Étude militaire, géographique, historique et politique sur l’Afghanistan/02

II.

DONNÉES GÉNÉRALES SUR LE PAYS ET SES HABITANTS.


L’Afghanistan est plutôt une expression géographique qu’un État proprement dit, car il manque complétement d’unité politique nationale.

Ce pays, dont le nom même est sujet à contestation, est formé par la réunion bizarre de plusieurs contrées distinctes les unes des autres, non-seulement par l’origine des races qui les habitent et leur histoire, mais aussi par leur situation géographique.

Comme nous le verrons dans le cours de cette étude, ces races, que les événements ont réunies sous l’autorité souvent nominale de l’émir de Caboul, forment tantôt des groupes compactes, royaumes ou principautés, tantôt des tribus ou des clans éparpillés, et se rattachent, soit entre elles, soit avec le pouvoir central, par des liens tellement lâches et si souvent brisés, puis renoués, qu’il est difficile de représenter exactement les contours de la « confédération » formée par les pays que nous sommes habitués à appeler Afghans.

Cette confédération, qui offre un singulier mélange des formes monarchiques, républicaines et patriarcales, n’a aucun rapport avec l’idée que peut nous donner, dans l’Europe actuelle, la réunion de plusieurs peuples sous un même drapeau, et se rapproche plutôt d’une organisation sociale telle qu’on la comprenait aux temps féodaux.

Ces réserves faites, nous pouvons dire que l’Afghanistan forme une sorte de quadrilatère, se prolongeant en pointe vers l’E.-N.-E., et dont les côtés sont irréguliers, surtout sur la frontière orientale. La longueur moyenne de ce pays (direction N.-S.) peut être évaluée à 750 kilomètres ; sa largeur moyenne (direction E.-O.) a environ 600 kilomètres ; sa superficie serait donc à peu près égale à celle de la France.

L’Afghanistan est compris entre 58°, 30’et 73° de longitude E. (méridien de Paris), 28° et 38°, 30’de latitude N.

La population de l’Afghanistan est de 7 à 8 millions d’habitants : l’état-major russe, dans une statistique détaillée, l’évalue à 6, 000, 000 d’habitants seulement ; certains auteurs lui en accordent 12 millions ; en réalité, on n’a aucune donnée certaine pour en déterminer exactement le chiffre ; celui de 12 millions nous paraît cependant exagéré.

Placée à cheval sur le massif montagneux qui sert de ligne de partage aux eaux qui se déversent au nord vers la mer Caspienne ou la mer d’Aral, et au sud vers l’océan Indien, cette population se divise tout d’abord en deux grandes catégories, dont l’une appartient, par les mœurs et par les idiomes originaires, aux races du Touran, c’est-à-dire de la grande dépression aralo-caspienne, et l’autre, à celle de l’Iran, vaste région de plateaux qui, des montagnes de l’Arménie, s’étend jusqu’à la ligne de faîte qui limite, au N. O., le bassin de l’Indus.

Le Touran presque tout entier est aujourd’hui le vassal de la Russie ; l’Iran est l’objet des convoitises de l’Angleterre.

Ainsi qu’un simple coup d’œil jeté sur une carte permet de s’en rendre compte, l’Afghanistan forme l’extrémité orientale de l’Iran. Les langues qu’on y parle sont des dialectes iraniens ; mais, par sa situation entre l’Iran, le Touran et l’Hindoustan, la population iranienne, par essence, appartient à trois domaines ethnographiques et se compose de races différentes ou mélangées.

Ces races sont au nombre de neuf les Afghans, les Tats (Parsivans, Sarthes, Galchas ou Tadjiks), les Kafirs, les Kizilbachis, les Hézaris, les Ouzbegs, les Arabes, les Djats et les Hindous.

Les Afghans méritent une attention spéciale, puisque ce sont eux qui forment la race prépondérante dans le pays, dont ils représentent plus de la moitié de la population ; qu’ils en sont les véritables aborigènes et que c’est d’eux qu’il a pris son nom.

Leur origine a été dans le monde savant l’objet de nombreuses contestations.

