale.
  14. Idem.
  15. Vivien de Saint-Martin, Dictionnaire géographique.
  16. Burnes, Voyage en Boukharie, traduction de M. Eyriès.