Ils se disent de race juive et font remonter leur généalogie au roi Saül. « On défend cette thèse, dit M. de Coutouly, en observant qu’ils ont le type juif, que leurs traditions sont formelles, qu’ils sont divisés en clans et en familles, qu’ils pratiquent la cérémonie du bouc émissaire et qu’ils établissent des lieux de culte sur les hauteurs. » Mais cette théorie rencontre une objection bien sérieuse : c’est qu’il ne se trouve aucune trace d’éléments hébreux dans la langue afghane, évidemment iranienne.

On peut, en outre, démontrer aujourd’hui, aussi bien par les témoignages de l’histoire que par les rapprochements ethnologiques, que, depuis les temps les plus reculés, les Afghans ont habité le bassin du Caboul-Daria, où les écrivains anciens nous les montrent sous le nom véritablement national, qu’ils portent encore en Orient, de Pathans, ou mieux de Pouchtoun ou Poukhto, et, au pluriel, Pouckhtâneh.

Hérodote, qui écrivait 450 ans avant l’ère chrétienne, désigne la vallée où le Caboul-Daria (Cophès des anciens) se réunit à l’Indus, sous le nom de Pakhtouiké.

« Les historiens d’Alexandre, dit M. Vivien de Saint-Martin[1], ne mentionnent pas cette dénomination ; chez eux, le peuple principal de ces cantons porte le nom d’Assakènes ou Assacani. Ce nom est de formation sanscrite. Dans la grande géographie du Mahâbhârata (la grande épopée de l’Inde ancienne), les peuples du Gandhâra sont appelés Açvaka (les cavaliers), ou, par contraction de la langue usuelle, Assaka. Dans ce nom d’origine indienne, on ne saurait méconnaître raisonnablement le nom même d’Afghan, qui n’est autre chose qu’une forme contractée d’Açvakân.

« Bien plus, ajoute M. Vivien de Saint-Martin, parmi les nombreuses tribus afghanes, il en est beaucoup dont les noms se retrouvent dans les anciens poèmes sanscrits ; et la communauté des noms prouve que ces tribus sont apparentées avec les populations indigènes de tout le nord-ouest de l’Inde. »

C’est donc dans les hautes vallées situées entre l’Indus, l’Amou-Daria ou Oxus et la rivière de Caboul, que le peuple afghan a son origine et qu’il s’est développé.

La race afghane est belle : le corps est vigoureux et bien proportionné ; les traits sont réguliers.

Au point de vue de la manière de vivre, les Afghans se divisent en deux catégories : les sédentaires, ou mieux habitants à demeure fixe, et les nomades.

C’est dans la région orientale du pays qu’on rencontre le plus d’Afghans « sédentaires ».

Leurs mœurs sont polies, leurs manières affables ; il y a en eux peu de signes extérieurs de distinction, de rang ou de caste, mais tous se font remarquer par leur respect pour la vieillesse.

« J’ai toujours trouvé, dit Elphinstone, leur conversation et leurs questions, sinon larges, au moins rationnelles. Ils n’ont point la subtilité d’esprit de leurs voisins les Persans, et le peu de rapports qu’ils entretiennent avec les étrangers donne une certaine étroitesse à leur intelligence ; mais dans l’état de la société au sein de laquelle ils vivent, société dans laquelle tout individu est obligé de défendre ses droits et d’avoir quelque importance dans la communauté, leurs facultés intellectuelles appelées à s’exercer sans cesse acquièrent un réel développement. Aussi la masse de la population se fait-elle remarquer par son bon sens et son grand désir d’acquérir de nouvelles connaissances. »

Les Afghans prennent un certain soin de l’instruction de leurs enfants ; cette instruction est confiée à des mollahs, prêtres ou instituteurs, et souvent l’un l’autre.

Chaque village, ou même chaque groupe de tribus nomades, possède un mollah, auquel une revenu spécial est affecté ; de plus, chaque grand ville a au moins un établissement d’instruction, entretenu tantôt par des donations particulières, tantôt par les soins mêmes du gouvernement.

L’instruction des enfants se borne le plus souvent à la lecture et à l’étude du Coran ; les jeunes gens de conditions supérieures étudient aussi les classiques persans et un peu d’arabe. Les mollahs doivent connaître la théologie, la métaphysique telle qu’on l’entend en Orient, l’histoire, la littérature et surtout la médecins. Les jeunes gens qui se destinent à la profession de mollahs vont souvent, pour étudier ces différentes sciences, jusqu’à Bockhara, qui est un grand centre d’instruction musulmane.

La lange afghane est le poukhtou, dont on n’a pas pu jusqu’à présente déterminer l’origine. Cette langue, qui appartient à la famille iranienne, renferme une foule de mots ou de racines dans lesquelles les philologies retrouvent le contact du sanscrit.

Les Afghans emploient pour écrire l’alphabet persan, mais en se servant le plus souvent du caractère neski, qui est employé par les Arabes et les Turcs.

Les Afghans ont une littérature qui leur est propre ; mais les écrivains poukhtou sont tous assez modernes.

« Cette littérature, d’après M. Perrin, n’est qu’une imitation de celle de la Perse ; les compositions s’en distinguent cependant par une facture plus rude et une plus grande simplicité. »

Les souvenirs de l’Afghanistan ont de tout temps encouragé les lettres. Ahmed-Schah avait fondé une sorte d’académie qu’il présidait lui-même toutes les semaines : son film Timour et ses successeurs s’inspirèrent de son exemple. Timour a même laissé un recueil de poésies que les orientalistes apprécient ; et le dernier schah de Caboul, Choudja, passait pour l’un des esprits les plus cultivés de l’Orient.

Les Afghans, qui habitent dans les villes sont presque tous des grands seigneurs, des soldats ou des fonctionnaires de l’État, que leur position sociale obligé à y résider. Si étrange que cela puisse paraître, il est cependant certain, en effet, que dans ce pays la race dominante ne forme que l’élément le plus minime de la population des cités.

La cause en est en ce que les Afghans regardent comme peu dignes d’un homme la plupart des occupations qui y retiennent généralement les habitants dans les autres pays. Ils abandonnent aux Hindous la banque des opération commerciales. Ils ne consentiraient pas à exercer un art mécanique ; et, s’ils ne peuvent se suffire par leurs seules ressources personnelles dans les villes, ils restent dans les campagnes, où ils s’adonnent assez volontiers à l’élevage des troupeaux et même à l’agriculture.

La vie pastorale et nomade, de moins en moins appréciée, il faut le reconnaître, est cependant encore très-populaire chez les Afghans. Elle leur offre, en effet, plusieurs avantages qu’il leur serait difficile de trouver dans un autre genre d’existence : l’aisance sans grand travail, la sécurité, une grande variété dans la vie, le plaisir de la chasse, qui n’est nulle part aussi aimé que dans ce pays, et enfin une liberté complète.

Tous les Afghans sont passionnés pour l’indépendance. Amis du danger, recherchant volontiers les aventures de toutes sortes, endurcis aux fatigues et aux intempéries, braves, hardis, agiles et sobres, intrépides cavaliers et solides marcheurs, ils sont éminemment propres à faire de bons soldats, et forment une race énergique, guerrière, turbulente et batailleuse, qui, réunie dans un moment de crise par son amour de la patrie et par la haine de l’étranger, serait capable des plus grandes choses.

Mais toute médaille a son revers, et à ces belles qualités les Afghans opposent souvent de grands défauts : ils passent notamment pour n’avoir que fort peu de respect pour la propriété de quiconque n’appartient pas à leur clan où à leur famille, et pour pousser l’esprit de la vengeance au delà de toutes les limites.

Dans une série d’articles que M. le général Wolseley a publiés sur l’armée des Indes et qui ont paru dans la North American Review, cet officier général, parlant des diverses races qui concourent à la formation de cette armée, fait un portrait des Afghans que mes lecteurs me sauront gré de mettre sous leurs yeux, et que je reproduirai tel qu’il a paru dans la Revue militaire de l’étranger du 28 septembre dernier.

Cet article rapporte, bien entendu, aux Afghans qui habitent le long des frontières de l’Inde et notamment les environs de Peschawar ; mais on peut admettre, sans crainte d’erreur, que le tableau qui y est fait de leur caractère et de leur mœurs s’appliquerait aussi bien à une grande partie de leurs compatriotes restés indépendants.

« Les Afghans, dit le général Wolseley, sont en général dévoués entièrement à leur pays et à leur clan ; ils possèdent ce que nous appellerions une grande vanité de naissance, et font remonter très-haut leur origine à travers une longue suite d’ancêtres. Ils sont vindicatifs et rapaces, braves, hardis, rusés et prudents.

« Les Afghans sont presque toujours en guerre ; ils luttent non seulement de tribu à tribu, de village à village, mais encore de famille à famille. Chaque famille tient à jour, en ce qui concerne ses voisins, une sorte de compte de débit et de crédit ; une mort en exige une autre.

« Non-seulement l’assassinat de sang-froid est permis, mais il est ordonné comme un article de foi. Le code de la morale aussi bien que celui de l’honneur prescrivent à l’Afghan de tuer sur-le-champ, dès qu’il le rencontre, l’homme avec lequel ou avec la famille duquel sa famille a une question de sang.

« Il arrive souvent, continue le général Wolseley, qu’un de nos soldats demande à son officier une courte permission, soi-disant pour aller visiter ses amis dans la montagne ; en réalité, il veut tuer quelque voisin odieux à sa famille, ou bien encore il se propose de faire la balance des comptes ouverts au chapitre du meurtre, entre son village et ses parents et quelque autre village ou quelque autre famille du district. Sa permission obtenue, il se dirige vers les montagnes où sa race vit dans l’indépendance par delà nos frontières, et, après avoir tué son homme, il retourne à ses devoirs militaires entièrement satisfait de lui-même.

« Le sang pour le sans, le fer et le feu pour tous les infidèles, tels sont les deux principaux commandements de ces peuples.

« L’hospitalité est une vertu dont ils font le plus grand cas. Tant que vous êtes sous le toit d’un de ces hommes, vous n’avez rien à craindre ; une fois que vous l’avez quitté, ce même hôte qui, une heure auparavant, déclarait que tous ses biens vous appartenaient, cet hôte qui se proclamait votre esclave et se laisser aller à ces fictions orientales de pure convention, vous assassinera sans scrupule, avec le plus grand sang-froid, si par hasard il a pris fantaisie des vieilles bottes que vous portez.

« Chez les Pathans, la mère prie afin que son fils devienne un voleur émérite, et les mollahs, dont l’influence est grande chez ce peuple, les encouragent même dans leur penchant au vol. La plupart de ces tribus n’ont d’autres ressources que leurs troupeaux. Comme la conduite et la garde du bétail n’occupent qu’un petit nombre d’indigènes, le mauvais esprit exerce aisément son influence sur ces bandes d’hommes paresseux, mais vigoureusement musclés, et leur fait commettre des actes de violence. Dans leurs idées, l’assassinat est un genre de guerre aussi noble que celui que nous pratiquons, et l’on ne saurait leur faire établir une distinction quelconque entre le meurtre d’un ennemi pris individuellement et sa destruction en gros sur le champ de bataille.

« Ils sont prompts à la réplique, et font preuve d’une grande finesse et d’une grande habileté dans leurs discussions sur les affaires publiques avec les officiers anglais. Un de ceux-ci racontait à ce sujet l’anecdote suivante : « Un jour qu’il présidait un conseil de chefs warziris[2], quelques-uns d’entre eux se retirèrent pour dire leurs prières. Pendant qu’ils se livraient à leurs dévotions, il dit à un chef qu’il était pitoyable de voir des hommes si scrupuleux sur les pratiques de leur religion, doués d’aussi peu de respect pour la vérité et le tromper comme ils le faisaient, sans aucune honte, sur leurs récoltes, leurs revenus, etc. ce chef répondit sans perdre un instant : ― Oui, c’est bien vrai, il faut qu’il y ait eu quelque faute radicale dans leur conduite religieuse, puisque Dieu a trouvé bon d’envoyer un gouverneur (l’officier anglais) dicter des lois à un pays indépendant depuis tant de siècles. »

Quelques auteurs prétendent que les mœurs privées des Afghans sont détestables et présentent des particularités qu’on ne peut décrire. De ce que j’ai lu il me paraît résulter qu’on fait rejaillir à tort sur toute la population afghane un reproche qui ne doit s’appliquer qu’à une secte honteuse dont Burnes désigne les membres sous le nom de casseurs de lampes, et qui est moins répandue dans la contrée qui nous occupe que dans beaucoup d’autres régions de l’Asie. La vie intime des Afghans présente même, au contraire, un caractère général d’honnêteté, je dirais de respectabilité, bien rare en Orient.

Les Afghans sont mahométans, du rite sunnite, c’est-à-dire qu’ils reconnaissent les trois premiers kalifes dont le sultan de Constantinople est l’héritier légitime comme successeurs du Prophète, et qu’ils admettent leur interprétation de la loi. Les Afghans sont de fervents musulmans, mais ils suivent leurs croyances et respectent les dogmes de leur religion sans attaquer les croyances ou les dogmes des autres, et leur esprit religieux est même assez tolérant, ce qui est rare chez les sectateurs de Mahomet.

J’ai tenu à faire connaître aussi complètement que possible le caractère et les mœurs des Afghans, mais je me permettrai de passer rapidement en revue les autres races qui habitent l’Afghanistan.

Les Tats forment tantôt des groupes compacts tantôt des clans éparpillés ; ils sont répandus sur toute l’étendue des pays afghans. Les Tats appartiennent à la race iranienne pure. Brave, honnêtes et laborieux, ils forment d’excellents soldats et leur goût pour la guerre est si prononcé, qu’à leurs yeux le plus grand malheur qui puisse arriver à un homme est de mourir dans son lit. Ils constitueraient au besoin une excellente infanterie particulièrement propre à la guerre de montagnes[3].

En temps de paix, les Tats s’adonnent volontiers à l’agriculture, et dans les villes on en trouve un certain nombre qui se livrent avec succès aux différentes branches du commerce et de l’industrie.

Les Kafirs habitent les montagnes situées à l’extrémité orientale de l’Afghanistan. On évalue leur nombre à 200,000 âmes : ils sont idolâtrés et d’origine inconnue ; leur type est celui des races du Caucase. Chasseurs intrépides, amis du danger et des aventures, ils peuvent devenir redoutables dans une guerre de montagnes.

Les Kizilbachis sont d’origine persane ; ils forment la partie de la plus intelligente et la plus instruite de la population. Ils résident en grand nombre à Caboul et on en trouve beaucoup aussi à Hérat, à Candahar et dans les autres villes un peu importantes.

Les Hézaris comptent environ 100,000 habitants répandus sur toute la surface de l’Afghanistan et notamment dans la région des plateaux comprise entre Hérat et les montagnes qui avoisinent Caboul. Les Hézaris sont des nomades de race tartare, et, par conséquent, d’origine touranienne.

Les Ouzbegs sont aussi Touraniens, ils descendent des Turcomans et forment quelques tribus qui peuplent la partie septentrionale du pays. Les Ouzbegs ont une petite armée assez bien organisée dont on évalue l’effectif à 10,000 hommes. Cette armée, qui est placée en temps ordinaire sous les ordres du gouverneur afghan de Balck, tient généralement garnison dans les villes de Balck, de Kunduz, de Khulm, et garde les bords de l’Oxus.

Les Arabes sont disséminés un peu sur toute la surface de la contrée.

Les Djats sont d’origine inconnue ; comme les Arabes, ils sont répandus sur toute l’étendue du territoire ; cependant leurs tribus se groupent en assez grand nombre le long de la frontière orientale sur les pentes des monts Soleiman. On évalue le nombre des Djats à 300,000 habitants.

Les Hindous représentent une population de 300,000 à 400,000 âmes. Ils vivent principalement dans les villes, où ils livrent à l’industrie, au commerce et notamment aux spéculations financières que la prohibition dont le Coran frappe le prêt à intérêt ne permet pas aux indigènes de pratiquer.

L’Afghanistan est un pays très-montagneux, surtout dans la région nord-est : on y voit de vastes plateaux au sud-est et de véritables déserts confinent à ses frontières occidentales.

« Situé sous les parallèles de l’Égypte et de la Syrie, mais présentant une surface non moins accidentée que la Suisse et des montagnes beaucoup plus élevées que les Alpes, l’Afghanistan doit à cette triple circonstance de situation, d’assiette et de configuration, de réunir dans son climat et dans ses productions les extrêmes de la zone torride et des zones tempérées[4]. »

Dans la partie nord-est la succession des saisons se fait à peu près comme chez nous ; l’hiver commence en novembre et la neige est très-abondante à partir du mois de décembre.

Le climat est généralement sec et le plus souvent très-favorable à la constitution humaine.

Sauf dans quelques régions de l’est-sud-est, la terre produit en abondance le riz, le maïs, le froment et toutes les céréales, l’orge surtout, dont les Afghans nourrissent leurs chevaux.

Le sol de l’Afghanistan est très-favorable à la vigne : le coton, la canne à sucre, le tabac viennent facilement dans les parties chaudes du pays.

Presque toutes les vallées sont très-fertiles et bien cultivées. Le pays n’est généralement pas très-boisé ; cependant dans le nord on rencontre des forêts considérables qui renferment des essences d’arbres précieux.

On trouve peu d’animaux sauvages dans l’Afghanistan, et ceux qu’on y rencontre ne sont nu aussi féroces ni aussi redoutables que les animaux de même race qui vivent dans l’Inde.

Le dromadaire et le chameau sont employés comme bêtes de somme dans tout l’Afghanistan.

L’élevage des chevaux est largement pratique dans la province de Hérat. Ces animaux sont souvent d’une rare beauté : cependant on les considère en général comme inférieurs à ceux du Turkestan. La race des chevaux de montagne est vigoureuse, mais d’un aspect peu brillant.

L’âne se trouve à l’état domestique et à l’état sauvage ; la vache est très-commune dans tout le pays ; on y trouve aussi d’immenses troupeaux de bêtes à laine qui forment la richesse des tribus nomades.

Les productions minérale de l’Afghanistan paraissent être très-importantes. Comme l’Indus, le Caboul-Daria charrie des sables d’or. On signale dans les montagnes du nord et du nord-est la présence de nombreux gisements d’argent, de cuivre, de plomb, d’antimoine, de zinc, de soufre, de fer, de houille, de sel gemme, etc. Des mines de pierres précieuses se trouvent également dans cette région ; mais toutes ces richesses, à peine effleurées, attendent l’impulsion de la civilisation européenne.

Aujourd’hui l’industrie du pays se borne réellement à l’agriculture et à la fabrication des étoffes de soie et de coton.

« Quand l’Afghanistan sera plus avancé dans l’économie agricole et industrielle, ses laines pourront devenir un des éléments les plus importants de sa richesse territoriale ; déjà, malgré les empêchements que mettent au développement du commerce l’organisation imparfaite du pouvoir politique, les nombreuses exactions, la rapacité des tribus qui infestent les passes, les transactions de vente, d’achat ou d’échange ne laissent pas d’avoir une véritable importance[5]. »

On ne rencontre pas d’habitations isolées dans les pays afghans ; elles sont toutes réunies en groupes formant des villes ou villages plus ou moins importants et presque toujours protégés par une enceinte en brique ou en terre.

Il existe dans le pays un grand nombre de tours isolées, pareilles à celles qui avoisinent les villages des montagnards du Caucase ou à celle que l’on rencontre encore sur les côtes de la Corse ou de la Provence. Ces tours, placées généralement dans des lieux bien choisis, servent de postes d’observation et peuvent, le cas échéant, devenir d’un grand secours pour la défense du pays.

Il suffit de jeter les yeux sur une carte d’Asie pour voir combien la position militaire de l’Afghanistan est remarquable. Elle commande à la fois la vallée de l’Amou-Daria et celle de l’Indus et domine la Perse ; aussi l’histoire nous montre-t-elle plus d’une fois les peuples qui l’habitent portant leurs armes victorieuses d’un côté jusqu’à la mer Caspienne et de l’autre jusqu’au centre de l’Inde ; et si ces belliqueuses populations afghanes n’ont pu toutes se soustraire à la domination de quelques conquérants, il faut reconnaître cependant que les habitants de la montagne ont toujours su conserver leur indépendance et qu’ils ont souvent porté atteinte à celle des autres.

  1. Dictionnaire de Géographie universelle.
  2. Tribus habitant le long des frontières du Pendjab.
  3. Perrin, d’après Elphinstone.
  4. Vivien de Saint-Martin.
  5. Vivien de Saint-Martin.